Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

29.6.09

AGUSTI CENTELLES



Ce baiser, moins célèbre, sans doute, que celui dit de l'Hôtel de Ville de Paris immortalisé par Robert Doisneau, ne rejoindra probablement jamais comme le second le monde de l'art (l'accession d'une oeuvre à d'irréelles valeurs dépassant de loin son sujet et son auteur). Pourtant on pourrait s'y arrêter des heures. Il a été photographié par Agustì Centelles à Barcelone en Juillet 1936 lorsque le peuple à forte majorité libertaire vint à bout - de sa propre initiative - du soulèvement militaire fasciste. Ses photographies de la période 36-39 sont exposées à l'Hôtel Sully à Paris jusqu'à mi-novembre. Agustì Centelles n'est pas une star de la photographie plongée bravement dans la guerre d'Espagne, il est témoin actif et antifasciste qui a photographié la guerre de ce camp-là en subissant le sort de ses pairs. Son témoignage est très précieux car il comporte les photographies des journées révolutionnaires de juillet 1936 et leurs espoirs collectifs, des affrontements de mai 1937 lorsque les staliniens prirent violemment la direction en anéantissant définitivement le vouloir populaire, et des camps de la honte en France, où Centelles est interné avec des milliers de réfugiés en 1939 (Bram), qui scellent l'infamie et ouvrent une autre période de grande barbarie.

Agustì Centelles deviendra photographe à Carcassonne où, comme de nombreux espagnols trahis, il rejoindra pourtant la résistance française (la trahison sera doublée à la "libération") et réalisera des faux papiers en série. Lorsque le réseau est démantelé par la Gestapo, il cache ses négatifs et repasse clandestinement en Espagne. Il ne les retrouvera qu'en 1976 après la mort du dictateur Franco.

Comme de mal entendu, et on ne s'y fera jamais et on ne devra jamais s'y faire et il faudra tout faire pour ne pas s'y faire, les légendes de l'exposition sont souvent succintes et font l'impasse autant qu'elles le peuvent sur l'importance du mouvement anarchiste en Espagne. Histoire estropiée ! Les indications des photographies de membres de la CNT les notent comme simples républicains. Et dans la chronologie historique, la CNT n'est pas mentionnée - même pas dans les journées de juillet 36 - et le mot "anarcho-syndicaliste" n'apparaît qu'au moment de la liquidation du Poum (???). Mais les photographies parlent plus fort que les jeux d'ombres institués. Il faut voir et entendre les images du photographe catalan. Absolument !

Post scriptum : Un couple de jeunes gens à l'aise, très branchés, traversa l'exposition en pérorant (fort) sur Martin Parr, chantre de l'insignifiance photographique. Obscénité d'époque ! On attendait qu'ils partent, on aurait dû les chasser. On y retournera.

Photographies : Agustì Centelles

Rappels :
- La chanson du pirate
- Barcelone,juillet 36... St-Paul, mai 09
- Les amitiés d'Abel Paz
- Mots croisés
- Carl Einstein pour nous autres
- Violeta Ferrer : Souvenirs d'Espagne
- Août 1944, anarchistes et antifascistes espagnols entrent dans Paris


28.6.09

LES MURMURES DE MONSIEUR LÉON



Pour Alphonse Allais, les murmures (ou tendres aveux) faisaient gagner du temps aux amoureux. En effet, les murmures échappent aux militaires (qui n'entendent que le sifflement des obus), aux politiciens (qui lui préfèrent les ragôts peu ragoûtants), aux prêtres (qui ne reçoivent comme souffle que les confessions agenouillées). Les murmures sont le fait des rivières, des étangs, du vent, de la pluie, des arbres, des ratons laveurs et autres animaux à l'âme expressive, des ours et leurs oursons, des petits princes sans distinctions, des enfants des trottoirs, des pas dans les feuilles ou sur les pavés, du sang qui coule, des origines du monde, des conseils avertis, des aveugles à la vue perçante, des révoltés, des musiciens de l'intérieur, d'Elvin Jones. Lorsque Sonny Rollins joue "Django" en 1964 (chutes du disque Now's the Time), il l'entame par un immense murmure et le morceau devient un gigantesque hymne au chuchotement (ni les politiciens, ni les militaires, ni les curés ne pourront l'entendre) ; un de ces accessoires de voyages pratique à porter dans son coeur. Le murmure n'accompagne le sommeil que pour mieux nous réveiller. Au théâtre Dunois dans les années 80, les concerts étaient accompagnés du murmure de Monsieur Léon, un vieil homme du voisinage très assidu de ces soirées, présent à chacune d'elle en dispensant cette participation vocale devenue essentielle. Elle ravissait Han Bennink ou Misha Mengelberg et le saxophoniste Tony Coe ne pouvait concevoir de jouer dans ce haut lieu de la musique moderne sans la présence de Monsieur Léon. Un soir rare où l'homme n'était pas venu, il demanda aux gens au bar de faire un peu de bruit. Quelque chose manquait ! Ce qui souvent fait défaut à la musique aujourd'hui comme à notre regard sur ce qui nous entoure (qui ne devrait pas nous entourer, mais être simplement nous), c'est le murmure, chant profond de ceux qui osent.


