Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

28.5.19

GRINCE MUSIQUE

Matinée du 28 mai vers 11h, musiciennes, musiciens, gens de musique et autres personnes partageant cet amour, révoltés par la récente et inique décision de la direction de France Musique de supprimer cinq émissions, se sont retrouvés face à la Maison de la Radio (bien dit "public" sous haute surveillance face à la colère et la joie - se retrouver - des manifestants). Le directeur Marc Voinchet ne daigna pas descendre, malgré la demande d'une "délégation"... Les CRS arrivèrent à la toute fin en même temps que la chargée de communication de Radio France experte en langue de bois. À suivre...

À lire


Photo : B. Zon

27.5.19

GENTIL COCO ?

Si l'on se réfère à ce qu'on entend depuis hier soir sur les ondes, les élections ont avec les perroquets ce point commun qu'on peut leur faire dire ce qu'on veut. Mais les plumes sont nettement moins belles.

17.5.19

DORIS DAY


Pour Pierre-Jean Bernard, Young at Heart

C'était à l'école publique en classe primaire dans un petit village de l'ouest français, pour l'arbre de Noël, les instituteurs avaient projeté le film Un pyjama pour deux (Lover come back - Delbert Mann, 1961). L'émoi fut total pour le jeune enfant, une sorte de révélation douce de la complexité des relations amoureuses. Les parents étaient furieux après les instituteurs, jugeant le film immoral (sic) pour l'âge à peine de raison de ses spectateurs et s'exprimaient alors dans une sorte de confusion les antagonismes légués par la seconde guerre : gaullistes contre communistes avec l'anti-américanisme comme dénominateur commun (mais ici les seconds avaient choisi le film made in USA pour choquer les premiers - le monde n'était donc pas si simple qu'il en avait l'air). C'était bien avant 1968 et Doris Day (par la voix de Claire Guibert - qui doublait aussi alors Marilyn Monroe, Ava Gardner, Vivien Leigh, Linda Darnell...) imprima sa marque au milieu d'un grand chahut grandissant chaque jour. Une marque enfantine, par une sorte de simplicité fulgurante, un envoi de traduction de longue durée.

Il y eut mieux à découvrir que la girl next door, d'autres films vus un peu plus tard comme Pillow Talk de Michael Gordon (1959) dans la veine du précité ou The man who knew too much d'Alfred Hitchcock (1956). Le réalisateur de L'ombre d'un doute trouvait "parfaite" Doris Day (née Doris Kappelhoff en 1922) dans ce film où, pour la première fois, elle chante "Que sera sera", son deuxième générique (repris dans les télévisuelles Doris Comedies). Doris chantait donc et mieux que bien. Un accident d'automobile l'avait contrainte à abandonner la danse. Elle deviendra la chanteuse du grand orchestre de Les Brown dans les années 40 où elle offrira une version inégalable de "Sentimental Journey", son premier générique. Découverte d'une discographie (une trentaine d'albums sous son nom) intégralement plus qu'honorable où l'excellence dispute souvent aux perles tel Duet petit chef-d'œuvre avec André Prévin et son trio. L'introduction de "Close your Eyes" avec Red Mitchell est une de ces ineffaçables sensations musicales. Une tonalité de velours où s'amorce imperceptiblement comme un vent qui nous fait mieux entendre la vérité du fantasme. Jazz indeed ! Une bonne filmographie de 39 films entamée avec Michael Curtiz (trois films dont Young Man with a Horn - 1950, où elle retrouve sa vie de chanteuse de big band). Dans le vivifiant The Pajama Game (Pique-nique en pyjama - Stanley Donen 1957) elle est leader syndicale, dans Storm Warning (Stuart Heisler, 1951) elle se bat contre le Ku Klux Klan. On ajoutera un thriller bien troussé avec Rex Harrison (Midnight Lace, David Miller - 1960), de nombreuses comédies assez ou pas mal réjouissantes (Teacher's Pet avec Clark Gable- George Seaton 1958, Send me no flowers avec Rock Hudson et l'épatant Tony Randall - Norman Jewison 1964, The Glass Bottom Boat {La blonde défie le FBI} Frank Tashlin 1966) et quelques comédies musicales de haut vol comme Calamity Jane (David Butler 1953), figure à laquelle elle a plaisir à s'identifier et film où elle expose le sagace "Secret Love", son troisième générique.

