Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

26.11.17

ERIC KAMAU GRAVATT



Nos oreilles avaient été merveilleusement titillées par cette cymbale unique dans le "Unknown Soldier" (tite emprunté à Walt Whitman) de Weather Report en 1972. Dès lors Eric Kamau Grávátt inscrivait sa marque d'une unique félinité dans cette étourdissante coterie des grands batteurs de jazz. Puis après son séjour dans l'orchestre de McCoy Tyner, Eric Kamau Grávátt s'est absenté pendant de longues années. Le retrouvant à Minneapolis (grâce à Michael Bland), nous avions enregistré le trio Hope Street MN en 2001 avec Tony Hymas et Billy Peterson. À chaque fois qu'il est offert de l'entendre, comme ce soir du 26 novembre 2017 au Black Dog avec Steve Kenny (tompette), Dave Brattain (sax ténor et soprano), Will Kjeer (piano) et Ron Evaniuk (contrebsse), c'est cet intact émerveillement qui nous saisit à nouveau et tout le sens - qu'il nous est parfois donné de perdre - de ce qui nous a fait aimer cette musique.

Un très grand merci à Steve Kenny qui organise ces Saturday night jazz au Black Dog (184e ce soir) avec cœur et intelligence tant humaine que musicale et diachronique.

Photo : B. Zon

23.11.17

RED NIGHTS AT THE BLACK DOG

"Nous aimons le rouge comme nous aimons le noir"
Anonyme du XIXe siècle (toujours vivant)

Le jazz on peut l'aimer rouge, rouge une valeur de blues aussi simple que le “Quand je n'ai pas de bleu, je mets du rouge” du peintre andalou Pablo Picasso, une valeur d'entrailles et de clairvoyance aussi : le jazz comme musique d'intérieur, de nos intérieurs inquiets, ravagés, révoltés, méditatifs, amusés, pleins de rythmes, d'amour où l'émotion n'est jamais paralysie.

En trois jours devant le red curtain du Black Dog, samedi 18 novembre et lundi 20, se sont succédés deux orchestres en une suite au hasard très objectif : le Red 5 du bassiste Chris Bates (ce soir contrebasse et basse électrique) avec Pete Whitman (saxophones ténor et alto), Chris Thomson (saxophones ténor et soprano), Steve Kenny (trompette), JC Sanford (trombone), Thomas Nordland (guitare) et Red Planet avec Dean Magraw (guitare), Chris Bates (contrebasse), Jay Epstein (batterie). Le bassiste ne sera pas la seule figure commune de ce coup double écarlate.

Les sciences fiction quotidiennes, la température, les amitiés, la conscience, l'éveil, les relations des galbes visibles et dansées, l'autre, une certaine fibre, sont quelques estampilles de la musique de Red 5 composée, impulsée, par Chris Bates. Red 5 ce soir sont 7, ce n'est pas toujours le cas, ce ne sont pas forcément les mêmes non plus. Chris Bates est un bassiste qui aime l'unité, pas l'unité de parade, mais celle des petites hauteurs de dignité qui se dessinent, des encouragements en profondeur, des mains sans cesse tendues, et de la diversité des voix. Avec Davu Seru, batteur nitescent, il fait la paire, celle-ci matérialise les traits constitutifs, les énoncés sensoriels. La confiance règne et ça se voit, se respire dans tout l'espace. À l'avant-centre les deux saxophonistes, Pete Whitman, le vétéran qui a un bon bout d'histoire dans l'anche (une histoire qui passe par Woody Herman ou Rosemary Clooney, Curtis Fuller ou Jack McDuff), Chris Thomson, l'un de ces jeunes loups qui ont chaviré le jazz des Twin Cities à l'arrivée du nouveau siècle (avec ceux de Fat Kid Wednesdays, Happy Apple...) ; de part et d'autre les trompette de Steve Kenny (cet intense musicien et metteur en scène de ces "Saturday night Jazz dirait "flumpette" : le vécu, le vécu) et trombone de  JC Sanford, protégé de Bob Brookmeyer, compositeur, partie prenante de projets prenants (John Hollenbeck, Alice Coltrane...) ; de l'autre côté du batteur, la guitare incisive de Thomas Nordland. Tout prend le temps, roule le bon temps, tout suggère, tout sollicite, tout bout. Abondamment en toutes formes de trajets. Les titres indiquent, simplement. "Dark Matters" aux accents ibériques, "Maliopolis" dédié  à la fois à Ali Farka Touré et aux amis de Minneapolis, une évocation afghane ou l'incontestable "I think we all feel". La musique contre l'engourdissement.

