Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

14.2.25

HOWARD RILEY IN ATLANTIC CITY


Dans le film Atlantic City de Louis Malle (1980), il y a un beau passage musical qu'on identifie facilement en prêtant l'oreille (qu'il ne faut jamais vendre) comme étant ce qu'on nommait à l'époque "Free music". Il semble fort évident que cette partie échappe au compositeur affiché : Michel Legrand. Elle est jouée par une ensemble épatant avec Tony Coe et Evan Parker (anches), Barry Guy (contrebasse), Paul Lytton (batterie) et Roger Kellaway et Howard Riley (claviers). Howard Riley (disparu le 8 février 2025), qui fut un artisan infaillible de la nouvelle musique anglaise avec les gens précités, mais aussi avec Barbara Thompson ou Lol Coxhill ou encore, de façon plus surprenante peut-être, en un duo avec le pianiste américain Jaki Byard.

 

 

2.2.25

DEUX ANGLAISES ET LE CONTINENT :
DELIA MORRIS ET MARIANNE FAITHFULL


 
« Des mots venus de l'autre côté de la rive »
Léo Ferré (Le Chien)

« Elle aimait l’échange ; très attentive, elle écoutait beaucoup. Tellement chaleureuse et toujours partante pour aller découvrir, regarder, entendre des artistes connus ou inconnus. Avant "d’analyser" le concert, elle faisait part avant tout de l’émotion qu’elle percevait chez les musiciens et qu’elle ressentait. » Françoise Bastianelli, co-fondatrice avec Claude Tchamitchian et Marc Thouvenot des disques Émouvance, évoque son amie Delia Morris, qui nous a quittés le 29 janvier de cette année. Les productrices et producteurs phonographiques distribués par Harmonia Mundi (Daniel Lelong puis Alain Raemackers, responsables du jazz), entre la moitié des années 80 et l'aube du XXe siècle, ont connu cette anglaise née à Stafford, titulaire d'une maîtrise de Français, une autre d'Allemand, et une troisième de la School of Oriental & African Studies de Londres, venue s'installer dans le Sud de la France en 1983. Et s'immerger en Arles dans les musiques des collections de Bernard Coutaz. Cohérence.

La musique l'amène à la traduction et l'on sait tout le sens que cela prend de traverser la rivière des langues. Pour des albums discographiques du Quatuor Ysaÿe, d'André Jaume, de Michel Portal, François Raulin, Raymond Boni, Charlie Haden, Jimmy Giuffre, Joe McPhee, Steve Kuhn, Jean-Marc Montera, du Concerto Soave & Maria Cristina Kiehr, de l'Ensemble Venance Fortunat, Claudia Solal, de l'Ensemble Al-Kindî, d'Angelo Debarre, de John Greaves, Biréli Lagrène, Raymond Boni, Claude Tchamitchian, Araik Bartikian, Christophe Monniot, Guillaume Séguron, Bill Carrothers, de l'Ensemble Al-Umayri, d'Ikewan, de Stephan Oliva, Fred Frith, Jean-Pierre Drouet, Louis Sclavis, Tony Hymas, Tony Coe, Anouar Brahem, Sylvie Courvoisier..., parus sur les étiquettes Émouvance, CELP, Ajmi, Harmonia Mundi, Owl, FMP, Hat Hut, Le chant du Monde, FMP, L'Empreinte Digitale, Sketch, Institut Du Monde Arabe, Safar, (Illusions), In Situ, nato, Seventh, ECM, Intakt..., elle traduira des textes signés Christian Tarting, Jean-Paul Ricard, Alain Raemackers, Patrick Williams, Philippe Carles, Francis Marmande, Gérard Rouy, Michel Contat, Stéphane Ollivier, Olivier Cullin, Anne Montaron, Thomas Compère-Morel, Habib Yammine, Steve Shehan, Talia Mouracadé, Luce Carnelli, Manuel Jover... 

Lorsque dans une interview, Bob Dylan confie combien Rimbaud a eu d'influence sur son écriture et l'on sait qu'il ne parle pas français, on réalise l'importance des traducteurs, de leur gigantesque responsabilité de passage. L'horizon. La perception offerte en sa sensible précision. L'autre cœur. Françoise Bastianelli poursuit : « De la rigueur, une grande compétence et cette élégance dans son travail de traduction toujours très littéraire. Delia cherchait, questionnait beaucoup le texte à traduire, le corrigeait encore et encore, se remettait en cause… pour ne pas trahir le sens, et ne pas trahir l’artiste qu’il soit poète ou musicien. Mais sa grande passion, c’était la poésie qu’elle a beaucoup traduite.»
 
Son nouveau siècle sera celui d'une intensité traductrice avec des œuvres de Rosalind Brackenbury, André Ughetto, Sam Hamill, Bill Collins, Yusef Komunyakaa, Jane Hirshfiled, Joël-Claude Meffre, Christian Tarting (qui tenait tant à être traduit par elle)... En musique dans le texte. Dans les livrets des disques, mais aussi lorsqu'elle se joint à l'équipe de l'organisation du festival de La Tour d'Aigues avec Jean-Paul Ricard, Anne-Marie Parein et Bernard Coron. Elle retrouve aussi l'enseignement à l'invitation de Christian Tarting. « Et sa discrétion toujours » conclut temporairement, émue, Françoise Bastianelli. Pilier discrètement essentiel aux élans musicaux, à l'idée poétique qui seule peut encore sauver.

Le lendemain, 30 janvier, autre coup dur pour la poésie. Une des Voix d'Itxassou, la chanteuse Marianne Faithfull, s'éteint.

