Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

8.12.22

IMMENSE FONDERIE
POUR FRANÇOIS TANGUY
PAR FANTAZIO

Immense Fonderie

François est parti cette nuit.
On fait non de la tête dans le froid.
C’est la mécanique, ça bouge tout seul.
Non, je ne contrôle pas.
Chaque mort a son armée de familles de sensations, mais une comme ça, si brusque, si brusque si brutale, comme ça.
Puis après je me suis dit à Carrefour il y était lui à Carrefour, il aurait été attendri par le hochement de tête du caissier ou pas.
Le regard commence sa ronde, il est partout, il veille, il navigue, sa présence est redoublée, par l'absence, le regard vient s’ajouter à la guirlande lumineuse de regards qui entourent les corps de nous restant.
Partir brusquement c’est très bien pour soi, on n’enfle rien, on ne rajoute pas au rajout.
Pour les autres ça fait du blanc, du blanc sans adjectif, un trou blanc avant et après chaque pensée, Ça me fait ça.
La pudeur de François était trop forte, elle indisposait.
Un gros socle, François, un socle de pierre très délicate, douce, avec des éclats paillette bruns-dorés,
Où est ce qu’on peut trouver une délicatesse comme ça.
Qui va comprendre et continuer ce geste là.
En fait ça n’est pas croyable du tout.
François est bouleversé par les apparitions, les formes humaines, les corps, il plisse les yeux pour ne pas être ébloui.
Et bien François j’ai finalement saisi les forces de ton travail le 11 novembre dernier.
J’ai vu, comme dans un rêve, tes glissements de terrain et j’ai vu que tous ceux sur scène avaient vu, et étaient libres de glisser, glisser, sans théâtre, sans dispositif, glisser comme des âmes sur un toboggan.
Et le 11 novembre c’est le jour où mon père est devenu résistant en 1940, place de l’étoile, définitivement résistant.
Et toi tu es venu à la mort de mon père je ne t’y attendais pas, je ne sais pas comment tu as su, tu es sorti du sol, on dirait, tu es apparu.
Tu m’as tendu un dessin fait je suppose pendant la cérémonie, un dessin de mémoire, un dessin de la tête de mon père, son sourire, ses yeux, ses petits yeux de chinois, on ne sait pas s’il vous regarde ou pas, toute l’étrange malice de mon père est sur ce petit dessin.
« Une fois qu’on a vu, une fois qu’on a vu qu’on s’est bien détesté jusqu’au bout, qu’on a vu, qu’on est allé au bout de ça, qu’on a bien vu », c’est la phrase que tu m’as dite quand on a essayé entre deux portes d’évoquer la boisson.
C’était très clair ça, ce que tu viens de dire, des fois tu n’es pas clair parce que trop clair pour toi, lumineux pour toi, limpide pour toi, et pour moi ça ne l’était pas, parce que tu raccrochais aux autres là où tu en es toi, c’est comme ça que tu fais je crois, tu vois l’autre et tu es tout barbouillé de ce que tu es et de ce qu’il est aussi, et ça forme une pâte, et tu offres cette pâte instantanément aux autres quel que soit leur état, de ta matière présente, et tu rentres dans ta matière présente, et tu en sors, et tu essayes d’en sortir parce que l’autre apparaît. Et on croit que les autres sont là, qu’ils nous traversent, on traverse, on se traverse.
Et tu es tout apparaissant pour l’autre, mais l’autre doit comprendre qu’il te faut du temps pour revenir, pour être là, et tu mélange tout de suite l’autre à ça que tu es, et l’autre doit comprendre qu’il y a des abysses, tout le temps, et qu’on n’en revient pas comme ça, donc tu trouves le pont où ça se mélange entre l’autre qui apparaît et toi.
En quelques instants, ça se passe comme ça.
Tu tends un bâton, une perche comme si on était en pleine mer agitée.
Si l’autre ne comprend pas, tu t’en vas, et tout de suite, tu reviendras.
Tu pars, tu reviens comme une ombre, tu bricoles l’armoire, l’armoire métal de Redayef, Tunisie, tu pars mais tu es là, puis dans le camion on est allés chercher un instrument aller-retour à Tunis, 500 aller retour? Les cigognes, Chems au volant, on a le temps de dire des insanités, et ton silence et cette joie d’enfant muet derrière banquette arrière, somnolence, et nos propos vulgaires tu n’en reviens papa.
Mais que l’action qui compte, qui plane, qui nous absorbe, alors ça va.
François c’est faire circuler des ronds avec les mains, du physique de la cantique, des chants de l’évaporation qui veille, de la vase qui remue que les uns et les autres comprennent cette matière, avec des forces, François c’est le creux qu’il offre délicatement, un fauteuil, une chaise qu’il offre, une chaise, un plat il faut manger, il vous met quelque chose dans la main pour que vous ayez un territoire sur le moment, avant le moment suivant, et puis faire cette armoire en métal pour qu’elle sonne, et la refaire et elle ne sonne pas, ça ne fait rien, au pire on donnera des coups de pieds dedans, voilà.
Vision simple, intuition simple, absence, présence, matière, glissement de terrain, expression physique des forces, le graphisme, les traits, les fils tendus en hauteur avec des choses qui pendent, déplacer son corps pour aller pêcher ce qui est disponible pour tous, un espace où tous peuvent intervenir en allongeant simplement les bras, est ce que c’est possible ?
Pour ceux qui trop influencés par les mètres étalons occidentaux seraient tentés par dire que François est un être supérieur, sans provocation aucune je dis qu’il est un être inférieur, il travaille en sous terrain, et déplace des choses, des formes et des énergies par en-dessous, pour vous offrir du clair, un travail à plein temps, et vous n’imaginez pas la pénombre, des rais de lumière, des espaces, et vous invite à déplacer, remuer la vase profonde – celle où il pouvait s’engluer, bras, pieds, mais, tout, et dans le cambouis de l’antiquité jusqu’à nos jours, pas de différence, nos jours à nous, - à votre tour, on déplace, on se fait de l’espace, on fait de l’espace pour tous, et on continue.
D’une berge à l’autre, nous passons, je sais que chaque instant est un glissement de terrain, physique, pratique, évident, aussi évident que le rebouteux vous enlève une brûlure à distance, très simple, très pratique, c’est brut, et de la même manière entre théâtre, musique, et vie, c’est la pâte, la même pâte, tout est réuni, tout est un devoir, de réunir, de faire des offrandes à cette pâte invisible qui nous unit, on doit contenir les situations par en-dessous, parce qu’elles sont sauvages, incompréhensibles, et sorties de nulle part, tu le sais, c’est ta vie.