Deux jours plus tard, on retrouve Chris Bates avec un autre habitué des lieux - un habitant devrait-on dire - Dean Magraw. Jay Epstein complète le trio. Davis Wilson, le monsieur loyal du défunt club Artists Quarter est dans la salle. L'Artists Quarter, un club géré par des musiciens pour des musiciens, avait en Davis Wilson une présence, une voix dont tous les amateurs de musique des Twin Cities se remémorent pour son érudition, sa gentillesse et cette façon tellement signée de présenter les groupes. Dean le fait applaudir. L'histoire du jazz se fait aussi par des gens comme Davis Wilson. En deux parties de concert, dans un mouvement où jouxtent recueillement et révolte attentive, provenance et destination, les détails occupent une place immense. Chaque geste, regard, a le pouvoir de construire. Les trois hommes forment un trio d'une cohésion éprouvée, ultrasensible et munificente. D'entrée, "Let's cool one" de Thelonius Monk suivi de "Little Wing" de Jimi Hendrix ne portent aucune nostalgie, elles sont les choix fondateurs pour un récit bien présent d'un tranquille passage des lignes de partage. Tout alors rougeoie. La batterie de Jay Epstein joue les imperceptibles changements de ton, les jeux de sonorité dans le rythme. Elle motive. La basse de Chris Bates préfigure, détermine, pointe l'horizon, réactive et lors d'un solo qui est tout sauf un passage attendu, elle se prend d'un vertige doté d'une force morale époustouflante. Elle pénètre. La guitare de Dean Magraw a bien d'autres choses à apporter que de l'espoir, elle joue l'aurore, sans cesse, distincte et lorsqu'elle cite, il ne s'agit pas de clins d'œil, mais de minis havres de respiration qui mèneront jusqu'au vent. Elle souffle. Le dernier morceau est le plus long. Dean Magraw l'annonce en se mettant le doigt derrière l'oreille pour en augmenter le pavillon : "Vous vous souvenez où c'est l'Afghanistan ?" et dévoile le titre : "Mazâr-e Charîf", lieu de grande souffrance et lieu de vent, de vent incessant. Tous les voyants de Red Planet et sa musique de vent garde sont alors au beau rouge, tout interroge, tout témoigne, tout voyage, se perd, se suspend,  tout s'envole, se retrouve délice, s'embrasse, l'autre est là, chéri, aimé pour être entendu. Red Planet, trio rêvé, est un exemple de résistance constante et, humainement, intégralement complémentaire, jamais clamée, toujours présente, toujours vivante contre ce qui nous menace.

Oui c'est vrai : "Nous aimons le rouge comme nous aimons le noir". Merci à Red 5 et Red Planet de cette bienvenue mise à jour. Nous aimons la musique, c'est vrai.

Nota bene : et comment ne pas célébrer un trio qui se présente en jouant "Shopping for Clothes" des Coasters ?

Red Planet avec Davis Wilson

Photos : B. Zon

20.11.17

QUAND UNE MINISTRE FUME

 C'est la ministre de la santé (pardon des "solidarités et de la santé") Agnès Buzyn qui offre une suite à notre petit article Cata clopes du 19 janvier 2017. Suivant la proposition d’une sénatrice socialiste (le parti des cendres), elle envisage d’interdire la cigarette dans les films produits par le cinéma français. On ne perdra pas son temps à expliquer, au mieux l'évident ridicule de la censure de représentation, au pire sa palpable tentation fascisante, tant l'argumentation est simple (quid de la représentation filmée, à l'avenant, de la torture, de la guerre, de la misère, des boissons sucrées, des milliardaires etc.). On dira pour faire court que ce qui nous pompe vraiment l'air et pour lequel on devrait couper - pour raison de santé mentale évidente -  tous les crédits, ce sont les apparitions nauséabondes et fumeuses des ministres et autres imbus de souveraineté.

En illustration : la couverture de Thollot in Extenso. Ce n'est pas la cigarette qui a tué Jacques Thollot, mais ça, un(e) ministre ne peut le comprendre.

19.11.17

BEN RILEY

Quelques moments importants avec Sonny Rollins, d'autres cruciaux avec Thelonius Monk, de très nombreux forts heureux avec Johnny Griffin, Ben Riley a marqué son temps. Jouer de la batterie est vachement mieux que de sauter en parachute (kaki).