Marianne Faithfull, c'était sans doute un souvenir sixties un peu Dim Dam Dom, avec couvertures de Mademoiselle Âge Tendre, photographies, beaucoup de photographies (Marianne Faithfull a été très photographiée), évidemment d'infinies histoires de Rolling Stones, une apparition a cappella en 1966 dans le bar de l'hôtel de Made in Usa de Jean-Luc Godard ou une autre, la même année, chantant « Hier ou demain » dans la comédie musicale Anna de Pierre Koralnik (Anna Karina dans les deux films). Ah oui : "As tears go by", cette cloisonnante chanson trop définitive. Oh ! Marianne Faithfull chanta "Downtown" écrite par Tony Hatch pour Petula Clark, autre anglaise continentale dont Miss Faithfull était le contraire complément. Surtout (en tous les cas pour nous), à la fin de rauques seventies, Marianne Faithfull avait enregistré cet album au titre magnifique, Broken English, qu'on disait inspiré en partie par Ulrike Meinhof. Au-delà, il parlait à tous les désillusionnés mis à bas par les tenants du dictionnaire des notices réglementaires. On y (re)trouvait une force non dictée, du rêve aussi (ce qui est un peu de même essence). Une après-midi, au Nouveau-Mexique, John Trudell avait très bien parlé de ce disque, de sa réalité. 
 
Pour les Voix d'Itxassou (qui n'avaient pas encore de titre avant les mots de Francis Marmande pour l'ouverture du "Temps des cerises") et la chanson "Wieder Im Gefängnis", son nom fut immédiatement évoqué. Comme une flagrance brechtienne, un souvenir de Tchekov. Coup de fil immédiat, Marianne Faithfull est d'abord intéressée par ce chant du Goulag et la mention du nom de l'auteur du disque, Tony Coe, génère un immédiat « Wonderful ! Of course. » Rendez-vous fut pris deux semaines plus tard au Lansdowne Studio à Londres. Simple et merveilleux. Après la séance, moment partagé entre tous au pub voisin du studio, où les oreilles de Margaret Thatcher durent siffler. Marianne Faithfull devenait, avec Maggie Bell, François Fabian, Ali Farka Touré, Jose Menese, Aura Msimang-Lewis, Violeta Ferrer, Beñat Achiary, Abed Azrié, Marie Atger, Liria Begeja, Jean-Claude Adelin, Sandrine Kljajic, une des Voix d'Itxassou, terre d'humanité née de l'imagination, la simple imagination de vivre encore l'éclair humain.
 
Delia s'établit en terre continentale et Marianne y alla et vint, pour vivre chacune leurs généreuses Acquaintances


• Photographies : Anne-Lise Thomasson (Delia) - Dr Live (Marianne 1989)

26.1.25

BLINDTEST n°14 IN HORS SÉRIE AVEC CATHERINE DELAUNAY ET PIERRE TENNE

Hors Série est une émission en ligne traitant de différents sujets avec de longues interviews. Titres évocateurs des séries de Hors Série : "Aux ressources", "Dans le film", "Dans le mythe", "En avant Marx", "En accès libre", et "La diagonale sonore" avec pour cet épisode du 25 janvier 2025, le Blindtest n°14 en compagnie de la clarinettiste Catherine Delaunay. Elle s'entretient avec le nouveau présentateur de l'émission Pierre Tenne. Et il ne s'agit pas que de clarinette...

C'est ici

25.1.25

FREE LEONARD PELTIER

Février 1990, scène de la Maison de la Culture de Bobigny, festival Banlieues Bleues, le poète shawnee Barney Bush dit son poème « Left for Dead (prisoners of the American Dream) ». Il est là, à l’invitation du musicien Tony Hymas. Une première visite française pour ce militant des droits indiens, auteur de Inherit the blood, à l’occasion de la préfiguration de l’album Oyaté. « Left for Dead », laissés pour mort. Les mots résonnent fort. Barney Bush et Tony Hymas enregistreront ensuite ce titre et le joueront sur scène à chacun de leurs concerts. Un groupe réuni autour d’eux (Edmond Tate Nevaquaya, Evan Parker, Merle Tendoy, Jean-François Pauvros, Geraldine Barney, Jonathan Kane ou Mark Sanders) prendra même ce nom de Left for Dead pour des concerts en France, Allemagne, Hollande, Italie ou États-Unis.

« C’est vrai nous les Indiens faisons partie du rêve américain»*

« Left for Dead » est dédié à Leonard Peltier et Barney Bush le rappellera à chaque fois. Une dédicace vive puisqu’en 1990, Leonard Peltier, amérindien anishinaabe - lakota, était déjà considéré comme un des plus vieux prisonniers politiques du monde.

« Nous sommes des témoins muets qui parlent comme des miroirs »*

On ne reviendra pas en détail ici sur les événements qui prennent source le 26 juin 1975, à Oglala, dans la réserve lakota de Pine Ridge, alors sous haute tension depuis l’occupation de Wounded Knee en 1973 et ses conséquences répressives, lors d’une fusillade où deux agents du FBI furent tués. Leonard Peltier (31 ans, membre de l’American Indian Movement depuis 1972, mouvement né à Minneapolis en 1968 et représentatif du renouveau indien en Amérique du Nord) et deux de ses camarades furent poursuivis. Lui passa au Canada, eux furent arrêtés, jugés et acquittés. Réfugié en Alberta, Peltier fut arrêté par la police montée, extradé aux USA, puis condamné à Fargo, au terme d’un procès à charge avec, entre autres, irrégularités, faux témoignages ou manipulation et intimidation de témoins, et refus fait à ses avocats de présenter leurs témoins. Cette affaire est très bien relatée et documentée dans le livre de Peter Matthiessen In the Spirit of Crazy Horse (1983), ainsi que dans de nombreux écrits ou dans l’excellent documentaire de Michael Apted Incident à Oglala (1992, disponible en DVD).