Photo de Monsieur Léon (on aperçoit le batteur Tony Marsh) : DR


25.6.09

COLLABORATION ZÈLÉE




Hier mercredi, les sans-papiers occupant la Bourse du travail depuis le 2 Mai 2008 ont été délogés par la force. Pas celle de la police, mais celle d'une partie de ses brillants auxiliaires occasionnels : les vigiles du syndicat CGT dépêchés par les caciques de cette confédération syndicale.

La cinquantaine de gros bras ainsi mandatée a fait irruption dans le local alors qu'une partie des sans-papiers effectue à l'extérieur la manifestation du mercredi demandant la régularisation de tous. Encagoulés et armés de matraques, marteaux et gaz lacrymogènes, les séides évacuent violemment les sans-papiers présents (hommes, femmes et enfants). Les CRS arrivent plus tard à la demande de la Mairie de Paris (propriétaire des lieux) et restent spectateurs avant d'intervenir à l'extérieur lorsque certains occupants résistent. Certains sont blessés et hospitalisés. Dans la soirée, les sans-papiers, rejoints par quelques soutiens, commencent à s'installer avec matelas, couvertures et sanisette de fortune sur le trottoir, bouclés par des gendarmes mobiles qui empêchent tout nouvel arrivant de faire corps. Le ravitaillement en nourriture a bien du mal à passer - alors qu'une partie des policiers dîne dans les cars - et pendant que d'un côté on crie "CGT collabo !" ou bien "La police ? y'en a marre ! Sarkozy ? y'en a marre ! La CGT ? y'en a marre !", ceux qui tentent de passer sont refoulés et entonnent un "Pétain, reviens, t'as oublié tes chiens !". Les porteuses et porteurs de nourriture après avoir commencé à la lancer par-dessus les deux lignes de gendarmes finissent par être autorisés à passer. Tout le monde a très soif, on n'a pas oublié les couches pour les petits enfants. Patrick Lozès du CRAN semble négocier avec la police. Finalement à minuit trente, le "car de ramassage" quitte la place - il reviendra le matin garé plus loin place de la République. Les sans-papiers dormiront sur le trottoir encadrés par la gendarmerie relayée au petit matin par les CRS. Il semble alors que la mairie du IIIème ne souhaite pas d'interpellation. Pas de représentants de la "grande presse", pas de "people", St Bernard est loin et la gauche qui encadre le mouvement social pour mieux le contenir (traduire : empêcher son expression réelle) ferait-elle payer ses échecs électoraux aux boucs-émissaires immigrés ? À 8h30, ce jeudi matin, on ne sait toujours pas ce qu'il va advenir des familles stationnés malgré elles sur ce trottoir de la honte.

La CGT aura donc célébré mieux que personne la nomination de Brice Hortefeux (qui fut le grand inaugurateur du ministère de l'Identité nationale) au ministère de l'Intérieur. Ca ne devrait étonner personne car les précédents sont nombreux pour ce syndicat aujourd'hui très (très) loin de la volonté de ses fondateurs d'origine, mais fidèle à une collaboration avec le pouvoir qui fait sa marque depuis de nombreuses années. On a beau le savoir, ça choque toujours. Il est vrai qu'entre l'Identité nationale et l'Intérieur, le ministre fut également celui du Travail et négocia avec la CGT les régularisations "précaires".