Photo © http://bensidran.com
Sidran - Riley - Griffin

17.11.17

RIVERDOG ET GOYA 4TET À KHYBER PASS

Hier soir à Khyber Pass, au fameux restaurant afghan de St Paul (Minnesota) et son si mélomane hôte Emel Sherzad, lors de ses affables et vibrants jeudis musicaux : deux orchestres, le Goya Quartet et Riverdog dont c'était la quatrième apparition publique. Vibrations de témérité, de liberté, de présage, une façon de franc parler, une vision du monde.
 Dessin réalisé par Andy Singer pendant le set de Riverdog :




Photos : B. Zon

16.11.17

LE FUTUR DU JAZZ
DE KAMASI WASHINGTON
À FIRST AVENUE


Pour Davu Seru

Minneapolis, aube des seventies, un ancien garage à autobus situé sur First Avenue devient un club de musique simplement intitulé The Depot, puis plus simplement encore First Avenue (après s'être nommé Uncle Sam's quelques temps). Pour son inauguration du 3 avril 1970, le hangar accueille l'extravagante tournée américaine Mad Dogs and Englishmen du chanteur britannique Joe Cocker. Mais ce n'est ni pour cet instant de folle déraison, ni pour les groupes en devenir parvenant au(x) sommet(s) qui s'y sont précipités (comme en atteste le récemment publié et remarquable ouvrage de Chris Riemenschneider First Avenue: Minnesota's Mainroom - éditions MNHS) que First Avenue s'inscrira dans l'histoire, mais parce qu'il fut, dans les années 80, le lieu d'éclosion du Prince minnesotan, lequel n'y joua pourtant que 9 fois - certes marquantes. Qui dit l'histoire, qui fait l'histoire, qui vit l'histoire ?

Ces questions plein la tête, on ira écouter le 9 novembre 2017, à l'endroit qui ouvrit ses portes à la démence du rock, à la place qui vit naître les révolutions d'un Prince, le saxophoniste ténor Kamasi Washington avec son orchestre : Patrice Quinn (chant et danse), Rickey Washington (flûte et saxophone soprano), Ryan Porter (trombone), Jamael Dean (claviers), Miles Mosley (basses), Tony Austin, et Robert Miller, batterie. Ces questions plein la tête parce qu'il est difficile d'arriver vierge quand la publicité serine à qui veut l'entendre (et même aux autres) que Kamasi Washington EST "le futur du jazz". Alors on a le choix : se foutre de la publicité pour apprécier ce qu'on appréciera (du moins, c'est ce que l'on croit car finalement ce n'est pas si facile), ou bien choisir l'expérience proposée (simuler l'expérience ?) d'un futur qui ne ferait guère frémir Tony Newman et Doug Phillips (les savants aventuriers d'Au cœur du temps) tant l'impression future serait passée.

La salle (bondée comme la veille pour le même orchestre) est conquise d'emblée et l'exprime. Le groupe est très compétent, le pianiste impressionne, le saxophoniste s'impose sans laisser-aller avec un beau son très plein. Tout semble très épanoui, tonique, raffiné, joyeux même. Mais, le niveau de débordement immédiatement fixé, d'une joie très contrôlée, est très soigneusement identique à chaque morceau. On pourrait s'attendre (bien sûr un seul concert ne fait pas règle) par la publicité (encore elle) clamant aussi haut et fort que le jazz de Kendrick Lamar, c'est Kamasi Washington, à trouver un public différent des salles de jazz habituelles. Pas vraiment, il ressemble dans sa majorité à l'affluence usuelle des concerts de célébrités de jazz : bourgeoisie moyenne plus vraiment toute jeune et en majorité blanche. Le jazz comme substitut respectable du hip hop et le futur en retraite.

Les applaudissements à tout rompre d'un solo avant qu'il ne soit joué (mais après présentation indicatrice : "Vous allez entendre un solo par mon ami qui est un génie") sont-ils réellement une marque de futur dans la mesure où l'appréciation de l'action se déroule avant qu'elle n'ait lieu ? Acclamer le futur comme garantie de bonne conduite. À une époque où même les petits boulots nécessitent une formation accélérée, on peut contempler les images d'images en défilé accéléré et l'instauration d'un climat de confiance, lorsqu'on ne sait plus quoi inventer, évitera toute velléité de présence d'esprit révolutionnaire. Le tromboniste, un ami d'enfance, est présenté à plusieurs reprises comme "Soul brother number one". James Brown risque-t-il sa place dans le jardin du futur ? Rickey, le père de Kamasi est aussi sur scène ; ici la famille ne pâtit pas amateurisme.