« Amérique tes prisons regorgent d'âmes indigènes parce que notre nombre compte peu »*

Dès lors se sont constitués, partout dans le monde, des comités de soutien « Free Leonard Peltier », les avocats ont travaillé sans relâche à une révision du procès avec un lot d’évidences qu’on leur a toujours refusé d’exposer. Les manifestations, à Paris comme ailleurs, devant les ambassades des États-Unis étaient régulières et la liste des personnalités ayant intercédé en faveur de la libération de Leonard Peltier, sinon de la révision de son procès, est impressionnante d’hétéroclisme : Nelson Mandela, Jesse Jackson, Rigoberta Menchu, Desmond Tutu, Robert Redford, Shirin Ebadi, Vivienne Westwood, Kris Kristofferson, Danièle Mitterrand, Rage Against the Machine, Pete Seeger, Carlos Santana, Harry Belafonte, le Dalai Lama, le pape François, Mère Teresa, Gloria Steinem, entre 1000 autres ainsi que des organisations telles le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l'homme, Amnesty International, les parlements belges et européens, la National Lawyers Guild, etc., etc. Rien n’y fit.

« Il y a toujours plus toujours une autre version que l’Amérique n’entendra pas »*

Le président Bill Clinton se préparait à le gracier. Aussitôt, une manifestation de 500 agents du FBI devant la Maison Blanche contrecarra cette promesse. Le monde contre 500 flics. Celui qui fut le procureur lors de l’affaire, James H. Reynolds, fut pris de remords et supplia Barack Obama de libérer Leonard Peltier, alors en très mauvaise santé. Même cela n’y fit rien. Alors que le mouvement « Free Leonard Peltier » ne cessa pas, que continuèrent les manifestations devant la Maison Blanche avec un succès très différent de celle de quelques instants des 500 agents, le même procureur James H. Reynolds écrivit à Joe Biden en 2022 : « J’écris aujourd’hui d’une position rare pour un ancien procureur : je vous supplie de commuer la peine d’un homme que j’ai contribué à mettre derrière les barreaux. Avec le temps, et le bénéfice du recul, je me suis rendu compte que les poursuites et l’incarcération continue de Mr Peltier étaient et sont injustes. Nous n’avons pas été en mesure de prouver que Mr Peltier avait personnellement commis un quelconque délit sur la réserve de Pine Ridge. Je vous demande instamment de tracer une voie différente dans l’histoire des relations du gouvernement avec ses Indiens en faisant preuve de clémence plutôt que de continuer à faire preuve d’indifférence. Je vous demande instamment de faire un pas vers la guérison d’une blessure que j’ai contribué à créer ». Les démarches n’auront de cesse contre celles, puissantes, qui urgeaient le président Biden de ne pas céder. Et puis… Le 20 janvier 2025, quelques heures avant la monstrueuse parade de la nouvelle investiture, un communiqué de la Maison Blanche annonçait : « Le Président commue la peine d'emprisonnement à perpétuité prononcée à l'encontre de Leonard Peltier afin qu'il purge le reste de sa peine à domicile. Il est aujourd'hui âgé de 80 ans, souffre de graves problèmes de santé et a passé la majeure partie de sa vie (près d'un demi-siècle) en prison. Cette commutation permettra à M. Peltier de passer le reste de sa peine en détention à domicile, mais ne le graciera pas pour ses crimes. »

« Le sinistre fardeau que les coloniaux ne peuvent justifier par la vérité »*

Sans grâce, donc, Leonard Peltier retrouve cette semi-liberté parce qu’en très mauvaise santé, lot commun d’un peuple confiné sur sa propre terre. Sans grâce, sans classe, si tardivement, et avec ce sentiment d’un épouvantable gâchis, cette clémence embarrassée est pourtant la seule lueur de cette journée du 20 janvier 2025, où ce que l’on appelle les médias ne surent regarder autre chose que l’infecte bouffonnerie des nouveaux maîtres du monde.

« Et notre place dans le rêve américain perdure comme ce passé que tu croyais avoir enterré »*

La presse et la radio française mirent quelques jours à timidement commenter l’événement. Ainsi le 23 janvier, sur France Inter, on pouvait entendre en ouverture d’une séquence d’information de trois minutes : « Avant de quitter la Maison Blanche, Joe Biden a gracié et commué les peines d’une multitude de condamnés. Parmi eux, un certain Leonard Peltier, inconnu chez nous mais aux États-Unis, c’est une icône. Après presque 50 ans de prison, il sort et c’est tout un symbole. ». L’Indien, inconnu ou fantasmé (l’icône) n’a pas d’existence hors d’un imaginaire façonné par le rêve américain. Cette ignorance, ce refus de considérer l’histoire en profondeur nous a conduits à ce sentiment d’effondrement au corps insoutenable de nos jours frêlement vivants. Non Leonard Peltier n’était pas inconnu en France où nombreuses furent les mobilisations pour sa défense (saluons ici l’association Nitassinan), où les anciens ouvriers de l’usine Lip se souviennent qu’une délégation de l’American Indian Mouvement était venue soutenir leur combat (les ouvriers horlogers avaient alors fabriqué une montre à l’heure indienne). Et non, Leonard Peltier n’est pas une icône, comme Missak Manouchian ou Olga Bancich ne sont pas des icônes, Leonard Peltier est un résistant.

Dans un monde sonné par les outrances fascizoïdes, dans le débat ridicule où l’on se cherche des justifications pour perpétuer la communication sous X, la semi-libération de Leonard Peltier est celle d’un peuple occupé. Une porte entrebâillée qui peut être aussi la nôtre, contre l'écrasante mascarade, si nous le voulons. Celle à partir de laquelle nous pouvons encore réellement rêver... ailleurs que dans l’horrible sieste promise.

