Salut les ours !
Salut les chats !
Salut les bisons !
Salut les oiseaux !
Salut les tortues !
Salut les baleines !
Salut les pingouins !
Doucement les castors !
Février 1990, scène de la Maison de la Culture de Bobigny, festival
Banlieues Bleues, le poète shawnee Barney Bush dit son poème « Left for
Dead (prisoners of the American Dream) ». Il est là, à l’invitation du
musicien Tony Hymas. Une première visite française pour ce militant des
droits indiens, auteur de Inherit the blood, à l’occasion de la préfiguration de l’album Oyaté. « Left for Dead », laissés pour mort. Les mots résonnent fort. Barney Bush et Tony Hymas enregistreront ensuite ce titre et le joueront sur scène à chacun de
leurs concerts. Un groupe réuni autour d’eux (Edmond Tate Nevaquaya,
Evan Parker, Merle Tendoy, Jean-François Pauvros, Geraldine Barney,
Jonathan Kane ou Mark Sanders) prendra même ce nom de Left for Dead pour
des concerts en France, Allemagne, Hollande, Italie ou États-Unis.
« C’est vrai nous les Indiens faisons partie du rêve américain»*
« Left for Dead » est dédié à Leonard Peltier et Barney Bush le
rappellera à chaque fois. Une dédicace vive puisqu’en 1990, Leonard
Peltier, amérindien anishinaabe - lakota, était déjà considéré comme un
des plus vieux prisonniers politiques du monde.
« Nous sommes des témoins muets qui parlent comme des miroirs »*
On ne reviendra pas en détail ici sur les événements qui prennent source
le 26 juin 1975, à Oglala, dans la réserve lakota de Pine Ridge, alors
sous haute tension depuis l’occupation de Wounded Knee en 1973 et ses
conséquences répressives, lors d’une fusillade où deux agents du FBI
furent tués. Leonard Peltier (31 ans, membre de l’American Indian
Movement depuis 1972, mouvement né à Minneapolis en 1968 et
représentatif du renouveau indien en Amérique du Nord) et deux de ses
camarades furent poursuivis. Lui passa au Canada, eux furent arrêtés,
jugés et acquittés. Réfugié en Alberta, Peltier fut arrêté par la police
montée, extradé aux USA, puis condamné à Fargo, au terme d’un procès à
charge avec, entre autres, irrégularités, faux témoignages ou
manipulation et intimidation de témoins, et refus fait à ses avocats de
présenter leurs témoins. Cette affaire est très bien relatée et
documentée dans le livre de Peter Matthiessen In the Spirit of Crazy Horse (1983), ainsi que dans de nombreux écrits ou dans l’excellent documentaire de Michael Apted Incident à Oglala (1992, disponible en DVD).
« Amérique tes prisons regorgent d'âmes indigènes parce que notre nombre compte peu »*
Dès lors se sont constitués, partout dans le monde, des comités de
soutien « Free Leonard Peltier », les avocats ont travaillé sans relâche
à une révision du procès avec un lot d’évidences qu’on leur a toujours
refusé d’exposer. Les manifestations, à Paris comme ailleurs, devant les
ambassades des États-Unis étaient régulières et la liste des
personnalités ayant intercédé en faveur de la libération de Leonard
Peltier, sinon de la révision de son procès, est impressionnante
d’hétéroclisme : Nelson Mandela, Jesse Jackson, Rigoberta Menchu,
Desmond Tutu, Robert Redford, Shirin Ebadi, Vivienne Westwood, Kris
Kristofferson, Danièle Mitterrand, Rage Against the Machine, Pete
Seeger, Carlos Santana, Harry Belafonte, le Dalai Lama, le pape
François, Mère Teresa, Gloria Steinem, entre 1000 autres ainsi que des
organisations telles le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits
de l'homme, Amnesty International, les parlements belges et européens,
la National Lawyers Guild, etc., etc. Rien n’y fit.
« Il y a toujours plus toujours une autre version que l’Amérique n’entendra pas »*
Le président Bill Clinton se préparait à le gracier. Aussitôt, une
manifestation de 500 agents du FBI devant la Maison Blanche contrecarra
cette promesse. Le monde contre 500 flics. Celui qui fut le procureur
lors de l’affaire, James H. Reynolds, fut pris de remords et supplia
Barack Obama de libérer Leonard Peltier, alors en très mauvaise santé.
