Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

29.7.12

LOL COXHILL À PROPOS DE SIDNEY BECHET (ET CHARLIE PARKER)
IN JAZZ ENSUITE 1984


Vol pour Sidney

par Lol Coxhill

Durant mes années scolaires, vers 13, 14 ans, un des profs jouait ce qu’il nommait « le choix des élèves » : 40 minutes chaque semaine de nos disques préférés. A cette époque-là, ma propre connaissance de la musique était assez limitée et je ne demandais qu’à entendre du Bing Crosby, Glenn Miller, The Andrew Sisters, The Ink Spots, The Mills Brothers et Hoagy Carmichael. Maintenant, j’ai assez peu d’intérêt pour ces premiers musiciens et chanteurs mais j’ai conservé une passion pour le chant, la technique et les compositions assez étonnantes de Carmichael.

J’avais entendu un enregistrement de Charlie Parker, Dizzy Gillespie et Sarah Vaughan de « Lover Man » que je trouvais étrangement fascinant. Mais ce n’est qu’à la fin de mes études secondaires que j’ai entendu (pour la première fois) le 45 tours original de Charlie Parker « Cool Blues » diffusé en Angleterre par le label Esquire (basé à Londres). Je me suis passionné pour cette musique peu familière à tel point que j’ai commencé immédiatement à chercher ces disques, y compris des importations par contrebande, des articles, des photographies, n’importe quoi sur Parker, Gillespie et leurs collègues.

Par la suite, j’ai commencé à me considérer très bien informé en ce qui concerne la musique et le style personnel de ces musiciens d’élites et je déclarais à mes amis non sans fierté que j’étais un « Bopper ». Pour être complètement dans le ton, j’ai changé ma façon de m’habiller afin d’imiter les costumes « American Drape » portés par mes nouveaux héros.

En assumant ce nouveau rôle, je traitais mes amis indifférents soit de « figues moisies » - un terme désobligeant pour les amateurs du New Orleans Jazz dans sa forme révisée et souvent plus fade - soit de « vieux jeu » (square) dans le cas de ceux qui n’exprimaient aucun intérêt ni pour la musique de Parker ni même pour les formes plus anciennes du jazz.

Heureusement, une des « figues moisies » qui comptait parmi mes amis m’a initié aux disques de Bechet. Malgré mon refus quasi-total et (je croyais !) obligatoire du jazz d’avant-guerre, j’ai été tout de suite attiré par son interprétation au saxophone. Actuellement, je trouve son jeu de clarinette également intéressant mais à cette époque je ne connaissais pas de musiciens contemporains qui avaient développé une identité à la clarinette comparable à celle de l’école du « Be-Bop ». Par conséquent, je considérais cet instrument indigne de moi.

Au début, je trouvais le vibrato très prononcé de Bechet trop extrême pour mon goût puisque et je préférais le son plus serré et le rythme moins marqué de Parker et ses associés. Cependant, Bechet a toujours affirmé cette façon de souffler dans le saxophone pour tous les disques qu’il a jamais enregistrés et c’est une des caractéristiques les plus aimées de sa musique. Rapidement, j’en suis venu à apprécier cet aspect de Bechet d’autant que j’admirais l’énorme puissance, la prestance et l’originalité de son œuvre. Malgré cela, j’ai acheté mon premier saxophone bon marché dans l’espoir de pouvoir finalement jouer comme Charlie Parker. Je n’avais aucune envie d’imiter Bechet. Mon ambition, jamais atteinte, quand j’étais dans la Royal Air Force, m’a amené à me disputer avec un des membres de l’orchestre de la RAF qui soutenait qu’il n’y avait qu’une seule vraie façon de jouer du saxophone. « Il faut imiter Bechet ». Je n’ai jamais pu le convaincre de  la contribution musicale capitale  de Parker et de son approche innovatrice. Quand je relis mon précédent article pour Jazz Ensuite « Le saxophone romantique », je me rends compte que je risque de décrire mes impressions sur Bechet de telle façon qu’on puisse croire qu’il fait partie de ces musiciens particuliers. Certes, la musique de Bechet contient un élément de romantisme et une grande passion, mais pour moi sa musique est plus aiguisée et exprime une telle urgence qu’on a toujours le sentiment, même avec ses disques les plus familiers, de l’écouter pour la première fois.

Je n’ai jamais rencontré un joueur de soprano qui n’ait pas été impressionné par la façon qu’avait Bechet d’aborder son instrument.

