Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

29.10.20

TFP

Au moment où le roi explique que comme "La deuxième vague sera sans doute plus meurtrière que la première (...) l’activité continuera avec plus d’intensité", s'éclaircit davantage, habillé de costumes républicains toujours plus serrés, le retour par à-coups affirmés du mystère de leur sainte trinité : "travail, famille, patrie".


Dessin : Grandville, 1843 d'après Edgar Allan Poe

25.10.20

FAUT PAS PRENDRE LES GENS POUR DES CONS

 

Contrairement peut-être à ce que relèvent plusieurs critiques (ou présentations), le deuxième tome qui vient de paraître de Faut pas prendre les cons pour des gens d'Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud n'est pas "un album d'humour absurde sur la bêtise ordinaire", mais plutôt un album qui pointe méticuleusement un absurde ordinaire envahissant les moindres parcelles de nos vies. Les imaginations sont rattrapées par les situations que nous tous entretenons à force de dramatiques renoncements "ordinaires". Au fond, plus de quoi penser que de rire. Un deuxième album aussi utile que le précédent et en cette période de grand déboussolage ça s'impose ! 

(Éditions Fluide Glaciale - chez toutes les librairies dignes de ce nom et PAS où voussavazone)

22.10.20

TOSHINORI KONDO

Un autre "Chantenaysien" nous a quitté le 17 octobre. Toshinori Kondo, qui avait fait le voyage de Tokyo pour jouer dans la chapelle de Chantenay-Villedieu en trio avec Raymond Boni et Terry Day en septembre 1983 (ici aperçu dans le livre-disque Le Chronatoscaphe par Guy Le Querrec). Au tournant des années 70/80, Kondo nous frappait par l'irruption de son étonnante vitalité vibrant d'impressions entre ombre et lumière. 

On a pu l'écouter avec Yosuke Yamashita, Henry Kaiser, Steve Beresford, David Toop, John Zorn, Eugene Chadbourne, Derek Bailey, Bill Laswell, Peter Brötzmann, Herbie Hancock... En 2002, il avait travaillé à l' International Peace Festival à Hiroshima.

18.10.20

CANTILÈNES POUR BORIS VIAN
Par Catherine Delaunay - Timothée Le Net - Anamaz


Jean-Luc Godard a dit : "C'est la marge qui tient la page". Et dans cette marge, il y a foison de margettes qui la dessinent et parmi elles, nos adolescences, la fringale de vivre, poésie dynamique, dernier moment de nos enfances avant de rejoindre l'abstraction adulte, la morale fabriquée. 

 

 Lorsque Thierry Vandennieuwembrouck fait la demande d'un concert à l'occasion d'une exposition et quelques autres événements à propos de Boris Vian à la bibliothèque de Valenton (concert proposé pour le 25 avril 2020, reconduit pour cause de confinement et qui aura lieu in extremis à 19h à la Bibliothèque de Valenton, avant le couvre feu du 17 octobre de cette même année), c'est bien bien de suite cette idée qui étincelle. Se forme alors un trio aussi inattendu qu'évident avec Catherine Delaunay (clarinette), Timothée Le Net (accordéons) et Anamaz (chant), un trio qui va farfouiller dans les taquinantes et primordiales flagrances de l'auteur de L'herbe rouge, reléguées trop souvent à la marge (mais n'est-ce pas l'essentiel !). Les trois amis de répondre avec une douceur effrontée aux audaces des chansons de Vian ou de ses références jazzistiques (mais pas seulement, lorsque par exemple Weber et Berlioz s'invitent). "J’ai obtenu à partir de la Black and Tan Fantasy un mélange vraiment ahurissant " dit Colin dans L'écume des jours, ce sera donc, précédé d'un court "Cantilène en gelée", l'œuvre ellingtonnienne de départ d'une visite soigneusement vagabonde par entremise poétique, où politiques, flics, militaires et "à bas la calotte et bien cordialement" en prennent bien logiquement pour leur grade par trop intemporel. Vian écrivait dans une de ses Chroniques de jazz : "Personnellement, je ne sais pas du tout ce qui est beau, mais je sais ce que j'aime et je trouve ça amplement suffisant" et le trio perçoit la beauté même de cette phrase, cette beauté fondatrice qui va permettre une somme joueuse et passionnante où l'aperçu frissonne avec cœur de ses inquiétudes. La complicité de cette trinité où chacun-chacunes transposent une écriture de la vie, par tant de personnalité commune, par tant de communs personnalisés, une forme de retour aux sources qui explore nos possibles lendemains... et qui swingue dans toute la marge.

Merci à l'équipe de la Bibliothèque de Valenton, à Pascal Van den Heuvel, Marie-Jeanne et Anne Le Goff

Photo de répétition : B. Zon


16.10.20

LE QUATRIÈME MELODY FOUR

 Le Zeppo des Melody Four s'en est allé ce matin à 8h


 

9.10.20

LES NOUS AUTRES ET 40 ANS À VENIR

 

LES NOUS AUTRES 

ET 40 ANS À VENIR

texte Jean Rochard, 

musique Hélène Labarrière

Brest, Théâtre Mac Orlan 

le 6 octobre 2020

 

à Cécile Even

 

L’intervalle de ce soir devait s’intituler : « Produire un disque : variations et tiraillements entre l'acte économico-technologique et sa résonance politico-poétique ». Pour cause de changements dus à la crise sanitaire du sénateur Coronavirus, ça s’appelle désormais « Les nous autres et 40 ans à venir ». Ça simplifie.