« NOT IN AMERICA! »*


* Extraits de « Left for Dead » (traduction Francis Falceto)

Tony Hymas - Barney Bush, Left for Dead (nato - 1994) 

 

20.1.25

FREE LEONARD PELTIER ! (STILL)

Quelques minutes avant de céder son siège de président à Donald Trump, Joe Biden a décidé de commuer la peine d'emprisonnement à perpétuité prononcée contre Leonard Peltier en détention à domicile. Demi-mesure sans classe (quart-mesure in extremis) mieux que rien évidemment - étrange sentiment - en ce jour funeste. L'annonce résume : "Il a aujourd’hui 80 ans, souffre de graves problèmes de santé et a passé la majeure partie de sa vie (près d’un demi-siècle) en prison. Cette commutation permettra à M. Peltier de passer le reste de ses jours en détention à domicile, mais ne lui pardonnera pas ses crimes". Nous avons tellement crié "Free Peltier" depuis si longtemps !!!

19.1.25

L'ORIGINE DU JAZZ ROCK SELON INTERNET

Avec internet, on obtient toutes sortes d'informations inconnues sans se fatiguer l'intelligence. "De siestes trop longues, on ne se réveille pas" avait dit un penseur grec d'un temps si ancien...

 

 

 

29.12.24

BARRE PHILLIPS

Les disquaires apportent les nouvelles, celles qui réveillent les mémoires. Théo Jarrier du Souffle Continu signale, il y a quelques jours, que Josh Haden (le fils de Charlie Haden, ce n'est pas sans incidence) a exhumé une cassette du concert en trio, le 19 juin 1976, dans un square du 14e arrondissement de Paris, des trois contrebassistes Barre Phillips, Beb Guérin, Léon Francioli. Fameux souvenir : recherche de la basse au sommet. Ce trio, c'est Barre Phillips qui l'a imaginé. Les associations de contrebasse, il sait les porter haut. Dans le disque de Mike Wesbrook en très big big band en 1969, Marching Song, il partageait le pupitre avec Chris Laurence et Harry Miller. Il a l'expérience de l'orchestre (avec Leonard Bernstein) comme celle d'Ornette Coleman. Ce qui ne l'empêche pas - tout au contraire - la même année de coudoyer le torrent rythmique des batteurs Jacques Thollot et Stu Martin dans Monday Morning de Rolf et Joachim Kühn. Dans le Baden-Baden Free Jazz Orchestra conduit par Lester Bowie en 1970, il est avec Palle Danielsson, l'autre bassiste. La même année, duo avec Dave Holland pour les portes alors grandes ouvertes de la maison de disques ECM créée par Manfred Eicher. « J’ai d’abord rencontré vite fait Manfred Eicher quand il était bassiste à Berlin. Puis après qu’il eut créé ECM, je l’ai revu à Hambourg avec le Trio, il y avait aussi Chick Corea Quartet avec Anthony Braxton, Dave Holland et Barry Altschul. Manfred est venu "how are you doing man, j’ai un label et j’aimerais bien…" Et c’est lui qui nous a proposé de faire le disque en duo avec Dave Holland. Avec Dave, on s’est regardé et on a dit : "c’est vrai, bizarre ? why not !" »1. Et puis l'étonnant For all it is en quartet de basses avec Barry Guy, Jean-François Jenny-Clark, Palle Danielsson et le batteur Stu Martin. « Stu Martin m’a prévenu : "si tu ne m’invites pas à participer à ça, je ne te parle plus, tu n’es plus mon ami." On a pu vraiment évoluer sur cinq jours. Je l’ai proposé à Manfred qui a refusé, ce qu’il a regretté. C’est moi qui ai produit la bande. Quand Manfred l’a écoutée, il l’a publiée sur Japo. Ensuite j’ai fait pas mal de choses avec Manfred »1.  Il y aura d'autres signifiantes associations de contrebasses dans ce foisonnant parcours, avec Jean-François Jenny-Clark, Peter Kowald, Joëlle Léandre, Maarten Altena, Barry Guy, Tetsu Saitoh, William Parker, Kazuhiro Tanabe, Masao Tajima, Pearl Alexander, Hélène Labarrière, Jean-Paul Celea, Henri Texier, Takashi Seo, Teppo Hauta-aho... 
 
En 1981, Barre conclut l'album MPS The String Summit, One World In Eight (deux bassistes encore : Bo Stief) par un étourdissant "One for Beb". 
 
Un parcours ponctué de solos de contrebasse déterminants : End to End (retour homérien en 2019 chez ECM),  Portraits (2009 - Kadima Collective), Journal Violone 9 ( titre à l'orientation éloquente pour Émouvance, label de l'admiratif bassiste Claude Tchamitchian en 2001), Camouflage (1990 - Victo), Call me when you get there (situation géographique réalisée à trois en 1984 avec l'œil et l'écoute du cinéaste Robert Kramer et du producteur Manfred Eicher) et bien sûr Journal Violone paru une première fois en 1969 aux États-Unis chez Opus One, immédiatement réédité en Angleterre par Music Man sous le titre Unaccompanied Barre,  puis un an après en 1970 en France par Gérard Terronès pour Futura sous le titre Basse Barre. Trois titres pour un album fondamental, le premier du genre. « Un ami new-yorkais, Max Schubel, m’avait contacté en novembre 1968 en disant : "je viens à Londres pour enregistrer une nouvelle composition avec toi, plus flûte et violoncelle, trouve les musiciens, moi je cherche le studio". Ensuite, il m’a dit faire de l’électro-acoustique au New Columbia University Studios et souhaitait travailler avec mon son. Nous avons donc enregistré dans une église jusqu’à ce que je ne puisse plus. Ensuite, il m’a annoncé qu’il pourrait faire un disque de contrebasse solo avec ça. J’étais complètement étonné. Après discussion, réflexion, on a fait une sélection et composé le disque. Il est sorti d’abord aux US sur son label Opus One sous le titre Journal Violone, en Angleterre sous le titre Uncaccompanied Barre, puis en France sur Futura de Gérard Terronès (Basse Barre). En 72, Portal m’a appelé, "viens avec moi, on va rencontrer des danseurs". On a rencontré Carolyn Carlson qui avait créé une nouvelle compagnie. On a improvisé ensemble. Carolyn voulait travailler avec nous, mais la productrice ne voulait pas payer. Quelques mois plus tard, elle a eu un solo à la fête de L’Humanité et m’a demandé de le faire avec elle. »1.   
 