John Coltrane, Steve Lacy, Evan Parker et d’autres sopranos liés au jazz ont développé des identités complètement différentes de celle de Bechet et ces musiciens ont eu une telle influence que, depuis les années soixante, relativement peu de jeunes musiciens se tournent vers Bechet pour leur inspiration. Cela n’indique pas un manque d’appréciation de la part des innovateurs de soprano mentionnés dont certains, y compris Coltrane et Shepp, ont enregistré des compositions en hommage à celui qui fut le chef de file de cet instrument. Bechet a été considéré par Albert Ayler comme un des personnages dont la musique manifestait une grande force spirituelle et incarnait l’essence même du jazz.

Il y a beaucoup de très bons exemples de l’œuvre de Bechet sur disque. Les morceaux que je cite sont ceux que je connais depuis plusieurs années et je les apprécie en tant qu’amateur aussi bien qu’ « en tant que joueur de soprano».

« Blue in Third » par le Earl Hines Trio, Bechet à la clarinette avec Baby Dodds, enregistré en 1940, est un classique de jazz arrangé et improvisé pour petit orchestre. Au premier chorus, Bechet fait son entrée proche de la mélodie, puis il change de « sensation », de façon plus lente et plus soutenu pour les chorus suivants, ensuite le piano soutient la mélodie et Bechet improvise les dernières parties. Sur deux enregistrement de « Winin’ Boy » par Jelly Roll Morton et les New Orleans Jazzmen (1935), on est frappé par la très belle interprétation de Bechet. Les enregistrements faits par « The Red Onion Jazz Babies » en 1924 avec Louis Armstrong à la trompette et Bechet au soprano témoignent des débuts de son style fondamental. Bien que celui-ci continuera à se développer et à mûrir, il n’a radicalement pas changé tout au long de sa carrière. Même si j’aime ces morceaux, je préfère les enregistrements des années quarante où Bechet montre plus de capacités à élargir ses solos.

Dans une version de « Summertime » diffusée par la radio de New York en 1948 avec accompagnement de piano, basse et batterie, les variations de Bechet au saxophone sont ingénieuses et uniques, tout à fait différentes des autres versions que j’ai entendues de cette chanson. Malgré un manque personnel d’intérêt pour cette mélodie, j’aime beaucoup ce disque.

Les disques sortis sur le label « Vogue » en 1957 unissant Bechet avec le très « moderne» Martial Solal au piano (avec basse et batterie), démontrent la façon dont Bechet développait un solo, dans ce cas au soprano, tout en gardant un lien puissant avec chaque mélodie initiale. Pierre Michelot, Kenny Clarke, Al Levitt et Lloyd Thompson jouent plus ou moins à leurs manières habituelles, bien que les parties de basse et de batterie soient assez cantonnées pour ces morceaux. En dépit des différences entre le style de Solal et celui de Bechet, les rapports sont bons. La « section rythmique » soutient le reste si bien que Bechet, bien que jouant merveilleusement, aurait même pu jouer avec plus de liberté. J’aime tout particulièrement l’ouverture d’un des morceaux où les improvisations de la batterie et du saxophone suggèrent « I Can’t Give You Anything but Love » pour devenir  ensuite « Wrap your Troubles in Dreams ».

Charlie Parker, Kenny Dorham et de nombreux joueurs de be-bop ont fait un enregistrement à la Salle Pleyel en 1949 avec Bechet où il joue un puissant solo suivi d’un chorus dans lequel il soutient des notes aiguës au-dessus des riffs de l’ensemble avec une force et une précision instantanément reconnaissables.

Ces quelques exemples de l’œuvre de Bechet ne présentent pas un tableau complet de toute sa superbe musique. Il y en a beaucoup d’autres, aussi bien, sinon mieux. Un jour, j’espère tous les saisir !

Lol Coxhill
(Jazz Ensuite été 1984)

24.7.12

LOL COXHILL (IMPRESSIONS)

Lol was doing things that sometimes were happily seen as eccentric but in fact were a manifestation of an incredible courage, a deep way to increase the power of life, to indicate a possible and strong independence of the mind, never far from the one of the body – Lol was also a great dancer. Lol was one of those creative beings, one of those major musicians, improving humanity and relations, showing us always a real way not only for free music, but for freedom, generosity and autonomy.
Thank you !