 

« La fonction de l'artiste est fort claire : il doit ouvrir un atelier, et y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient. », cette phrase de Francis Ponge,  serait un bon résumé si elle ne contenait pas le mot « claire ». La clarté, Antonin Artaud la pensait aveuglante et même mortifère et nous le pensons avec lui, ou plutôt après lui, car le disque, c’est le double de la musique, son fragment, son ombre et c’est dans cette ombre où l’on voit tant que l’on peut chercher un peu de couleur après la douleur. On s’appliquera aux fragments car on ne peut faire autrement, parce qu’il serait aussi malsain de faire autrement dans l’enchevêtrement des passés simples, des futurs composés et du présent tenace.

 

Les fragments ce sont les graines, les éclats, les ruines… les ruines dont nous n’avons pas peur. Les disques de musique sont des fragments capables de survivre au grand passage au crible.

 

Produire, c’est, selon l’étymologie du terme : « mener en avant ». Produire des disques de musique revient alors à mener en avant des fragments, c’est-à-dire : commencer à apprendre à ne pas finir.

 

Lorsque j’étais petit, donc, j’étais fasciné par les disques. Tout : les pochettes, les images, les sillons, les étiquettes, les couleurs, les odeurs, les moindres inscriptions, les numéros. Il y avait à ce moment là un groupe qui n’a pas duré très longtemps mais qui a eu une assez belle carrière : les Beatles. Hélène tu peux peut-être jouer un morceau des Beatles, ce n’est pas évident de se souvenir de ces vieux groupes….

 

(HÉLÈNE JOUE « ELEANOR RIGBY »)

 

Donc au dos des 45 tours des Beatles, qui étaient ceux de mes aînés, il était écrit « Produit par George Martin », mais George Martin en français, et c’était alors déjà ma langue de référence, ça se dit Georges Martin, et Georges Martin dans mon village : Chantenay-Villedieu dans la Sarthe, ancienne province du Maine, c’était le facteur. J’avais l’impression que si le facteur pouvait « produire » ce groupe (et je n’avais pas la moindre idée de ce que le terme signifiait, ça a un peu évolué, mais pas beaucoup), je pouvais peut-être m’y risquer.

 

Un peu plus tard, avec mon premier magnétophone à cassette, marque Primo, gagné avec des points d’épicerie UNA, j’ai fait à partir de 1967 - j’avais dix ans, le moment de La guerre des Six jours - des enregistrements (micro dans la porte de la télé) des émissions type Pop 2, et avec les photos des groupes découpées dans Télé Poche dotées d’un graphisme rudimentaire, je montais une collection de cassettes live où parfois, au milieu d’un morceau des MC5, on entendait ma mère et son rituel « baisse ta musique ! ». Avec mon cousin, en vacances, on faisait aussi des mises en son de bandes dessinées que l’on créait avec nos voix et de la musique en utilisant une technique primaire de re-recording à l’aide de nos deux magnétophones. J’ai continué les cassettes un peu après la séparation des Beatles, peut-être parce que je m’étais rendu compte que le facteur continuait à faire ses tournées. À ce moment-là, les disques de musique m’avaient complètement envahi et je faisais déjà les miens mine de rien. Des fragments de fragments. L’occupation dure toujours.

 

Mais ce mot « produit par » n’a cessé d’intriguer et ces deux lettres vont me poursuivre, me mener en avant. Une fois l’affaire du facteur élucidée, d’autres noms apparaissaient sur les pochettes de disques : Phil Spector, Chas Chandler, Jerry Wexler, Joe Meek, Nesuhi Ertegun, Berry Gordy, Tony Visconti, mais ils avaient une tendance à m’éloigner du sujet. Cette petite phrase fatale de contenance si sérieuse, si intimidante. Et comme disait Tintin dans Le Lotus Bleu : « Qu'est-ce que tout cela peut bien signifier ? » Et ça n’avait pas l’air d’être seulement une question d’argent, ça pouvait s’entendre. Dans les disques de jazz, on avait l’impression de mieux comprendre grâce aux photographies qui les rendaient moins mystérieux : Teo Macero, Lester Koenig, Norman Granz, Alfred Lion, Orrin Keepnews. Mais celui qui me marque surtout, c’est Bob Thiele, le type accoudé sur le piano qui discutait avec Coltrane en fumant la pipe. Plus sûr comme indice, que de distribuer le courrier, mais tout de même. Le producteur semblait rendre service, être dans le coup, en confidence, au centre seulement pour être aux meilleurs côtés et ça… ça … l’intime de Coltrane Waow ! Le mec qui lui ouvrait la porte du studio lorsqu’il se réveillait le matin avec une idée pressante qu’il voulait exprimer dans la journée. Bon, ça rapprochait un peu tout de même bien que je n’avais pas l’intention de me mettre à fumer.

 

Et puis alors que je commençais à aller dans les concerts de jazz parisiens, à fréquenter les caves comme le Riverbop, je voyais ce type : Gérard Terronès, il ne fumait pas la pipe, mais il portait un chapeau. J’aimais les disques Futura dont il était le producteur, et ça rapprochait encore un peu plus de voir un producteur en chair et en os. Mais jamais de la vie, je n’aurais alors osé lui parler. Plus tard, il sera un ami.

