Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

22.6.25

(ET TOUJOURS) LA SOUPE AU CANARD

 

La soupe au canard (Duck Soup - avec les Marx Brothers, 1933, dirigé - si l'on peut dire - par Leo McCarey). Mussolini fut outré... Le film touchait juste... mais, derrière la farce, l'objurgation contre la fabrique de la guerre toujours pas "entendue"...



14.6.25

ÉVIDENCE

Reconsidérer les évidences, repartir d'elles, profondément.  

• Photo extraite d'une vidéo prise le 9 juin à San Francisco



12.6.25

BRIAN WILSON (BEACHES’ BREW)

 

Un peu étrange d'entendre à la radio "Kokomo" des Beach Boys comme illustration à l'annonce de la mort de Brian Wilson. Ces Beach Boys là n’avaient plus grand chose à voir avec Brian Wilson qui, depuis une bonne vingtaine d'années, avait pris ses distances, ou plutôt sa lumineuse et maladive distance, avec le groupe créé en 1961 avec ses frères Carl et Dennis, leur cousin Mike Love et un copain Al Jardine (cette chanson a été écrite en 1988 par de vieilles gloires californiennes des sixties : Mike Love, Scott McKenzie, John Phillips et Terry Melcher). Dans sa hâte wikipédiesque, la radio nous dit que Brian Wilson et les Beach Boys ont inventé la surf music, genre qui les précédait largement (Dick Dale and the Del-Tones). C'est plutôt lorsqu'il casse la planche de surf que ce Wilson devient Brian (planche où s’imprima l’embarrassante ombre portée de Charles Manson, fan du groupe, copain étouffant de Dennis Wilson). Au fond (comme on dit chez les surfers) Brian Wilson avait laissé tomber les Beach Boys assez rapidement, s'évaporant du groupe, laissant les autres membres partir en tournée alors que lui restait en studio (avec le parolier Tony Asher) pour créer Pet Sounds, album rompant avec l'adolescence célébrée des garçons de plage.

 

Dans Pet Sounds on entend des timbales, des sonnettes de bicyclette, des canettes de soda, du thérémine, des animaux, mais surtout une sorte d'au-delà tourmenté de références évanouies telles Burt Bacharach, Phil Spector ou Les Baxter, et plus encore une recherche obstinée que l'album indique plutôt qu'il ne démontre. C'est cette indication persistante qui fera de Brian Wilson cet étrange et si talentueux farfadet de marges broussailleuses. Les "Good vibrations" se perdront dans les substances qui ne permettront pas ensuite (1967) l'aboutissement de l'ambitieux Smile (avec le parolier Van Dyke Parks) finalement proposé (plutôt que réalisé) en 2004 sous le titre Brian Wilson Presents Smile. Le film de Bill Pohlad Love and Mercy (2014), avec l'excellent Paul Dano dans le rôle de Brian Wilson jeune, montre bien la passion de Brian Wilson en studio concevant Pet Sounds puis Smile. Dans "Pet Sounds" et l'album suivant "Smiley Smile" (à la place de "Smile"), on entendra les Beach Boys chanter (en harmonie), mais bien peu jouer. Ce qui prévaut, c’est plutôt la forte entente entre Brian Wilson et les musiciens dits de studio : la bassiste Carole Kaye, les saxophonistes Plas Johnson, Jack Nimitz et Jim Horn, les batteurs Hal Blaine, Frank Capp et Jim Gordon, le pianiste Al De Lory, les guitaristes Barney Kessel et Al Casey, parmi une cinquantaine de ces sessions players ravis de ce champ d’expérience.

 

Brian Wilson chante les chœurs sur "Adios" de Linda Ronstadt & Aaron Neville (1989) et sur " I Won’t Stay For Long" de David Crosby (2021). Deux titres-signes peut-être au milieu de dix mille autres... En deux jours la Californie a dit "So long" à deux de ses incandescents créateurs ingénument visionnaires : Sly Stone* (le 9 juin) et Brian Wilson (le 11 juin). On écoutera... tentant de trouver quelqu'éclairante indication en nos temps de tragédies plus dramatiques que la mort de célébrités, de l'autre côté des plages californiennes, des plages de Palestine... 