                                                                                            Fantazio 7 décembre 2022

23.11.22

BACH & STRAUB

"Bach c'est trois siècles de paysannerie" Jean-Marie Straub (1997)

19.11.22

BY YOUR SIDE DE JEANNE ADDED

 

" Il y a longtemps, j'ai décidé que mon univers serait l'âme et le cœur de l'homme." Frédéric Chopin

Lorsque l'écoute du disque de Jeanne Added, By your side, se termine, elle invite immédiatement à une suivante. Vous direz "n'est-ce pas la même chose pour tous les disques ?" (enfin, les albums, c'est-à-dire les récits par la musique, les anti playlists). Oui, c'est vrai, mais tous ne parviennent pas à cette invitation avec la même éloquence. By your side - et son titre est formidablement trouvé - s'écoute chaque jour pour la découverte d'un secret supplémentaire et cette impression offerte à la première écoute d'une recherche d'insaisissables horizons à fleur de peau où surgissent et resurgissent les intimes actualités les plus sensibles : des traces de rosée sur le damier du temps. Vêtue d'évasion pour mieux retrouver ses propres traces, d'une enveloppe taillée dans la fébrilité de son propre mystère, la chanteuse s'aventure dans les sensations incorporées et leurs caractères exceptionnels. Mémoire d'hévéa, sève du creux du monde, regard de Chopin. On la découvre, on s'y découvre aussi dans la grâce des regards, métaphores du visible et ses parties cachées, dans l'âme et le cœur des êtres. 

• Jeanne Added By your side (Naïve, 2022)

Peinture :  P. Schick (1873) - Photographie : © Camille Vivier  (2022)


12.11.22

MUSIQUES D'HISTOIRES À NEVERS


Un festival de jazz réputé - et même de D'Jazz - créé en 1987, celui de Nevers, proposa cette année une soirée musicale ou chaque groupe (un duo et un quintet) se caractérisait par le fait que l'une des membres était comédienne.  Sandrine Bonnaire avec Erik Truffaz, Anne Alvaro avec l'ensemble de François Corneloup "Noces Translucides" comprenant Sophia Domancich, Jacky Molard et Joachim Florent. La musique pour faire naître les mots, l'image des mots pour délivrer l'expérience du souvenir. La musique pour que tout se rejoigne par les silences relevés au seuil du chant, dans les murmures du halo des évidences, pour l’asymétrie des grondements, vers les perspectives secourables. À l'époque où chacun cherche son jazz, ce soir, le mouvement de parole vit d'un mouvement retrouvé, danse d'instruments aptes à reconnaître les traces effacées.

• Sandrine Bonnaire (voix), Erik Truffaz (trompette, piano, électroniques), textes de Joël Bastard
• "Noces Translucides"de  François Corneloup (saxophones) avec Anne Alvaro (voix), Jacky Molard (violon), Sophia Domancich (piano électrique), Joachim Florent (contrebasse) d'après une photographie de Guy Le Querrec, textes de Jean Rochard
Nevers, La Maison - Grande Salle, le 9 novembre 2022

Photographies de Maxim François ©

26.10.22

EO ET LA DERNIÈRE REINE

 

Les explorateurs d'occasions sont les profonds observateurs des inventaires manifestes. Deux perles : un film et un livre, arrivent à point pour irriguer un peu, si tant est possible, ce monde aux feuilles se fanant douloureusement. EO de Jerzy Skolimowski et La dernière reine de Rochette ont plus en commun que le fait qu'on y entende ou lise "Vive l'anarchie !" dans la plus humaine des élocutions, la plus naturelle plutôt. Ce sont deux œuvres, deux métiers, dispensant grâce, complicité nourricière, révélation et innocence perspicace en juste estimation face à la brutalité impensablement banale. Conduite par un âne et une ourse, une beauté généreuse et perçante comme on ne l'ose plus assez, et qu'en embrassant, on se sent mieux voir, mieux écouter, mieux respirer, mieux aimer. En éveil.

• EO de Jerzy Skolimowski (2022)
• La dernière reine  de Rochette (Casterman  - 2022)

13.9.22

JEAN-LUC GODARD PAR CHEZ NOUS


Dimanche au cinéma Reflet Médicis, avant le film de Věra Chytilová Les Petites Marguerites, dans le plaisir des bandes annonces, entendait-on la voix tremblante de Jean-Luc Godard en apercevant son ombre. Tiens, l'espace d'un instant, on se prit à imaginer un nouveau Godard. Il s'agissait de la toute aussi passsionnante sortie d'À vendredi Robinson, film de la cinéaste iranienne Mitra Farahani relatant la rencontre d'un autre cinéaste iranien, Ebrahim Golestan, avec l'auteur de Masculin Féminin. Alors on se prit à penser à Godard prénom Jean-Luc, à se demander, à se remémorer les dernières (non) interviews, penser à son âge ... Et puis aujourd'hui l'annonce de sa mort ressentie avec tracas résolument comme une forme d'annonce manifeste de la fin du XXe siècle.

Il sera cité à foison (il y a de quoi faire). On gardera cette facile tentation pour les années avenir (quand ça sera moins simple). Tout va être dit, c'est le grand hommage obligé avec ses immanquables indécences (voir certaines déclarations officielles du jour pour s'en rendre compte).

De suite on se dit que ça va être suivi de révérence en tous genres d'un seul genre, celui qu'il brocardait dans ses films : déluge d'images sans queues, sans têtes, de RIP dupliqués, d'extase devant ses "grands" films À bout de souffle, Le mépris, Pierrot le Fou, (bien sûr qu'ils sont grands), de moue déguisée devant les autres (bien sûr qu'ils sont grands aussi), d'extase dubitative, d'arrogantes gênes aux entournures "Mais vous le comprenez Godard ?" suivies de pédants "l'important n'est pas de comprendre, mais de se laisser aller". 

Alors que dire, quand une étrange peine nous étreint si fortement. L'ombre aperçue dimanche dans cette bande-annonce a réveillé tant de choses en nous qui avons presque tout vu de Godard - enfin qui croyons avoir presque tout vu - non par exhaustivité, ni par admiration (enfin si quand même), mais précisément parce qu'on se donnait le temps de comprendre, le temps musical, et que notre compréhension se portait mieux, se construisait, s'armait, à chaque film, à chaque plan. On a bien rit aussi avec lui comme on a rit avec Stan Laurel ou Harpo Marx. Il a su filmer les mots, pleinement, pour apporter cette compréhension. "Moineau chamailleur" - c'était son nom de scout - a su saisir les multiples sources au gré du hasard, interroger les existences flottantes, entendre les échos éveilleurs, chercher les accords sur la grille des jalons de l'histoire. 