 

À Sablé-sur-Sarthe, il y avait un disquaire nommé La Discothèque, tenu par un monsieur avec un nœud papillon qui avait l’air de sortir d’un film de Marcel L’herbier des années 30, à côté du cinéma Le Carnot dont il s’occupait aussi, c’est là que j’ai acquis mes premiers disques au collège. Il y avait trois cabines d’écoute et on pouvait écouter n’importe quel disque contre 50 centimes pour un 45 tours ou 1 franc pour les 33 tours si on ne les achetait pas. Rien que d’y penser, je ressens encore l’odeur de ces cabines. On y allait parfois en groupe. Puis arrivé à Paris après une scolarité interrompue parce que Michel Debré voulait absolument se promener avec un entonnoir sur la tête, il y eut Dolo Music, la Boutique du Jazz rue Clotaire près du Panthéon, tenue par Dolorès Cante (ça avait été la boutique de Gérard Terronès). J’y croisais, timide, des musiciens et surtout j’y rencontrais fréquemment Jean-Jacques Pussiau aux débuts de Owl Records, sa maison de disques, une très bonne nouvelle. On    discutait beaucoup en buvant un coup le samedi vers 17h. Il y avait les images lointaines, fantasmées (Bob Thiele, Phil Spector), puis celles qui se rapprochaient (Gérard Terronès très impressionnant de sa présence en tant de lieux) et puis soudain celle que l’on pouvait toucher et qui implicitement disait « tu peux le faire aussi ». Là, ce fut la grande délivrance, plus besoin de connaître par cœur tous les noms des départements français pour être facteur.

 

(HELÈNE JOUE « TURNAROUND »)

 

En 1977, l’enterrement de mon grand-père fut l’occasion d’un peu de paix familiale et d’imaginer une sorte de retour au village pour y organiser des concerts. Mais oui des concerts ! Je ne suis plus très sûr, mais il me semble que le facteur était à l’enterrement. Je prenais des cours de batterie avec Jacques Thollot – ce qui était surtout un prétexte pour rencontrer un musicien que j’admirais et qui jouait sur le premier disque de Free Jazz qui m’a marqué, réussissant enfin à détourner mon attention de Jimi Hendrix : Eternal Rhythm de Don Cherry. Premier concert au milieu de nulle part dans une chapelle du XIe siècle loin des normes de sécurité avec Jacques, François Jeanneau et Jean-François Jenny-Clark. Magique. L’idée de faire un disque a même été évoquée, mais ça n’est pas allé très loin. Trop de timidité peut-être ou simplement ce n’était pas encore le moment. Michel Portal, Beb Guérin, Bernard Lubat, Martial Solal, Jac Berrocal, Irène Schweizer, Jean-Louis Chautemps, André Jaume, François Couturier, Raymond Boni, Jean-Paul Célea, l’Art Studio emboîtent le pas, puis des ribambelles d’English, d’Est Allemands, d’Ouest Allemands, de Belges de New-Yorkais, de Hollandais, d’Espagnols, de Japonais, de Bretons, de Lyonnais et bien d’autres. Tous les musiciens qu’en songe j’ai souhaité rencontrer. C’est la fête. Un petit rêve internationaliste qui ne se nommait pas.

 

L’inconscience était de la pure conscience. Ce n’est pas la musique qui s’y improvisait, c’était la vie. La vie comme rêve de musique. On est bien là-bas, dans cette petite commune. LA COMMUNE. C’est plus l’expérience qui compte alors que les idées. La multiplicité et les différences et l’apprentissage de la multiplicité des différences sans nécessité de bloc. On y restera jusqu’en 1988. Il faudra alors décamper car le monde du jazz a changé, on ne s’en est pas bien rendu compte. Saint Jack Lang a fait son apparition et tout, tout bascule : on ne comprend plus trop, le jazz est déclaré invention française avec des médailles, des honneurs et des brevets. Progressivement, ça se discipline, ça s’anoblit, ça court derrière le cul des politiques, ça lèche, ça se fait mondain, ça se Jacques Séguéla, ça oublie la grande histoire, ça oublie les petites histoires merveilleuses, les temps de luttes, les temps des cerises. Du noir et rouge l’ambiance passe au rose, au rose très pâle. On s’amuse néanmoins encore ça et là, pas mal même, au Dunois par exemple, ce foutu grenier du XIIIe arrondissement parisien où ça vibre comme nulle part. Mais autour des villages qui commencent à manquer de potion magique, on voit se créer des sortes d’amalgames qui vont ressembler de plus en plus aux entrées de villes : Buffalo Grill du Jazz, La Halle aux chaussures du Jazz, BricoJazz… ou pour les plus riches, Louis Vuitton-Jazz.

 

Comme en 1980, je travaille comme photograveur et photographe (autre manière d’enregistrement) aux Éditions Fréquences, avec Christian Savouret qui officie au laboratoire de tests hifi, l’idée refait surface dans ce petit tourbillon des concerts villageois et le 3 septembre, ses micros sont à Chantenay-Villedieu devant les contrebasses de Beb Guérin (que j’aurais tant aimé mieux connaître) et François Méchali. Et puis, Lol Coxhill, saxophoniste qui faisait partie de ce qui me faisait frissonner des années auparavant (Kevin Ayers, Caravan…), qui est le héros mystérieux, décalé, monkien de ce que j’écoute alors et qui devient instantanément dès son arrivée à Chantenay, le guide prospecteur, le nécessaire explorateur « en folie » prêt à tous les coups. Ça ira très bien. Trois albums se préparent en même temps et sortiront en même temps (Ha ! Ha ! On avait une longueur d’avance dans le « en même temps »).

