Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

25.4.21

MILVA

 

Milva avait l'art de se jouer des frontières, les frontières des variétés variées. Première interprète non francophone d'Edith Piaf, signant ses premières apparitions avec la "Bella Ciao", histoire de montrer quel est le bois chauffant, elle chante bientôt Brecht, Weill et Eisler, lors que les voix non allemandes ne s'y risquent pas. Époustouflante ! Elle travaillera avec Mikis Theodorakis, Luciano Berio, Ennio Morricone, Astor Piazzola. Milva, coryphée d'un grand chant populaire, a publié un nombre vertigineux d'albums documentant une vie mélodique, avec toutes sortes d'épices de sucres et de piments, d'ombres augurales et d'éclats rutilants. Une direction forte d'allers et venues en tous sens. "Viva La Libertà !" Elle est partie le 23 avril.

21.4.21

HORACE

 

Il y a cette époustouflante photographie de Jimi Hendrix prise à l’île de Wight en 1970, une photographie (parue en 1972 dans un petit bouquin d’Alain Dister 1 ) où hurle l’impossible futur de l’effarant aérolithe de Seattle. Un cliché signé Horace. Le révélateur révèle. Louis Grivot s’était choisi ce coriace nom d’Horace pour signer ses photographies où son approche de la musique, du jazz, concordaient en toute profondeur avec abords et débords de sa vie politique, de nos vies politiques. L’esprit de nos jeunes années lisait aussi avidement d’affutées plumes de références qu’il songeait par les images qui constituaient autant de points de vue : Horace, Philippe Gras, Guy Le Querrec, Valerie Wilmer, Christian Rose, Gérard Rouy, Thierry Trombert, Jean-Pierre Leloir, Jacques Bisceglia, Giuseppe Pino, étaient alors quelques sérieux indicateurs de partis sérieusement pris. Des impressions de directions musicales. Horace photographiait activement et sa seule présence dans la salle caractérisait le moment musical comme un moment communal.

Avec Philippe Carles, Thierry Trombert et Francis Marmande, il avait réalisé le montage audiovisuel Bird is free, façon de constater que nos pendules d’alors allaient dans la bonne direction. Festivals et lieux de concert d’intention véritable projetaient tous Bird is Free avec le plus souvent une seconde partie complémentaire, musicien en solo dit absolu. Free n’est pas un vain mot, free n’est pas un style. Horace taillait d’objectif dans la densité des musiques noires, des musiques rouges, échos des graffitis qu’il adorait. Il était là, à Alger ou à Dunois, pour Albert Ayler, Charles Mingus, Aretha Franklin, Colette Magny, Michel Portal, Jac Berrocal, Bernard Vitet, Un Drame Musical Instantané, Louis Sclavis, Steve Lacy, Peter Brötzman, Han Bennink, Annick Nozati, Lol Coxhill, Daunik Lazro, le Black Panther Party et mille autres, mais aucun par hasard, par mode ou par commande. Flamme transmetteuse, dès 1971, avec Gérard Aimé, il avait créé une école de photographie et en 1985, le service télématique Music line.

L’impossibilité du futur comme celle de la liberté des oiseaux sont de grands sujets où, de nos jours, les images bien souvent s’embrouillent. Horace avait saisit quelque chose. Sa route s’est arrêtée en Aveyron hier soir, à 80 ans, à la suite d’une mauvaise chute. 

 

 Photo : © Beneeh (site d'Horace)

1 Rock Genius. Collection Histoire du Rock n°1

 

 

20.4.21

RÉPONSES POLICIÉES

 

À "Daunte Wright tué par la police dimanche 11 avril lors d’un contrôle routier à Brooklyn Center (banlieue de Minneapolis)", la réponse est "plus de police" (couvre feu, Garde Nationale etc.). L'été dernier après le meurtre de George Floyd, d'aucuns avaient entendu - et rêvé - un plus sans s, alors que le s se trouve encore plus prononcé. En France en pleine crise sanitaire et besoin de personnel médical, on nous promet aussi 10 000 policiers supplémentaires d'ici l'an prochain. 
 

Photographie Chris Juhn (avril 2021)

9.4.21

LE GRAND CONFINEMENT

 

Annoncé comme grande nouvelle libératrice, le réseau informatique mondial s'est sournoisement révélé illusion d'élargissement du champ avec, pour cerner ses bordures, de tout neufs et infranchissables murs où toutes nos balles sont renvoyées en algorithme limant chaque fois un peu plus ce qui reste de notre humanité. Alors, dans l'enceinte, on s'occupe, on futilise joies et peines, bricoles et blagues, toutes d'oubli instantané, on se cambre dans la bêtise, on se regarde, on se pense regardé, on se veut regardé, photographies de nombrils en masse, on se tripote virtuellement, on se selfise sans service, on chie dans sa caisse, on trime pour streamer, on simule de bonne foi la révolte, on s'indigne, on se fait livrer des pizzas par des cyclistes qui se détruisent, on reproduit, reproduit, reproduit, on balance bile, rancœurs, anniversaires, RIP en séries, on avale des séries au zéro sans infini, on s'imagine sans imagination ("l'imagination : l'extérieur absolu" - Will Spoor), désarmés, on fait des petits billets comme celui-ci pour se dédouaner. La matière se fait la malle. Même "les souris ne confient pas leurs destinées à un seul trou" (Plaute). Le grand confinement ! 
 
On fait le mur ?