Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

28.6.09

LES MURMURES DE MONSIEUR LÉON



Pour Alphonse Allais, les murmures (ou tendres aveux) faisaient gagner du temps aux amoureux. En effet, les murmures échappent aux militaires (qui n'entendent que le sifflement des obus), aux politiciens (qui lui préfèrent les ragôts peu ragoûtants), aux prêtres (qui ne reçoivent comme souffle que les confessions agenouillées). Les murmures sont le fait des rivières, des étangs, du vent, de la pluie, des arbres, des ratons laveurs et autres animaux à l'âme expressive, des ours et leurs oursons, des petits princes sans distinctions, des enfants des trottoirs, des pas dans les feuilles ou sur les pavés, du sang qui coule, des origines du monde, des conseils avertis, des aveugles à la vue perçante, des révoltés, des musiciens de l'intérieur, d'Elvin Jones. Lorsque Sonny Rollins joue "Django" en 1964 (chutes du disque Now's the Time), il l'entame par un immense murmure et le morceau devient un gigantesque hymne au chuchotement (ni les politiciens, ni les militaires, ni les curés ne pourront l'entendre) ; un de ces accessoires de voyages pratique à porter dans son coeur. Le murmure n'accompagne le sommeil que pour mieux nous réveiller. Au théâtre Dunois dans les années 80, les concerts étaient accompagnés du murmure de Monsieur Léon, un vieil homme du voisinage très assidu de ces soirées, présent à chacune d'elle en dispensant cette participation vocale devenue essentielle. Elle ravissait Han Bennink ou Misha Mengelberg et le saxophoniste Tony Coe ne pouvait concevoir de jouer dans ce haut lieu de la musique moderne sans la présence de Monsieur Léon. Un soir rare où l'homme n'était pas venu, il demanda aux gens au bar de faire un peu de bruit. Quelque chose manquait ! Ce qui souvent fait défaut à la musique aujourd'hui comme à notre regard sur ce qui nous entoure (qui ne devrait pas nous entourer, mais être simplement nous), c'est le murmure, chant profond de ceux qui osent.


Photo de Monsieur Léon (on aperçoit le batteur Tony Marsh) : DR


2 commentaires:

sylvain a dit…

Dans les vieilles rengaines s'entend l'amour irrépressible des anciens pour les nouveaux et inversement, là est le fondement même du mouvement (high life style)

http://www.dunoisjazz.info/

anne a dit…

j'aime les murmures...