 

Le troisième album c’est celui de Violeta Ferrer, réfugiée de la guerre d’Espagne, fille des instituteurs anarchistes Acrato Lulle, mort emprisonné à Montjuich en 1933 et de Pilar Grangel membre des Mujeres Libres (Les Femmes Libres). Violeta est une extraordinaire récitante de Lorca. Au début des années 60, elle a passé du temps à New-York où elle disait Lorca dans des clubs espagnols pendant que chez les voisins se jouait une autre révolution du jazz. Elle croisait ces musiciens noirs chaque soir. Elle a déjà enregistré par le passé sous la direction d’André Clergeat pour Pacific et pour Vogue. Ce sera son retour. J’y tiens alors beaucoup. Plus que tout. C’est capital.

Les mots sont de la musique et la musique est du langage. Ils prennent immédiatement place avec les blocs-notes de Raymond Boni, André Jaume, Jacques Di Donato, François Tusques. Il y aura beaucoup de mots à venir, des chats aussi. nato est une chatte siamoise, du nom d’un cousin de Géronimo - on n’en restera pas là avec les indiens. nato c’est encore « je suis né » en espagnol ancien. Et dans Chantenay, il y a « chante » et il y a « né ». Nous y voilà ! Il y aura donc beaucoup de mots, beaucoup de voix, beaucoup d’Espagne aussi.

 

(HÉLÈNE JOUE «  El Paso del Ebro »)

 

La mère de Federico Garcia Lorca disait de son fils : « Avant même de parler, il fredonnait déjà les chansons populaires et s'enthousiasmait pour la guitare ». La musique sera la première passion de Lorca, c’est elle qui le conduira vers cette captivante poésie. Un grand enseignement pour tout le monde. Federico Garcia Lorca sillonna l’Espagne pour recueillir les musiques populaires. Il les note sur du papier musique et en enregistre aussi. C’est indirectement grâce à Lorca que John Coltrane jouera un titre un peu légèrement renommé Olé. Grâce à lui, que la guerre d’Espagne trouvera ses chants et une partie de sa mémoire. Le champ de la musique populaire ne se trouve pas dans un espace infini, mais appartient au monde et à ses complications.

 

La poésie de Lorca, la musique populaire espagnole, la recherche d’un autre futur furent massacrés par le soulèvement fasciste et les petits arrangements politiques. Le poète andalou est fusillé par la phalange franquiste le 19 août 1936 à 4h 45 du matin aux côtés d’un instituteur et de deux anarchistes. Le crime fut à Grenade dans un endroit appelé La Grande Source.

 

Lorca, la poésie ininterrompue, l’improvisation, pas mal de souvenirs, de réconciliations en cours et le cinéma seront de grandes sources. On comprend vite l’absurdité des murs esthétiques, l’envie de taquiner, de s’échapper, de ne rien sanctifier, de procéder à une sorte de jardinage désordonné où toutes les graines ont leur liberté malgré les griffures répétées. « Qui percevrait toute la mélodie serait tout à la fois le plus solitaire et le plus lié à la communauté » a écrit Rainer Maria Rilke. C’est une indication vers une expérimentation des formes de vie.

 

(HÉLÈNE JOUE UNE DANSE)

 

Edward Sheriff Curtis est un photographe qui, conscient, de la disparition d’un peuple au tournant du XIXe siècle vers le XXe, celui que l’on nomme « les Indiens d’Amérique », va en quelque sorte la mettre en scène (ce qui lui sera parfois reproché). Ses photographies sont très connues, même avec leurs distorsions artistiques, elles ont rendu service. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’à la même époque deux femmes vont beaucoup plus fidèlement   documenter, préserver, transmettre, la culture musicale de ces peuples amérindiens. Natalie Curtis et Frances Densmore consacreront leurs vies à voyager dans ce qui reste de ces mondes dévastés, dans les réserves indiennes, pour documenter la musique. Natalie Curtis le fera plutôt par notation graphique, éditant une masse considérable de partitions, elle usera aussi du pavillon enregistreur, mais pas autant que Frances Densmore qui va énormément utiliser l’enregistrement grâce à une installation technique qui n’est pas exactement de première discrétion. Après une vie très aventureuse, Natalie Curtis mourra le 23 octobre 1921 à 46 ans, renversée par un bus à la sortie d’une conférence à Paris. Frances Densmore, elle, vivra 90 ans et ses cylindres de cire auront - consciemment - aidé à préserver les cultures Chippewa, Mandan, Hidatsa, Lakota, Dakota, Nakota, Pawnee, Papago, Skokomish, Winnebago, Menominee, Pueblo, Seminoles alors que le gouvernement américain force la totale acculturation pour achever l’éradication commencée depuis l’invasion des Européens avec comme virus premier : Christophe Collomb. La passion de Frances Densmore pour l’enregistrement était aussi une passion politique, forcément politique, ouvertement politique, magnifiquement politique. La mémoire photographique d’un homme et la mémoire sonore de femmes.