Si tout cela concourra à façonner une artiste immensément populaire, cela n'ouvrira pas grand accès à la légende (même si un groupe de féministes londoniennes en fait son héroïne dans les années 80, même si elle est citée dans "Dig it" des Beatles ou dans Up your Sleeve du groupe Alterations). Elle s'évaporera avec l'impossible image d'une Amérique innocente disparaissant dans l'horizon fuyant. Pourtant la lecture de l'autobiographie Doris Day: Her Own Story (co-écrite avec A.E. Hotchner, lequel a aujourd'hui 102 ans) révèle une complexe vie d'artiste souvent bien sombre : femme battue et abusée par son premier mari, le dément tromboniste Al Jorden, un second mariage sans bonheur avec le saxophoniste George Weidler, quelques aventures difficiles (avec un acteur nommé Ronald Reagan), un troisième mariage avec le producteur Martin Melcher (son manager) qui trouva la mort dans un accident automobile la laissant face à un océan de dettes (motif moteur des séries télévisées Doris Comedies). L'envie de tout plaquer, l'impossibilité de tout plaquer. De drôles d'ombres projetées (Charles Manson), des images fugitives titillantes comme cette relation avec Sly Stone (qui reprendra "Que Sera Sera" avec The Family Stone). En 1967, elle refuse à Mike Nichols le très convoité rôle de Mrs Robinson dans The Graduate en 1967 (pas envie d'être à poil). En juillet 1985, elle se trouve aux côtés de Rock Hudson lorsqu'il annonce publiquement qu'il est atteint du sida. Son fils aimé, Terry Melcher (fils d'Al Jorden doté du patronyme du troisième mari), compagnon de Candice Bergen et incidemment premier utilisateur de protools en studio (pour un album des Beach Boys), devint producteur des Byrds, de Brian Wilson (qu'il présente à Van Dyke Parks), des Mamas & the Papas, des Rising Sons (Taj Mahal et Ry Cooder). Le projet d'enregistrement de Charles Manson se limitera à deux chansons (pour des raisons évidentes). Melcher produira en 1985 le bref retour à la télévision de sa mère, Doris Day's Best Friends, émission dévolue à la passion de cette dernière pour les animaux qu'elle finit par préférer aux hommes leur consacrant, pendant plus de 40 ans, l'essentiel d'une existence qui s'est achevée à 97 ans le 12 mai 2019.

Reste l'image enfantine, au pas ralenti demeurée intacte, une sorte d'étroite affinité un peu inventée, un brin réelle ("I was there", chanson de Steve Beresford et Andrew Brenner dans Eleven Song for Doris Day 1 ou quelques échanges avec Martin Daye en 1992 pour un bref espoir déraisonnable soustrait au temps ou encore ces citations de la version de "Que Sera Sera" de Sly Stone par Jef Lee Johnson dans les concerts d'Ursus Minor de l'an 2005). Reste aussi quelques films toujours plaisants à revoir, et surtout une voix merveilleuse de séduction métaphorique, la voix superbement posée d'une femme nommée jour : une harmonie ouverte en pleine lumière.

1 Eleven Song for Doris Day, Steve Beresford, his piano and Orchestra featuring Deb'bora, Terry Day et Tony Coe (Chabada 0H7 - 1985)

15.5.19

COMMUNIQUÉ DES ALLUMÉS DU JAZZ
À PROPOS DE LA SUPPRESSION DE CINQ ÉMISSIONS À FRANCE MUSIQUE


à Madame
Sybile Veil, présidente-directrice générale de Radio France
et Messieurs
Marc Voinchet, directeur de France Musique
Michel Orier, directeur de la musique et de la création culturelle à Radio France,
ancien producteur de musique membre fondateur des Allumés du Jazz
Frank Riester, Ministre de la Culture de la République Française


France Musique dans l’angoissante concordance des temps.

Ce n’est pas la première fois que France Musique - station de radio à qui il est arrivé d’être exemplaire - supprime des émissions de qualité, éconduit des talents de premier plan (la grève de 28 jours en 2015 [1] reste fraîchement dans les mémoires). Mais la suppression de cinq émissions d’un seul coup, cinq émissions porteuses d’une réelle diversité hors sentiers rebattus dont les musiques se voient soudain contraintes de traverser la rue pour trouver des auditeurs, est cette fois dramatiquement indicatrice de l’éprouvante direction d’une certaine vision de l’avenir proche – musical ou non - à laquelle on aurait aimé que France Musique, plutôt que de se fondre dans l’effondrante manœuvre,  offre son meilleur contretemps.  