De notre côté de petits éléments sensibles :
- Un jeune homme fraîchement débarqué à Paris a assisté à une double projection au Studio Bertrand à Paris. Le second film (le premier était un film italien effacé de mémoire) Week-End de Jean-Luc Godard l'a envoyé marcher au milieu de la rue après la projection, bouleversant ses repères.
- Sans doute au fond, pour lui parler, il y eut la réalisation du disque Godard ça vous chante (avec l'Amati Ensemble, John Zorn, Arto Lindsay, Daniel Deshays, Caroline Gautier et Olivier Foy). Ce qui valut un sourire.
- Plus tard Godard engagera Violeta Ferrer pour Éloge de l'amour. Il se montrera, avec elle, très généreux (ils eurent ensemble une longue conversation à propos de la Guerre d'Espagne).
- Noël Akchoté a repris, pour Les Films de ma Ville, la musique d'À bout de Souffle de Martial Solal (Godard remarquait que si il avait été plus au fait, il aurait pris Coltrane - Solal était une recommandation recommandable de Jean-Pierre Melville). La reprise de Noël Akchoté est très godardienne.


Même si l'un de ses derniers films s'intitule Adieu au Langage, cette œuvre en suite laisse deviner un subtil optimisme par la mise à nue de l'éphémère, le sens trouvé à la relation de fragments obscurs et mystérieux en les plaçant au centre du recueil, là où nous pouvons enfin nous recueillir. 

Tout peut s'allumer.

 

 

11.9.22

LES PETITES MARGUERITES

Harpo Marx maniait les ciseaux de jouissive façon et chacune de ses coupes sauvages ouvrait une fenêtre sur le monde. Dans Les Petites Marguerites (Sedmikrásky) de Věra Chytilová (réalisé en 1966 en Tchécoslovaquie), l'art du ciseau à l'écran comme dans la salle de montage ouvre plus grand encore cette même fenêtre, annonce d'un pire à venir qu'on ne devrait plus ignorer. La fantaisie totale et l'époustouflante liberté sont celles de la plus grande acuité critique. Ce film splendide, d'une cinéaste majeure, ressort en ce moment sur les écrans (les vrais, pas ceux sans fenêtre des téléphones ou de cet ordinateur).

Photo extraite du film : dans le rôle des deux Marie : Jitka Cerhová et Ivana Karbanová  

24.8.22

FUNESTE 1er

Et, avec la gravité robotique qui le caractérisait, le roi Funeste 1er s'adressa à ce qu'il prenait pour son peuple en des termes misérablement choisis : «fin de l’abondance de terre ou de matière (...) la fin des évidences (...), la fin, pour qui en avait, d’une forme d’insouciance». Quid de sa propre insouciance (insouciance calculée ?) quant à l'abondance de son propre mépris, son évidence d'avanie ? ... À venir : réponse de NOS RELATIONS ! (abondantes, évidentes et jamais insouciantes) ?

9.8.22

LA PREUVE PAR TROIS

 

La forme trio, pour les groupes de musique, a été décrite, plus souvent qu'à son tour, comme "idéale", ce qui voulait sans doute dire par équilibre : au plus près du corps musical (le duo dit intimement autre chose de la très humaine conversation). Le trilogue de composition, plus rare, su raconter de belles histoires. À la Motown, le trio Holland–Dozier–Holland offrit de bien belles chansons à Martha and the Vandellas, aux Miracles, à Marvin Gaye et bien sûr aux Supremes et aux Four Tops, au plus près des corps.

5.8.22

CONTE D'ÉTÉ


Le soleil tape sans faire de claquettes. En un cri superflu, une femme râle, gênée par un reflet pour lire l'écran de son téléphone (oui, croyez-le ou non, au XXIe siècle les téléphones ont des écrans). Il lui suffirait d'aller à l'ombre. Mais il n'y a plus d'ombre. Ou n'y a t-il pas d'application pour ce type de situation ? Ce qui, de nos jours, revient au même. Un peu plus bas dans la rue cuisante, des jeunes cyclistes employés par une de ces start-up (« Notre pays est celui qui produit le plus de start-up et elles croissent »*). Avec peine, ils pédalent avec acharnement ; il fait si chaud qu'il faut bien que quelqu'un sue pour apporter des bouteilles d'eau à de petits bourgeois dépourvus de la force d'aller à l'épicerie. La vie en un clic. 

En juillet, le seul jour où la pluie tente une pénible sortie avant que les nuages ne désespèrent, à la boulangerie en attendant son tour de baguette, la femme au téléphone geint  : "Quel temps pourri !" et l'homme juste devant elle dans son petit costard d'habitué de Roland Garros (il en a fait mention juste avant) d'acquiescer. Pour juillet, on enregistre un déficit de précipitations de 88 % **. Petit jeu des pourcentages : le corps humain est composé de 65 % d'eau. Tranquille, tranquille, on n'est pas dans la précipitation. Une goutte d'eau et le temps est pourri. Ce qui nous compose. Tant que le doigt glisse sur l'écran...

"Pourriture", depuis sa racine latine pas encore putréfiée, a deux significations : décomposition ou corruption. L'idée que le temps soit pourri vaut son lot de prétention faisandée. Aucun autre animal que le Bourgeois Humanum ne peut à ce point se prendre pour dieu. Dieu soit loué et par conséquent, tout est à louer : sa chambre d'ami, sa voiture, ses costumes, ses caresses et même sa piscine (18€ de l'heure nous apprend-on à la radio nationale toujours fière de nous donner des nouvelles des start-up). Les partis politiques ont même inventé une tarification pour leurs élections primaires. "Je paie donc je donne mon avis". Riche idée, comme au restaurant. Tiens, il n'y a pas encore d'application pour louer les enfants ! (À l'énoncé, une start-up se prépare). En un clic, je paie, je vote, je rote, je pète. En un crac, la forêt flambe. Contre la colère des populations parfois encline à croître plus que les start-up : blindés, grenades et autres armes de (selon la formule officielle) "gestion démocratique des foules" ; pour aider les arbres : si peu. Des appareils en panne, faute de maintien.

Pourtant les arbres se sont saignés aux quatre sèves pour nous donner de quoi être prévenus des risques d'incendies, nous donner à lire Elisée Reclus, Voltairine de Cleyre, Marguerite Duras, André Franquin ou David Graeber, entre dix mille autres. Pour savoir. Mais en un clic, le savoir part en fumée. 

Aux dernières nouvelles, un belouga nage dans la Seine à Vernon pendant qu'un kangourou s'est fait la malle en Mayenne. Pour fuir l'incendie, les écrans lumineux, trouver un peu d'ombre ? 

 

Photographie : Un kangourou s'éloigne d'une maison en feu près du Lac Conjola, en Australie. (MATTHEW ABBO/T/NYT-REDUX-REA)


* Emmanuel Macron, candidat au Casino Électoral, 20 avril 2022, débat télévisé avec sa consœur Marine Le Pen.