Jean (July 23)

Dessin : Cattanéo (Journal des Allumés du Jazz n°28)

14.7.12

TABLE RONDE SUR LE CNM EN AVIGNON

Il ne fallait pas être grand clerc en entendant Catherine Ruggieri, directrice adjointe de la direction de l'administration générale du ministère de la Culture et de la Communication et vice présidente de l'Association de préfiguration du centre national de la musique constituée le 4 avril 2012, à la tribune du débat public organisé le 9 juillet en Avignon par Futurs Composés (1), en association avec l’Afijma, la Famdt, France Festivals, Grands formats et Zone franche, pour comprendre les incohérences, inconsistances et iniquités du CNM et deviner les coups bas en perspective. Le thème de cette table pas si ronde était "une nouvelle politique publique pour la création musicale ?" Figuraient aussi à cette tribune animée par David Jisse et Benoît Thiebergien, Jean-Paul Bazin, président de la Spedidam, Marie-Christine Blandin, sénatrice du Nord et présidente de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, Laurent Petitgirard, président de la Sacem (Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de musique). On connaît le train de sénateur, question de vitesse, la sénatrice verte alerta sur le fait qu'il ne restait que cinq majors (il en reste en réalité trois). Comme dit l'humoriste Pascal Nègre (2) "La concentration est inévitable en période de crise" (3) , écho à son fameux "Virer quelqu'un, c'est pas la mort du mec"(4) . On peut faire confiance aux hommes d'affaires pour aller plus vite que les sénateurs. Ce débat avait le mérite de faire entendre les opposants au CNM qui ont depuis longtemps exposé leurs arguments dans des articles, communiqués, pétitions (5) , mais ont un accès réduit - pour dire le moins - aux médias. Le syndicat Sud Culture et les Allumés du Jazz y étaient présents par une distribution de tracts (voir notes de bas de page).

La parole de Laurent Petitgirard représentant la Sacem - et aussi musicien - fut pleine de bon sens (l'interprète avant la machine, la précipitation suspecte du projet, la part réelle et réduite du budget CNM allouée aux auteurs-compositeurs, l'absence de créateurs au sein de l'entité CNM...). Nombreux furent ceux dans l'assistance qui manifestèrent inquiétude et hostilité. Le discours autoritaire de Catherine Ruggieri (soulignant sans rigoler dès sa première intervention que "l'emploi dans la musique était majoritairement garanti par les majors"), héroïne du jour de cette damnée "filière" - les feux s'éteignent et subsistent les artifices - vivant la confrontation comme une corrida (selon sa réaction à la première question posée - se pensait-elle taureau, torera ou torero ?), se fragilisait au fil du temps jusqu'à son étrange conclusion : interrogée sur cette façon insistante de présenter le projet sarkoziste comme entériné depuis belle lurette, elle répondit  : "Si j'emploie le présent, c'est parce que c'est plus pratique que le conditionnel". Dans la confusion entretenue des temps, on est averti comme dit le proverbe que : «Le futur de “je donne” est “je prends”.».

(1) Invitation de Futurs composés  
(2) Président d’Universal Music France, vice-président d’Universal Music International, président de l’Olympia, président de la SCPP, président du SNEP, officier des Arts et des Lettres et Chevalier de la Légion d’Honneur
(3) L'express n°3181 du 20 juin 2012
(4) Libération 24 janvier 2006
(5) Quelques exemples :
Les Allumés du Jazz : il n'existe pas de filière musicale
Appel des 333
Nous sommes tous des bémols,  
CNM : 6 réseaux refusent de signer le protocole,
La bombe CNM,
Sud Culture
CGT,
Syndeac : "un marché de dupes"


Photo :  de gauche à droite : David Jisse et Benoît Thiebergien, Laurent Petitgirard, Jean-Paul Bazin, Marie-Christine Blandin, Catherine Ruggiéri par B. Zon

13.7.12

CINÉ L'ÉTÉ : PETRI ET LUMET

De très belles reprises au cinéma en ce moment, parmi lesquelles deux œuvres d'exception :

