Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

23.2.15

VALÉRIE CRINIÈRE

 Valérie Crinière est partie la nuit dernière. Peu de mots pour résister au gouffre de tristesse qui s'ouvre avec la disparition de celle qui sut offrir tant d'amitié, tant de beauté.


Photo : Laurent Payet
Photos accompagnant le commentaire de Sergine Laloux et Guy Le Querrec 
de l'article précédent
 De droite à gauche : Valérie Crinière avec Vincent, Dave Hunt et Jean Rochard à Wounded Knee 
le 29 décembre 1990 par Guy Le Querrec (Magnum)
Valérie Crinière avec Jean Rochard et Robert Labatte à Cheyenne River, décembre 1990
par Guy Le Querrec (Magnum)

14.2.15

MASSACRE À SONS D'HIVER

6 avril 1981, 28 rue Dunois, Paris. À la faveur d'une invitation à Reims, la veille aux Musiques de traverses de Patrick Plunier (où l'on pouvait sentir d'autres sons d'un air neuf avec Lol Coxhill, Tamia, Jacques Thollot, Michael Nyman, Marquis de Sade) un nouveau groupe se produit au nom perturbateur : Massacre. On connaît alors assez bien le guitariste, Fred Frith, son nom est associé à quelques avancées d'avant-rock des années 70, principalement grâce à Henry Cow, il y a aussi ses associations avec Robert Wyatt, Brian Eno, ses Guitar solos qui l'ont placé instantanément dans l'insolent peloton des expérimentateurs de guitares (avec Derek Bailey, Eugene Chadbourne, Hans Reichel...). On sait qu'il est parti à New-York. Il s'y trame des choses. On sait peu des deux autres, Fred Maher et Bill Laswell, mais leurs noms figurent dans ces sortes de listes annonçant ostensiblement que quelque chose frémit qui bientôt va vrombir. Les plus avertis s'en délectent. On parle de Celluloid, de Material ... On nous l'avait bien dit, la donne change. De nouveaux noms s'égrennent : Michael Beinhorn, Robert Quine, John Zorn, adoubés par quelques vétérans comme Sonny Sharrock, Olu Dara, Henry Threadgill, George Lewis ou Billy Bang. À Dunois, Jean-Marc Foussat et son fidèle Revox, témoins frénétiques de l'actualité en marche dans ce loft du XIIIème parisien, enregistrent ce qui pour partie deviendra l'album Killing Time. À l'issue du concert, Fred Frith nous assure qu'on va entendre parler du bassiste. Bill Laswell deviendra effectivement une des signatures de production des années 80 les plus intenses. Une sorte de fissure détendue va bientôt former l'essentiel du paysage. Émerge un solide pont reliant les bricolages audacieux, les figures d'histoire et l'estimable commerce : Whitney Houston, Les Golden Palominos, Afrika Bambaataa, John Lydon, Ginger Baker, Sly and Robbie, Peter Brötzmann, William Burroughs, Wayne Shorter, Bootsy Collins, Bernie Worrell, Mohammed Abdel Wahab, Foday Musa Suso, Praxis, Mick Jagger, Motörhead, Les Ramones, Iggy Pop, Yoko Ono et bien sûr Herbie Hancock dont le succès "Rock it" a fracassé nombre portes. Massacre se séparera peu de temps après la sortie de Killing Time, album de conclusion de la vie d'un groupe éphémère (heureuse période où un groupe pouvait d'abord tourner sans avoir de disque et vivre son temps), album prémonitoire d'époque nouvelle, de temps tués, de ces années 80 élancées et bourrées de certitudes en constante forme de point d'interrogation.

En 1998, le groupe renaît avec, remplaçant Fred Maher, Charles Hayward, batteur de This Heat, partenaire des Raincoats, Ted Milton, Lol Coxhill ou d'Everything but the Girl. C'est donc ce trio que nous retrouvons le vendredi 13 février 2015 sur la scène de Créteil après une première partie assurée par le groupe du trompettiste Ambrose Akinmusire.