** Source Météo France.

3.8.22

LA VALEUR TRAVAIL (TWIST)


De tous côtés on n'entend plus que ça
Un air ranci qui nous vient de bien bas
Un air ranci qui nous fait du dégât
Comme tous les pauvres il vous tuera
 

2.8.22

JEAN-PIERRE TAHMAZIAN

 

1968, free jazz indeed et coïntéressés parfois interrompus. 1968 aussi, création de la maison de disque Black and Blue par Jean-Marie Monestier. Jean-Pierre Tahmazian est à ses côtés comme photographe avant de s'associer pleinement avec lui pour mener à bien une tâche consistant à ne pas reléguer dans l'oubli des figures d'un jazz dit classique (très endurant à Nice à l'époque) par un opulent catalogue. Codex annulaire à ne pas mettre à l'index, la bien nommée Black and Blue contient son lot de petites merveilles : récemment encore la parution de Nice Jazz 1978, enivrant trio de Mary Lou Williams avec Ronnie Boykins (alors bassiste de Sun Ra) et Jo Jones. JO JONES ! 

Milt Buckner, Guy Lafitte, Illinois Jacquet (mais qui écoute ce sublime ténor aujourd'hui ?), Arnett Cobb (mais qui écoute ...), Earl Hines, Slam Stewart, Wild Bill Davis, Stéphane Grappelli, Harold Ashby, Jay McShann (entendu parler de Charlie Parker ?) et même sans crainte d'écarts, un Romain Bouteille chantant parmi tant d'autres alliés à un entêté enracinement dans le blues : Koko Taylor, T. Bone Walker, Memphis Slim, Jimmy Rogers... Archie Shepp, figure incandescente du free jazz indeed 68, y a même apporté son blues. 

Dans la valse des préjugés, les confins sont souvent bien ailleurs et l'ultime distinction rassemble. 

Photographie : Jean-Pierre Tahmazian et sa photo de Paul Gonsalves

 

À lire : Disque ami : Mary Lou Williams, Nice Jazz 1978

24.7.22

TERRITOIRE S'OCCUPER

 

Entendu sur France Inter (24 juillet, journal de 8h) : "Un jeune sur trois ne part pas en vacances, des initiatives leur permettent de s'occuper et de gagner un peu d'argent de poche." On l'aura compris, l'important n'est plus de vivre, mais de s'occuper.  Pour s'occuper et trouver un peu d'argent de poche, on voudra bien traverser la rue (qui n'est donc pas celle des vacances) en prenant garde de n'avoir pas les bourses se touchant en cas de secousses. Mais tout de même, gare à la circulation... dans les deux sens. 

 

Image : Journal illustré du 7 mai 1899



21.7.22

MICHAEL HENDERSON

 Si le batteur Tony Williams a été l'excitateur charriant le levain apothéotique de la musique de Miles Davis des années 60, le bassiste Michael Henderson a été le profond éclaireur de celle des années 70, lui permettant de toucher le point le plus sensible d'un funk d'apparence nihiliste sondant le substantiel endroit d'un "no future" parfaitement ouvert sur tous les futurs. 


Photo : couverture de Jazz Hot 299, novembre 1973

14.7.22

CHARLOTTE VALANDREY

En compagnie d'Antonin Artaud de Gérard Mordillat (scénario Gérard Mordillat et Jérôme Prieur d'après le livre du poète Jacques Prevel, ami fidèle d'Artaud lors de ses deux dernières années). Charlotte Valandrey y joue le rôle de Colette Thomas, autre amie proche du Momo. Pour Artaud "Colette Thomas est la plus grande actrice que le théâtre qui s’en fout ait vue, c’est le plus grand être de théâtre que la terre qui ne s’en fout pas mais en a peur ait eue, à voir sur ses propres vagues trembler de fureur, de fièvre, d’animosité." Dans le film de Mordillat, Charlotte Valandrey est bouleversante, le mot est faible devant tant d'intensité. Elle fut, on le sait, révélée en 1985, à seize ans, par Véra Belmont dans Rouge Baiser (Jac Berrocal y tient un petit rôle). Sa séropositivité à 18 ans l'a écarté de grands rôles, cause d'une filmographie par trop ingrate. Exception sublime : le si beau film de Gérard Mordillat où Charlotte Valandrey est étourdissante. Une très grande actrice, comme Colette Thomas.

Photo extraite du film (Sami Frey : Artaud avec Charlotte Valandrey : Colette Thomas)

7.7.22

PASCALE BRETON, MARCEL PROUST,
TONY HYMAS, REYNALDO HAHN & Co


Attraper les mots par les sens, en distinguer les directions pour prononcer les corps attrapant les mots ... 
Marcel Proust a séjourné avec son compagnon Reynaldo Hahn dans la commune bretonne de Beg Meil du 7 septembre au 27 octobre 1895. Il y a écrit Jean Santeuil, roman inachevé (rassemblé et publié en 1952), empreinte puissante d'À la recherche du temps perdu posé au début du siècle suivant. De la relation de Proust et Hahn, mais aussi de leur(s) recherche(s) en cette terre de Bretagne et ses volontés de vent, de leurs réalités, Pascale Breton, cinéaste évidemment remarquée pour son impressionnante Suite Armoricaine, a écrit un scénario, Marcel Marcel, son prochain film de long métrage. Elle en donna lecture, une lecture fragmentée, une lecture rassemblée, une lecture pleine, le 3 juin 2022 à l'Archipel de Fouesnant en choisissant d'y associer, d'emblée, le musicien qu'elle souhaite pour le film, Tony Hymas. Le texte munificent de tous les petits fastes et écorchures de la vie, de leurs lucidités, et la musique d'attention, attrapaient, d'un seul corps, par jeux d'ombres et d'éclaircies, l'infinie beauté des poursuites intérieures. L'existence, déjà, d'un beau film à venir.

Photographie : Jean-Jacques Larrochelle

Remerciements : Liza Guillamot, Frédéric Pinard, Lise Delente, Mélanie Leray, Jenny Hymas, les équipes de l'Archipel et de la Compagnie 2052




5.7.22

ONE ANOTHER ORCHESTRA
ET BILLIE BRELOK AU VAUBAN LE 30 JUIN
vus par Éric Legret

Eric Legret est un photographe de la vie, il aime la musique qu'il photographie comme la vie. Heureux de la retrouver au Vauban de Brest pour le premier concert de One Another Orchestra, avec invitation à Billie Brelok, le 30 juin, organisé par Cécile Even et ses camarades. La préparation a été fortement aidée par Perrine Lagrue et son équipe avec la complicité de Jacky Molard. Heureux de voir comment Eric Legret a vu ce qu'il a entendu. Le poète William Blake, mentionné plusieurs fois les jours précédents le concert, a écrit "La vie se délecte de la vie" et a commenté les émeutes londoniennes de 1780 avec ce très complémentaire : "la route des excès mène au palais de la sagesse". Alors hey ! comme dirait le bel Albert (aussi évoqué souvent) : "Music is the healing force of the universe". Au Vauban, le 30 juin, un bout de chemin.