 

Les Indiens d’Amérique et la révolution espagnole feront parties bien visibles du fourmillement constituant de ce que seront les disques nato qui,  dans un premier temps où la poésie veille sans cesse, se consacreront à la passion des rencontres, des musiciens donc, des musiciennes donc, dans l’entremêlage et le démêlage de toutes sortes de points communs, de pointes communes, de références sans déférences et autres jeux plus ou moins interdits où le free jazz resté free ne refuse jamais un petit twist à Saint-Tropez, où l’on est libre de danser des valses nobles et sentimentales pour en faire un joyeux raffut, de distordre les réminiscences, où l’on comprend qu’on peut aimer pas mal de choses dans le même moment et surtout pas mal de gens. Parce que l’essentiel est bien là, les relations, les êtres et l’amour partagé. Mais à un moment, on a envie d’agrandir l’image et c’est là que le souvenir très récent de la signification réelle du mot FREE, non comme entité esthétique, ni comme fournisseur d’accès, mais comme fondation, vient secouer la pendule. Continuer à raconter des histoires avec un fort point de vue documentaire. Le cinéma aura sa part d’influence reflétée très directement premièrement avec de grands saluts à Alfred Hitchcock et Jean-Luc Godard, plus sur une certaine idée de mise en scène, de plans sonores, de montage aussi surtout peut-être et rendre possible l’impossible en un temps qui semble réel.

 

Certaines recommandations seront et demeurent édificatrices :

 

Dans sa biographie, Federico Fellini relate la question d’un journaliste : « Quelles sont les meilleures conditions pour réaliser un bon film ? », il répond « Celles que j’ai au moment où je le réalise ». Il n’y aura donc pas de place pour les regrets, les « on aurait dû », les « oui mais si », les « il nous a manqué » etc. La situation produit sa propre lumière, son invention.

 

Jean Renoir dit que le problème des producteurs, c’est qu’ils « cherchent à faire des bons films alors que la perfection c’est contre nous »  et que ce qui compte c’est « de toujours laisser la porte du plateau ouverte, parce qu'on ne sait jamais ce qui peut y entrer. »

 

John Cassavetes dans l’émission Cinéma, Cinéma livrera dans un grand éclat de rire, ce conseil : « Vous n’avez pas besoin de fric pour faire des films, seulement des cartes de crédit. »

 

Jean-Luc Godard a même parlé de la joie du producteur de se couvrir de dettes.

 

Mais cette joie, encore faut-il pouvoir la trouver. En étant riche peut-être ? La banque est le versant accidenté et accidentel de l’aventure. Le petit capital devient vite un petit capital de la douleur. Rappel à l’ordre de la marchandise et son désordre qui ne valent que pour ceux qui l’organisent. Bien sûr, rien de rationnel à vouloir donner un peu de beauté pour reprendre le mot d’un ami. De misérables calculs de robinets quand les écoliers de commerce fanfaronnent. Quand le type de la banque me dit « La banque n’aime pas la musique Monsieur Rochard », il est franc comme un sou neuf. « Qu'est-ce qui est le plus moral, créer une banque ou l'attaquer ? » a demandé Bertolt Brecht. On n’en aura pas le courage, se réfugiant dans une pensée de Montaigne : « À la vérité, c'est raison qu'on fasse grande différence entre les fautes qui viennent de notre faiblesse, et celles qui viennent de notre malice ».

 

Il y a bien la solution de la dépendance, des aides d’organismes par trop directionnels. Quelques propositions sont rejetées. Là, les mots du « Loup et du Chien » de Jean de la Fontaine appris à la petite école reprennent un sens tout neuf :

 

Chemin faisant il vit le col du Chien, pelé :
Qu'est-ce là  ? lui dit-il.  Rien.  Quoi ? rien ? Peu de chose.
Mais encor ?  Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
    Où vous voulez ?  Pas toujours, mais qu'importe ?
 Il importe si bien, que de tous vos repas
        Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.

 

L’avertissement sera utile, mais ne permettra guère de bien manier son pendule et encore moins de toujours bien courir. Certains savent parfois opérer la savante balance - jusqu’où va-t-on ? - pour faire office d’abri de protection, les voilà un peu princes. Pas simple ! Pas très free ! Les violences sont nombreuses et l’entêtement à certaines fidélités se transforme en incompréhensibles infidélités. Ça fait perdre l’équilibre, entame les amitiés. Les erreurs, les peines s’incrustent et finissent d’achever une espèce de définition de cette sorte de permanence de l’impossible qui finirait par vous faire croire que la musique est un poison insupportable. À certains moments, chaque geste semble être une punition. Même, on s’empêtre dans la honte. On ne pourrait donc diffuser de la beauté qu’en étant expert ?

Pourtant c’est aussi précisément la force de la musique, sa démesure de l’éclair, sa capacité à faire parler l’orage, sa folle invitation à la danse propre à faire évanouir les pires prêtres, qui finissent par consoler ou mieux réconcilier les cœurs, leur redonner la belle insurrection. Les jardins bellissimes d’Octave Mirbeau ou de Claude Monet contre le jardin des supplices. MMM : « Money, Murder and Mathematics ».

 

Oui, car c’est très beau de pouvoir produire, de pouvoir mener en avant les inspirations reçues de Duke Ellington et son « Diminuendo and Crescendo in Blue » avec Paul Gonsalves, de la résolution d’Aretha Franklin avec « Think », de l’indépassable version de « Summertime » par Sidney Bechet, de l’incroyable intimité de l’album « Coltrane » de Coltrane, du sens de la géographie mentale de Mary Lou Williams avec sa « Zodiac Suite », de l’infaillible de Jo Jones dans « The drums », des retournements de Jimi Hendrix de « If six was nine », de l’urgence manifeste de James Brown dans « I’m black and I’m proud », de l’exorde vers les sources d’Evan Parker dans « Monoceros », de l’indispensable aplomb de NWA dans « Fuck tha Police ».

