Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

19.5.22

JEAN-LOUIS COMOLLI

 "Alors que la musique renvoie le drame à l'intérieur des corps et des âmes, entre des forces invisibles, la mise en scène balance tout à l'extérieur, dans le trop-plein du visible."*

Jean-Louis Comolli, on l'aura rencontré par le cinéma, par la musique (le jazz) ou par l'engagement, scrutant, la tête la première, ce qui se loge dans les parois du réel. Avec Jean Narboni aux Cahiers du Cinéma, il porte loin la critique cinématographique fraîchement héritière d'une nouvelle vague encore naissante. Il apparait dans Les Carabiniers ou Alphaville de Jean-Luc Godard. Par mouvements multiples d'une conscience engagée sans doute, la musique le saisit, par écoute aiguisée, par regard. La musique le persuade. Avec Philippe Carles, il co-écrit Free Jazz Black Power, ouvrage ressenti nécessaire par tant d'entre nous en quête de questions lucides sur une musique explorant immédiatement le sentiment du monde. Cinéaste à la recherche d'une pertinence aguerrie consciente de ses entourages, il signe la très documentaire fiction La Cecilia comme le si naturellement fictionnel documentaire Marseille contre Marseille. Une sorte d'axiome manifeste de la chose juste au moment juste. Avec Carles, il a aussi co-écrit un texte dit par ce dernier pour le disque Buenaventura Durruti, ce qui l'a conduit à réaliser avec la très fidèle Ginette Lavigne Durruti, portrait d'un anarchiste. Abel Paz est le lien. Frédéric Goldbronn aussi, qui a réalisé Diego à propos d'Abel Paz, conseiller du film. Goldbronn écrit des tracts avec Comolli pour soutenir les sans-papiers. Les musiques des films de Comolli sont de Michel Portal (souvent), mais aussi d'André Jaume, de Jimmy Giuffre, de Louis Sclavis, de Chicho Sánchez Ferlosio. Les livres, Cinéma contre spectacle, Daech, le cinéma et la mort, Cinéma, numérique, survie, sont autant d'avertissements tellement clairvoyants... Halte à l'abrutissement. Les bribes précitées ne sont que les extraits furtifs d'un tout, tendu vers les brèches d'une luminosité nouvelle, par le cinéma, par la musique, par l'engagement. Jean-Louis Comolli plaidait "pour une transformation de ce spectateur en spectateur actif et non passif". * Après la mort d'Eric Dolphy, il avait titré à son propos "Le passeur"** un article de Jazz Magazine ; aujourd'hui, alors qu'il vient de nous quitter, on réalise à quel point, aussi, ce titre va bien à Jean-Louis Comolli. 


* Jean-Louis Comolli, Une certaine tendance du cinéma documentaire (Verdier - 2021)

** Jazz Magazine, juin 1965

 

 

 


1 commentaire:

Thierry de Lavau a dit…

Une bien triste nouvelle. Il va manquer au cinéma, il va nous manquer !