Dans son blog, le cinéphile Jean-Jacques Birgé recommandait chaudement la ressortie du premier film d'Elio Petri : L'assassin. Familier enthousiaste d'autres films de Petri plus connus (l'exceptionnel La classe ouvrière va au paradis par exemple, qui devrait être toujours largement projeté - il y a tant à en saisir, ça ferait avancer), on ne pouvait que se précipiter dans la première salle repassant cette trop rare pellicule. Et pour qui Petri est inconnu, quelle joie de découvrir un tel cinéaste, une telle conscience. Le film, interprété avec distinction et lucidité par Marcello Mastroiani et Micheline Presle, comme le dit précisément Jean-Jacques "se hisse facilement à la hauteur des chefs d'œuvre d'Antonioni et des meilleurs de la nouvelle vague, avec en plus un sens aigu de la lutte des classes". Ce dernier point n'étant pas forcément l'apanage, loin s'en faut, ni du réalisateur de Blow Up, ni de la bande des Cahiers du cinéma, ce film est d'autant plus nécessaire.
On se précipite !

Une autre réédition de grande valeur est celle de l'également trop méconnu La colline des hommes perdus (1965) d'un autre cinéaste plus intéressé par l'être que par le néant, Sidney Lumet. Filmé en total accord avec le propos, la distribution est également renversante, Sean Connery brisait soudain par choix son image de James Bond alors en plein succès. Le film est une merveille de démonstration naturelle de l'imbécilité perverse de l'autorité militaire et de l'aveuglement inhumain de la hiérarchie et ses conséquences tragiques ; de résistance intelligente ou isolée aussi. Et ça se passe dans un camp disciplinaire anglais en Libye pendant la seconde guerre mondiale (choix hardi 20 ans après la fin du conflit - ce qui valut au film à sa sortie un mauvais accueil). La désobéissance à tout système inique et ses mécanismes vicieux reste de pleine actualité.

On se précipite (mais pas en rang) !

Lumet et Petri, deux grands cinéastes trop souvent sous-estimés, pour qui le cinéma est un moyen d'humanité très sentie. Ça nous manque si souvent !


L'assassin d'Elio Petri bientôt en salles par Jean Jacques Birgé 
La nuit tombe sur Sidney Lumet sur le Glob

10.7.12

LOL COXHILL (1932-2012)

En décembre 1982 aux Trans Musicales de Rennes, Lol Coxhill avait été invité pour jouer avec qui lui plairait pendant les trois premiers jours du festival. Le vendredi soir, programme plus marqué rock, dans la loge, Lol propose de jouer un solo assez bref, entre deux groupes. Ce choix tranquillement effectué, m'impressionne, mais je trouve ça vraiment casse cou. Jean-Louis Brossard laisse faire librement. La salle, d'abord surprise de voir ce type seul avec son soprano, réagit mal. Quelques canettes volent. Lol joue, imperturbable. Philippe Herpin et un percussionniste le rejoignent en fin de set. La foule reconnaissant des musiciens de Marquis de Sade, se calme tout de même. Plus tard à la gare, alors que Lol et moi étions au guichet pour le dernier train, un jeune homme très ému vient le voir : "j'étais au concert et je n'avais jamais entendu quelque chose d'aussi beau". Lol se tourne vers moi avec un petit sourire et me dit : "Tu vois que ça valait le coup de le faire !". Je n'ai jamais oublié ce moment qui est resté une leçon essentielle. Merci Lol, pour ça et tant d'autres choses.
Jean

7.7.12

LE VOLCAN, ORANGE, SONNY
ET LA FIN DU TEMPS QUI BOUGE


L'éruption de l'Eyjafjöll en mars 2010 avait selon les médias "paralysé le ciel". Ce qui ne voulait pas dire que le ciel ne vivait plus, que l'air n'y circulait plus, que les nuages mourraient, que les oiseaux avaient disparu, mais simplement que le panache de fumée surgissant du volcan islandais rendait la visibilité si incertaine au-dessus de l'Atlantique nord que les aéroplanes ne pouvaient y voler. D'une pointe bretonne, une jeune fille sans âge regardait le ciel enfin en paix sans contrails, les étoiles véritablement seules ; la furie de l'explosion volcanique contre celle des hommes, le temps arrêté.

Vendredi 6 juillet 2012 en France, l'opérateur téléphonique Orange accusait une panne de seize heures. Seize heures de scènes de panique pour les usagers des téléphones portatifs : "excusez moi ? vous avez du réseau". Pour un peu, on se serait regardés ! Un peu de brume dans la vallée du vide, les avertissements sont plutôt tendres.

