Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

29.8.23

CORINNE ET MARC BOULANGERS
À SAINT-JEAN D'ANGÉLY

 

Si vous vous trouvez à Saint-Jean d'Angély, que vous cherchez du véritable bon pain (ce qui n'est plus si fréquent de nos jours où les doigts glissent plus facilement sur les écran que dans la farine) et que vous êtes bien renseignés, vous aurez toutes les chances de vous rendre chez Corinne et Marc, boulangers merveilleusement artisans, qui savent où mener la baguette. Mais en regardant sur la vitrine et sur le comptoir, on peut lire un article paru dans L'Angérien du 23 mars 2023 qui raconte l'histoire récente et dramatique de Corinne et Marc. Un de ces drames que l'on pense ordinaire, de rêve brisé, de recherche impossible d'une vie simple et heureuse, de plaisir à l'ouvrage, d'une véritable idée de qualité humaine, un de ces drames comme on en a entendu lorsqu'une partie de la population, exsangue, a revêtu des Gilets Jaunes. Corinne et Marc portent quelque chose du monde réel (toutes les vies) à sauver. On leur souhaite le meilleur. Et si vous êtes par là, goûtez leur pain...

NB : En cliquant sur l'image, l'article de Simon Moreau est parfaitement lisible

• Chez Corinne et Marc, 44 Fbg Taillebourg, 17400 Saint-Jean-d'Angély

26.8.23

LES FILMS DE MAI ZETTERLING


 

Un défi de tendresse prêt à tous les bouleversements de l'éclair ; le regard de Mai Zetterling frappe dès les premiers films où elle paraît. Comédienne de théâtre accomplie dans la neutralité suédoise, elle se révèle dans les deux films d'Alf Sjöberg Tourments (1944) et Iris et le cœur du lieutenant (1946), qui ouvriront la piste bergmanienne (Ingmar Bergman, scénariste de Tourments, lui offre le premier rôle de Musique dans les ténèbres - 1948) et la piste anglaise (le succès britannique d'Iris et le cœur du lieutenant convainc Basil Dearden de pleinement la voir incarner le personnage de son long-métrage Frieda). Sa filmographie s'épanouit, se pigmente. À l'instar d'autres grandes actrices suédoises (Ingrid Bergman, Bibi Andersson, Ingrid Thulin, Harriet Andersson, Anita Björk, Anita Ekberg, Gunnel Lindblom, Liv Ullmann), elle traverse, embrasse, prend de vitesse, les tournages des années 50 et 60 de tous genres. Le point d'attache est bien le cinéma et sa façon précise, diablement ouverte. Elle duettise avec Tyrone Power, Dirk Bogarde, Richard Widmark, Richard Attenborough, Laurence Harvey, Peter Sellers (inhabituel Sellers dans On n'y joue qu'à deux de Sidney Gilliat - 1962) et apparaît parfois dans d'indémodables - parce qu'immédiatement tournillant le goût du jour bien marqué - séries (Destination Danger). En 1959, elle joue pour la trop oubliée réalisatrice anglaise Muriel Box dans son long-métrage La Vérité sur les femmes : ça n'a rien d'anecdotique. 

Mais ce sont les sept films de fiction qu'elle a réalisés qui libèrent furieusement la marque de son perçant regard. Mai Zetterling est l'une des très grandes cinéastes et ses films bien trop difficiles à voir. Cet été, quatre d'entre eux reprennent leur place sur le grand écran des salles de cinéma : trois des quatre films qu'elle réalisa en Suède dans les années 60 (Les amoureux, Jeux de nuit, Les filles) et son dernier en 1986 (Amorosa). Le cinéma comme moyen premier d'ardeur rebelle, d'échappée de la sexualité, de fracas contre l'hypocrisie de la famille, de charge implacable contre l'aliénation de la société consumériste et l'absurdité cruelle de la division de classes, d'éclairage inédit sur la condition des femmes et l’hégémonie masculine (sublime mise en perspective de Lysistrata d'Aristophane dans Les filles), d'observation des intrications, solitudes, touchers et détachements humains, d'humour aussi (que faire sans ?). Visuellement c'est sacrément insigne, inventif, empoignant. La complicité des actrices et acteurs est totale (Bibi Andersson, Ingrid Thulin, Anita Björk, Harriet Andersson, Gunnel Lindblom, Gunnar Björnstrand, Keve Hjelm, Naïma Wifstrand...). Le tempo est rigoureux mais l'idée échappe au temps et fouille à bras le corps dans les blessures de tous les présents en utilisant une impressionnante batterie d'éléments (il y a même un solo de batterie dans Jeux de nuit) pour assortir les secousses d'un futur déjà englouti. 