 

Fuck tha Police

Fuck tha Police

Fuck tha Police

Fuck tha Police

 

Et comment fait-on pour jouer de la musique, enregistrer de la musique, après les meurtres de George Floyd, de Philando Castile, de Breonna Taylor, de Zyed Benna et Bouna Traoré ?  L’expression ! L’expression sans cesse, par quête d’essence, par charge d’adversité, par trouvaille de la juste part.

 

Lorsqu’en 1996, j’appelle Hélène Labarrière pour jouer dans le disque Buenaventura Durruti, elle fait la séance et puis elle va chez son libraire, achète la biographie de Durruti par Abel Paz et puis m’appelle : « si j’avais lu le livre, j’aurais joué différemment ». Elle est revenue le lundi suivant avec Tony Hymas et Anna Vilás. Elle a joué « différemment » et ce moment est resté un des petits guides qui animent et aident à « mener en avant ». « Donde Estan Ustedes! »

 

(HÉLÈNE JOUE « Dónde están ustedes »)

 

Buenaventura Durruti, Francisco Ascaso, Joan García Oliver, Ricardo Sanz… et d’autres Solidarios sont Los Nosotros, Les Nous Autres. « Nous luttons non pour le peuple, mais avec le peuple, c'est-à-dire pour la révolution dans la révolution. Nous avons conscience que dans cette lutte nous sommes seuls et que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. ».

Et nous luttons comme nous dansons, comme nous chantons, comme nous enregistrons, parce que ce « nous » est un signe de reconnaissance qui ne rend plus le « je » primordial sinon à être un autre.

 

Les Nous Autres sont des ours, et les ours sont des Nous Autres. Charlemagne était une ordure, un impérial salaud qui décida de massacrer les ours. Pour soumettre à son dieu ses ennemis nourris de la culture des arbres et des ours, le couronné de l’an 800 décide de l’éradication de l’animal, trop fort, trop beau, trop vif, trop résistant, trop alerte, trop musical. Éradication qui va se poursuivre pendant des siècles où l’Église diabolise ou ridiculise l’animal comme elle le fera pour le chat ou le tambour évacué de la musique occidentale. Les ours qui n’ont aucun dieu à servir nous enseignent les variations du rythme, ils sont du côté des batteurs, des contrebassistes. Ils rêvent en taquinant le courant des rivières, mais ils détestent le streaming abêtissant, anonyme, confiscateur, assassin. La société du « cloud » vaporeux masque une réalité cinglante, celle du rétablissement de l’esclavage pour le confort des smartphones. Les ours savent la nécessaire violence contre la brutalité.

 

The Lonely Bears… Ursus Minor… des étoiles et des ours.

 

(HÉLÈNE CITE « AVEC LE TEMPS »)

 

« Les routes qui ne promettent pas le pays de leur destination sont les routes aimées » écrit René Char dans son « Encart » du Nu perdu. Et ces routes sont des routes de bonheur, de petites folies, d’angoisse, de larmes parfois, de lucidité un peu, de déraison cubiste (pas mal), d’incompréhension, de traductions, de voltes faces, d’urgences stimulantes elles passent

 

par Vaucresson pour un premier cours de batterie avec Jacques Thollot qui ouvre la grande porte,

 

par Chantenay-Villedieu avec le déclenchement de ces compagnonnages : Lol Coxhill, Tony Coe, Steve Beresford, Tony Hymas et l’ouverture de chemins multiples,

 

par New-York quand John Zorn vole vers Chantenay et nous livre « Godard », New-York encore pour un coup de fil à Elvin Jones la veille de sa mort,

 

par York avec Alan Hacker, confident d’Anton Stadler,

 

par Valence, Barcelone, Grenade on l’aura compris,

 

par San Cristobal des Zapatistes,

 

par L’Anvers de Fred Van Hove,

 

par les plateaux de cinéma de Liria Begeja, Tonie Marshall et Judith Abitbol,

 

par Tokyo avec Kazuko Hohki pour retrouver Brigitte Bardot dans le Mépris de Godard,

 

par les zones sans être après Fukushima avec Barre Phillips, Emilie Lesbros et Toshi Fujiwara,

 

par les amours d’un jour de pluie,

 

par le strip tease d'Annick Nozati et Lol Coxhill un soir à Dunois,

 

par tous les cheminements engendrés par ce Dunois à Paris 13e avec Sylvain Torikian et Nelly Le Grevellec avec qui il y aura aussi en compagnie de Violeta, un voyage en pédalo,

 

par la route de la soul avec Ada Dyer et Gwen Matthews,

 

par Londres mille fois chez Dave Hunt, Caroline Forbes,

 

par Treignac, par Eymoutiers, par Tarnac qui nous conduisent vers Georges Guingouin, vers Armand Gatti,

 

par Treignac encore à la découverte des belous,

 

par Cerrillos (Nouveau-Mexique), Little Eagle (Dakota du Nord) avec les enseignements de Barney Bush, John Trudell, Floyd Westerman, Joanne Shenandoah, Hanay Geiogamah, Edmond Tate Navaquaya, Merle Tendoy …

 

Megwich !