La petite histoire, la grande histoire. Journal Violone, comme l'image puissante d'un cheminement vers le point éperdu de la lumière. 
 
St Paul Minnesota un soir de mai 2019, le jeune trio Bastard Sycamore (Ivan Cunningham - saxophone, Nicholas Christenson - contrebasse, Jack Dzik - batterie) joue de tout son soûl à Khyber Pass, restaurant afghan tenu par Emel Sherzad, passionné de jazz où les musiciens aiment à se retrouver (Hamid Drake nous l'avait conseillé en 1999). À la fin du set, le bassiste, Nicholas, parle immédiatement de Barre Phillips, un bassiste qu'il admire. La France, pour lui, c'est le pays où Barre s'en est allé. Dans la même ville, en 2010, le contrebassiste Chris Bates était tout émoustillé lorsqu'il a appris que son frère JT allait jouer à Paris avec Barre et Lol Coxhill. Il est des expatriés qui laissent de grandes traces. 

Le parcours de Barre Phillips est un trajet d'expériences toutes inséparables de ses choix musicaux. Musique d'un regard vaste, et par l'observation, du surgissement de la poésie des paysages. Les entretiens avec Barre Phillips disent d'un langage précis, son cheminement et ses intervalles explicites. Cette période américaine, d'apprentissages, de rencontres et d'éclats où l'on relèvera les noms de John Lewis, Leonard Bernstein, Bob James, Gunther Schuller, Frederick Zimmerman, Paul Bley, Archie Shepp (le classique "Matin des noirs"), Don Ellis, Attila Zoller, Don Friedman, Jimmy Giuffre, Peter Nero, George Russell, Benny Golson... 1967, la température monte « C’était noir et blanc dans le sens de racisme et pour la clarté du problème. "Le pacifisme, ce n’est pas ça. Il faut que tu comprennes que, peut-être un jour, je vais casser ta basse, que je vais te tuer, il faut que tu comprennes ça, mais on va jouer maintenant".  Et là tu commences à comprendre, pas parce que tu as peur, mais parce que tu as confiance en ces gens qui sont tes amis »1. Tournée en Europe en 1967 avec Attila Zoller et rencontre à Londres des tenants de la nouvelle free music européenne fracassant la coquille de son œuf : Evan Parker, Derek Bailey, Trevor Watts, Tony Oxley, John Stevens qui l'aide à se loger dans la capitale anglaise. Rencontre exceptionnelle avec John Surman qui donnera quelques temps plus tard le magnifique trio avec Stu Martin tout simplement nommé The trio (double album Dawn, 1970).

Mais les syndicats anglais ne rendent pas la vie facile aux étrangers. Bref retour à New York et tournée en France avec Marion Brown et Steve McCall. Avec Brown et McCall, musique du film Le temps fou de Marcel Camus. Alain Corneau est assistant et joue un peu de percussions dans la musique. La rencontre d'Antoine Bourseiller est capitale... puis celles de Michel Portal (l'ébouriffant Alors pour Futura, réunion de The Trio avec Portal et Jean-Pierre Drouet, ou Splendid Yzlment de Michel Portal pour CBS),  Nino Ferrer, Siegfried Kessler, Mal Waldron, Carolyn Carlson, Colette Magny (le si beau Feu et Rythmes - deux basses encore avec Beb Guérin).
 
La scène est si ample.
 
Et puis cette rencontre avec Robert Kramer. « C’est Juliette Berto qui m’a présenté le cinéaste Robert Kramer. C’est incroyable comme les choses tournent. Kramer ne voulait pas de musique. Tout le monde a dit : "il faut absolument de la musique". Il a répondu : "bon, alors juste une basse". Berto a dit : "je connais le bassiste, j’ai le bassiste, je t’envoie le bassiste". Un travail extrêmement riche ; même dans ces années de politique aux États-Unis, je ne travaillais pas avec des gens avec une réflexion comme cela, ou j’étais trop jeune ou trop naïf pour vraiment la percevoir. Mais travailler avec quelqu’un où ta musique est vraiment au service de quelque chose !... Il n’avait jamais utilisé de musique de film, il était un militant complètement anti-bourgeois et anti-musique de film. Au début c’était un peu froid : "qu’est-ce que vous avez à proposer pour ça ?". Moi, je n’avais jamais fait de musique de film, je n’y connaissais rien, je n’avais pas les réponses éduquées. Alors j’improvisais, j’étais là et disais : "moi, pour cette scène-là, je ferai comme si j’étais sur une autre planète et le son que je fais, c’est le regard de cette autre planète sur ce qui se passe". Il a réfléchi un moment : "ça m’intéresse !" Il a entr’ouvert la porte. Après, on a travaillé vingt ans ensemble. On est restés très amis. Il me disait toujours : "maintenant, moi j’ai fini, tu fais ton film". Donc je faisais ma lecture du film par la musique. Je dirais qu’il a utilisé entre le quart et le tiers de mes propositions, cela ne m’a jamais gêné. Mais toute cette musique, pour moi, elle existe, elle est dans l’air. Donc elle revient, elle ne revient pas, c’est pareil. Pour mon oreille, elle est là. »1 Le tandem Kramer - Phillips est devenu une de ces entités maîtresses dans l'histoire de la musique de film (comme Hitchcock-Hermann, Fellini-Rota, Leone-Morricone), modèle pour tant de suites. 
 