Il y a urgence à découvrir ou redécouvrir les films de Mai Zetterling. Elle nous avait découverts en temps. 

Article du 9 septembre 2007 sur le Glob

15.8.23

CHRISTIAN ROSE

Photos retrouvées : un trio furtif aux Instants Chavirés de Montreuil-sous-Bois : Tony Hymas, Noël Akchoté, Mark Mondésir et le trio d'Arto Lindsay avec Melvin Gibbs et Dougie Bowne, devenu l'espace d'un soir quartet avec Marc Ribot, au New Morning à Paris. On peut aisément imaginer que les guitares s'enflammaient de joie dans cette espèce de bout en bout en un espace réservé (sens indien), explosif et si bref, que Léonard de Vinci aurait eu bien du mal à quantifier. Les voyages interplanétaires sidérants peuvent, le temps de l'éclair, vibrer, l'air de rien, en une sorte de grotte ignorée par la foule. Les souvenirs sont vifs, constitution réelle de la vie des musiques chéries, de leur importance. Plus que les listes sélectives, passoires cruelles des loupés historiens, la somme de ces petits moments aux tailles astronomiques. Pour les saisir véritablement, un magnétophone errant parfois, capable de capter soudain ce qui s'avérera si définitif, mais aussi et peut-être surtout, l'œil photographique pour peu que le photographe soit mû par une curiosité en complète conjugaison avec la vie de ces lieux dérobés, qu'il saisisse la fringale fugitive. C'était le cas de Christian Rose, que l'on sentait si souvent présent en plusieurs endroits pour témoigner dans cette affaire qui aurait, un jour, sérieusement besoin de témoins. En attestent ces deux photographies (publiées dans Jazz Magazine n°454) qu'il sut saisir fin de l'an 1995.

En nos temps où le tout phototéléphonographié confère tellement à l'insensée plongée dans un oubli surdocumenté, quelques photographes se fraient encore un chemin dans l'intimité de la musique : Eric Legret, Christian Taillemite, Margaux Rodrigues, Jérôme Prébois, Jjgfree, Hélène Collon, Sergine Laloux, Jeff Humbert ou le musicien François Corneloup, pour n'en citer par exemple que quelques-uns, ou encore bien sûr, Jean-Marc Birraux puis Christian Ducasse, sortes de liants soutenus entre deux époques (ou trois ou quatre). Dans l'hier qu'on ne voudrait pas reléguer aux abîmes, notre apprentissage passait souvent par le caractère miraculeux de ces images rapportées grâce à un orchestre photographique identifié comprenant fréquemment Guy Le Querrec, Horace, Gérard Rouy, Thierry Trombert, Philippe Gras, Jacques Biscéglia, Marie-Paule Nègre et Christian Rose. Rose, justement, capable de multiples échappées, était apte à saisir discrètement, si justement souvent avant célébrité, Jimi Hendrix, Janis Joplin, les Ramones, Buddy Guy, Etta James, Chaurasia, Muddy Waters, Nina Simone, Snoop Dog, Chaka Khan, Karlheinz Stockhausen, Diana Ross, Macy Gray ou (vers chez nous) les Lonely Bears, Elvin Jones et Michel Doneda ou encore, entre des centaines d'exemples d'excitations rares de "tous les soirs sont des grands soirs", ce trio réunissant Tony Hymas, Noël Akchoté, Mark Mondésir et cette rencontre parisienne entre Arto Lindsay et Marc Ribot. Tellement présent, simplement présent.