"A l'improviste", "Le Cri du Patchwork", "Le Portrait Contemporain", "Tapage Nocturne", "Couleurs du Monde Ocora" sont autant de réussites concrètes, de symboles d’une création belle et bien vivante, et l’objet de ce texte ne devrait pas être seulement de demander leur maintien, mais de réclamer la multiplication de ce type d’émission où il est facile de reconnaître ce pour quoi la musique existe, ce pour quoi elle nous parle. Anne Montaron, Clément Lebrun, Arnaud Merlin, Bruno Letort, Françoise Degeorges en sont les productrices et producteurs respectifs : de magnifiques artisans inventeurs, fervents d’exploration, à l’écoute du monde, de tous les mondes.

La concordance des temps inquiète : suppression d’émissions hardies en ces instants où l’on arrête les journalistes qui filment de trop près [2] , où l’on coupe au montage les moments qui embarrassent la bonne tenue de célébrations à la gloriole programmée [3], où chaque semaine qui passe, la liberté d’expression est davantage entamée. La musique n’est pas qu’une bande passante.

La concordance des temps inquiète encore lorsque nous est servi comme excuse de ces amputations ce « Nous sommes soumis à une forte pression budgétaire concernant le coût de la grille » [4]. Pour lire ensuite le cocasse « Il faut faire aussi bien avec moins de moyens.» [5] Cette recommandation eut été plus à propos lors des délirants chantiers de rénovations des bâtiments de Radio France sur lesquels beaucoup a déjà été dit et écrit. La musique se voit présenter l’addition. « Quand le bâtiment va tout va » dit l’adage, mais qu’est-ce qui va vraiment lorsqu’on va s’écraser sur le mur des grands travaux inutiles ?

Et lorsque de l’hôpital à l’école, le service public est sans cesse abîmé (la suppression des cinq émissions est contemporaine du projet de loi de « transformation de la fonction publique ») : concordance des temps plus qu’inquiétante.

On a beau nous expliquer qu’en remplacement on verrait « créer à la rentrée un grand rendez-vous, plus dynamique que des émissions planquées à 23 heures, inventer un vrai carrefour de la création, avec des passerelles entre les artistes », on perce rapidement l’esquive facile avec un vocabulaire plus passoire que passerelle. Comme si "A l'improviste", "Le Cri du Patchwork", "Le Portrait Contemporain", "Tapage Nocturne", "Couleurs du Monde Ocora" n’avaient pas magnifiquement déjà établi les jonctions intelligentes sans besoin de compression césarienne. Ou bien s’agit-il simplement de se plier à la loi de la diffusion régie par les algorithmes et la grande vague du streaming ou s’ajuster sur des projets aussi fumeux que le Centre National de la Musique ou bien faire Radio Classique au rabais, ou peut-être tout cela à la fois.

Notre sentiment alors n’est pas celui de l’indignation, mais bien celui de la colère face à cette braderie de la quintessence incarnée par ces cinq émissions. Il s’agit donc bien pour nous toutes et tous, que nous appartenions ou non au monde musical, d’insister sérieusement pour obtenir le maintien de ces programmes à qui il ne peut être fait de reproche. Il ne s’agit vraiment pas de détail, mais bien en ces temps aussi troublés que troublants, de la marque essentielle d’un attachement indéracinable à l’esprit libre.

Et puisque la station France Musique est née d’une idée du poète Jean Tardieu, nous vous recommanderons Madame et Messieurs de méditer sur ces quelques lignes de sa plume : « Les hommes cherchent la lumière dans un jardin fragile où frissonnent les couleurs. » [6]






[1] Communiqué des Allumés du Jazz du 9 juin 2015
[2] Exemple : l’arrestation de Gaspard Glanz (Taranis News) lors de la manifestation du 20 avril 2019
[3] Lors de la Cérémonie de remise des Molières le 13 mai 2019, une quinzaine d'intermittents en Gilets jaunes on interrompu le spectacle pour remettre leurs propres récompense. Les images de cette intervention ont été coupées au montage lors de la diffusion deux heures plus tard sur France 2.
[4] Marc Voinchet in Télérama le 14 mai 2019
[5] Id
[6] Monsieur Monsieur de Jean Tardieu (1951 Gallimard)