La diversité sera toujours en action pour la couleur. 

Installé dans le sud de la France, Barre Phillips devient une source d'inspiration fulgurante. Toujours lié aux grands improvisateurs européens, mais libre de tous mouvements, il joue en indépendance exploratrice. Interviewé par Yves Pineau dans le bimestriel Jazz Ensuite en 1983, André Jaume confiait « Un fait extrêmement important a été l'installation de Barre dans cette région. Il jouait avec nous parce qu'il n'y avait personne d'autre - un truc exceptionnel. Le fait est que savoir que l'on pouvait jouer avec lui et qu'il avait choisi d'habiter ici était à la fois réconfortant et stimulant »2. Et le village de Barre Phillips devint un autre cœur d'influence rayonnant partout. Invitations de Joëlle Léandre (dans ses Douze Sons, prélude à de nourris échanges au fil du temps), d'Alfred Hart, de Denis Levaillant (trio avec Barry Altschul et Barium Circus du même Levaillant avec Kenny Wheeler, Tony Coe, Yves Robert et Pierre Favre), trios avec Hervé Bourde et Bernard Lubat, Peter Brötzmann et Gunter Sommer, André Jaume et Barry Altschul, Urs Leimgruber et Jacques Demierre, Joe Maneri et Mat Maneri ou Evan Parker et Paul Bley (ECM), duos avec Keiji Haino ou avec son fils David Phillips, également contrebassiste. Aussi ses propres groupes : Music Buy (ECM) en 1981 avec John Surman et Hervé Bourde, Pierre Favre et les voix d'Aina Kemanis et de sa fille Claudia Phillips (chanteuse qui connaîtra le succès populaire avec "Quel Souci La Boetie" en 1987 - les présentateurs disaient toujours « son père est un grand musicien de jazz »), Naxos avec Jean-Marc Montera, Pierre Cammas, Hervé Bourde et Claudia Phillips (Celp), Barre's trio avec Michel Doneda et Alain Joule (Émouvance). 
 
Barre Phillips prospecteur de la vigueur. 
 
Pour le cinéaste Toshi Fujiwara, il conçoit la musique du film No Man's Zone en compagnie d'Émilie Lesbros, chanteuse pour qui Barre Phillips est un "père en musique". Complicité. Elle fait partie du groupe EMIR avec Lionel Garcin, Laurent Charles, Patrice Soletti, Emmanuel Cremer, Anna Pietsch. Plus qu'un groupe, une troupe qui offre le 19 mai 2015, au Centre Culturel André Malraux de Vandœuvre-lès-Nancy, La vida es sueño, opéra improvisé d'après Pedro Caldéron de la Barca. Barre Phillips et EMIR publient en 2021 La ligne rouge, sorte de kit livre disque documentaire : « La ligne rouge est une bande de terrains qui datent de la fin de l'ère Primaire (...) elle s'inscrit dans l'un des paysages les plus vastes et les plus typiques que la terre ait connu ». 
 
An then, the End to End...
 
Le 20 novembre 2021 à Nantes, il offre un dernier concert européen en solo à l'invitation d'Armand Meignan. Barre Phillips s'en retourne ensuite en Amérique, à Las Cruces au Nouveau Mexique où il s'est éteint le 28 décembre 2024 au matin. Dans un entretien pour Jazz Ensuite en 1984, il répondait à une question relative à la situation des musiciens en France : « Parce que les mecs disaient : "on n'a nulle part où jouer notre musique". Je leur ai demandé : "montrez-moi votre musique, où est-elle ?" Et ils me répondaient : "on ne peut pas, on n'a pas d'endroit pour la jouer". Mais c'est pas ça. C'est la chose qui crée le lieu où tu vas la jouer, c'est la musique »3. Barre Phillips nous a appris beaucoup.
 
 

1 Entretien avec Mathieu Immer et Jean Rochard, transcription Christelle Raffaëlli in Les Allumés du Jazz n°20, 4e trimestre 2007
2 Jazz Ensuite n°2 décembre 1983 Entretien avec Yves Pineau
3 Jazz Ensuite n°4 avril-mai 1984 Entretien avec Jean Rochard
 
• Photographie de Guy Le Querrec - Magnum : Léon Francioli, Beb Guérin, Barre Phillips, Paris 14e, 19 juin 1976



26.12.24

EN PENSANT UN INSTANT À ISTRATI

"La nation, c’est un mot dont se parent deux sortes de gens : les très malins et les imbéciles."
Panaït Istrati (La jeunesse d'Adrien Zograffi)
 
 
 

23.12.24

QUATUOR PAUVROS, KASSAP, RICAU, BELLORINI

 

Quelle musique faire dans le rébus d'un monde désaxé ? Hier soir 22 décembre, Les Temps du Corps - Atelier Tampon Nomade proposaient un étonnant groupe qui apportait une réponse si plausible qu'elle adressait de substantiels contrecoups. Le quatuor (car il s'agissait plus d'un quatuor que d'un quartet) Jean-François Pauvros (guitare), Sylvain Kassap (clarinette contrebasse), François Ricau (guitare) et Michel Bellorini (guitare) a offert (et ce particulièrement lors d'une somptueuse première suite) un moment où s'est, sardanapalesquement, déployé le cœur révolté de nos reviviscences.