 

Photos : DR

 

* Sly Stone avant hier sur le Glob
 
 
 
 
 

10.6.25

SLY STONE

Il arrive que la musique commente directement ce qu'il est convenu d'appeler "l'actualité". Ainsi l'inoubliable album de Sly & The Family Stone There's a riot goin' on enregistré en 1970 et 1971. Après des années d'étrange cache cache, Sly Stone a définitivement disparu hier, 9 juin 2025, et "There's still a riot goin' on".
 

14.5.25

UN TITRE UN JOUR
30 NOVEMBRE 1965 : "FOUR WOMEN"

 

 
 
UN TITRE UN JOUR
 
Le 30 novembre 1965, Nina Simone enregistre avec son groupe de l'époque (Rudy Stevenson, Lisle Atkinson et Bobby Hamilton) en compagnie du producteur Hal Mooney la chanson "Four Women" - vantée à juste titre (c'est rare) sur la pochette comme "inoubliable". Portraits de quatre femmes afro-américaines, non pas stéréotypes (comme ce put être mal compris à l'époque de la sortie en 1966 sur l'album Wild is the wind), mais somme implacable et accablante d'une histoire passée, présente et à venir « Mon dos est fort, assez fort pour supporter la douleur infligée encore et encore (...) Ma vie a été trop dure, je suis terriblement amère ces jours-ci, parce que mes parents étaient esclaves ». Cette chanson a inspiré des rappeurs comme Talib Kweli (à propos de "Four Women") ou Jay Z ("The Story Of O.J."). Par chez nous, le Denis Colin trio et Gwen Matthews ont repris ce titre dans leur album Songs for Swans (2006), le trio Guillaume Séguron, Catherien Delaunay, Davu Seru en a donné une version instrumentale dans le disque La double vie de Pétrichor (2015) et One Another Orchestra une autre dans l'album éponyme (2024). Ces deux dernières versions sur deux arrangements de Davu Seru avec la clarinette de Catherine Delaunay portant les voix des quatre femmes.
 
Illustrations de couverture (des trois nato) : Daniel Cacouault, Matthias Lehmann et Nathalie Ferlut - Graphisme : Marianne Trintzius
 
 
 

4.5.25

UN TITRE UN JOUR
4 MAI 1970 : "OHIO"

UN TITRE UN JOUR
 
Dans l'album Songs for Swans, Denis Colin Trio Presents Gwen Matthews (nato - hope street 2006), Denis Colin, Didier Petit, Pablo Cueco et la chanteuse Gwen Matthews reprennent la chanson de Neil Young "Ohio". 
 
Le 4 mai 1970, à la Kent State University (Ohio), la garde nationale a tiré sur des étudiants protestant contre la guerre du Vietnam. 60 tirs en 13 secondes : 13 blessés, 4 morts : Allison Krause, Jeffrey Miller, Sandra Scheuer et William Schroeder. Neil Young écrivit immédiatement cette chanson enregistrée de suite par Crosby Stills, Nash & Young. Richard Nixon eut un commentaire abject. 10 jours plus tard au Jackson State College (Mississippi), lors d'une autre manifestation contre la guerre et le racisme, la police tuait deux étudiants noirs : Phillip Lafayette Gibbs et James Earl Green (460 tirs). Pas de chanson, moins de souvenir pour les résistances présentes et futures.
 
Illustration de couverture : Daniel Cacouault - Graphisme : Marianne Trintzius
 
 
 

2.5.25

RÉMI CHARMASSON


Aujourd'hui The wind cries Rémi
 


30.3.25

NO BORDERS IN NORMANDIE
TONY HYMAS & CATHERINE DELAUNAY


"Les temps sont...", "les temps sont...", un fond de souvenirs, s'esquisse une chanson de Léo Ferré et l'on se remémore les obsédantes remarques de Bertolt Brecht sur la position de l'art dans la société en des moments de basculement intense... 

Aussi s'inventorient les pas sur la route comme autant d'ébauches de bornes libres. C'est toute une histoire lorsque demeurent la relation et la conversation comme subsistances essentielles d'une espèce menacée par les sinistres fantasmagories de la concrète âpreté. 

No borders ! Une réponse. La plus humainement simple, la plus autoritairement entravée, piétinée par les mécanismes malfaisants. Nous retiendrons "la plus humainement simple" comme élan, éclairage, perspective. Nous retiendrons No Borders comme simple désir de vie. "L'art aussi doit choisir".