Les usines nucléaires ont repris du service au Japon et on s'en fout. Ça ne vaut pas un bon petit tweet ! Le futur éventuel ne relève plus guère du présent dévoré par l'inconsistance, le renoncement, la trouille confortable et la privation d'intuition. Le mot "révolution numérique" est une grossièreté comme "révolution nationale". La révolution, c'est le mouvement des hommes vers la vie. Les outils ne peuvent dicter.

La couverture du disque Sonny Rollins on Impulse (écouté ce jour par besoin physique, pour éloigner la mort) est une photo de profil du saxophoniste prise par Chuck Stewart. Cette image un peu floue avec le graphisme relativement simple qui l'accompagne en a fait rêvé plus d'un. Pourtant inutile d'essayer de l'imiter. Ce qui la porte, c'est le mouvement. Le mouvement calypso d' "Hold' Em Joe" bien sûr, mais bien davantage le mouvement qui déplace l'identique, qui bouscule l'artificiel, qui génère du nuage enfin, des causes fécondes et de l'action multipliée. Aujourd'hui Sonny Rollins joue toujours bien, mais il joue pour les riches. C'est dommage ! Trop de musique est jouée pour les riches.

Dans le métro parisien, hier, une femme chante, elle tient un petit bout de carton expliquant sa situation de pauvreté avec son enfant. Sa voix, résonnance immédiate d'une douleur, d'une dignité, d'un amour, d'un appel, est bouleversante, de tout corps, spirituelle les pieds sur terre, comme celle de Sonny Rollins, il y a longtemps. Mais elle ne vaut que deux pièces, deux mercis et deux sourires. Le reste des passagers est trop occupé à tweeter, texter, lire des éditoriaux suffisants, se préoccuper de l'avenir de son nombril, s'encourager en pensant qu'un petit coup de pouce de quelques euros au SMIG est largement rassurant, que sous le SMIG, il n'y a rien. Pour ne pas voir les pauvres, autant les ignorer.

À force de désamorcer les risques d'incompréhension, une génération n'a su transmettre à ses enfants que le mot socialisme ne signifiait plus que "cimetière des idées". Pour les laisser danser une nuit, une seule, avant de les mettre en un clic au piquet qui deviendra vite leur pilori. Il n'y aura plus alors d'avertissement des volcans ou de panne salutaire pour réfléchir. Il n'y aura plus rien.

Photo : B. Zon

5.7.12

PUTAIN DE VAUCLUSE


Communiqué plein de bon(s) sens adressé par la CGA 84 (Coordination des Groupes Anarchistes), la  CNT 84 (Confédération Nationale du Travail), la FA 84  (Fédération Anarchiste) et des Individuels à l'occasion de l'ouverture du Festival d'Avignon
Putain de Vaucluse !!
C'est vrai, au printemps les fraises y mûrissent, puis les tomates et les melons, bio ou pas...
L'été les cigales chantent, les festivals fleurissent avec leur point d'orgue en juillet à Avignon, lorsque festivaliers et troupes de théâtre se ruent au grand Barnum qu'est cet hyper-marché mondial de la culture.

