La nuit passée, j’ai revu
Le grand silence de Sergio Corbucci (Western italien bien supérieur à
La flèche brisée si tu veux mon avis, mais on y reviendra) et je dois dire (ça n’a pas vraiment de rapport sauf d’image) que tu serais assez magnifique en conducteur de diligence vivace. Mais retiens tes chevaux un instant. Mon propos n’est évidemment pas de condamner la presse en tant que telle, mais simplement comme je l’ai dit en préambule de réfléchir un peu sur ce texte violent certes, mais néanmoins moins violent que le comportement d’une GRANDE partie de la presse aujourd’hui qu’il n’est guère besoin de défendre tant elle ne défend pas grand-chose en se mettant volontiers lâchement au service du pire. Comme je l’ai dit en réponse à Jean-Jacques Birgé (l’animal est plus rapide à dégainer de son étui blog que Jean-Louis Trintignant dans
Le grand silence), pour le seul secteur musical, la lecture de gens comme Philippe Carles, Francis Marmande, Alain Gerber, Gérard Rouy, pour ne citer que les principaux, a été à un moment de ma vie (années 70) incroyablement inspirateur. Il est des équivalents dans d’autres secteurs. Et j’aime toujours (avidement même) les écrits sur la musique de personnes réellement intéressées et en quête de transmission comme il en existe encore pas mal (mais peuvent-elles toujours réellement s’exprimer ?). Il ne s’agit donc pas de ça ici. Juste de voir jusqu’à quel point un homme comme Traven (le plus célèbre des anonymes), lui-même homme de presse et écrivain (favori d’Einstein), pouvait être excédé à juste titre. C’est parce qu’il aimait l’écrit, le considérait comme un moyen essentiel de transmission que la presse, alors majoritairement orientée par les puissants et la publicité (ce qui n’est plus le cas ?), l’a alors écœuré. (Je pensais que l’intérêt d’un tel texte pouvait être de s’intéresser au personnage qui l’a écrit, au mouvement dans lequel il officiait et à ses motivations, ce qui me semble plus éclairant). Tout d’abord ton entrée en matière est un peu serrée (avant le grand démarrage au galop qui me botte). Si le texte de Traven a été alors publié ce n’est pas par la générosité des censeurs mais parce qu’il s’agissait du propre organe de lecture de son groupe. EXACTEMENT comme pour toutes les belles exceptions que tu cites. Donc pas de contradiction ici ! De la même façon, lorsque tu parles de dénoncer seulement les abus, tu as bien raison, mais il est des moments et des lieux (et ceux où est écrit ce texte de Traven en sont), où la somme des abus forme un ensemble qui devient haïssable et contre lequel il faut lutter (ou en tout cas et je le dirais pour la situation aujourd’hui SE REVEILLER). À ce moment-là, c’est aux exceptions de s’afficher très fort. J’achète autant que possible des journaux qui me semblent intéressants ; hier par exemple, j’étais à la manif où j’ai acheté le
Plan B (que je te recommande) et une nouvelle revue que je ne connaissais pas qui s’appelle
Offensive Sociale et Libertaire avec un numéro consacré à l’Apartheid. Mais passé les exceptions (qui ne s’affichent pas toujours très fort) et les exceptions dans les exceptions et les gens exceptionnels, que reste-t-il ? Les généralités et lieux communs pièges que tu énumères pourraient bien former une généralité dans une autre (comme le coup de la boîte de fromage). Je dois dire sans prétention n'en avoir jamais dit aucun parmi ceux que tu mentionnes, mais tu aurais pu m'avoir facilement en en citant d'autres ; par exemple : "les flics sont tous des brutes", "les capitalistes sont tous des salauds", "les curés adorent les enfants", "les riches sont tous des enculés", "les fascistes sont tous des ordures". Là j'aurais été coincé car il m'arrive de dire ces généralités là et même de les penser. Petite note en passant, Noam Chomsky est un linguiste qui se mêle de ce qui le regarde et non un journaliste (ne mélangeons pas tout). Tu trouveras en fin de ce texte en bonus un autre texte de B. Traven publié un peu avant celui d’hier (le 15 janvier 1919) et que je dédierais (car il faut être charitable) au camarade Michel Contat (de la revue catholique et influente
Télérama) et qui je l’espère sera pour toi un heureux complément de celui d’hier.*
Comme tu as conclu ton billet par une appréciation de
La flêche brisée de Delmer Dave (dont j’aime bien les films), je ne peux m’empêcher d’y revenir (même si je n’ai pas revu le film récemment). Je ne partage pas ton enthousiasme (même si j’aime bien le film formellement) car il incarne une image de décolonisation (nécessaire pour l’état américain d’alors, nous sommes en 1950 après guerre) en inventant « le bon Indien » incarné ici par Jeff Chandler (?) jouant Cochise.