Les 13, 14 et 15 mars, Tony Hymas et Catherine Delaunay étaient en tournée dans deux villes normandes, Caen et Cherbourg. Une petite tournée, mais qui faisait le tour du monde, ce monde aux invitations "humainement simples". 

À Caen le 13 mars, l'invitation vint de l'association Le Tympan. C'est un très beau nom Le Tympan, un nom de tambour et d'architecture (architecture de détails fous se glissant dans l'ordinaire) et d'essentiel auditif, et enfin un épatant lieu de concert : bâtir ce qui a priori n'existe pas, mais qu'on ne saurait soustraire. Un accueil merveilleux.

Depuis l'enregistrement de l'album No Borders à La Fraternelle de Saint-Claude (un autre bon bout du monde), la clarinettiste et le pianiste n'avaient pas joué en duo. Ce soir : "Dom Qui ?" dédié à Armand Gatti,  trois pièces de Jacques Thollot, les très informés "Jusqu’au dernier souffle (quand la terre se soulève)", "Jusqu’au dernier souffle (I can’t breathe)", "Jusqu’au dernier souffle (Un dimanche à Sainte-Soline)", "French streets in April 2023 / Freed from desire", un salut au Comanche Quanah Parker, une évocation éthiopienne, une autre d'Adélie, une apparition du Kraken, une poignante dédicace à Tony Coe, des questions à résoudre ("A severe case of angularity"), une tendresse vers La Fraternelle et une évasion nocturne (blues bien sûr). Exploration sillonnant les dimensions du grand air quand l'amorce poétique se joue des tensions. Tout à coup au Tympan, vue battante sur la vallée de tant de sources, elle est magnifique, on en cerne tous les détails. L'après concert est une fête.

À Cherbourg le 14 mars, l'association Presqu'île Impro Jazz a emprunté le Théâtre des Miroirs. L'histoire se poursuit de toutes ses alluvions. Les sourires font plaisir, décisifs. Les échanges abondent. Questionnement de notre temps aussi. Le soir, pour Tony Hymas et Catherine Delaunay, même programme qu'hier, autre visite, le départ est l'arrivée d'hier. La presqu'île se fait île et la fugue s'intensifie. Au cœur. Audace et enthousiasme ont tous les droits, l'amitié aussi : l'ardeur nourrie des rêves. Dans la salle, tout le monde fait corps. No Borders !

Autour du stand de disques : foule. Ensuite encore, la fête et ses prolongations le lendemain, après que la cloche ait sonné l'Angelus, au conservatoire dans l'échange avec des apprentis musiciens, puis chez un gallois de bonne cuisine. 

À Caen et à Cherbourg, nous avons rencontré des personnes qui ont les clés de possibles à venir. La musique se fait par elles ensemble, elle se fait en résonance, en encouragement. Débordante pour demain.


Merci à Philippe, Valentine, Irène, Denis, Elizabeth, Mélanie, Lionel, Eric, Francine, Nicolas, Michel, Marie-Odile, Philippe, Béatrice, André... et celles et ceux au Tympan, au Théâtre des Miroirs, à la Médiathèque Paul Éluard, au Conservatoire et plus encore, qui ont œuvré à la réussite de ces moments inoubliables.

• Photo : Béatrice Le Marinel (Cherbourg)

 

 



1.3.25

FROM GROUND ZERO

 
À quoi sert le cinéma ? Pourquoi est-il encore là. Oubliez tous les Oscars, Césars et autres stériles faireparts, et allez voir sans plus attendre cette réponse magnifique qu'est le film From ground zero réalisé à l'initiative de Rashid Masharawi. Un film fait de 22 courts métrages de formes diverses (fiction, documentaire, animation) réalisés par différents réalisateurs et réalisatrices en 2024, à l'intérieur de La bande de Gaza. C'est saisissant d'invention, d'humanité, d'intelligence, de vision, de proximité, de beauté tenace...
 