2.5.19

LA DEVANTURE C’EST LA DEVANTURE

Texte écrit et non publié fin juin 2016. Le mensonge d'État du 1er mai 2019 sur une supposée "attaque de l'Hôpital de la Salpétrière" par des manifestants, rapidement relayé par plusieurs médias (certains se sont rétractés depuis) a fait songer à cet autre mensonge du gouvernement d'alors qui comptait en son sein l'actuel président de la République.

LA DEVANTURE C’EST LA DEVANTURE

Ou lorsque l’État fait ses courses au rayon bricolage

« Faire la devanture : arranger les marchandises pour les mettre en valeur » (Encyclopédie).

Pour les promoteurs des devantures de l’économie, bétonneurs de la politique, commerçants de la honte, la vie est simple anecdote. Celle d’une infirmière de 44 ans qui se suicide après vingt ans de conditions de travail « en dégradation constante » par exemple. La nuit des temps a recouvert le suicide des gens ordinaires. Ils ont quitté le top 50 du spectacle politique pour être relégués au rang des flétrissures instantanément enfouies.

La honte c’est le sentiment qui fait le grand écart entre la devanture et l’arrière boutique. Lorsqu’on en cherche une définition sensible, on pourrait s’arrêter sur celle qui voit une société se draper dans les artifices de la paix sécuritaire tout en générant une violence de tous les instants. Une violence fondatrice, qui se niche jusque dans les plus usuels objets de nos quotidiens (exemple : le traitement esclavagiste des mineurs de Centre Afrique qui extraient le coltan nécessaire à nos chers téléphones portables). Pour défendre cette permanence d’une violence sourde jugée nécessaire, elle spectacularise au diable chaque signe d’insoumission tournée contre elle. Le souvenir obsédant du suicide de cette infirmière survenu le 24 juin 2016 à Montvilliers près du Havre en ravive un autre de la même période, une période où le printemps généreux livra aussi quelques uns de ces débuts combatifs dont il a le secret.

En février 2016 le gouvernement en charge des affaires de la République impose de changer le code du travail pour « instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » et « améliorer la compétitivité des entreprises, développer et préserver l'emploi, réduire la précarité du travail et améliorer les droits des salariés » (1). Les entrepreneurs visés ont bien sûr anticipé que ces « nouvelles libertés » sont pour la devanture. Dans l’arrière boutique, c’est autre chose. Les « salariés », leurs « salariés », ceux qui ne le sont plus et ceux qui risquent de ne l’être jamais sont aussi doués de raison, ils comprennent vite qu’elles seront pour les goulus entrepreneurs, ces magnats disposant plus avantageusement encore de cette main d’œuvre qui se suicide en silence. Un pas supplémentaire vers le ramassage du coltan.

Alors, le 9 mars 2016 se déclenche, contre ce projet de loi macabre, un très important mouvement social où l’on retrouve certes les traditionnels syndicats (CGT, FO, Sud-Solidaires, CNT…), mais où se révèle surtout une autre effervescence, celle de l’échappée d’une jeunesse qui refuse les modèles mortifères, une jeunesse à la libre altérité, au désir indissoluble. La répression policière à son encontre va être terrible : brutalités, blessures, arrestations, assignations à résidence (au nom d’un état d’urgence permettant principalement la criminalisation du mouvement social). Sur la terre éclair, la beauté impatiente s’affirme pourtant, portée par le tumulte d’un souffle commun, la nuit vit debout (2). De leur catalogue d’un vocabulaire sans cesse amoindri, le pouvoir et ses relais sortent un mot commode : le « casseur », appellation pratique en période de soldes pour juguler tout discours critique et justifier la punition des faibles. Les manifestations s’intensifient, le châtiment aussi, tyrannique ; le visage de la beauté, humble et total, attaqué par un automate de devanture dont le seul rêve est de faire peur aux enfants.