Christian Rose a tenu une sorte de mémento photographique de soixante années, un lexique particulier aux traces imprimées dans quelques livres (Instants de Jazz - Éditions Filipacchi 1996, Jazz Meetings - Éditions du Layeur 2003, Zappa in France - Éditions Parallèles 2002, Black & Soul - Éditions du Layeur 2004) et plus encore dans des centaines de numéros de quotidiens et revues spécialisées ou non. Le jour du concert en solo de Biréli Lagrène à la salle Gaveau, le 7 mai 2022, là bien évidemment, il avait tenu à photographier Vincent Mahey, producteur de Solo suites (Peewee 2022) en compagnie amicale d'un autre producteur. Photographies d'histoires affectionnées qui établissent toute une vie. Christian Rose est parti dans un dernier déclic, le 11 juillet 2023. 

Photographies : Christian Rose - Jazz Magazine n°454


 

5.8.23

BOMBES VS BOMBE : OPPENHEIMMER ET LA JEUNESSE DU MONDE

"La propriété c'est le vol" est probablement la plus célèbre phrase de Pierre-Joseph Proudhon. Tout le monde sait ça, pas Christopher Nolan qui, dans son film approximatif Oppenheimer, l'attribue à Karl Marx comme idée maîtresse du Capital. Phrase que Marx avait d'ailleurs sévèrement critiqué. Même un scénariste-réalisateur d'Hollywood se prenant pour le dieu des machines n'est pas exempt d'un peu de cohérence, surtout lorsque des marxistes américains, membres ou proches du parti communiste, sont un des objets principaux de son film (la citation figure lors d'un dialogue supposé clé avec la psychiatre Jean Tatlock, amante d'Oppenheimer). Mais après tout, le cinéma - et celui d'Hollywood en bonne place - s'est souvent permis bien des écarts et malgré une charge de paresseuses erreurs ou d'inquiétantes révisions, en parvenant tout de même à suggérer un peu de substance comme on en cherche dans la vie. Le traitement grotesque d'un personnage aussi intéressant que Katherine "Kitty" Harrison (née Puening), devenue madame Oppenheimer - le temps (cinématographique) d'une balade à cheval, temps d'une grossesse et d'un divorce - en annonce l'impossibilité. Mais le pire est bien l'embrouille que constitue ce film aussi exténué et exténuant que prétentieux (cinéma du paraître), qui masque ses vides et son absence de propos pour faire mine avec ses effets de montage tape à l'œil (gymnastique des flash-back avec des flash-back dans les flash-back et des citations de flash-back dans les flash-back des flash-back), de son tape à l'oreille, de sa musique infernalement hyper présente tout le temps (et vraiment pas terrible) soulignant atomiquement chaque effet, chaque sentiment, chaque parole - sauf le temps de l'explosion, quelle trouvaille !!! -  en tentant de nous faire croire que le réalisateur se joue du cadre alors qu'au mieux il n'en fait bouillir que les rebords en carton pour en faire le carton pâte de ce film déguisé. Le feu nucléaire est lourdement présent dès le début et son atroce réalité s'en trouve évidée lors de l'inédite brutalité des bombardements nucléaires de Nagasaki et Hiroshima qui succèdent à l'essai "Trinity" dans le désert. S'en suit, jusqu'à l'éraillement, le procès-audition pour activités communistes. Le film ne sait plus comment raconter (dans le voisinage de ce sujet et par le cinéma, en 1991, Irwin Winkler avait fait autrement instructif avec La liste noire - Guilty by Suspicion). La scène de sexe rêvée devant les juges est particulièrement affligeante. Les acteurs et actrices sont probablement "parfaits", maladie terrible qui atteint souvent le cinéma ; seul Matt Damon sort de la convention "religieuse" de ce qui s'autoproclame "genre" et offre un peu d'épaisseur à son personnage (le lieutenant-général Groves). 

