Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

13.9.22

JEAN-LUC GODARD PAR CHEZ NOUS


Dimanche au cinéma Reflet Médicis, avant le film de Věra Chytilová Les Petites Marguerites, dans le plaisir des bandes annonces, entendait-on la voix tremblante de Jean-Luc Godard en apercevant son ombre. Tiens, l'espace d'un instant, on se prit à imaginer un nouveau Godard. Il s'agissait de la toute aussi passsionnante sortie d'À vendredi Robinson, film de la cinéaste iranienne Mitra Farahani relatant la rencontre d'un autre cinéaste iranien, Ebrahim Golestan, avec l'auteur de Masculin Féminin. Alors on se prit à penser à Godard prénom Jean-Luc, à se demander, à se remémorer les dernières (non) interviews, penser à son âge ... Et puis aujourd'hui l'annonce de sa mort ressentie avec tracas résolument comme une forme d'annonce manifeste de la fin du XXe siècle.

Il sera cité à foison (il y a de quoi faire). On gardera cette facile tentation pour les années avenir (quand ça sera moins simple). Tout va être dit, c'est le grand hommage obligé avec ses immanquables indécences (voir certaines déclarations officielles du jour pour s'en rendre compte).

De suite on se dit que ça va être suivi de révérence en tous genres d'un seul genre, celui qu'il brocardait dans ses films : déluge d'images sans queues, sans têtes, de RIP dupliqués, d'extase devant ses "grands" films À bout de souffle, Le mépris, Pierrot le Fou, (bien sûr qu'ils sont grands), de moue déguisée devant les autres (bien sûr qu'ils sont grands aussi), d'extase dubitative, d'arrogantes gênes aux entournures "Mais vous le comprenez Godard ?" suivies de pédants "l'important n'est pas de comprendre, mais de se laisser aller". 

Alors que dire, quand une étrange peine nous étreint si fortement. L'ombre aperçue dimanche dans cette bande-annonce a réveillé tant de choses en nous qui avons presque tout vu de Godard - enfin qui croyons avoir presque tout vu - non par exhaustivité, ni par admiration (enfin si quand même), mais précisément parce qu'on se donnait le temps de comprendre, le temps musical, et que notre compréhension se portait mieux, se construisait, s'armait, à chaque film, à chaque plan. On a bien rit aussi avec lui comme on a rit avec Stan Laurel ou Harpo Marx. Il a su filmer les mots, pleinement, pour apporter cette compréhension. "Moineau chamailleur" - c'était son nom de scout - a su saisir les multiples sources au gré du hasard, interroger les existences flottantes, entendre les échos éveilleurs, chercher les accords sur la grille des jalons de l'histoire. 

De notre côté de petits éléments sensibles :
- Un jeune homme fraîchement débarqué à Paris a assisté à une double projection au Studio Bertrand à Paris. Le second film (le premier était un film italien effacé de mémoire) Week-End de Jean-Luc Godard l'a envoyé marcher au milieu de la rue après la projection, bouleversant ses repères.
- Sans doute au fond, pour lui parler, il y eut la réalisation du disque Godard ça vous chante (avec l'Amati Ensemble, John Zorn, Arto Lindsay, Daniel Deshays, Caroline Gautier et Olivier Foy). Ce qui valut un sourire.
- Plus tard Godard engagera Violeta Ferrer pour Éloge de l'amour. Il se montrera, avec elle, très généreux (ils eurent ensemble une longue conversation à propos de la Guerre d'Espagne).
- Noël Akchoté a repris, pour Les Films de ma Ville, la musique d'À bout de Souffle de Martial Solal (Godard remarquait que si il avait été plus au fait, il aurait pris Coltrane - Solal était une recommandation recommandable de Jean-Pierre Melville). La reprise de Noël Akchoté est très godardienne.


Même si l'un de ses derniers films s'intitule Adieu au Langage, cette œuvre en suite laisse deviner un subtil optimisme par la mise à nue de l'éphémère, le sens trouvé à la relation de fragments obscurs et mystérieux en les plaçant au centre du recueil, là où nous pouvons enfin nous recueillir. 

Tout peut s'allumer.

 

 

11.9.22

LES PETITES MARGUERITES

Harpo Marx maniait les ciseaux de jouissive façon et chacune de ses coupes sauvages ouvrait une fenêtre sur le monde. Dans Les Petites Marguerites (Sedmikrásky) de Věra Chytilová (réalisé en 1966 en Tchécoslovaquie), l'art du ciseau à l'écran comme dans la salle de montage ouvre plus grand encore cette même fenêtre, annonce d'un pire à venir qu'on ne devrait plus ignorer. La fantaisie totale et l'époustouflante liberté sont celles de la plus grande acuité critique. Ce film splendide, d'une cinéaste majeure, ressort en ce moment sur les écrans (les vrais, pas ceux sans fenêtre des téléphones ou de cet ordinateur).

Photo extraite du film : dans le rôle des deux Marie : Jitka Cerhová et Ivana Karbanová