"Tous les casseurs trouveront la plus grande détermination de l'Etat, ces black bocs (sic), ces amis de monsieur Coupat, toutes ces organisations qui, au fond, n'aiment pas la démocratie" déclare le premier ministre Manuel Valls le 17 mai à l’Assemblée Nationale. Surtout ne rien voir, ne rien comprendre. Cinq jours plus tôt, ce même grand démocrate de façade n’hésite pas à recourir au très autoritariste article 49 alinéa 3 de la Constitution. La fiction démocratique perd son décor, brade sa devanture. Elle dégringole. François Hollande élu président de la République en 2012 déclarait en 2006 : « Le 49-3 est une brutalité, le 49-3 est un déni de démocratie ». L’amnésie feinte est un pratique suppositoire contre la conscience de ses hontes.

« Je marchais le long des boutiques, m’appuyant au rebord des devantures pour ne point m’écrouler sur le trottoir ». Octave Mirbeau

Le 14 juin à Paris, manifestation de très forte ampleur : plusieurs centaines de milliers de participants. Le fameux cortège de tête, celui qui inquiète et que l’on caricature donc à l’envi, a encore grandi, infatigable. Les policiers, plus légionnaires romains que jamais, encadrent la manifestation au plus près, au contact direct, ils la scindent, la sélectionnent, la provoquent, la précèdent même en défilant devant, lui volant l’ouverture. Pour les défenseurs de la devanture, pas d’ouverture. Mais ça n’impressionne pas assez, ça échauffe, ça soude, ça explose et tous les symboles y passent. C’est ciblé.

Arrivés au métro Duroc, devant l'hôpital Necker, le cortège bouillant est brusquement arrêté par un cordon de CRS, la tension monte, énorme ! Emporté dans un élan bien irréfléchi, un fias isolé et masqué qui avait un marteau, plus en phase avec Claude François qu’avec Woody Guthrie, commence à frapper les vitres de l'hôpital Necker. Très rapidement d'autres interviennent pour lui dire d'arrêter, ce qu'il fait (dans une vidéo témoin de ce moment, on entend bien quelqu'un dire "hé, c'est un hôpital pour gosse !" et l’impulsif inconséquent cesse). Quinze vitres ont été, certes fracturées, mais aucune n’a cédé sous les coups et personne n'a pénétré dans l'hôpital et certainement pas des "hordes de sauvageons" (c’est le mot qui va immédiatement traverser la partie la plus visible de la sphère politico-médiatique). Pourquoi la police et ceux qui la dirigent ont choisi de créer un étranglement à cet endroit ? Pas bien malin non plus, à moins que… Peu importe au fond. Ce qui houssine, c’est surtout l’obscénité honteuse qui va suivre.

"Un mensonge, répété mille fois, devient une vérité". Attribué à Joseph Goebbels

À chacun son incendie du Reichstag ou comment quelques coups de marteaux vont devenir le moteur d’une politique à marche forcée. « Après ce qui s'est passé hier (faisant référence au meurtre d'un couple de policiers à Magnanville par un jeune tueur de Daech), tout cela n'a que trop duré. Et moi, je n'accepterai plus que dans des manifestations comme celle qui s'est déroulée aujourd'hui, il y ait des sauvageons qui puissent tenir ce type de propos avec 27 policiers blessés, les vitres de l'hôpital Necker brisées alors qu'il y a l'enfant des policiers qui s'y trouve.» déclare tout de go Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. L’amalgame est putride. La jeunesse présente dans le mouvement social est l’antithèse de celle, abandonnée, qui ne trouve comme réponse au vide du monde que refuge suicidaire dans un fascisme religieux prônant les métamorphoses en monstres ahuris de perdition. De plus, le fait de révéler (ce que personne ne savait et sûrement pas Cloclo le marteau) la présence d’un enfant sous protection à cet endroit dépasse l’ignominie. Tout est bon pour arriver à ses fins, y compris souiller le sacré de l’enfance.