En une heure ininterrompue, Fred Frith, Bill Laswell et Charles Hayward, jouent et se jouent par effets télescopiques des ambigüités de perspective, de l'action animée du processus, des fuites du temps (à tuer). Ombres de Shadows, bribes de surf même, en incessantes vagues, la musique déchire l'écran d'une douceur d'apocalypse nous renvoyant à ce qui nous reste de suspension, de suspens de nous-mêmes. La mémoire de Massacre est éléphantesque. L'absence n'y a aucune place. Même les souvenirs usés franchissent la paroi. Transgressés, ils deviennent combatifs en réalité immédiate.

Ce soir, Massacre nous a simplement sidérés, furieusement rappelé qu'il existe une vie hors de la crainte, une inversion de la dégradation valétudinaire du monde.


Photos : B. Zon

Bribes de surf, bribes de Shadows

11.2.15

LIGNE 7, SILENCES ET CHATS


Ligne 7 du métro parisien, jeudi matin 8h. Dans le wagon, aucun voyageur ne porte casque ou écouteur ; on se déplace - tant l'image soudain surprend - pour vérifier discrètement qu'ils ne soient pas cachés sous des bonnets d'hiver ou d'épaisses chevelures, que nenni ! Aucun voyageur non plus ne téléphone, ne joue à Candycrush, n'esseme S ou ne text sans E. Aucun n'est relié par écran, aucune délégation, pas même à la presse gratuite uniformatrice. Quelques uns discutent doucement, d'autres dorment, quelques livres sont de sortie ; l'une lit Toltstoï, l'autre, adolescent, Astérix. Quelques sourires, deux jeunes gens s'embrassent. L'espace de deux stations, l'impression d'un monde passé ou à venir, d'un fort discret hymne à la vie. Brève image de paix. Puis arrêt Cadet - décoration bleu blanc rouge - une jeune fille monte avec son casque d'écoute, les fils blancs des écouteurs se déroulent. On s'appareille dans cette sorte de frénésie immobile. La femme qui lisait Tolstoï est descendue. Un cadre supérieur (il le fait savoir) se met à parler à son appareil bien fort avec le charabia des gens importants. Les doigts glissent sur les écrans. La sensation a basculé vers celle d'être dans une salle comblée de moult prothèses. Pour seule lecture hors écran, les gratuits uniformes. Une certaine douceur d'un étrange inédit fait place au silence de plomb. Un pauvre arrive, il chante un peu et mendie, personne ne voit, personne n'entend. Il arrive trop tard. Mais il n'est pas le seul, nous sommes tous trop tard. Habitants de frontières lâches où l'inconnu bat sans imaginaire, le manque.

Comme est trop tard, quatre jours après, sur cette même Ligne 7, une bande de jeune gens, très au fait des évolutions commerciales nécessaires au bon confort moderne. Ils discutent de l'intérêt des animaux domestiques. L'une affirme à ses collègues qu'un chat, "ça ne sert à rien". Un garçon, bien mis (future personne importante), acquiesce en s'esclaffant. Les stupides, ils ne savent pas ce qu'ils doivent aux chats, comme ils ne savent pas ce qu'ils doivent aux tambours, à la danse, qui comme les chats nous ont sauvé (mais oui) avant que nos corps ne se raidissent totalement.

Le transport est-il le désir d'échapper au désir ou bien par une sorte de régie autonome celui d'assurer une poésie objective, féline, dansante et révoltée, de retrouver la parole au moment où nous serions enfin aptes aux transports en commun et pourrions donc, de fait, décréter la Commune.

Photo : B. Zon

8.2.15

FERNANDO PESSOA PAR FRÉDÉRIC PIERROT ET CHRISTOPHE MARGUET

Hier à Enghien-les-Bains, la poésie, éclairée, éclatée, abondante, questionnante de Fernando Pessoa dite et jouée par Frédéric Pierrot et Christophe Marguet, duo éclairant, éclatant, abondant et questionnant.


CD/DVD sérieusement conseillé : Frédéric Pierrot et Christophe Marguet, Pessoa, l'intranquillité (Artofilms)