Site Eric Legret 

La soirée vue par Eric Legret

One Another Orchestra : Catherine Delaunay, Nathan Hanson, François Corneloup, Tony Hymas, Hélène Labarrière, Davu Seru - invitée : Billie Brelok (dans le souffle de Lorca)

 

28.5.22

TROIS ALBUMS D'À LA ZIM

 

Disques, livres et films agissent en crieur de beautés quand ils ne sont pas soumis aux étouffoirs des régiments des puissants. On dit l'époque morose... on ne va pas discuter car c'est vrai qu'on ne nage pas tous les jours dans le folichon. Mais il est de beaux signes, de sacrés signes (comme dirait Ginsberg) comme ces trois disques publiés par À la Zim, association de bienfaiteurs musiciens. Trios de disques avec splendide arrivée dans le désordre (l'ordre de la vie) le plus salvateur. "L'ombre de la bête" de François Robin & Mathias Delplanque, "Tamas lier" d' Erwan Hamon & Yousef Zayed et Sylvain GirO et le chant de la griffe. Trois albums infiniment divers dans leurs recherches tellement accomplies au plus près des besoins de nos plaies, trois albums plein champs enchantés.

27.5.22

AVOIR AFFICHE

 Préambule : il ne s'agit pas par la présente de discuter tel ou tel aspect de tel ou tel programme électoral (il y a bien assez de spécialistes pour ça), les lieux et temps de la politique seront ailleurs et pour plus tard. Cette affiche vient d'être collée à proximité, ça aurait pu en être une autre avec une autre tête. Il ne s'agit même pas d'ouvrir un débat, mais seulement de regarder, et peut-être par le simple regard, avoir un peu de réflexion sur les équivalences graphiques et celles de la vie.

26.5.22

JEAN-LOUIS CHAUTEMPS

 

7 octobre 1978, Trans-Musiques à Paris Porte de Pantin, deux jours sous chapiteau très manifestes (Thollot, Portal, Lubat, Berrocal, Pauvros, Levaillant, Jaume, Boni, Maté, Regef, Malherbe, Oriental Wind, Zazou Racaille etc.). Avec la Compagnie Lubat, Jean-Louis Chautemps y troqua son saxophone contre un cigare. On adorait ! Chautemps pensait que la musique était une science et s'émerveillait devant l'instinct, valorisait le travail mais fustigeait les "bons élèves" (ou la musique de "bons élèves"), il estimait que les disques étaient une trahison et a mis beaucoup de soin à réaliser le sien (unique), valorisait la profession de musicien de studio et ses exigences et trouvait crétinisante la musique qui en sortait, mettait en garde contre la perte de proximité mais prenait ses distances, préférait Rollins à Coltrane, avait eu Lester Young et Bobby Jaspar pour modèles, s'intéressait à Dallas et à Deleuze, critiquait le free jazz qu'il jouait admirablement, comme le reste d'ailleurs, un ailleurs de recherche philosophique (des eaux agitées du be bop aux rives du dodécaphonisme) qui amena Rhizome (avec les Chautanettes) et en inspira plus d'un. Lors d'une dernière rencontre Boulevard Montparnasse à Paris, il nous parla en latin, avec une maligne conviction. Les disques de Chautemps nous ont manqué de son vivant turbulent, c'est lui maintenant qui va nous manquer.

Photo JR

19.5.22

JEAN-LOUIS COMOLLI

 "Alors que la musique renvoie le drame à l'intérieur des corps et des âmes, entre des forces invisibles, la mise en scène balance tout à l'extérieur, dans le trop-plein du visible."*

Jean-Louis Comolli, on l'aura rencontré par le cinéma, par la musique (le jazz) ou par l'engagement, scrutant, la tête la première, ce qui se loge dans les parois du réel. Avec Jean Narboni aux Cahiers du Cinéma, il porte loin la critique cinématographique fraîchement héritière d'une nouvelle vague encore naissante. Il apparait dans Les Carabiniers ou Alphaville de Jean-Luc Godard. Par mouvements multiples d'une conscience engagée sans doute, la musique le saisit, par écoute aiguisée, par regard. La musique le persuade. Avec Philippe Carles, il co-écrit Free Jazz Black Power, ouvrage ressenti nécessaire par tant d'entre nous en quête de questions lucides sur une musique explorant immédiatement le sentiment du monde. Cinéaste à la recherche d'une pertinence aguerrie consciente de ses entourages, il signe la très documentaire fiction La Cecilia comme le si naturellement fictionnel documentaire Marseille contre Marseille. Une sorte d'axiome manifeste de la chose juste au moment juste. Avec Carles, il a aussi co-écrit un texte dit par ce dernier pour le disque Buenaventura Durruti, ce qui l'a conduit à réaliser avec la très fidèle Ginette Lavigne Durruti, portrait d'un anarchiste. Abel Paz est le lien. Frédéric Goldbronn aussi, qui a réalisé Diego à propos d'Abel Paz, conseiller du film. Goldbronn écrit des tracts avec Comolli pour soutenir les sans-papiers. Les musiques des films de Comolli sont de Michel Portal (souvent), mais aussi d'André Jaume, de Jimmy Giuffre, de Louis Sclavis, de Chicho Sánchez Ferlosio. Les livres, Cinéma contre spectacle, Daech, le cinéma et la mort, Cinéma, numérique, survie, sont autant d'avertissements tellement clairvoyants... Halte à l'abrutissement. Les bribes précitées ne sont que les extraits furtifs d'un tout, tendu vers les brèches d'une luminosité nouvelle, par le cinéma, par la musique, par l'engagement. Jean-Louis Comolli plaidait "pour une transformation de ce spectateur en spectateur actif et non passif". * Après la mort d'Eric Dolphy, il avait titré à son propos "Le passeur"** un article de Jazz Magazine ; aujourd'hui, alors qu'il vient de nous quitter, on réalise à quel point, aussi, ce titre va bien à Jean-Louis Comolli. 


