Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

11.7.09

EX UNITATE VIRES



Les numéros 605 de Jazz Magazine et 159 de Jazzman, deux mensuels spécialisés dans les musiques de Jazz - à deux époques différentes, publiés par le même éditeur et en proie aux transformations de période, nous annoncent conjointement leur union prochaine en un seul magazine qui portera l'original titre de Jazz Magazine-Jazzman. La raison de ce "rapprochement" pour reprendre le mot employé par directeurs de rédaction et rédacteur en chef réside dans la célèbre maxime : "l'Union fait la force".

"L'union fait la force, et vous disposerez dorénavant chaque mois d'un magazine encore meilleur, encore plus actuel, encore plus riche et encore mieux informé" (Frédéric Goaty pour Jazz Magazine)... "L'union, dit-on justement, fait la force. (...). Pour fournir à tous les passionnés de jazz le meilleur magazine possible, nous avons décidé de fusionner les deux journaux pour n'en former qu'un" (Alex Dutilh pour Jazzman)... "Nous avons décidé de joindre nos forces pour vous offrir à partir de septembre le meilleur magazine de jazz possible avec l'essentiel des signatures qui ont votre confiance." (toujours Alex Dutilh)... "Pour deux journaux amis et complices jusque dans l'adversité polémique, quoi de plus naturel que d'unir ses forces afin de défendre plus résolument ces musiques que nous aimons ?" (Frank Bergerot ancien journaliste de Jazzman devenu rédacteur en chef de Jazz Magazine)... Et en guise de conclusion :"Fini le temps de la concurrence stérile, voilà enfin venu celui de la complémentarité fertile, de l'union qui swingue, de l'entente qui groove. Ensemble, vous allez réinventer un magazine plus riche, plus clair, plus ouvert." (Frédéric Goaty s'adressant dans une forme épistolaire aux deux journaux).

Dans la dernière édition (la formule est correcte) de Jazzman, Francis Marmande (plume ailée du Jazz Magazine "historique" qui fait partie des récents précurseurs passés de l'un à l'autre journal, en un mouvement comparable à ce qu'est devenu le jazz à moins que ce ne soit l'inverse) nous entretient du festival de Comblain-la-tour. Comblain-la-tour, c'est une petite ville en Belgique où est né il y a une cinquantaine d'années, un de ces festival révèlateur, qui vous noue à l'histoire, surtout de 59 à 66. Créé à l'occasion du passage du GI Joe Napoli en Belgique, dans le civil : manager de Chet Baker, le festival fut l'oeuvre de fieffés passionnés comme Jean-Marie Peterken, Nicolas Dor, Paul Gabriel, Raymond Arets et Willy Henroteaux. En 1945 les Américains étaient en Europe pour vaincre les Nazis devenus infréquentables. Ils faisaient partie des "alliés", force d'union où participaient aussi les Soviétiques, les Anglais, les Français qui avaient refusé l'occupation, les Canadiens et quelques autres. L'Union faisant la force, Adolf Hitler fut heureusement vaincu, ce qui n'empêcha pas les petits arrangements d'après guerre, le maintien du Général Franco, fasciste à la tête de l'Espagne, le partage entre Américains et Russes - principalement mais pas seulement - des intelligences allemandes, Hiroshima, la guerre froide etc. L'union s'était faite de force et avait fonctionné jusqu'à un certain point, nécessaire en dernier lieu, puisque les uns et les autres avaient auparavant laissé Hitler s'installer (tentant plus souvent qu'à leur tour de s'arranger avec lui), avaient aussi en quelque sorte "préféré" voir les fascistes s'emparer de l'Espagne avec l'aide de leur futur ennemi.

Ne nous égarons pas trop (mais un peu quand même !), nous en étions à la Belgique dont la devise nationale est "L'union fait la force". L'unité belge n'est pas exactement ce que l'on peut appeler un exemple, mais la phrase n'a rien à voir avec les actuels déchirements Flamands-Wallons, elle fut prononcée pour la première fois par Érasme-Louis Surlet de Chokier, révolutionnaire, grand admirateur de Napoléon 1er, passé régent de Belgique en 1831. Il s'agissait simplement d'unir les différentes tendances de la bourgeoisie catholique face aux Pays Bas menaçants.

L'apophtegme a connu bien d'autres utilisations lors du programme commun de la gauche française dit "Union de la Gauche" qui vit l'annexion fine du Parti Communiste par le successeur de la SFIO. La droite française en a aussi appuyé l'usage lors de la constitution en 2004 de l'"Union pour un mouvement populaire", ce qui ira jusqu'au "Ensemble tout est possible" qui régit des choses aussi unies et puissantes que les reconduites à la frontière, le remplissage des prisons, le travail comme religion instituée, l'esprit télévisé, la mise à mort de la poésie. Ce fut également jusqu'à la chute de l'apartheid, la devise de l'Afrique du Sud. Difficile d'oublier tant il est rabâché le "L'Europe c'est l'union, et l'union fait la force" utilisé à tous bouts de champs comme méthode Coué de la Châtaigneraie ou encore en version anglo-saxonne le "United we stand", devise obligatoire et dénuée de sens choisie par les idéologues de l'administration George Bush au lendemain des événements du 11 septembre 2001. Pour finir, on imagine facilement le Père, le Fils et le Saint Esprit utilisant ce proverbe lorsqu'ils décidèrent de ne faire qu'un pour mettre définitivement la pâtée au polythéisme paillard.

Un journal fort et uni plutôt que deux, c'est certes tentant - difficile de faire la moue lorsqu'on suppose un magazine de 200 pages avec les meilleurs spécialistes (pures projections arithmétiques du résultat supposé de cette union). On gardera tout de même une sorte de tendresse menacée pour une époque où la (les) musique(s) que nous aimions ne se souciai(en)t d'unité que comme langage projeté en multitudes, et de force que comme moyen d'entendre nos faiblesses dans ce qu'elles ont de plus expressif. L'union et la force, alors antithèses de toute stratégie et de tout triomphe, n'étaient seulement dévoilées, sans ordre, que dans ce qu'elles avaient de plus indépendamment désunies, de plus superbement réel.

Post Blogum : cet article ne tient compte que de ce qui a été publié dans les revues concernées et non des rumeurs du "Mundillo". Olé !

Dessin : couverture du livre de Sophie Schmid et Sabine Praml (Nord-Sud)



3 commentaires:

jjbirge a dit…

Le pluralisme reste néanmoins la meilleure garantie pour les marginaux, les déviants et les empêcheurs de tourner en rond.

La formule "L'union fait la force" serait en effet sympathique si elle ne s'accompagnait d'un copieux plan de licenciement. Violence des échanges en milieu tempéré...

Wako a dit…

Ne pas citer Frank Zappa même si on y pense fort

Jai Cri a dit…

Le plus intéressant serait de savoir qui fait la poule et d'où viendra l'oeuf