Lorsque ce syndicat a refusé en 2008, après avoir tenté de récupérer une partie du mouvement des sans-papiers, de soutenir les régularisations individuelles, ceux-ci ont compris bien vite les dangers de la récupération.

Il ne peut y avoir de mouvement social digne de ce nom s'il n'est pas fondamentalement antiraciste. La régularisation des sans-papiers ne saurait être sélective. La lutte, par eux et pour eux, est des plus signifiantes. Elle contient tout ce pourquoi nous devons nous battre et croire encore en l'être dépourvu de cynisme mortel.


Photos : B. Zon

24.6.09

COMPTE LÀ-DESSUS ET LANGUE DE BOIS DE L'EAU !























Il faut lire la réponse d'Alex Dutilh, rédacteur en chef du magazine Jazzman à l'article paru dans Citizen Jazz parue le 22 juin dernier et annonçant le mariage contre nature de sa revue avec son aînée Jazz Magazine (publiées dans leurs dernières périodes toutes deux par le même éditeur), ce n'est plus de la langue de bois, c'est carrément une promotion complète chez Castorama.

23.6.09

LA NUIT LE JOUR


(Suite du billet : Deezer de Vol ? du 22 juin 2009)

La société Deezer a répondu très rapidement à notre demande et nous avons compris ce qui se passait. Elle n'est en rien responsable de cette situation. Tout d'abord Deezer (site sur lequel nous ne souhaitons pas figurer) avait un accord avec une société (elle aussi de bonne foi) qui avait un accord avec feu le distributeur Nocturne qui avait une sorte d'accord (ce que l'on appelait jadis contrat : une feuille avec des mots dessus) avec nato qui ignorait la teneur des ces accords (invisibles à tous points de vue). Nocturne ayant déposé le bilan début 2009 (en ayant pris soin de sauver ses productions - redisponibilisées en un temps record chez le pourtant honorable et souvent exemplaire Harmonia Mundi, on y verra là un possible exemple de ce que l'on nomme le milieu de la musique - et garder la mouise pour ses licences et distributions), il reste à faire pas mal de ménage avec l'ensemble de cette drôle de chaîne que l'on souhaitera cette fois-ci plus diurne que nocturne.

OBSERVATION


Savoir prendre des coups pour frapper au beau moment.



Photo du match Ali/Foreman Zaïre 74 extraite du film de Leon Gast : When we were kings

22.6.09

DEEZER DE VOL ?




Chaque jour, des auditeurs nous signalent des sites marchands exploitant notre catalogue sans aucun accord. Aujourd'hui, lundi 22 juin 2009, nous demandons au site Deezer.com de retirer de leur site les albums ci-dessous proposés, exploités sans consultation ni accord de notre part :

- The MelodyFour : Hello we must be going !
- The Melody Four : On Request
- The Lonely Bears : Injustice
- Ursus Minor : Nucular
- Ursus Minor : Zugzwang
- Fat Kid Wednesdays : The Art of Cherry
- Fat Kid Wednesdays : Singles
- Jef Lee Johnson : Thisness
- Denis Colin : Song for Swans
- Denis Colin : Etude de Terrain
- Various : Night Songs
- Various : Folk Songs
- Various : Joyeux Noël
- Various : Sept tableaux phoniques Erik Satie
- Various : Les films de ma ville
- Various : Bandes originales du Journal de Spirou
- Various : Six séquence pour Alfred Hitchcock
- Various : Buenaventura Durruti
- Various : A sense of journey
- Kazuko Hohki chante Brigitte Bardot
- Kazuko Hohki : Love in rainy days
- Steve Beresford : Pentimento
- Steve Beresford : Avril Brisé
- Steve Beresford : L'extraordinaire jardin de Charles Trénet
- Lol Coxhill : Before my time
- Mike Cooper : Island Songs
- Jac Berrocal : Hotel Hotel
- Various : Erik Satie et autres messieurs : Airs de Jeux
- Tony Hymas : Correspondances Erik Satie Claude Debussy
- Ulrich Gumpert : Sarabandes et Gnossiennes
- Tony Hymas : Hope Street MN
- Sam Rivers / Tony Hymas : Eight Day Journal
- Sam Rivers / Tony Hymas : Winter Garden
- Jacques Thollot : Tenga Niña
- Tony Coe : Mer de Chine
- Tony Coe : Les Voix d'Itxassou
- Tony Coe : Tournée du Chat
- Steve Beresford, John Zorn, Tonie Marshall, David Toop : Deadly Weapons
- François Méchali, Beb Guérin : Conversations
- François Corneloup : Next
- Michel Doneda, Daunik Lazro : General Gramofon
- Steve Beresford, Han Bennink : Directly to Pyjamas
- Louis Sclavis : Ad augusta per angustia