* Jean-Louis Comolli, Une certaine tendance du cinéma documentaire (Verdier - 2021)

** Jazz Magazine, juin 1965

 

 

 


HEUREUX DRAME INFERNAL D'UNE MARMITE MUSICALE INSTANTANÉE

 


Réveils, résurrections, il existe bien souvent des espérances secrètes quant à la reformation ou la continuation de marqueurs historiques. Ça peut se jouer dans la diagonale du fou, les angles chevalins ou dans une propulsion des tours et détours dans le futur comme c'est le cas pour ces deux surprenantes et emballantes sorties d'albums de deux cas historiques : La Marmite Infernale avec soudain, un personnel quasi entièrement renouvelé (plus aucun membre d'origine lors de la création en 1977) pour une musique qui fait feu de tous bois d'imaginations folkloriques et, plus inattendu encore, Un drame musical Instantané (créé un an auparavant), qui voit le retour du duo Jean-Jacques Birgé Francis Gorgé avec l'écrivain Dominique Meens ; le présent gravé façon Gustave Doré. Par hier, demain est vivant.
 
• Un Drame Musical Instantané :  Plumes et Poils  (Grrr)
• La Marmite Infernale :  Humeurs et vacillements  (Arfi)

17.5.22

TERESA BERGANZA

 

Le chant porté au delà des nostalgies irrévélées

8.5.22

L'OCCASION D'UNE SENSATION
DE VOYAGE
(LYON 30 AVRIL 2022,
MUSÉE DES CONFLUENCES)

 À Tony Hymas, Barney Bush, Lance Henson, Mitch Walking Elk, Catherine Delaunay, Anne Alvaro, Sylvie Laurent, Audrey de Stefano, Guy Le Querrec  

Les étoiles ne connaissent pas d'ordre (et probablement pas de désordre non plus). Dans l'obscurité, les mots jaillissent, les notes saillissent. Figures des êtres, influence des équivalences, cheminement d'amitiés, d'accords par petites touches car nous sommes autant d'atolls, de familiers des lagons. Ampleur pudique et mouvement rescapé instruisent ouverture, de ce qu'on imagine après la mort, non pour les morts qui ont bien assez à faire, mais pour les vivants bien sûr. Des siècles de vivants bruissants, quand les mots s'emballent sans attendre, heurtés par les ricochets de l'histoire sanctifiant la disparition. Précipité soudain ! L'histoire des histoires pour dévier les affronts et définir les vies dans l'escalier des cendres refoulé. De quel savoir ? De tous les savoirs. Imaginer l'extérieur face éclairée : une gageure, une étape, un relais. Les édifices harmonieux en mal d'immédiateté se découvrent de sous-jacentes et infinies possibilités. Ce qui peut être de suite, ce qui se manque, ce qui sème, ce qui sera ensuite. Le poète accompagne son temps. Vous étiez là et c'était très beau d'être là. Question de confluences ! 

- Merci à Philippe Krümm, Naïma Bounaga-Kaddour, Raphaël James, Sylvain Béguin, Olivier Girard, Christelle Raffaëlli, l'équipe du Musée des Confluences

Photographie : Guy Le Querrec - Magnum (extraite de Sur la Piste de Big Foot - éditions Textuel, 2000)

3.5.22

ALLEN BLAIRMAN

Dans le groupe du pianiste Charles Bell, le batteur Allen Blairman fit équipe avec le contrebassiste Ron Carter ; dans les quintets et trios du pianiste Mal Waldron, il fit corps avec les bassistes Isla Eckinger ou l'ellingtonien Jimmy Woode. Ce Pittsburgher, vétéran discret du nouveau jazz des sixties, s'était installé en Allemagne. Là, on pu l'entendre spécialement dans les disques Enja du vibraphoniste Karl Berger, ou du tromboniste Albert Mangelsdorff. Où plus tard, autre champ, avec le guitariste Biréli Lagrène. 

Mais c'est parce qu'il fut le batteur des fameuses nuits de la Fondation Maeght du saxophoniste Albert Ayler à Saint-Paul de Vence, les 25 et 27 juillet 1970 (dont on parle tant en ce moment avec la superbe édition intégrale en 4 CD chez Elemental Music), pharamineuses envolées testamentaires, que l'on a - parfois - retenu son nom. C'est justice tant ces nuits représentent un des moments les plus rares, les plus espéristes, les plus engageants, les plus dégagés, les plus généreux, les plus anagogiques, les plus terrestres, les plus réconciliateurs, les plus imbattables, de l'histoire du jazz. C'est injuste car on ne saurait réduire la vie d'un être à un seul moment, fut-il le plus beau. À 82 ans, habitant d'un village limitrophe des bop, free, funk, Allen Blairman nous a quittés. Il n'avait cessé de jouer hors des frontières de l'oubli (avec Olaf Schönborn par exemple).

2.5.22

SOUL CALL

Il arrive parfois qu'en écoutant un disque de Duke Ellington, on souhaite que ça ne s'arrête jamais ...

25.4.22

1848-2022

 

En 1848, Louis-Napoléon Bonaparte, candidat alors
nommé "Attrape Tout", emporte largement les premières élections présidentielles de France, invention subtile pour cadrer les objectifs de la bourgeoisie en laissant croire au peuple qu'il "participe", qu'il "délègue". Les actuels aménagements startupisés feignent de diversifier l'offre en jouant avec l'enfer pour arriver au même endroit. Offrant même de valorisantes déceptions de premier tour de passe passe, l'illusion est renforcée, avant que tout ne rentre dans l'ORDRE. La tradition est respectée.

24.4.22

LE DISQUAIRE DAY DES ALLUMÉS DU JAZZ

 

La boutique des Allumés du Jazz avait dû dormir du sommeil du juste confiné, elle s'est réveillée avec ses deux nouvelles allumettes-disquaires, Clémence Ferrand et Aurel Lançon qui reprennent la flamme allumée antan par les initiales Valérie Crinière et Cécile Salle. Pour le Disquaire Day, ces deux camarades encouragés par la communauté des Allumés du Jazz accueillaient Quentin Rollet, Emmanuelle Parrenin et Jean-Marc Foussat. En trois sets, le trio joua autant les merveilleux souvenirs que le monde à communément bâtir. Un "pour en finir" qui retenait "quelque chose". La beauté conclusive de leur averse vint rejoindre celle de cieux régénérateurs. Toute la journée, échanges avec les mélomanes et mélowomanes qui trouvaient leur bonheur de toutes sortes de musiques dans la boutique des Allumés du Jazz en plein sourire non simulé.