"Les Enfants (...) ne sont ni la propriété de la société, ni même de leurs parents. Ils appartiennent seulement à leur propre avenir de liberté" Michel Bakounine

De nombreux observateurs refusent de se faire complices de cette grossière machination (y compris certains journalistes des quotidiens souvent complices tels Le Monde et Libération), mais la mécanique est en route. Trop tard pour la vérité. Le premier ministre se rend le lendemain matin sur ce drôle de champ de ruines qui ne compte qu’une plaque de bois fixée sur une vitre et du gaffer orange sur les fêlures, les curieux en sont pour leurs frais. L’admirateur éperdu de Clémenceau est accompagné de la ministre de la santé Marisol Touraine. Toujours plus fort : « Hier les casseurs voulaient se payer, tuer des policiers ». Rien que ça ! Avec un marteau ? Il poursuit : « C'est la première fois, de mémoire, que l'on s'attaque à un hôpital. Je salue le sang froid de toutes les équipes qui ont été choquées (...) par la violence des casseurs (…) Je demande à la CGT de ne plus organiser ce type de manifestations sur Paris et au cas par cas, car vous savez qu’on ne peut pas prononcer une interdiction générale, nous prendrons, nous, nos responsabilités ». Le président Hollande (ennemi de la finance au Bourget le 22 janvier 2012 et copain du Cac 40 le 4 avril 2012 :« Vous êtes les fers de lance de l'économie française ») s’ébroue dans le même temps « À un moment où la France accueille l’Euro, où elle fait face au terrorisme, il ne pourra plus y avoir d’autorisation de manifester si les conditions de la préservation des biens et des personnes et des biens publics ne sont pas garanties ». Le football comme devanture du pays, le terrorisme comme sauf-conduit. La ministre de la santé y va de sa larmichette à l’emporte-pièce : « Personne ne pouvait ignorer que c'était un hôpital auquel on s'en prenait et qu'on attaquait, il y a des enfants qui entraient dans les blocs opératoires et certains n'étaient pas encore endormis et ce sont des choses qui sont choquantes ». Comme le note Sylvain Mouillard dans Libération du 15 juin : «Difficile de savoir s’ils ont entendu précisément les coups de marteau, au milieu d’une ambiance où se mêlaient cris des manifestants, jets de grenades lacrymogènes et surtout tirs de grenades assourdissantes, au volume sonore bien plus important. » Dans Lundi matin, contrepoint du père d’un enfant hospitalisé à Necker : «Quelques vitres de l’hôpital Necker ont été brisées. Bien que les vitres en question n’aient pas d’autre rôle que celui d’isolant thermique: j’en conviens grandement, ce n’est pas très malin. Certes, briser les vitres d’un hôpital, même par mégarde, c’est idiot ; mais sauter sur l’occasion pour instrumentaliser la détresse des enfants malades et de leurs parents pour décrédibiliser un mouvement social, c’est indécent et inacceptable. Et c’est pourtant la stratégie de communication mise en œuvre depuis hier, par MM. Cazeneuve et Valls. »

Pour ses marteaux, l’État ne se fournit pas chez Monsieur Bricolage. Là, ce 15 juin, devant micros et caméras, trônent sans honte les véritables casseurs de l’hôpital en tailleur et col blanc responsables de la suppression de 2 000 postes et de 16 000 lits. Le type de décision qui fait que des gens se suicident. Que vaut la mort d’une infirmière dévouée à la vie des autres face à la devanture ébréchée du monde de l’argent ? La honte se joue des sunlights. Après cette débauche de mise en scène, l’imbécilité adulte reprendra la main justifiant toutes sortes d’humiliations et de blessures, le commun des honteuses obsessions de notre temps. Depuis belle lurette, la communication a supplanté le langage, pour que la jeunesse réelle n’ait jamais aucun droit au mépris des détails infinis. L’affaire du marteau de l’hôpital Necker quittera vite les esprits, pas l’empreinte de ses conséquences.

Pendant ce temps à Villepinte : le salon international de l’armement Eurosatory. La France en passe d’accéder au rang de deuxième vendeur d’armes de la planète grâce notamment à ses ventes réalisées auprès d’États pas exactement réputés pour être tatillons sur les droits de l’homme (mais plutôt assez enclins à biberonner les cellules intégristes/terroristes), mais tant qu’ils n’achètent pas de marteaux… Sacrée devanture !

Photo : B. Zon 

(1) Texte du projet de loi n°3600 - Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 mars 2016 
(2) Le 31 mars, commence à Paris l’occupation de Place la République par le mouvement Nuit Debout. Elle dure plusieurs mois et s’étend à plusieurs villes de France. L’ex-président de la République Nicolas Sarkozy déclare le 26 avril : « Nous ne pouvons pas accepter que des gens qui n'ont rien dans le cerveau viennent sur la place de la République donner des leçons à la démocratie française. ».