• From Ground Zero : "Selfie" de Reema Mahmoud, "No Signal" de Muhammad Alshareef, "Sorry Cinema"de Ahmad Hassouna, "Flash Back" de Islam Al Zrieai, "Echo"de Mustafa Kallab, "Everything Is Fine" de Nidal Damo, "Soft Skin" de Khamees Masharawi, "The Teacher" de Tamer Najm, "Charm"de Bashar Al-Balbeisi, "A School Day" de Ahmed Al-Danf, "Overburden" de Ala’a Ayob, "Hell’s Heaven" de Kareem Satoum, "24 Hours"de Alaa Damo, "Jad and Natalie" de Aws Al-Banna, "Recycling" de Rabab Khamees, "Taxi Waneesa" de E’temad Weshah, "Offerings"de Mustafa Al-Nabih, "No" de Hana Awad, "Farah and Mirayim" de Wissam Moussa, "Fragments" de Basil Al-Maqousi, "Out of Frame" de Nidaa Abu Hasna, "Awakening" de Mahdi Karirah. 2024
 
 


23.2.25

JAMIE MUIR

Il y eut ce simple désir d'inviter le batteur écossais Jamie Muir à Chantenay-Villedieu. La réponse fut une très longue et très belle lettre expliquant où il en était avec la musique. Déjà, en 1984, en bonne partie, conjuguée au passé. L'après est parfois une millimétrique question d'instants. 

Son nom était lié à The Music Improvisation Company (de 1968 à 1971- album ECM 1970) avec Evan Parker, Derek Bailey, Hugh Davies et Christine Jeffrey, et dans ces rapprochements exaltés, à celui du King Crimson de 1972 où Robert Fripp s'offrit l'intelligent luxe de deux batteurs : « Je me suis dit : bon, Bill [Bruford] est un batteur adorable, mais peut-être un peu trop straight pour certaines choses. Puis j'ai pensé à cet allumé, Jamie Muir, que je venais de rencontrer [suggestion de Richard Williams du Melody Maker], un excellent batteur, mais pas vraiment assez carré pour certaines des choses que j'aimerais qu'il fasse... J'ai soudainement eu l'idée d'utiliser les deux, cela semblait si juste ». Entre The Music Improvisation Company et King Crimson : une grosse année. Ce batteur, qui avait commencé par le trombone dans sa jeunesse écossaise, s'illustre brièvement avec le turbulent Pete Brown (le parolier de Jack Bruce qui avait son propre groupe comptant au fil d'un temps court, John McLaughlin, George Khan et Chris Spedding). Avec Don Weller, Allan Holdsworth et Lyn Dobson, il explore les ferments d'une sorte de jazz rock anglais (disons, différent du rock jazz en cours). Comme d'autres improvisateurs, il est aussi invité par le compositeur de musique électronique Laurie Scott Baker. Même si marquante, brève aussi fut l'aventure avec King Crimson, où s'il fut sans doute le musicien le plus provoquant, le plus volcanique, repoussant les limites du groupe, il ne resta que quelques mois. Il disparut sans explication (ce qu'il regretta plus tard) après la sortie de l'album Larks’ Tongues In Aspic (Muir eut l'idée du titre "Langues d'alouettes en gelée") tournant le dos à une imminente tournée. « Certaines expériences sur une période d'environ six mois m'ont fait décider d'abandonner la musique ».

La musique n'offrait sans doute pas les réponses escomptées, il partit se retirer dans un monastère bouddhiste en Écosse. Mais, retour à Londres, revint la tenace free music. Pour Jamie Muir, l'improvisation devait être seulement vivante et jamais intellectualisée. Moment tenace mais fugace, en cet espace 1980 - 1983. Magnifiques éclairs avec Derek Bailey, Evan Parker, Paul Rogers, Alterations... L'improvisation n'apporte pas toutes les réponses ou les apporte-t-elle trop vite ? En 1983, il enregistre avec David Cunningham et Mike Giles (autre batteur de King Crimson) la musique du film Ghost Dance du réalisateur Ken McMullen (avec Leonie Mellinger, Pascale Ogier, Robbie Coltrane et Jacques Derrida). La dance music l'intéresse (il l'expérimente chez lui en multipistes, mais est bien trop méfiant de l'industrie musicale pour persévérer). Ghost ou Dance : le tourbillonnaire revenant délaisse la musique et finalement choisit le retrait et la peinture. Le temps court. Le 17 février 2025, Jamie Muir disparaît sans possible revenir. 