 

Photo : B. Zon

22.4.22

JACQUES PERRIN ET VALÉRIE

 

En 1988, Tony Coe avait écrit et enregistré la musique du film réalisé par Jacques Perrin, Mer de Chine. Jacques Perrin en était l'un des acteurs avec Jane Birkin, Samuel Fuller et Jean-François Balmer. En 1990, il avait été question avec cet acteur producteur de faire un film avec des indiens d'Amérique, il nous aida un peu à filmer le "Big Foot Ride" de cette année là. Un des premiers rendez-vous auquel assista Valérie Crinière, qui venait d'arriver chez nato, était au bureau de Jacques Perrin. Lorsqu'il ouvrit la porte, elle eut un choc émotionnel fort visible car c'était Maxence des Demoiselles de Rochefort (son film favori) qu'elle rencontrait enfin.

Tony Coe : Mer de Chine (cinénato 1988)

20.4.22

HARRISON BIRTWISTLE

 

Le compositeur Harrison Birtwistle a tenu, en pointillés, une place particulière dans nos voyages des années 80. Son ami Alan Hacker, qui aimait raccourcir les distances, jouait volontiers ses compositions dans des contextes déplacés (entendre : ni à l'opéra, à l'Ircam ou aux Proms) à Chantenay-Villedieu, à Dunois ("La plage " avec Christine Jeffrey, Violeta Ferrer, Tony Coe, Sylvain Kassap, Karen Evans, Gérard Siracusa) ou en enregistrement pour nato ("Verses" in Hacker Ilk). Birtwistle avait parrainé le festival de Chantenay en 1987. Sa musique sort volontiers des arrondis du pré carré de la musique contemporaine, s'autorisant violence et charme avec en constante une aigüe beauté du son. Auteur d'opéras remarquables, sa seule musique de film (The Offence de Sidney Lumet) est splendide. Né en 1934, il nous a quitté avant hier. 

 
Photo classique de Lord Snowdon (National Portrait Gallery)

18.4.22

QUENTIN ROLLET SUR reQords

Schématiquement, il existe deux types d'albums discographiques, ou plutôt deux volontés d'albums discographiques : les disques documentaires et les disques de fiction, les uns suivent les artistes à la trace, les autres empruntent à l'empreinte unique. Et puis, il en est d'autres qui ne se résolvent à rien, ou plutôt à tout, des albums-échappées qui se logent dans la vie comme autant de nouvelles, de romans de crier gare. Ils sont le pas ralenti quand tout s'affole ou au contraire le point d'empressement quand tout stagne. Ils n'ont que faire de s'inscrire dans la feria des disques cultes, ni dans quelque course que ce soit, ils sont le pouls de la métaphore, l'ombre qui s'estompe dans la lumière d'une minute privilégiée. Le nouvel album de Quentin Rollet et Eugene Chadbourne, au titre parfaitement palpable Recorded yesterday and on sale today, en est l'adéquate illustration. Il arrive à point. C'est d'ailleurs l'une des grandes qualités de Quentin Rollet d'arriver à point, d'improviser en pleine forme dans l'improvisation trop visée, de former la déforme et, comme artisan sur toute la ligne, du saxophone à la production, de pulvériser les genres. Cinq albums discographiques récents, cinq nouvelles donc, aux pochettes avenantes, publiés par reQords, en sont l'ardente illustration ; l'initiale au milieu du nom, une façon d'animer au-delà du jeu, de loger l'empreinte sans la rendre catégorique. Tout électrise, (s')amuse, farfouille, fusionne, carde, tourmente, signale, insinue, mystifie, démystifie et hop ! relance. Keep rolling Quentin !



- Quentin Rollet - Eugene Chadbourne : Recorded yesterday and on sale today - reQords 2022
- Borisou, Lorichon, Nosova, Rollet : Shampanskoye - reQords 2021
- Kim Giani & Quentin Rollet... mettent une ambiance de malade - reQords 2020
- Q & A : The new me - reQords 2020
- Quentin Rollet & Romain Perrot : L'impatience des invisibles - reQords 2019

10.4.22

FRANÇOIS CORNELOUP CHEZ TEXTURE

Au levé des années 70, André Francis avait inventé à Châteauvallon le terme "solo absolu". Il indiquait clairement qu'il ne s'agissait pas d'un musicien qui quittait son groupe habituel pour se produire avec quarante musiciens, ni de solos accompagnés, l'usuel rayonnant du jazz et de ses enfants, mais de "seul en scène face au monde". Le monde hier, 9 avril 2022, c'était la bien nommée librairie Texture à Paris 19e et l'absolu, le généreux solo de François Corneloup. Il était là pour présenter son livre de photographies Seuils (éditions Jazzdor series, texte Jean Rochard) et c'est bien une forme de loyauté pour ce fameux espace-titre à franchir, puis son dépassement, que joua le saxophoniste. Entouré de livres exaltants, il chemina par les sentiers aimantés d'histoire, saluant de grands ainés tel Harry Carney chez Duke Ellington, faisant surgir des phrases musicales reliées comme autant de poèmes, de naissances solidaires, de partages propices ou de petits festins éclatant les parenthèses, ne se contentant jamais d'acquis, mais désireux, puissamment désireux, de la rencontre.


Photo Z. Ulma

4.4.22

LE PREMIER AVRIL DE CATHERINE DELAUNAY, JEAN-FRANÇOIS PAUVROS ET AnTi ruBbEr brAiN FacToRy


Ça commence par un coup de fil animé d'amène urgence, Yoram Rosilio du Fondeur de Son invite nato pour une soirée commune à Anis Gras - le Lieu de l'Autre à Arcueil. C'est ravissant et comme on aime autant les ravisseurs que les vis-à-vis, on est ravi. Excités même par l'idée de cette petite fête impromptue. Partage immédiat : Le Fondeur de Son convie AnTi ruBbEr brAiN FacToRy, et nato Catherine Delaunay et Jean-François Pauvros. Les amitiés n'ont pas d'automatismes. Intitulé de ces jeux d'un soir, de cette idée de lendemains à chanter : Les démesures Commune du Fondeur de Son et de nato. Pierre Tenne du Fondeur de Son raconte la première partie proposée par nato et Jean Rochard de nato la seconde proposée par le Fondeur de Son

Catherine Delaunay et Jean-François Pauvros

Raspail n'est pas simplement une station de métro faisant référence à un boulevard parisien nommé en l'honneur d'un homme politique d'un autre temps. Et vice-versa. Il y eut longtemps un élixir nommé Raspail, commercialisé par ce même François-Vincent – l'élixir était en fait une liqueur et connut un petit succès jusqu'à sa disparition dans les années 60. On en vendit tant qu'il fallut bien transformer la droguerie originelle de l'avenue Laplace d'Arcueil en distillerie, avant qu'elle soit vendue aux établissements Bols, qui eux-mêmes la revendront aux frères Gras – la famille avait fondé une entreprise d'anisette à Alger en 1872. C'est en 1962 que la famille Gras, quittant Alger avec les « Européens » que la colonisation isolaient des indigènes musulmans, racheta l'ancienne bâtisse des Raspail. En 1994, la ville d'Arcueil rachète à son tour le site avant de le confier en 2005 à l'association Écarts. Depuis, et ça lui colle à la peau, l'Anis Gras est le lieu de l'autre. C'est donc tout naturellement que l'autre rencontra l'autre. 