En ces mois d'été, les acteurs du  tourisme local cueillent avec volupté et concupiscences les retombées commerciales des hordes de  « migrants » - pardon !, « de touristes », non mais ! faut pas confondre avec les sans papiers ! Ici, les étrangers sont les bienvenus, surtout ceux qui ont du pognon. Pas un chemin entre les vignes où les ceps préparent la véraison, qui ne signale un gîte, une table d'hôte, une ferme auberge et un domaine viticole. Durant ces chaudes journées d'été, entre une baignade dans une piscine privée, une sieste crapuleuse ou pas, un débat sur la culture et en nocturne une pièce de théâtre ou un moment de jazz  dans les vignes, ce morceau de territoire provençal affiche la face dorée de son "identité".
Une identité qui dans la réalité est  moins reluisante, moins dorée, mais au contraire bien puante. Ici, pour qui veut y regarder, pas besoin de lunettes grossissantes, les contrastes sont à leur paroxysme. Un des départements le plus pauvre de l'hexagone. Un département où l'extrême pauvreté côtoie l'arrogante richesse des possédants autochtones ou non. Un département où l'agriculture, horticole, maraîchère, viticole, et ses dérivés sont les premiers employeurs, grands utilisateurs de main d'œuvre issue de l'immigration maghrébine en particulier. Après l'agriculture, le bâtiment et les services se partagent l'honneur d'exploiter une main d'œuvre précaire corvéable et exploitable à merci.
Un département où ces singularités ont forgé depuis longtemps le lit (la lie ?) des idées les plus nauséabondes avec la complicité des politiques qui pour de minables desseins électoralistes n'ont pas hésité à  se boucher le nez afin de racoler les électeurs en exploitant sans vergogne les thèses de l'extrême droite. Aujourd'hui, plus de doute, sur un tel terreau la mauvaise semence a germé et les piteux résultats électoraux ne font que traduire "démocratiquement" ce que la banalisation au quotidien de la puanteur raciste et xénophobe ne pouvait que favoriser en lui donnant de surcroît une légitimité soit disant républicaine.
Encouragé par les politicards du FN, Ligue du Sud, Droite Populaire, mais avec hélas, le silence bien souvent complice des autres partis, plutôt que reconnaître les véritables responsables il a été plus simple de désigner des boucs émissaires : main d’œuvre immigrée, sans papiers, récipiendaires des minima sociaux et autres « profiteurs » des miettes du système. Salops de pauvres !!
 Aujourd'hui, le Vaucluse, sous une image qui se veut respectable et BCBG peut se targuer d'être l'une des zones françaises les plus hostiles qui soit :  
Un territoire ultra nucléarisé qui étale avec arrogance son agriculture et sa célèbre viticulture sous les retombées mortifères du triangle Marcoule, Tricastin , Cadarache .
Des villes importantes – Orange et Bollène - gérées par l'extrême droite et où les premiers édiles estampillés ligue du Sud se revendiquant catholiques intégristes n'ont pas de scrupule à décréter un mois d'exposition (juin 2012) à la gloire de Jeanne d'Arc ! Où le célèbre et sinistre Beck premier adjoint à Bollène vient entre autre méfait, d'interdire le chant des partisans lors de la commémoration du 18 juin 2012 !
Après l'élection au conseil général du frontiste Bassot sur le canton de Carpentras Nord et des époux Bompard (Ligue du Sud) sur les cantons de Bollène et Orange, c'est encore en Vaucluse, aux élections présidentielles, que le FN obtient son meilleur score (+ 27%). Puis cerise sur le gâteau c'est maintenant la petite fille de Le Pen qui vient d'être élue député, dans la 3ème circonscription du Vaucluse, alors que Jacques Bompard est lui élu dans la  4ème !!
Les élus UMP de 2 des autres circonscriptions ayant très largement surfé sur la vague frontiste n'ont rien de très différents des précédents.
Le premier souci de pratiquement tous les maires du département, n'est pas de rechercher des solutions pour améliorer le quotidien de leurs administrés, mais de les fliquer en multipliant les caméras de vidéo-surveillance, en demandant plus de policiers, de gendarmes. Le plus triste, est qu'un grand nombre d'habitants est demandeur de ces soit-disant protections.
Pour être fidèles à la réalité, les panneaux indiquant l'entrée dans le Vaucluse devraient comporter la mention :
Attention – Département de Vaucluse
Vous pénétrez en zone contaminée par les rejets des centrales nucléaires, par les produits utilisés dans l'agriculture et par les idées de la plupart de ses habitants. 
ASSEZ de ce spectacle sinistre. ASSEZ de la domination de l'argent roi. ASSEZ du capitalisme et de son avatar l'extrême droite  fascisante.
Il est peut être temps de réagir, car c'est parce que nous laissons faire que tout cela est ainsi.
Il est peut être venu le temps de réoccuper le terrain . De décider nous mêmes pour nos vies.
Il est peut être venu le temps de reconstruire des solidarités . Des solidarités de classe, pour combattre classe contre classe.
Il est peut être venu le temps de jeter les bases d'un autre futur, celui d'un monde sans État, ni patrons, ni prisons, ni frontières.
Il est peur être venu le temps de construire ensemble, un monde sans classe, sans genre, sans argent, sans salariat !!

3.7.12

IL N'EXISTE PAS DE FILIÈRE MUSICALE
COMMUNIQUÉ DES ALLUMÉS DU JAZZ



Il n’existe pas de filière musicale 

La confusion, les hésitations, les contradictions, les précipités, les ralentis relatifs à la création d’un Centre National de la Musique exprimés récemment révèlent, si cela était encore nécessaire, l’incongruité d’une telle entreprise totalement inadaptée aux besoins et préoccupations des acteurs musicaux agissant dans les champs dit « indépendants » auxquels conviendrait mieux sans doute le mot de « artisans ».