De cet inconnu si connu restent (ici) les mots d'une lettre et (ici et ailleurs) surtout une dizaine d'albums discographiques. 

Photo DR

 

 
 

14.2.25

HOWARD RILEY IN ATLANTIC CITY


Dans le film Atlantic City de Louis Malle (1980), il y a un beau passage musical qu'on identifie facilement en prêtant l'oreille (qu'il ne faut jamais vendre) comme étant ce qu'on nommait à l'époque "Free music". Il semble fort évident que cette partie échappe au compositeur affiché : Michel Legrand. Elle est jouée par une ensemble épatant avec Tony Coe et Evan Parker (anches), Barry Guy (contrebasse), Paul Lytton (batterie) et Roger Kellaway et Howard Riley (claviers). Howard Riley (disparu le 8 février 2025), qui fut un artisan infaillible de la nouvelle musique anglaise avec les gens précités, mais aussi avec Barbara Thompson ou Lol Coxhill ou encore, de façon plus surprenante peut-être, en un duo avec le pianiste américain Jaki Byard.

 

 

2.2.25

DEUX ANGLAISES ET LE CONTINENT :
DELIA MORRIS ET MARIANNE FAITHFULL


 
« Des mots venus de l'autre côté de la rive »
Léo Ferré (Le Chien)

« Elle aimait l’échange ; très attentive, elle écoutait beaucoup. Tellement chaleureuse et toujours partante pour aller découvrir, regarder, entendre des artistes connus ou inconnus. Avant "d’analyser" le concert, elle faisait part avant tout de l’émotion qu’elle percevait chez les musiciens et qu’elle ressentait. » Françoise Bastianelli, co-fondatrice avec Claude Tchamitchian et Marc Thouvenot des disques Émouvance, évoque son amie Delia Morris, qui nous a quittés le 29 janvier de cette année. Les productrices et producteurs phonographiques distribués par Harmonia Mundi (Daniel Lelong puis Alain Raemackers, responsables du jazz), entre la moitié des années 80 et l'aube du XXe siècle, ont connu cette anglaise née à Stafford, titulaire d'une maîtrise de Français, une autre d'Allemand, et une troisième de la School of Oriental & African Studies de Londres, venue s'installer dans le Sud de la France en 1983. Et s'immerger en Arles dans les musiques des collections de Bernard Coutaz. Cohérence.

La musique l'amène à la traduction et l'on sait tout le sens que cela prend de traverser la rivière des langues. Pour des albums discographiques du Quatuor Ysaÿe, d'André Jaume, de Michel Portal, François Raulin, Raymond Boni, Charlie Haden, Jimmy Giuffre, Joe McPhee, Steve Kuhn, Jean-Marc Montera, du Concerto Soave & Maria Cristina Kiehr, de l'Ensemble Venance Fortunat, Claudia Solal, de l'Ensemble Al-Kindî, d'Angelo Debarre, de John Greaves, Biréli Lagrène, Raymond Boni, Claude Tchamitchian, Araik Bartikian, Christophe Monniot, Guillaume Séguron, Bill Carrothers, de l'Ensemble Al-Umayri, d'Ikewan, de Stephan Oliva, Fred Frith, Jean-Pierre Drouet, Louis Sclavis, Tony Hymas, Tony Coe, Anouar Brahem, Sylvie Courvoisier..., parus sur les étiquettes Émouvance, CELP, Ajmi, Harmonia Mundi, Owl, FMP, Hat Hut, Le chant du Monde, FMP, L'Empreinte Digitale, Sketch, Institut Du Monde Arabe, Safar, (Illusions), In Situ, nato, Seventh, ECM, Intakt..., elle traduira des textes signés Christian Tarting, Jean-Paul Ricard, Alain Raemackers, Patrick Williams, Philippe Carles, Francis Marmande, Gérard Rouy, Michel Contat, Stéphane Ollivier, Olivier Cullin, Anne Montaron, Thomas Compère-Morel, Habib Yammine, Steve Shehan, Talia Mouracadé, Luce Carnelli, Manuel Jover... 