17.6.09

LA PEUR DU DÉSERT



Nous sommes aujourd'hui constamment menacés de "désert". "Si vous ceci ... destruction, désert ; si vous cela ... destruction, désert !". Nous ne bougeons donc guère et pourtant rien ne pousse.

Les indiens Zuñi (un peuple* dont la langue est unique et chez qui les femmes ont un rôle prépondérant - la vie elle même -) sav(ai)ent faire pousser des graines dans les zones arides par leur simple et méticuleuse orientation. Les graines, c'est toujours ce qu'il nous reste.

* Leur réserve est située au Nouveau-Mexique


Photo : Edward S. Curtis (1903)


7.6.09

LA CHANSON DU PIRATE




En trois poèmes, l'un pour Durruti et les jours collectifs du Barcelone de 1936 (Testament de Durruti de Lucia Sanchez Saornil), le second pour Abel Paz à la requête de Diego Camacho (La chanson du pirate du romantique José de Espronceda) et l'autre pour les perpétuels oubliés victimes des brutalités policières (Romance de la Garde Civile Espagnole de Federico Garcia Lorca), Violeta Ferrer a, avec une émotion difficile à contenir, partagé cette idée commune des êtres bouleversés par l'histoire et habités par ce caractère urgent de la nécessité d'être, si bien exprimée par Abel Paz (Diego Camacho) dans le film de Frédéric Goldbronn Diego, projeté pour cette chaleureuse soirée du 28 Mai aux Ateliers Varan dédiée à cet anarchiste espagnol. Violeta Ferrer et Abel Paz ont été enfants en même temps. Auparavant et comme un lien fort défiant le temps qui passe, Marc Tomsin a lu le texte nécessaire de Valeria Giacomoni, jeune italienne installée à Barcelone ayant partagé beaucoup avec l'auteur de Buenaventuta Durruti, un anarchiste espagnol (ouvrage qui inspira bien des gens ainsi qu'un disque et le beau film de Jean-Louis Comolli, aussi présent ce soir-là).