Même cela n’y fit rien. Alors que le mouvement « Free Leonard Peltier »
ne cessa pas, que continuèrent les manifestations devant la Maison
Blanche avec un succès très différent de celle de quelques instants des
500 agents, le même procureur James H. Reynolds écrivit à Joe Biden en
2022 : « J’écris aujourd’hui d’une position rare pour un ancien
procureur : je vous supplie de commuer la peine d’un homme que j’ai
contribué à mettre derrière les barreaux. Avec le temps, et le bénéfice
du recul, je me suis rendu compte que les poursuites et l’incarcération
continue de Mr Peltier étaient et sont injustes. Nous n’avons pas été en
mesure de prouver que Mr Peltier avait personnellement commis un
quelconque délit sur la réserve de Pine Ridge. Je vous demande
instamment de tracer une voie différente dans l’histoire des relations
du gouvernement avec ses Indiens en faisant preuve de clémence plutôt
que de continuer à faire preuve d’indifférence. Je vous demande
instamment de faire un pas vers la guérison d’une blessure que j’ai
contribué à créer ». Les démarches n’auront de cesse contre celles,
puissantes, qui urgeaient le président Biden de ne pas céder. Et puis…
Le 20 janvier 2025, quelques heures avant la monstrueuse parade de la
nouvelle investiture, un communiqué de la Maison Blanche annonçait : « Le
Président commue la peine d'emprisonnement à perpétuité prononcée à
l'encontre de Leonard Peltier afin qu'il purge le reste de sa peine à
domicile. Il est aujourd'hui âgé de 80 ans, souffre de graves problèmes
de santé et a passé la majeure partie de sa vie (près d'un demi-siècle)
en prison. Cette commutation permettra à M. Peltier de passer le reste
de sa peine en détention à domicile, mais ne le graciera pas pour ses
crimes. »
« Le sinistre fardeau que les coloniaux ne peuvent justifier par la vérité »*
Sans grâce, donc, Leonard Peltier retrouve cette semi-liberté parce
qu’en très mauvaise santé, lot commun d’un peuple confiné sur sa propre
terre. Sans grâce, sans classe, si tardivement, et avec ce sentiment
d’un épouvantable gâchis, cette clémence embarrassée est pourtant la
seule lueur de cette journée du 20 janvier 2025, où ce que l’on appelle
les médias ne surent regarder autre chose que l’infecte bouffonnerie des
nouveaux maîtres du monde.
« Et notre place dans le rêve américain perdure comme ce passé que tu croyais avoir enterré »*
La presse et la radio française mirent quelques jours à timidement
commenter l’événement. Ainsi le 23 janvier, sur France Inter, on pouvait
entendre en ouverture d’une séquence d’information de trois minutes : «
Avant de quitter la Maison Blanche, Joe Biden a gracié et commué les
peines d’une multitude de condamnés. Parmi eux, un certain Leonard
Peltier, inconnu chez nous mais aux États-Unis, c’est une icône. Après
presque 50 ans de prison, il sort et c’est tout un symbole. ».
L’Indien, inconnu ou fantasmé (l’icône) n’a pas d’existence hors d’un
imaginaire façonné par le rêve américain. Cette ignorance, ce refus de
considérer l’histoire en profondeur nous a conduits à ce sentiment
d’effondrement au corps insoutenable de nos jours frêlement vivants. Non
Leonard Peltier n’était pas inconnu en France où nombreuses furent les
mobilisations pour sa défense (saluons ici l’association Nitassinan), où
les anciens ouvriers de l’usine Lip se souviennent qu’une délégation de
l’American Indian Mouvement était venue soutenir leur combat (les
ouvriers horlogers avaient alors fabriqué une montre à l’heure
indienne). Et non, Leonard Peltier n’est pas une icône, comme Missak
Manouchian ou Olga Bancich ne sont pas des icônes, Leonard Peltier est
un résistant.
Dans un monde sonné par les outrances fascizoïdes, dans le débat
ridicule où l’on se cherche des justifications pour perpétuer la
communication sous X, la semi-libération de Leonard Peltier est celle
d’un peuple occupé. Une porte entrebâillée qui peut être aussi la nôtre,
contre l'écrasante mascarade, si nous le voulons. Celle à partir de
laquelle nous pouvons encore réellement rêver... ailleurs que dans
l’horrible sieste promise.
« NOT IN AMERICA! »*
* Extraits de « Left for Dead » (traduction Francis Falceto)
Tony Hymas - Barney Bush, Left for Dead (nato - 1994)
Quelques minutes avant de céder son siège de président à Donald Trump, Joe Biden a décidé de commuer la peine d'emprisonnement à perpétuité prononcée contre Leonard Peltier en détention à domicile. Demi-mesure sans classe (quart-mesure in extremis) mieux que rien évidemment - étrange sentiment - en ce jour funeste. L'annonce résume : "Il a aujourd’hui 80 ans, souffre de graves problèmes de santé et a passé la majeure partie de sa vie (près d’un demi-siècle) en prison. Cette commutation permettra à M. Peltier de passer le reste de ses jours en détention à domicile, mais ne lui pardonnera pas ses crimes". Nous avons tellement crié "Free Peltier" depuis si longtemps !!!
