Sybile Veil, présidente-directrice générale de Radio
France
et Messieurs
Marc Voinchet, directeur de France Musique
Michel Orier, directeur de la musique et de la
création culturelle à Radio France,
ancien producteur de musique membre fondateur des Allumés du
Jazz
Frank Riester, Ministre de la Culture de la République
Française
France
Musique dans l’angoissante concordance des temps.
Ce n’est pas la
première fois que France Musique - station de radio à qui il est arrivé d’être
exemplaire - supprime des émissions de qualité, éconduit des talents de premier
plan (la grève de 28 jours en 2015 [1] reste fraîchement dans les mémoires). Mais la suppression de cinq émissions
d’un seul coup, cinq émissions porteuses d’une réelle diversité hors sentiers
rebattus dont les musiques se voient soudain contraintes de traverser la rue
pour trouver des auditeurs, est cette fois dramatiquement indicatrice de l’éprouvante
direction d’une certaine vision de l’avenir proche – musical ou non - à
laquelle on aurait aimé que France Musique, plutôt que de se fondre dans
l’effondrante manœuvre, offre son
meilleur contretemps.
"A
l'improviste", "Le Cri du Patchwork", "Le Portrait
Contemporain", "Tapage Nocturne", "Couleurs du Monde
Ocora" sont autant de réussites concrètes, de symboles d’une création belle
et bien vivante, et l’objet de ce texte ne devrait pas être seulement de
demander leur maintien, mais de réclamer la multiplication de ce type
d’émission où il est facile de reconnaître ce pour quoi la musique existe, ce
pour quoi elle nous parle. Anne Montaron, Clément Lebrun, Arnaud Merlin, Bruno
Letort, Françoise Degeorges en sont les productrices et producteurs
respectifs : de magnifiques artisans inventeurs, fervents d’exploration, à
l’écoute du monde, de tous les mondes.
La concordance
des temps inquiète : suppression d’émissions hardies en ces instants où
l’on arrête les journalistes qui filment de trop près [2] ,
où l’on coupe au montage les moments qui embarrassent la bonne tenue de
célébrations à la gloriole programmée [3],
où chaque semaine qui passe, la liberté d’expression est davantage entamée. La
musique n’est pas qu’une bande passante.
La concordance
des temps inquiète encore lorsque nous est servi comme excuse de ces
amputations ce « Nous sommes soumis à une forte pression budgétaire
concernant le coût de la grille » [4]. Pour lire ensuite le cocasse « Il faut
faire aussi bien avec moins de moyens.» [5] Cette recommandation eut été plus à propos lors des
délirants chantiers de rénovations des bâtiments de Radio France sur lesquels
beaucoup a déjà été dit et écrit. La musique se voit présenter l’addition. « Quand
le bâtiment va tout va » dit
l’adage, mais qu’est-ce qui va vraiment lorsqu’on va s’écraser sur le mur des
grands travaux inutiles ?
Et lorsque de l’hôpital
à l’école, le service public est sans cesse abîmé (la suppression des cinq
émissions est contemporaine du
projet de loi de « transformation de la
fonction publique ») : concordance
des temps plus qu’inquiétante.
On a beau nous expliquer
qu’en remplacement on verrait « créer à la rentrée un grand
rendez-vous, plus dynamique que des émissions planquées à 23 heures, inventer
un vrai carrefour de la création, avec des passerelles entre les artistes », on perce rapidement l’esquive facile avec un vocabulaire
plus passoire que passerelle. Comme si "A l'improviste", "Le Cri du Patchwork",
"Le Portrait Contemporain", "Tapage Nocturne",
"Couleurs du Monde Ocora" n’avaient pas magnifiquement déjà établi
les jonctions intelligentes sans besoin de compression césarienne. Ou bien s’agit-il
simplement de se plier à la loi de la diffusion régie par les algorithmes et la
grande vague du streaming ou s’ajuster sur des projets aussi fumeux que le
Centre National de la Musique ou bien faire Radio Classique au rabais, ou
peut-être tout cela à la fois.
Notre sentiment
alors n’est pas celui de l’indignation, mais bien celui de la colère face à
cette braderie de la quintessence incarnée par ces cinq émissions. Il s’agit
donc bien pour nous toutes et tous, que nous appartenions ou non au monde
musical, d’insister sérieusement pour obtenir le maintien de ces programmes à
qui il ne peut être fait de reproche. Il ne s’agit vraiment pas de détail, mais
bien en ces temps aussi troublés que troublants, de la marque essentielle d’un
attachement indéracinable à l’esprit libre.
Et puisque la
station France Musique est née d’une idée du poète Jean Tardieu, nous vous
recommanderons Madame et Messieurs de méditer sur ces quelques lignes de sa
plume : « Les hommes cherchent la lumière dans un
jardin fragile où frissonnent les couleurs. » [6]
[1] Communiqué des Allumés
du Jazz du 9 juin 2015
[3] Lors de la Cérémonie de remise des Molières le 13 mai 2019, une quinzaine
d'intermittents en Gilets jaunes on interrompu le spectacle pour remettre leurs
propres récompense. Les images de cette intervention ont été coupées au montage
lors de la diffusion deux heures plus tard sur France 2.
[4] Marc Voinchet in Télérama le 14 mai
2019
[5] Id
[6] Monsieur Monsieur de Jean Tardieu (1951
Gallimard)
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