"DIEGO, par Valeria Giacomoni

Lorsque quelqu’un comme Diego s’en va, le deuil se transforme vite en une énergie nouvelle : tous nos rapports aux autres sont remis en cause, nous tous qui l’avons côtoyé sommes poussés à faire un pas en avant. C’est maintenant à notre tour… « Barcelone ne sera plus la même » me dit un camarade italien après avoir appris la nouvelle. C’est un morceau d’histoire qui disparaît et bien autre chose aussi ; un ami et un exemple d’anarchisme vivant qu’il est si difficile de rencontrer aujourd’hui. Et si je dis anarchisme vivant, ce n’est pas seulement parce qu’il était devenu un des rares acteurs de la guerre civile espagnole encore en vie qui n’oubliait pas ce qu’elle avait signifié, mais c’est aussi parce qu’il avait continué à vivre en cohérence avec ses idéaux. Diego a vu un autre monde. Il l’a vu naître et mourir. Il a alors consacré sa vie à lutter pour lui, défiant la répression dans un premier temps, puis, dans un second temps, s’employant à maintenir en vie la mémoire de ce qui fut pour qu’elle ne se perde pas dans le néant. Ces derniers temps, il parlait souvent de « cette Espagne-ci que je veux oublier », de la façon dont la mémoire officielle parvient à reconstruire l’histoire de la guerre civile sans citer la CNT, comme s’il ne s’était agi que d’un affrontement entre « rouges » et franquistes, en oubliant qu’elle avait été aussi une révolution sociale grâce à la volonté d’émancipation du peuple puisée dans la diffusion des idées anarchistes. « Comment peut-on raconter l’histoire sans nommer les protagonistes ? » se demandait Diego. De là sa passion de l’écriture, son besoin de laisser un témoignage sur ce qu’il avait vécu, de s’opposer à la distorsion de l’histoire, de la sienne à tout le moins. Et je pense qu’écrire était aussi une manière de « tout déballer » et de ne pas rester attaché au passé : ouvrir aux autres nos propres souvenirs permet non seulement de se souvenir mais aussi de vivre le présent en fonction de notre expérience. C’est ce que l’amitié de Diego m’a transmis de meilleur : l’anarchisme est une manière de vivre, une attitude face à la vie ; nous ne pouvons pas seulement parler d’histoire et de ce qui a été ; à tout moment, avec nos moyens modestes, nous pouvons faire quelque chose pour améliorer le monde dans lequel nous vivons. C’est pourquoi tout ce qui lui était extérieur l’intéressait, et il me questionnait sur ma propre vie, non seulement sur mon engagement politique ou historique mais aussi sur mes relations avec les autres, avec ma famille, avec l’argent, sur mes amours, le travail… « Il est important que tout se développe harmonieusement, de façon équilibrée. Nous ne pouvons pas espérer que le monde change et il me semble clair qu’aucun mouvement ni aucun collectif n’aura la force de faire que les choses aillent autrement. Le premier pas consiste à développer une conscience individuelle, à vivre de façon cohérente ; chaque choix dans notre vie est politique, au-delà de notre engagement dans la recherche de l’idéal et dans la lutte. » Ainsi, après avoir transporté dans toute l’Espagne, en Europe et même au Japon son expérience et sa façon d’être, Diego se retira dans son appartement dont il fit un espace où chacun se sentait chez soi. Il recevait la visite de camarades du monde entier qui venaient chercher chez lui quelque chose qui n’existe plus : vivre pour un idéal, constater que l’anarchisme est une attitude face à la vie et que la lutte continue, même depuis son propre fauteuil, pour transmettre aux autres écrits, nature profonde et expérience vécue. Il prêtait les chambres à condition de respecter les règles de la vie collective et de l’aider un peu dans sa vie quotidienne. Il était au courant de toutes les activités du mouvement libertaire à Barcelone et en Europe grâce à nous tous, ses amis, qui lui rendions visite et lui parlions des conférences organisées, des participants, des sujets évoqués… Il n’avait plus envie de sortir de chez lui, en partie parce qu’il avait du mal à se déplacer, mais aussi parce qu’il ne voulait plus voir « toute la merde qui est dehors ». Il disait que ce monde n’était plus le sien, ce monde de relations hypocrites, du culte de l’argent, de la politique en tant que lutte de quelques-uns pour le pouvoir et non plus du choix de vie de tous. Ce monde n’était pas celui pour lequel il avait lutté et comme témoin « d’une autre façon de vivre » il n’avait plus rien à dire. Les médias ne tenaient pas à rappeler cet épisode de l’histoire d’Espagne et donc ils ne publiaient plus ses articles. Ces derniers temps, il était fatigué et disait volontiers qu’il était mort ; je riais et le rassurais en lui faisant remarquer que la mala leche (la férocité) qu’il manifestait dans ses propos démontrait clairement qu’il était bien vivant… Il nuançait en affirmant qu’il se disait mort parce que les autres le considéraient comme tel et qu’ils attendaient sa mort réelle pour lui rendre hommage et l’enterrer définitivement. Par contre, il a clairement démontré à tous ceux qui l’ont connu ces dernières années qu’il est possible de continuer à lutter. Chaque fois que j’allais le voir chez lui, je sortais plus heureuse qu’à mon arrivée. C’est cette révolution-là qu’il nous a chargés de réaliser.
Ciao Diego."

Texte reproduit grâce à l'amabilité des éditions Rue des Cascades

minifilm : Z. Ulma

À lire : Ecoute petit de Marc Tomsin


6.6.09

UNE PARTIE DE PÉTANQUE, CA FAIT PLAISIR...




Paris Quai de Seine, quelques jours avant les élections européennes. Quatre types, trois bavards et un silencieux, jouent à la pétanque...