Avec internet, on obtient toutes sortes d'informations inconnues sans se fatiguer l'intelligence. "De siestes trop longues, on ne se réveille pas" avait dit un penseur grec d'un temps si ancien...
Quelle musique faire dans le rébus d'un monde désaxé ? Hier soir 22 décembre, Les Temps du Corps - Atelier Tampon Nomade proposaient un étonnant groupe qui apportait une réponse si plausible qu'elle adressait de substantiels contrecoups. Le quatuor (car il s'agissait plus d'un quatuor que d'un quartet) Jean-François Pauvros (guitare), Sylvain Kassap (clarinette contrebasse), François Ricau (guitare) et Michel Bellorini (guitare) a offert (et ce particulièrement lors d'une somptueuse première suite) un moment où s'est, sardanapalesquement, déployé le cœur révolté de nos reviviscences.
Ce matin, vendredi 13 décembre 2024 à 7 heures, la journaliste de France Inter annonce parmi les titres du jour : la mort de Martial Soral. Ouf ! On a eu peur qu'il s'agisse de son paronyme pianiste Martial Solal. Et puis quelques minutes plus tard, un autre journaliste fait un (très) rapide portrait de Martial Solal. Ah oui c'est de la musique ! Ce type d'erreur ne doit pas être grave, un peu comme quand, sur la même chaîne était annoncée la disparition du chanteur Beck au moment de la mort de l'homonyme guitariste Jeff.
Le décès d'Irène Schweizer, le 16 juillet de cette année, rappela d'une force très intime un concert du 14 juin 1980 à Chantenay-Villedieu qui n'avait pas quitté nos mémoires heureuses d'une délicieuse et complémentaire différence que l'on rêvait en nature grandissante. Concert évoqué la nuit du 11 au 12 décembre dernier sur les ondes de France Musique, lors de l'hommage à Irène Schweizer lors de la nuit de l'improvisation produite par Anne Montaron. Soirée chantenaysienne double solo de piano : Martial Solal et Irène Schweizer. Ils avaient tiré à pile ou face l'ordre des passages sur proposition de Martial Solal. Le pianiste joua en premier et fut très attentif spectateur de la seconde partie de la pianiste. Tout était très amical, de sourires, de belle entente, sans rôle à jouer.
Martial Solal était une sorte d'énigme, loin du courant free et d'une insolente liberté. Beaucoup d'encre et de débats radiophoniques à son sujet. Alain Gerber aimait Milford Graves et Martial Solal. Nous aussi. On avait largement apprécié Sans Tambour Ni Trompette (RCA), son disque en trio avec Jean-François Jenny-Clark et Gilbert Rovère, ses solos Ah non (RCA) et Himself (PDU), le duo avec Hampton Hawes Key For Two (Byg), les Piano Conclave de George Gruntz (Atlantic, Mps) ou leur - en quelque sorte - raccourci dans le duo avec Joachim Kühn Duo in Paris (Musica), le duo avec Niels Henning Ørsted-Pedersen Movability (Mps) (Quel plaisir de les avoir vus ensemble aussi). Et puis les multiples albums et concerts avec Lee Konitz : Satori (Milestone), Jazz à Juan (Steeple Chase) JAZZ À JUAN !!! Ah oui alors !, le duo Konitz-Solal Duplicity (Horo - combien de trésors enfouis sur cette étiquette). L'association Konitz Solal, sorte de félicité eurythmique se poursuivra sur scène comme sur plusieurs albums dont quelques-uns en duo.
Les uns le taxaient de froideur, les autres lui en voulaient d'avoir manqué Coltrane ou, pire, de ses horrifiants commentaires acerbes sur le free jazz (sur lesquels il est en partie revenu)... qu'est-ce que ça pouvait bien faire (disons que ça faisait mais qu'on n'en restait pas là). Si la musique n'était que question de températures ou de qui aime qui... ce n'était pas ce qui guidait certains et certaines d'entre nous pour aller écouter un jour Derek Bailey et le lendemain Martial Solal, lesquels ne jouèrent jamais en duo mais tous deux jouèrent avec Michel Portal (ils enregistreront plus tard deux disques en duo chez Erato et BMG-RCA). Ces sortes d'arithmétiques rêveuses ont leurs petits pouvoirs. Et "Twist à Saint Tropez" co-composé avec Guy Lafitte ne peut être taxé de froideur.