 

par l’éclairage de Fabien Barontini et ses Sons d’Hiver,

 

par les échanges de mesures de Tony Coe et Ali Farka Touré,

 

par une virée à Bruxelles au Journal de Spirou,

 

par les géographies d’Arlésienne de Sylvain Kassap, d’Études de Terrain de Denis Colin, de Slumberland de Gérard Siracusa, ou de Terra de Michel Doneda et son voyage en camion,

 

par la main tendue de Didier Petit,

 

par une poignée de main avec Kenny Clarke, une veste à succès avec Charlie Watts,

 

par le style Kahondo, les clusters de Pat Thomas,

 

par les saisons du British Summer Time Ends, les gaillardises des Recedents et les altérations d’Alterations,

 

par tous les vols pour Sidney et les croisements de leurs passagers, Urszula Dudziak, Sylvaine Hélary, Hymn for Her…

 

par Marly-le-Roy en Volvo avec Daniel Deshays,

 

par le mur de Berlin avec Günter Sommer, Ulrich Gumpert, Ernst Ludwig Petrowsky ou les frères Bauer,

 

par le hamster ivre en suites de Jean-François Pauvros,

 

par le vent heureux d’Antonin Rayon,

 

par les pétales de Tohban Djan,

 

par les balades opiniâtres adoptées puis adaptées par François Corneloup,

 

par Wounded Knee quand un événement peut conjuguer simplement et en évidence des intentions multiples, rencontre de gens, mais aussi d’un peu d'histoire présente. Alors, les efforts et peines s'effacent devant le sens. Ce fut donc le cas pour nous autres lorsque sur le site de Wounded Knee, dans un blizzard cinglant, réfugiés dans notre voiture, nous écoutions la radio KYLIE de la réserve lakota de Pine Ridge qui passait l’album Oyaté de Tony Hymas, alors que des centaines de cavaliers indiens du Big Foot Ride apparaissaient sur la colline pour la dernière étape de leur long et signifiant périple, le 19 décembre 1990, cent ans après le massacre.

 

Elles passent encore par la CNT avec Evan Parker et d’autres Incontrolados,

 

par les Banlieues Bleues de Seine-Saint-Denis,

 

par le Livioù de Douarnenez,

 

par « Chez Hélène » à La Roche Bernard,

 

par Notre-Dame-des-Landes dix fois plutôt qu’une,

 

par le chahut au musée d’un « Art Moderna cha cha cha » avec Raymond Boni, Max Eastley et Terry Day où l’on emprunte un harmonium au curé du village qui ne nous en voudra pas (il y a des types chouettes qui font des boulots de con),

 

par Rome ou par Reading ou par les îles du Pacifique avec les blues de Mike Cooper et Cyril Lefebvre,

 

par l’opéra de Paris où Biscotte la chienne de Joëlle Léandre s’échappe et sème un foutoir digne des Marx Brothers,

 

par des calendriers en feu et tous les « tant mieux » de Zéro de conduite,

 

par St Mark's Place où Denis Levaillant est témoin de la rencontre du jeune Franz avec le vieux Cecil,

 

par un courrier adressé trop tard à John Gilmore,

 

par Delphes, le blues de Delphes, le Delta,

 

par les semaines de huit jours de Tony Hymas,

 

par les trajets obsessionnels de Jac Berrocal,

 

par les grands jets de l’histoire avec Sam Rivers, Taj Mahal, Lee Konitz ou Maggie Bell,

 

par le vent qui porte des Voix d’Itxassou devenues les voix du monde avec Marianne Faithfull, Jose Menese, Aura Msimang Lewis, Beñat Achiary, Françoise Fabian qui lit Francis Marmande,

 

par d’autres voix d’Annick Nozati, Nathalie Richard, Frédéric Pierrot, Laura Davis, Kid Dakota, Elsa Birgé, Mary Genis…

 

par la rue Clotaire qui mène jusqu’à Daniel Richard, disquaire infaillible,

 

par les routes de nuits et les déménagements nocturnes,

 

par Barcelone encore, rejoint par le Free Jazz Black Power de Carles et Comolli,

 

par Orlando avec Pascale Ferran,

 

par Minneapolis et sa Jumelle St Paul, avec Michael Bland, Sonny Thompson, Stokley Williams, Happy Apple, Fat Kid Wednesdays, Fantastic Merlins, Davu Seru, Dean Magraw, Steve Wiese, Jack Dzik ou Léo Remke-Rochard…

 

par les chiens noirs minnesotans et communards du Black Dog,

 

par les veines de Philadelphie avec Jef Lee Johnson,

 

par les Instants Chavirés à Montreuil où Noël Akchoté et Benoît Delbecq m’ont fait comprendre que j’avais un autre âge qui ne pouvait être que le mien, par les Instants Chavirés encore lors d’un concert pour les sans papiers dans la foulée de Buenaventura Durruti,

 

par le « Te laisse pas faire petite » adressé par Abel Paz à Valérie,

 

par Vienne et ses valses, on attend Otto Preminger, ça tarde,

 

par les cartes postales et débords de Steve Beresford,

 

par le Maroc où Los Incontrolados firent un pied de nez au pouvoir,

 

par le mur des fédérés,

 

par l’Origine du Monde de Gustave Courbet,

 

par les mots de Christian Tarting et la voix de Marie Thollot,

 

par les Bayonne et Châteauvallon et citées jumelles de Michel Portal,

 

par les paradiddle d’Han Bennink, Matt Wilson, Eric Gravatt, Terry Bozzio, Mark Kerr…

 

par les cordes de John Lindberg, Chris Laurence, Maarten Altena, Barre Phillips, Guillaume Séguron, Jean-François Jenny-Clark, Billy Peterson, Chris Bates, Claude Tchamitchian, Phil Wachsmann,  Dominique Pifarély, Hugh Burns,  Mike Scott, Grego Simmons