- le freluquet : "Tu votes toi dimanche ?
- le costaud : sûr que je vote !
- le freluquet : ben moi j'vote pas, ça m'écœure leurs trucs, ils nous prennent vraiment pour des cons
- le grand au pull marine : y'en a qui se sont battus pour qu'on ait ce droit là
- le freluquet : ouais hé ben ils seraient furieux de voir cette bouillie. Regarde Dédé, il est au chômage depuis dix ans qu'est-ce qu'ils ont fait pour lui ?
- le grand au pull marine : ça se discute pas... c'est comme la pétanque, c'est un droit et comme c'est un droit acquis, c'est un devoir.
- le costaud : ça c'est bien parlé !"

Mais en lançant le cochonnet un peu trop fort, le costaud l'envoie directement dans le canal.

- le freluquet : "Ouais tu as raison, voter c'est comme jouer à la pétanque sans cochonnet !"

2.6.09

DANSONS AVEC
JT BATES ET STOKLEY WILLIAMS


"Sacrée (...) la batterie !"
(The Howl - Allen Ginsberg)

Photo : Chuck Stewart
Photo : Manuel Cristaldi

Quelque chose touche très fort lorsque l'on est en présence de batteurs écoutant un autre batteur comme dans cette photographie de Chuck Stewart où Art Blakey et Elvin Jones assistent intimement à l'envol de Jo Jones ou dans celle de Manuel Cristaldi où les regards de Max Roach et Tony Williams se croisent et prolongent le temps. Appelons ceux qu'on aime ! Réveillons l'intuition !

La batterie a souvent été indiquée comme "incarnation même du jazz", on pourrait plutôt dire qu'elle est l'incarnation tout court et sans mystère. Si Stravinsky (et d'autres par touches quasi clandestines avant lui) a osé en occident, avec le Sacre du Printemps, le retour à la musique païenne (de chair et de terre), ce sont les batteurs (de jazz d'abord) qui ont relevé et relèvent toujours (et on espère longtemps) cet indispensable rite (le seul) conviant à la réunion des esprits et des corps, de l'être dansant fait un. Les grands batteurs ont fait voler en éclats de manière ostentatoire et espérée irréversible la pudibonderie coupable qui avait englouti l'expression des corps à la veille de la Renaissance. Les grands roulements, syncopes, paradiddles, breaks, chabadas, frisés de Paul Barbarin, Baby Dodds, Sidney Catlett, Zutty Singleton, JC Heard, Sony Greer, Sonny Payne, Jo Jones, Kenny Clarke, Art Blakey, Max Roach, Roy Haynes, Frank Butler, Elvin Jones, Shelly Manne, Fred Below, Philly Joe Jones, Billy Higgins, Ed Blackwell, Tony Williams, Bernard Purdie, Sunny Murray clament d'entrée le grand réveil des corps en accord : "non coupable" !

La batterie c'est la fascination pour le visage de l'amour au corps fécond ; toucher à la déferlante qui emporte au delà du sens. Le geste dessiné fait apparaître tous les pigments. L'achèvement et la préparation aussi font un là où un fait plusieurs. Les images se juxtaposent enfin. Ne pas aimer les batteurs, c'est ne pas pouvoir s'aimer soi-même. Lors de la dernière tournée de Next, orchestre de François Corneloup, le solo de batterie de JT Bates, très loin du passage obligé, chaque soir joue des sensations précédentes exprimées en groupe, pour franchir un nouvel espace par espèces inconnues et frappées de lumière ouvrant la marche des bêtes qui ne craignent plus les voies de disparition. Spectateurs et musiciens y gagnent en force et devenir. Les deux concerts récents d'Ursus Minor ont permis aussi de percevoir le jeu élevé de Stokley Williams, rendant un hommage sans équivoque à Max Roach en partant de son Drums also waltzes (à l'issue du concert, il dira :"Il est bon de saluer parfois ceux qui nous ont tant apporté"). Le mouvement du corps épouse celui qui tourne le dos à l'abandon pour galoper loin en libre conscience.

JT Bates et Stokley Williams, habitant de cités non avares en indications de rythmes (les Twin Cities), portent très fort, non seulement cet inestimable héritage des tambourinaires cités précédemment, mais aussi l'exaltation possible d'une vie jamais fixée qui dépasse la chute des rêves si fréquente en nos temps imbéciles. DANSONS !


extrait du solo de JT Bates - concert de Next (25/03/09), Tremblay en France
(Images : B. Zon)



extrait du solo de Stokley Williams - concert d'Ursus Minor (7/05/09), Paris
(Images : Z. Ulma)