La maison des disques nato décida, ce soir de neige et de 1er avril, que ces deux autres seraient Catherine Delaunay et Jean-François Pauvros, qui jamais auparavant n'avaient ensemble improvisé. L'improvisation libre ne l'est pas si souvent que ça. De la même manière que les événements et les corps qui réunissent sur quelques mètres carrés le camphre, le chimiste, l'anisette coloniale et la commune d'Arcueil. Ce qui vraiment s'installe parmi nous, pour un instant même ou pour deux siècles, se tisse d'une liberté qu'on ne peut pas raisonner parce qu'elle n'est pas raisonnable. En ce lieu déraisonnable donc, deux musiciens se découvrent et déraisonnent. On les laisse libre, très bien, mais le plus intéressant est ce qu'ils en font de cette liberté. Ils se tournent autour et à tâtons cherchent une entente commune. Ça démarre comme ça, Catherine Delaunay ferme les yeux. L'entente commune est parfois un grouillonnement de guitare saturée qu'accoste une clarinette poussée au bout de son expression. Qui comme cette clarinettiste sait aujourd'hui pousser, si absolue, sa voix ? C'est parfois une rupture violente, comme Jean-François Pauvros qui crie dans le micro de sa guitare pendant que la ritournelle d'une clarinette obsessionnelle emporte la séquence jusqu'à l'épuisement, jusqu'au fin bout du sens. C'est encore les rires du chaos et de l'harmonie. La réunion des éléments fulgure comme le camphre dans l'Erlenmeyer de Raspail. L'autre qui rencontre l'autre, et plus que l'improvisation et la liberté, tout ce qui se passe sous et sur les sens, les raisons, les mots, les notes. Des histoires aussi, qui se boutent sur toutes les autres et depuis lesquelles on repart. Plus que jamais.

                                                                                          Pierre Tenne

AnTi ruBbEr brAiN FacToRy 

Yoram Rosilio et Jean-François Pauvros avaient interrogé l'assistance (féminin de public) sur le genre du mot Entracte. Erik Satie, habitant d'Arcueil, en avait, avec Francis Picabia et René Clair, représenté l'épaisseur en 1924. Il est encore temps. Les entractes sont des régulateurs, des moments d'échanges, de respirations partagées, on y touche des disques, on y fume la pipe ou bien discute de la situation du monde, de cette étrange neige qui tombe un premier avril. Ce soir il y a autant de sourires que de flocons. Et vient naturellement le moment d'entendre AnTi ruBbEr brAiN FacToRy, sextet réuni par le contrebassiste Yoram Rosilio avec les saxophonistes Jean-Michel Couchet, Benoit Guenoun, Florent Dupuit, le soubassophoniste François Mellan et le batteur Érick Borelva. AnTi ruBbEr brAiN FacToRy a le bas de casse qui danse avec les majuscules ; le titre d'un album de cet ensemble à géographie gourmande Serious stuff & Lots of lightness pourrait bien être son mot de passe. Première indication qui ne se dément pas :  la musique opère par glissements de plans plus que par ruptures. Les musiciens abouchent les petits manifestes collectés dans l'histoire comme œuvre dansée : le jazz est une musique de responsabilités assumées, la fécondation d'un ensemble de caractères et de corps subtils. Et dans la musique de ce soir, l'ensemble laisse apparaitre un corps qui rejoint l'ensemble qui génère un autre corps qui rejoint... L'image sans cesse s'agrandit en proportions judicieuses. Le jeu rythmique de la très intéressante paire (on pourrait dire ça dans un journal de jazz) Rosilio-Borelva, paire d'espérance tenace, paire en état de voyance, libère les états d'esprits des captivants soufflants, sans jamais sacrifier à un trop aisé plein-pied (quel qu'il soit). On peut bien considérer d'un seul tenant les histoires complexes, leurs états d'esprits. Alors on ne sera pas surpris dans une perspective de rayon lumineux qu'un dernier morceau soit dédié à Eric Dolphy. Le passeur. *

Vivement la prochaine démesure Commune !

                                                                                             Jean Rochard

Photographies : Z.Ulma

* Titre d'un article, devenu célèbre, de Jean-Louis Comolli à propos d'Eric Dolphy dans Jazz Magazine juin 1965




 

31.3.22

ANTIFA

 

Le groupe Anti Fasciste Lyonnais Gale a été dissout par le gouvernement. À l'heure où la tentation autoritaire devient plus qu'une tentation, au moment où elle s'infiltre partout sans retenue, s'impose sans masque, on estimera la signification de cette décision. Sauf à accepter de nous auto dissoudre, sauf à laisser la réalité se dissoudre dans le soporiphisme technologique, il faudra bien à un moment que nous retrouvions nos dignités, celles de nos cœurs levés ¡No pasarán!

29.3.22

NIÑO EL ECHE À BANLIEUES BLEUES

 

Pour l'ouverture de Banlieues Bleues 2022, le samedi 26 mars, un concert de Niño de Elche en deux parties ou plutôt en deux suites reliées. Concert extraordinaire, concert extra sortant de l'ordinaire, saisissant. Une sorte d'esprit totalement neuf venu du fond des âges.

 

 

Partie 1: Niño de Elche (voix), Raül Refree (guitare, piano)

Partie 2 : Niño de Elche (voix, guitare), Alicia Acuña (voix,  danse), Raúl Cantizano  (guitares, percussions), Alejandro Rojas-Marco (piano)

Emilio Pascual Valtueña (son), Benito Jimenez (lumière)

22.3.22

DEUX NOUVEAUX OUVRAGES
DE JOHAN DE MOOR


Un trait vif, caustique s'est échappé un jour des studios Hergé pour inventer (avec Stephen Desberg) une incroyable Vache (11 volumes) et dessiner le monde à la plume incisive. Rien n'échappe à Johan de Moor. 
 
Pour nato, il a fait figurer La Vache dans Left for Dead, dans Le Chronatoscaphe et a dessiné la couverture de Vol pour Sidney (retour) ainsi que les illustrations du livret. Joie !

Ses dessins sont publiés dans Le Soir, Pan, Spirou ou les Allumés du Jazz. 
 
Viennent de paraître Dessins d'humeur chez Casterman (256 pages) ainsi que Sauvages animaux (scénario Desberg - même éditeur, 88 pages), étonnante BD inspirée de la vie de Peter Grant (manager de Led Zeppelin). Deux ouvrages au plus près de nos extravagantes vies.