 

 

 

13.12.24

MARTIAL SOLAL

Ce matin, vendredi 13 décembre 2024 à 7 heures, la journaliste de France Inter annonce parmi les titres du jour : la mort de Martial Soral. Ouf ! On a eu peur qu'il s'agisse de son paronyme pianiste Martial Solal. Et puis quelques minutes plus tard, un autre journaliste fait un (très) rapide portrait de Martial Solal. Ah oui c'est de la musique ! Ce type d'erreur ne doit pas être grave, un peu comme quand, sur la même chaîne était annoncée la disparition du chanteur Beck au moment de la mort de l'homonyme guitariste Jeff. 

Le décès d'Irène Schweizer, le 16 juillet de cette année, rappela d'une force très intime un concert du 14 juin 1980 à Chantenay-Villedieu qui n'avait pas quitté nos mémoires heureuses d'une délicieuse et complémentaire différence que l'on rêvait en nature grandissante. Concert évoqué la nuit du 11 au 12 décembre dernier sur les ondes de France Musique, lors de l'hommage à Irène Schweizer lors de la nuit de l'improvisation produite par Anne Montaron. Soirée chantenaysienne double solo de piano : Martial Solal et Irène Schweizer. Ils avaient tiré à pile ou face l'ordre des passages sur proposition de Martial Solal. Le pianiste joua en premier et fut très attentif spectateur de la seconde partie de la pianiste. Tout était très amical, de sourires, de belle entente, sans rôle à jouer.

Martial Solal était une sorte d'énigme, loin du courant free et d'une insolente liberté. Beaucoup d'encre et de débats radiophoniques à son sujet. Alain Gerber aimait Milford Graves et Martial Solal. Nous aussi. On avait largement apprécié Sans Tambour Ni Trompette (RCA), son disque en trio avec Jean-François Jenny-Clark et Gilbert Rovère, ses solos Ah non (RCA) et Himself (PDU), le duo avec Hampton Hawes Key For Two (Byg), les Piano Conclave de George Gruntz (Atlantic, Mps) ou leur - en quelque sorte - raccourci dans le duo avec Joachim Kühn Duo in Paris (Musica), le duo avec Niels Henning Ørsted-Pedersen Movability (Mps) (Quel plaisir de les avoir vus ensemble aussi). Et puis les multiples albums et concerts avec Lee Konitz : Satori (Milestone), Jazz à Juan (Steeple Chase) JAZZ À JUAN !!! Ah oui alors !, le duo Konitz-Solal Duplicity (Horo - combien de trésors enfouis sur cette étiquette). L'association Konitz Solal, sorte de félicité eurythmique se poursuivra sur scène comme sur plusieurs albums dont quelques-uns en duo. 

Les uns le taxaient de froideur, les autres lui en voulaient d'avoir manqué Coltrane ou, pire, de ses horrifiants commentaires acerbes sur le free jazz (sur lesquels il est en partie revenu)... qu'est-ce que ça pouvait bien faire (disons que ça faisait mais qu'on n'en restait pas là). Si la musique n'était que question de températures ou de qui aime qui... ce n'était pas ce qui guidait certains et certaines d'entre nous pour aller écouter un jour Derek Bailey et le lendemain Martial Solal, lesquels ne jouèrent jamais en duo mais tous deux jouèrent avec Michel Portal (ils enregistreront plus tard deux disques en duo chez Erato et BMG-RCA). Ces sortes d'arithmétiques rêveuses ont leurs petits pouvoirs. Et "Twist à Saint Tropez" co-composé avec Guy Lafitte ne peut être taxé de froideur.

Solal était aussi l'artisan de la rencontre de son trio avec Sidney Bechet en 1957 pour un fameux album chez Vogue (les disques) diversement apprécié. Enregistrement avec Kenny Clarke (qui avait joué avec Bechet avant d'inventer la batterie bop) et Pierre Michelot pour une face, l'autre avec le bassiste Lloyd Thompson et le batteur Al Levitt. Au même moment, Solal et Bechet ne jouent pas la même musique, mais des histoires parallèles se déroulant dans des temps différents. Fascinant ! Comme la température, l'osmose n'est pas tout, il existe toutes sortes de liens qui sont autant d'indépendances affirmées capables d'exister ensemble. Ce genre d'idée nous plaira tant qu'elle sera recherchée et provoquera immédiatement pour certains et certaines, par exemple, l'adhésion à un nouveau courant de musique improvisée anglaise ouvert avec le groupe Alterations (qui dérangera une free music déjà sacralisée avec ses codes).

Forte de cet héritage, la fille de Martial Solal, Claudia Solal prendra en chantant d'autres libres chemins de liberté. Un concert à l’Opéra de Lyon le 14 octobre 2016 les réunira (avec le batteur Bernard Lubat, et le contrebassiste Mads Vinding).

Bon ! Il est d'autres appréciables compagnonnages et amitiés avec Guy Pedersen, Daniel Humair, Charles Bellonzi, Stéphane Grappelli, André Hodeir, Lucky Thompson (oui, oui Godard - Melville - À bout de souffle)... L'histoire de Martial Solal, on ne la fera pas ici tant il est de gens tellement plus compétents pour la raconter, la détailler, l'interpréter. On se contentera de mentionner les entretiens avec Xavier Prévost des 3, 4 & 5 décembre 2003 réalisés par Cati Couteau pour « Musiques mémoires » (Entretiens patrimoniaux - INA) publiés en livre + DVD (éditions Michel de Maule) sous le titre Martial Solal, compositeur de l’instant et consultables en leur intégralité sur le site de l'INA. Tout y est. 

Tout de même pour finir : un autre souvenir, celui de l' irrévérencieuse complicité du duo Martial Solal - Jean-Louis Chautemps. Longue pratique commune, mais duo trop rare. Solal estimait que du free jazz, "Chautemps avait le droit de le faire" et qu' "avec Chautemps, c'est sûr qu'il y a des moments, comme il est, il peut être tellement exubérant, triste ou gai, ou comique, enfin, il peut être tout..."* ce qui s'apprécie particulièrement lors d'un concert inoubliable du 29 décembre 1980 au Studio 106 de la Maison de la Radio qui se concluait par "You Stepped out of a dream". 