Cochise est un « bon Indien » possible alors que
Geronimo reste un voyou (en réalité un grand résistant). C’est la même opposition que l’on verra entre
Sitting Bull ou Crazy Horse et Red Cloud par exemple qui se perpétue jusque dans
Danse avec les Loups (où les Pawnees sont cette fois les Indiens cruels et incompréhensibles). Les « bons Indiens » lancés par Jeff Chandler connaîtront une grande popularité (l’angoisse d’Hollywood saisit par la chasse aux sorcières aidant et le besoin d'humanisme en technicolor de la société américaine) toujours interprétés par des comédiens caucasiens : Burt Lancaster dans
Bronco Apache, Robert Taylor dans
La porte du diable ou Rock Hudson dans
Taza, fils de Cochise. On dira : « ce n’est pas mal pour l’époque », mais au tout début du cinéma, l’image de l’Indien jusqu’en 1913 est beaucoup plus humaniste et moins stéréotypée qu’elle ne le deviendra. Dans
La flèche brisée, c’est bien de la pax americana et d’ordre blanc dont il s’agit, acceptés par l’Indien « sage » qui a compris que l’intégration est la seule issue.
Mais bon, tu sais très bien que tout ce qui précède n’a qu’une raison réelle : mon désir secret de faire un remake du
Trésor de la Sierra Madre où tu aurais le rôle d’Humphrey Bogart.
Amitiés,
Jean
PS : j’aime bien le sens du blues de Michel Portal, il est réel.
Bonus dédié à Michel Contat :
JE RÉCLAME LA LIBERTÉ DE LA PRESSE
Par B. Traven (in Der Ziegelbrenner N°15, 15 janvier 1919)
Actuellement, la liberté de la presse n’existe pas. Les journalistes sont des crapules, manipulateurs de l’opinion qui trompent le peuple de crainte de se retrouver sans « revenu garanti ». Ils ont peur d’avoir faim, de tomber dans la dèche. Être ou ne pas être sujet à cette peur est affaire de personnalité. Tout homme n’a pas la capacité de rester droit, honnête et ferme dans ses convictions face à l’éventualité de ne pas manger à sa faim. Le journaliste, en tous cas, ne l’a pas. J’exige son indépendance économique immédiate à l’égard de son employeur. J’exige qu’on lui donne l’occasion de prouver qu’il peut être un brave type lorsqu’il n’est plus menacé de licenciement, et donc de faim. La presse doit être assumée par des hommes libres.
C’est pourquoi je réclame des mesures provisoires :
Aucun journal, aucune revue offrant des articles, des informations, des communiqués ou des dépêches qui traitent de politique, d’économie ou de politique commerciale, n’aura le droit de publier des réclames. Même chose pour les organes comportant une section commerciale et ceux qui donnent des nouvelles ou rapports boursiers. Les réclames ne pourront être publiées que dans des feuilles exclusivement réservées à cet effet. Ces feuilles publicitaires ne pourront contenir que des communiqués officiels, ainsi que des romans, des nouvelles et des lectues de divertissement. Elles seront la propriété de la collectivité ; les bénéfices en reviendront à la communauté. Leur administration aura l’obligation de faire passer toutes les réclames ; elle ne pourra refuser que celles propres à encourager le crime.
Tant que le gouvernement n’aura pas établi cette séparation entre presse publicitaire et presse « d’opinion », il n’y aura pas de liberté de la presse, il n’y aura pas de journaliste libre. Tant que le gouvernement n’aura pas créé cette liberté de la presse, les travailleurs, les soldats et tous les hommes dont le bien être est quotidiennement en butte aux infamies de la presse et des journalistes ont le droit et le devoir d’empêcher la presse de travailler « tranquillement ». Il faut extirper la peste. Supprimons les causes, les effets disparaîtront. Un journal ou une revue qui ne peut subsister sans revenus publicitaires n’a aucun droit à l’existence.
Éditions L’Insomniaque