Ce projet, en plus de son iniquité manifeste, a popularisé une expression particulièrement déplacée et nuisible : « la filière musicale » ; expression reprise, mimée et dupliquée en toute hâte par les politiques, les médias et autres protagonistes trop enclins à ignorer le sens des mots.

À l’exception du fait que la finalité serait la duplication de la musique (ce qui reste discutable), il n’existe aucun point commun entre les petits producteurs musicaux que nous sommes et les tenants de ce que l’on nomme « industrie musicale » chez qui tous les défricheurs ont été congédiés, comme il n’existe aucun point commun entre un petit paysan et les gigantesques groupes agro‐alimentaires qui dévorent le monde ou un artisan cordonnier et la méga‐industrie de la chaussure qui fait travailler des enfants pour toujours plus de profit. Il existe bien plus de rapports entre nous et ce petit paysan et cet artisan cordonnier qu’avec une « industrie musicale » qui n’a eu de cesse ces dernières années de se vider de l’intérieur et minimiser, ridiculiser, limiter voire étouffer la signification du geste musical.

 Le 4 avril dernier, un mois avant l’élection présidentielle, la création de l’Association de préfiguration du centre national de la musique composée de hauts fonctionnaires signifiait la mise en place hâtive du Centre National de la Musique. Un des objets de ses statuts est de « défendre les intérêts communs de la filière ». La consultation des musiciens importa peu. (1)

Nous, producteurs‐artisans, agissons en pleine solidarité avec les musiciens, acteurs évidemment essentiels à toute vie musicale, à tout développement et souvent impliqués eux‐mêmes dans le processus de production. Notre travail complète le leur, comme celui des disquaires indépendants, des associations organisatrices de concerts et de toutes celles et ceux qui avec peine et enthousiasme continuent à penser la musique comme une multiplicité d’expressions, qui savent encore aller vers les gens, jouer, créer, transmettre, communiquer et partager.

Et puisque jamais des décisions aussi simples que le prix unique du disque, ou la réduction de sa tva à 5,5% n’ont été prises par les pouvoirs publics comme elles l’ont été pour le livre, considéré lui comme un objet culturel, nous ne saurions faire office de figurants autour de la table de la « filière » et cautionner la mise en oeuvre d’un Centre National de la Musique bis retardé pour cause d’attente de financement.

Ce que nous désirons voir pris en compte, ne pas voir étranglé par la violence des contraintes d’une « filière » factice et banalisée, c’est notre différence, notre imagination, notre commentaire poétique, notre audace, notre sens du réel, notre nécessité musicale, notre idée d’un monde meilleur, notre artisanat pour lesquels nous nous dépensons sans compter.

Les Allumés du Jazz, le 28 juin 2012

(1) Les syndicats de musiciens consultés ont refusé de signer l’accord cadre du 28 février 2012. La grande majorité des musiciens de notre secteur n’adhère à aucun syndicat mais est impliqué dans des structures telles que Les Allumés du Jazz, Grands Formats, l’UMJ etc

2.7.12

NOUS SOMMES TOUS DES BÉMOLS


NOUS SOMMES TOUS DES BÉMOLS

Le quotidien d’information Libération publiait le 28 juin dernier un article intitulé « Le CNM, fauché et en pleine gloire ». On pouvait y lire la phrase suivante : « L’ensemble des acteurs de la musique, mis à part quelques bémols, est à fond pour le CNM. » (1)


Une telle phrase choque lorsqu’elle ignore un ensemble conséquent (et non des moindres) de structures représentatives ayant refusé de signer l’accord-cadre du 28 février 2012 servant de base à la création le 4 avril 2012 de l’Association de préfiguration du centre national de la musique composée de hauts fonctionnaires. Lorsqu’elle ignore également la pétition lancée par l’Appel des 333 (2), appel spontané et non encadré recueillant rapidement quelques 2777 signatures (très forte majorité de musiciens et musiciennes) lorsqu’une récente pétition en faveur du CNM (proposé par quatre fédérations et relayé par le quotidien Le Monde) en a recueilli 79 (3).

La précipitation volontariste avec laquelle Nicolas Sarkozy a lancé le Centre National de la Musique est relayée sans le moindre esprit critique aujourd’hui par les médias proches du nouveau pouvoir. On devrait s’en étonner.