Lorsque dans une interview, Bob Dylan confie combien Rimbaud a eu d'influence sur son écriture et l'on sait qu'il ne parle pas français, on réalise l'importance des traducteurs, de leur gigantesque responsabilité de passage. L'horizon. La perception offerte en sa sensible précision. L'autre cœur. Françoise Bastianelli poursuit : « De la rigueur, une grande compétence et cette élégance dans son travail de traduction toujours très littéraire. Delia cherchait, questionnait beaucoup le texte à traduire, le corrigeait encore et encore, se remettait en cause… pour ne pas trahir le sens, et ne pas trahir l’artiste qu’il soit poète ou musicien. Mais sa grande passion, c’était la poésie qu’elle a beaucoup traduite.»
 
Son nouveau siècle sera celui d'une intensité traductrice avec des œuvres de Rosalind Brackenbury, André Ughetto, Sam Hamill, Bill Collins, Yusef Komunyakaa, Jane Hirshfiled, Joël-Claude Meffre, Christian Tarting (qui tenait tant à être traduit par elle)... En musique dans le texte. Dans les livrets des disques, mais aussi lorsqu'elle se joint à l'équipe de l'organisation du festival de La Tour d'Aigues avec Jean-Paul Ricard, Anne-Marie Parein et Bernard Coron. Elle retrouve aussi l'enseignement à l'invitation de Christian Tarting. « Et sa discrétion toujours » conclut temporairement, émue, Françoise Bastianelli. Pilier discrètement essentiel aux élans musicaux, à l'idée poétique qui seule peut encore sauver.

Le lendemain, 30 janvier, autre coup dur pour la poésie. Une des Voix d'Itxassou, la chanteuse Marianne Faithfull, s'éteint.

Marianne Faithfull, c'était sans doute un souvenir sixties un peu Dim Dam Dom, avec couvertures de Mademoiselle Âge Tendre, photographies, beaucoup de photographies (Marianne Faithfull a été très photographiée), évidemment d'infinies histoires de Rolling Stones, une apparition a cappella en 1966 dans le bar de l'hôtel de Made in Usa de Jean-Luc Godard ou une autre, la même année, chantant « Hier ou demain » dans la comédie musicale Anna de Pierre Koralnik (Anna Karina dans les deux films). Ah oui : "As tears go by", cette cloisonnante chanson trop définitive. Oh ! Marianne Faithfull chanta "Downtown" écrite par Tony Hatch pour Petula Clark, autre anglaise continentale dont Miss Faithfull était le contraire complément. Surtout (en tous les cas pour nous), à la fin de rauques seventies, Marianne Faithfull avait enregistré cet album au titre magnifique, Broken English, qu'on disait inspiré en partie par Ulrike Meinhof. Au-delà, il parlait à tous les désillusionnés mis à bas par les tenants du dictionnaire des notices réglementaires. On y (re)trouvait une force non dictée, du rêve aussi (ce qui est un peu de même essence). Une après-midi, au Nouveau-Mexique, John Trudell avait très bien parlé de ce disque, de sa réalité. 
 
Pour les Voix d'Itxassou (qui n'avaient pas encore de titre avant les mots de Francis Marmande pour l'ouverture du "Temps des cerises") et la chanson "Wieder Im Gefängnis", son nom fut immédiatement évoqué. Comme une flagrance brechtienne, un souvenir de Tchekov. Coup de fil immédiat, Marianne Faithfull est d'abord intéressée par ce chant du Goulag et la mention du nom de l'auteur du disque, Tony Coe, génère un immédiat « Wonderful ! Of course. » Rendez-vous fut pris deux semaines plus tard au Lansdowne Studio à Londres. Simple et merveilleux. Après la séance, moment partagé entre tous au pub voisin du studio, où les oreilles de Margaret Thatcher durent siffler. Marianne Faithfull devenait, avec Maggie Bell, François Fabian, Ali Farka Touré, Jose Menese, Aura Msimang-Lewis, Violeta Ferrer, Beñat Achiary, Abed Azrié, Marie Atger, Liria Begeja, Jean-Claude Adelin, Sandrine Kljajic, une des Voix d'Itxassou, terre d'humanité née de l'imagination, la simple imagination de vivre encore l'éclair humain.
 
Delia s'établit en terre continentale et Marianne y alla et vint, pour vivre chacune leurs généreuses Acquaintances


• Photographies : Anne-Lise Thomasson (Delia) - Dr Live (Marianne 1989)