 

par les souffles continus de la confrérie des souffleurs Radu Malfatti, Daunik Lazro, Stan Sulzmann, Donald Washington, Yves Robert, Jean Méreu ou Kenny Wheeler…

 

par la Corse de Jaume et Tavagna,

 

par les curios de Jean Annestay et de Trufo,

 

par les camarades Allumés tout au long du parcours Jean-Jacques Birgé, Pablo Cueco, Bertrand Dupont, Françoise Bastianelli,

 

par la Bretagne de Jacky Molard, du Bénéfice du Doute, de Janick Martin, de Gérald Martin, de Christophe Rocher, de Sylvain Girault et de moult compagnies dansantes,

 

par les pinceaux et crayons mélangés de Pierre Cornuel, ses traits sûrs et gorgées de couleurs, après ceux de Michel Espagnon, avant ceux de Moebius, Rita Mercedes, Daniel Cacouault, Sylvie Fontaine, Boucq, Stéphane Levallois, Jeanne Puchol, Cattaneo, Johan de Moor, Zou, Nathalie Ferlut, Ivan Brun, Matthias Lehmann, Julien Mariolle, Johan de Moor, Pic, Andy Singer…

 

par les images de jazz de Chantenay avec Geneviève, Patrice, Christophe, Nicole, Isabelle, Didier, Hervé, Florence et les enfants qui jouaient continuellement...des années d'enfance,

 

par les équilibres de Marianne Trintzius, la constance d’Olivier Gasnier,

 

par les parades de La Chantenaysienne,

 

par les farces et attrapes des Melody Four,

 

par le quatrième Melody Four, qui aujourd’hui souffre tant,

 

par les tempéraments de sa femme et ses enfants,

 

par le tarmac d’Heathrow avec Kiki et Nini à la recherche de leurs deux dents de devant un jour de grand vent,

 

par la Mayenne, le Pays Basque,

 

par la rue de Michèle et son chat dans la salle des pas perdus, et les desseins et  sentiers animés de Sylvie Cattafesta, Sophie Dunoyer, Jacqueline Lecourant, Valérie Malot, Chantal Delanoë, Pascale Robert, Patrick Schuster, Gilles Gailliot, Pascale Sourdiaux, Christiane Lazarowski,Tina Hurtis...

 

par un rendez-vous manqué avec Doris Day à Los Angeles, une riche correspondance échouée avec Robert Wyatt,

 

par une tentative d'abandon total de la musique - un abandon Nocturne - qui dura un mois et fut un échec, un échec heureux,

 

par les positifs de Guy Le Querrec dans les foulées d’Edward Sheriff Curtis, en souvenir du Portugal, de Chantenay à Wounded Knee en passant par Cerillos, Minneapolis et Saint-Malo, ceux des expressions de la Zad d’un Mexique nantais dans l’œil de Val K, ou encore ceux, avec le temps, rhapsodique du vent d’un piano d’un bout du monde accordés par Eric Legret,

 

par la jungle léguée par Duke Ellington,

 

par le rap indomptable, de Boots Riley, D’ de Kabal, Desdamona, Crescent Moon, Brother Ali, demAtlas, Dead Prez, Billie Brelok, Spike, Carnage,

 

par la Java où François Jeanneau, Sophia Domancich, Jean-Paul Célea et Simon Goubert jouèrent si bien Jacques Thollot,

 

par les Damps où Catherine Delaunay voisine gaillardement avec Octave Mirbeau, 


par Cosne-sur-Loire où le trio Tony Hymas - Helène Labarrière - Simon Goubert a joué ce magnifique Cosne Concert qui n’attend plus qu’un disque et de venir jouer à Brest,

 

par Brest ​où la pluie sait de quoi elle parle,

 

par tant de tissages et d’apprentissages à venir,

 

par Toutatis.

 

Ce ne sont que fragments à mener en avant, les listes sont injustes, bourrées d’oublis, ou bien durent-elles toute une vie. 40 ans à venir. Celle-ci s’allongera quotidiennement grâce à toutes celles qui ont des ailes et tous ceux qui ont des œufs. Les disques, ça peut être pratique pour sortir des embarras alphabétiques.

 

Il se trouve toujours quelqu’un pour dire au moment où l’enthousiasme semble entier surmontant dettes ou maladie (deux cartes de la même famille) : « Mais tu n’as plus 20 ans ! ». Mais je m’en fous de n’avoir plus 20 ans, comme je m’en foutais d’avoir 20 ans quand je ne m’en suis même pas rendu compte. Je fais avec les restes de mes lectures informées, de ma veine dansante, de mon appréhension de la société dégradée, de ma propre ruine qui me construit en nous autres. Me mener en avant, avec nous, avec les Nous Autres.

 

Nina Simone a écrit « Four Women ». Je voudrais dédier les mots que je viens de dire, ceux que j’aurais pu dire et ceux que je n’ai pas su dire, à quatre femmes : Violeta Ferrer, Valérie Crinière, Sara Remke et Christelle Raffaëlli, sans qui je ne serais qu’un Schtroumpf.

 

Et puis, pour les 40 ans à venir, les 40 ans à venir de Nous Autres, ces quelques mots d’Eugène Pottier écrits au lendemain de la Commune de Paris :

 

Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes
Décrétons le salut commun.

 

 

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