 * extraits des entretiens avec Xavier Prévost cités plus haut (consultables ici)

• Photographie : Guy Le Querrec - Magnum : Chautemps et Solal le 29 avril 1988 à L'Europa Jazz Festival du Mans

 


30.11.24

"LE RÊVE" DÉTAILLÉ PAR OCTAVE MIRBEAU

 
En 1889 (alors qu'il vivait aux Damps - rappelez-vous de ce nom), Octave Mirbeau commentait ainsi (dans son article « Les Peintres primés », in L’Écho de Paris, 23 juillet 1889) "Le rêve" d'Édouard Detaille : " Jusqu'ici nous nous imaginions que les soldats, abrutis de disciplines imbéciles, écrasés de fatigues torturantes, rêvent – quand ils rêvent – à l'époque de leur libération, au jour béni où ils ne sentiront plus le sac leur couper les épaules, ni les grossières et féroces injures des sous-officiers leur emplir l'âme de haine. Nous croyions qu'ils rêvaient à de vagues vengeances contre l'adjudant et le sergent-major, qui les traitent comme des chiens. [...] À voir le petit soldat se promener si triste, si nostalgique, il était permis d'inférer que, après les dures besognes et les douloureuses blessures de la journée, ses rêves de la nuit n'étaient ni de joie, ni de gloire. M. Detaille nous prouva que tels, au contraire, étaient les rêves du soldat français. Il nous apprit, avec un luxe inouï de boutons de guêtres, en une inoubliable évocation de passementeries patriotiques, que le soldat français ne rêve qu'aux gloires du passé, et que, lorsqu'il dort, harassé, malheureux, défilent toujours, dans son sommeil, les splendeurs héroïques de la Grande Armée, Marengo, Austerlitz, Borodino. [...] Il fallut bien s'incliner devant cette œuvre, qu'on eût dite – selon le mot d'un juré – peinte par la Patrie elle-même ".
 
Photographie : Jeanne Bacharach (métro parisien, 29 novembre 2024)





 


15.11.24

L'AUTRE GODARD


Dans le champ de l'invention, il existe bien des angles. La bande dessinée en est un bien vivant exemple. À partir de quelle situation œuvre-t-on ? Pour arriver à la poésie, à l'humour, à la réflexion, au désir ? Ou bien part-on de l'arrivée supposée pour une déambulation de plus ample liberté, plus ample, mais moins voyante - moins appuyée, moins volontaire. Doucement libre. Comme les histoires dessinées par Christian Godard. 
 
René Goscinny incarnait une autre tendance et pourtant il a scénarisé (entre autres premières séries dessinées par Godard) Tromblon et Bottaclou dont se souviennent les lecteurs du premier Pilote et vivement encouragé ce Godard-là à suivre sa voie en solo. Ce sera fait avec Norbert et Kari (toujours dans Pilote). Après la création sans succès de Toupet dans le Journal de Spirou, il file chez Tintin où il réalise Martin Milan, pilote d'un avion-taxi, dont le seul but semble d'être intensément  (c'est-à-dire très simplement) humain. Martin Milan, fumant la pipe, au travers de ses petits envols philosophiques, ne cherche aucune bonne affaire, seulement l'entraide. 
 
Après cette série unique dans le monde de la bande dessinée, il scénarisera de nombreuses histoires (La jungle en folie avec Mic Delinx...). Au milieu des langages affirmés de ses confrères et souvent amis, Goscinny, Will, Mittéï, Franquin, Uderzo ou Greg, Godard évolue comme Martin Milan dans une généreuse solitude. Il vient de nous quitter le 6 novembre.
 
 
 
 
 
 

16.10.24

GUILLAUME SÉGURON CHEZ BORIS VIAN
"LIGHTNING SHADOWS OVER DARK (SOCIAL BANDITS)"


Contrebassiste à l'archet archéologique, Guillaume Séguron scrute les tempos de l'histoire, des petits chemins et leurs éclairages d'avenir. Une histoire du "maintenant", la contrebasse est un instrument de relation forte. Ses échanges de jeunesse avec Jean-François Jenny-Clark aideront à en ouvrir les pistes. Album clé de son parcours, Nouvelles réponses des archives, est une signature de généreuse précision. Avec Catherine Delaunay (compagnie de longue date) et Davu Seru, il a même percé un secret, celui de La double vie de Pétrichor.

Ses chemins passent par ceux de Rémi Charmasson, Louis Sclavis, Anthony Ortega, Stephan Oliva, Raymond Boni, Jacques Di Donato, Alexandra Grimal, Régis Huby, Gerry Hemingway, Mat Maneri, André Jaume, Joe Mc Phee, Daunik Lazro, Jean-Luc Cappozzo, Olivier Benoît, François Corneloup, Edouard Ferlet, Tony Hymas... 

Samedi 19, on pourra le retrouver à Chevilly-Larue dans une suite dédiée aux Bandits Sociaux au sein d'un quartet comprenant aussi Léo Remke-Rochard (rencontré en Corrèze en 2016), Émilie Lesbros (une première), Nathan Hanson et Guillaume Séguron (avec qui il a joué une fois le 10 août 2016 lors d'une inoubliable soirée au magasin Général de Tarnac en compagnie de Donald Washington, Catherine Delaunay, Davu Seru, Brian Roessler, Pascal Van den Heuvel).

• Médiathèque Boris Vian, Chevilly-Larue 17h, le 19 octobre - Entrée Libre comme une réponse

Photo B. Zon : Concert avec Catherine Delaunay et Davu Seru à Tarnac (19 mars 2015)