Solal était aussi l'artisan de la rencontre de son trio avec Sidney Bechet en 1957 pour un fameux album chez Vogue (les disques) diversement apprécié. Enregistrement avec Kenny Clarke (qui avait joué avec Bechet avant d'inventer la batterie bop) et Pierre Michelot pour une face, l'autre avec le bassiste Lloyd Thompson et le batteur Al Levitt. Au même moment, Solal et Bechet ne jouent pas la même musique, mais des histoires parallèles se déroulant dans des temps différents. Fascinant ! Comme la température, l'osmose n'est pas tout, il existe toutes sortes de liens qui sont autant d'indépendances affirmées capables d'exister ensemble. Ce genre d'idée nous plaira tant qu'elle sera recherchée et provoquera immédiatement pour certains et certaines, par exemple, l'adhésion à un nouveau courant de musique improvisée anglaise ouvert avec le groupe Alterations (qui dérangera une free music déjà sacralisée avec ses codes).
Forte de cet héritage, la fille de Martial Solal, Claudia Solal prendra en chantant d'autres libres chemins de liberté. Un concert à l’Opéra de Lyon le 14 octobre 2016 les réunira (avec le batteur Bernard Lubat, et le contrebassiste Mads Vinding).
Bon ! Il est d'autres appréciables compagnonnages et amitiés avec Guy Pedersen, Daniel Humair, Charles Bellonzi, Stéphane Grappelli, André Hodeir, Lucky Thompson (oui, oui Godard - Melville - À bout de souffle)... L'histoire de Martial Solal, on ne la fera pas ici tant il est de gens tellement plus compétents pour la raconter, la détailler, l'interpréter. On se contentera de mentionner les entretiens avec Xavier Prévost des 3, 4 & 5 décembre 2003 réalisés par Cati Couteau pour « Musiques mémoires » (Entretiens patrimoniaux - INA) publiés en livre + DVD (éditions Michel de Maule) sous le titre Martial Solal, compositeur de l’instant et consultables en leur intégralité sur le site de l'INA. Tout y est.
Tout de même pour finir : un autre souvenir, celui de l' irrévérencieuse complicité du duo Martial Solal - Jean-Louis Chautemps. Longue pratique commune, mais duo trop rare. Solal estimait que du free jazz, "Chautemps avait le droit de le faire" et qu' "avec Chautemps, c'est sûr qu'il y a des moments, comme il est, il peut être tellement exubérant, triste ou gai, ou comique, enfin, il peut être tout..."* ce qui s'apprécie particulièrement lors d'un concert inoubliable du 29 décembre 1980 au Studio 106 de la Maison de la Radio qui se concluait par "You Stepped out of a dream".
* extraits des entretiens avec Xavier Prévost cités plus haut (consultables ici)
• Photographie : Guy Le Querrec - Magnum : Chautemps et Solal le 29 avril 1988 à L'Europa Jazz Festival du Mans
Contrebassiste à l'archet archéologique, Guillaume Séguron scrute les tempos de l'histoire, des petits chemins et leurs éclairages d'avenir. Une histoire du "maintenant", la contrebasse est un instrument de relation forte. Ses échanges de jeunesse avec Jean-François Jenny-Clark aideront à en ouvrir les pistes. Album clé de son parcours, Nouvelles réponses des archives, est une signature de généreuse précision. Avec Catherine Delaunay (compagnie de longue date) et Davu Seru, il a même percé un secret, celui de La double vie de Pétrichor.
Ses chemins passent par ceux de Rémi Charmasson, Louis Sclavis, Anthony Ortega, Stephan Oliva, Raymond Boni, Jacques Di Donato, Alexandra Grimal, Régis Huby, Gerry Hemingway, Mat Maneri, André Jaume, Joe Mc Phee, Daunik Lazro, Jean-Luc Cappozzo, Olivier Benoît, François Corneloup, Edouard Ferlet, Tony Hymas...
Samedi 19, on pourra le retrouver à Chevilly-Larue dans une suite dédiée aux Bandits Sociaux au sein d'un quartet comprenant aussi Léo Remke-Rochard (rencontré en Corrèze en 2016), Émilie Lesbros (une première), Nathan Hanson et Guillaume Séguron (avec qui il a joué une fois le 10 août 2016 lors d'une inoubliable soirée au magasin Général de Tarnac en compagnie de Donald Washington, Catherine Delaunay, Davu Seru, Brian Roessler, Pascal Van den Heuvel). .
• Médiathèque Boris Vian, Chevilly-Larue 17h, le 19 octobre - Entrée Libre comme une réponse
Photo B. Zon : Concert avec Catherine Delaunay et Davu Seru à Tarnac (19 mars 2015)