 Que peut-il arriver de pire au cinéma que de devenir son semblant ? Qu'il soit exhibé comme une ruine de luxe, incapable, désormais, de fendre le flot pour rejoindre les rives de la vie - une ambition première de plus d'un siècle ? Ce ne serait pas si grave si dans le cas d'Oppenheimer, il ne s'agissait d'un sujet aussi important lors de cette nouvelle période de surarmement. Oppenheimer est un film usant le passé en privant le présent. Il ne dit rien, n'éclaire rien, sauf sa propre étoile sur les pavés d'Hollywood. Sa propriété, c'est le vol.

Le présent et ses antécédents passés, on les sentira autrement mieux dans un autre film qui vient de sortir, Sabotage (traduction timide et passe partout - identique à un vieil Hitchcock de 1936 - du titre américain original How to blow up a pipeline) de Daniel Goldhaber. Ici aussi il est question de bombes, pas de celles qui ont la capacité de détruire l'humanité, non, d'autres qui cherchent à éveiller les consciences. Le film est une libre adaptation, ou plutôt s'appuie sur le livre - qui n'est pas une fiction -  de l'auteur suédois Andreas Malm publié en France sous sa traduction littérale Comment saboter un pipeline (ouvrage qui a connu les honneurs d'une citation par le ministre de l'intérieur le présentant comme une des sources d'inspiration des Soulèvements de la terre).

Le film pourrait se rattacher à un certaine tradition bien illustrée par les films de Sidney Lumet par exemple, où le choix du cinéma est la matière de la démonstration. Flash-back là aussi, classique certes, mais ouvrant la nécessaire trousse des motifs - la rencontre de l'autre -, et chaque actrice (Ariela Barer, Kristine Froseth, Sasha Lane, Jayme Lawson), chaque acteur (Lukas Gage, Forrest Goodluck, Marcus Scribner, Jake Weary), donne du sien. Tellement. Vivre ne peut pas être un souvenir. Dans la scène présentant le jeune indien Michael (Forrest Goodluck), on le voit défier un employé d'une compagnie non nommée mais qu'on saisit être une référence au Dakota Access Pipeline, puis il échange durement avec sa mère (Irene Bedard) sur l'insuffisance écorchée de la préservation patrimoniale face à la présente catastrophe ; s'impose une autre nécessité qui le conduit de Standing Rock aux champs pétroliers du Texas. La cadre du film est proportionnellement aussi restreint que celui de notre monde et son hors champ aussi vaste. Et c'est là qu'il se débat énergiquement, que sa parole trouve sa réalité, non comme "mode d'emploi" mais comme urgence de réflexion vers les multiples paysages.

• Oppenheimer de Christopher Nolan - sortie française en salle de cinéma le 19 juillet 2023

• Sabotage (How to blow up a pipeline) de Daniel Goldhaber- sortie française en salle de cinéma le 26 juillet 2023 dont la photographie ci-dessus est extraite

 




 

 

 


1.8.23

BONJOUR MONSIEUR COMOLLI de DOMINIQUE CABRERA

 

"Penser, c'est penser avec son contraire, sinon on ne pense pas (...) J'aime que le cinéma se heurte au réel et le réel n'est pas à ma disposition, je ne peux pas en faire ce que je veux (...) Il arrive que dans des moments de grâce, nous ayons l'illusion que c'est le cas, mais ça reste quand même des moments de grâce d'une part et une illusion d'autre part. En fait le réel résiste. D'ailleurs la preuve que le réel résiste, c'est que le réel ne produit pas de films".
 
Hiver 2021, printemps 2022, la cinéaste Dominique Cabrera rend visite à Jean-Louis Comolli durant les quelques mois qui seront les derniers de son existence (il nous quitte le 19 mai 2022). Elle est accompagnée d’Isabelle Le Corff (qui travaille à un livre sur Comolli) et de Karine Aulnette pour l'image. Les conversations, à la demande de Comolli, font l'objet d'un film, "non par désir, mais par besoin". Bonjour Monsieur Comolli offre les dernières marques et remarques de cet homme qui a si sensiblement su prononcer le cinéma comme la musique.