Le CNM vient compléter la page éloquente du néant de la période culturelle récente : échec du Conseil de la création artistique, débuts insignifiants du Pôle Cinéma du Grand Paris, renflouement outrancier d’un très gros label « indépendant » par la Caisse des dépôts et consignations etc. (4).

La volonté de financer principalement le CNM par une taxe prise au Centre National du Cinéma, exercice de passe-passe plutôt illégal, montre d’emblée le côté aberrant de ce projet qui unit par ailleurs les problèmes de la musique à ceux de la duplication de la musique. L’organisme supposé être une manne est déjà en panne de financement avant d’avoir vu le jour. Il a suffi que la ministre de la culture, fraîchement nommée, fasse part, lors du festival de Cannes, de ses réserves, puis récemment que le directeur de la Sacem (réticences modulées paraît-il par un Sms) fasse de même ou encore qu’ un communiqué sorti tout droit d’un alambic de l’Adami sème le trouble, pour qu’immédiatement les fervents défenseurs du CNM, tels les Majors ou le Snep, montent au créneau. Une partie de la presse, rétive à laisser s’exprimer les bémols opposants au CNM, s’est empressée de publier une tribune libre (5) d’un cartel d’organisations, supposées représentatives des labels « indépendants » (6) dans ce qu’il est désormais convenu, dans les milieux politiques et financiers, d’appeler « la Filière musicale », pour la défense du CNM, seule façon de sauver la production « indépendante ».  Nombreuses sont, une fois encore, les organisations indépendantes et représentatives non consultées. On comprend mal cette obstination de réaliser le projet Sarkozy et de le considérer comme unique « sauveur » de la musique !

Depuis quand les tenants de l’industrie fonctionnent-ils avec le même mètre-étalon que les plus petits artisans ? Nous l’avions dit lors d’un précédent appel faisant suite au rapport Riester-Chamfort-Colling-Thonon-Selles (7), le CNM fondé sur une conception étriquée de la musique, principalement liée au profit direct est source de graves problèmes. L’erreur initiale considérant la musique comme une « filière industrielle » en créant une norme de filière pour toutes les pratiques musicales et réduisant les aides diverses en un guichet unique n’est pas la moindre.

Si l’on veut renouveler les politiques publiques en faveur de la musique, il faut d’abord partir de la pratique artistique et ses diverses implications (duplication, création et diffusion ne sauraient être réduites en un). La différence plus que la diversité. Seuls les artistes peuvent nous permettre d’en comprendre l’importance. Les promoteurs du CNM ont terriblement minoré la parole des artistes. Les syndicats ont été tardivement consultés, les principaux ont d’ailleurs refusé le protocole d’accord. Mais quelque soit l’importance de la parole syndicale, nous avons besoin que les paroles portant les pratiques de tous soient entendues.

La musique ne saurait être considéré comme une simple marchandise qu’il suffit de réguler. À ce titre, nous appelons les acteurs de la production musicale et tous les bémols solidaires à se rassembler pour en finir avec le CNM qui a déjà prouvé sa totale inconvenance, et élaborer des propositions collectives en faveur de la musique.

(1)    Sarah Bosquet, Libération du 28 juin 2012
(2)    « Non au Centre National de la musique » sur Pétition Publique :  http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2012N19710
(3)    « La musique indépendante survivra-t-elle au temps politique ? » in Pétition en ligne
http://www.petitionenligne.fr/petition/tribune-la-musique-independante-survivra-t-elle-au-temps-politique/2619
(4)    « Naïve, label musical très subventionné et pas très cool » par loïce Perron, Rue 89 – 18 mai 2012
(5)    « La musique indépendante survivra-t-elle au temps politique ? » Le Monde du 13 juin 2012
(6)    Ces fédérations comportent des membres hostiles au CNM
(7)    « Rapport sur la création musicale et diversité à l’ère numérique »
http://www.dgmic.culture.gouv.fr/article.php3?id_article=1696

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Le blog "CNM - contre nous musiciens» est ouvert pour que chacun puisse s’exprimer. L'appel des 333

SALUT RAY BRADBURY
DANS LE MILLE !

"Bourrez les gens de données incombustibles, gorgez-les de "faits", qu'ils se sentent gavés, mais absolument "brillants" côté information. Ils auront alors l'impression de penser, ils auront le sentiment du mouvement tout en faisant du surplace."

Beatty à Montag dans Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (1953)

Photo : B. Zon