Les titres sont définitifs ne souffrant d'aucune critique possible : Harmony of difference, "Desire", "Humility", "Knowledge", "Perspective","Integrity". L'esprit chagrin honteusement méfiant devant tant de bonnes intentions se remémore Love Devotion Surrender de John McLaughlin et Carlos Santana doté d'une version gobe-mouche de "A Love Supreme".  Kamasi Washington, plus subtil, s'assure que la démarche de chaque morceau est parfaitement comprise avant de les jouer. Titre culminant et présenté comme tel, "Truth", avec explication détaillée sur la construction de la pièce faite de cinq mélodies qui fonctionnent bien entre elles, en harmonie, catachrèse du monde rêvé, du monde de demain. Le public exulte, "Ça alors ! mais c'est merveilleux, on y avait pas pensé". C'est très bien agencé pourtant l'esprit chagrin se dit que cette vérité là, "Une métaphore pour dire combien nous sommes tous si beaux", très calculée, très travaillée, très arrangée devrait s'appeler "Ma vérité", cinq mélodies soigneusement choisies pour se marier, aucune renégate, dissonante, rechignarde ou "foutant le bordel" (pour citer le président de la République Française qui a sa vision de l'harmonie).

Noël Coward (auteur en 1931 de la chanson "Mad Dogs and Englishmen") estimait les réponses plus indiscrètes que les questions, alors il en est deux où trois qui prêtent le flanc. Est-il vraiment nécessaire, pour appuyer l'effet "communion complète", que Patrice Quinn lorsqu'elle ne chante pas (c'est souvent) élève avec insistance ses bras au ciel après avoir joint ses mains ? Puis pourquoi diantre s'évertue-t-elle ensuite à jouer de la guitare virtuelle (air guitar), instrument figuré par Joe Cocker (élaboré sous l'effet de quelques substances ravageuses) et largement éprouvé/éprouvant devant les caméras filmant sur la même scène, presque 50 ans auparavant, Mad Dogs and Englishmen ? S'il peut être pratique de justifier cette incursion d'un cliché très passé dans ce futur sans présent par ce qu'écrivait Friedrich Nietzche “Le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire", ce type de détail devient tout de même fort compromettant.

D'autres questions ne se gêneront donc pas pour affluer pendant ces deux heures d'amour universel sans cesse proclamé où la stricte mise en place, fusse-t-elle celle d'un kaléidoscope parfaitement figuré, remplace les foldingues fibres enjoliveuses d'un temps où on absolvait avec une certaine facilité créatrice fondée sur un bouillant héritage récent.

Exemple : la série d'albums réalisés entre 1969 et 1972 par Pharoah Sanders : Karma, Jewels Of Thought, Black Unity, Thembi, Village Of The Pharoahs, Wisdom Through Music se voulait-elle expression d'un futur envisagé comme le présent de Kamasi Washington ? La contemplation, la béatitude semblaient alors moins un moyen d'entrer dans le futur qu'une fuite inconsciente pour trouver une porte de sortie. On chantait l'amour à tue-tête en cherchant ses clés face à une société qui redressait ses murs. Il s'agissait, traumatisés par les échecs du grand soulèvement, de perpétuer les instants de jouissance avant qu'il ne soit trop tard et tous les messages étaient bons, même danser sur "le master plan du créateur" qui avait pourtant de quoi faire rigoler. La représentation du futur s'auto-dévorait et le splendide et plurivalent héritage de Coltrane se trouvait dilapidé dans les réminiscences dérivées de A love supreme, du type "Elevation" ou "Love is everywhere". On ne boudait pas (trop) notre plaisir, même si les contresens, rapport à Coltrane, ou du moins la mise en sommeil (relative) de la partie la plus, cette fois, intimement questionnante de son œuvre gigantesque ("Je ne sais pas ce que je cherche. Quelque chose qui n'a jamais été joué") (1) ne permettait guère de faire face à la réorganisation du monde telle que l'on ne l'avait pas souhaitée.

Vinrent, dans un monde de plus en plus dangereusement unifié, d'autres bouleversements musicaux, d'autres signaux tranchants, d'autres improvisations se saisissant du présent constant, d'autres mad dogs, d'autres visions dont le jazz n'était plus vraiment ou peinait à être (ou ne voulait plus être). L'esprit chagrin prendra donc acte de l'annonce tonitruante de son retour plein de bonnes intentions avec Kamasi Washington. Qui sait ? L'harmonie étant affaire de progression, le meilleur reste toujours avenir.


 (1) L'héritage de Coltrane offrit moult directions : du hippy jazz de Charles Lloyd, en passant par l'indépassable territoire coltranique de ses ex compagnons ou le rock ambitieux garanti non hippy de Magma, jusqu'à la prise en compte, pour un autre développement, des éléments les moins voyants mais les plus intérieurs par Evan Parker. 

Photo : B. Zon





13.11.17

CARTOUCHE 8 PISTES

 On a vu le retour du LP (dit disque vinyle) qui n'avait d'ailleurs pas exactement disparu, celui de la cassette (aux US et UK principalement), on apprend qu'il y a même un regain d'intérêt pour la cartouche 8 pistes (apparue en 1964 et dont la popularité était liée en partie au développement automobile avant de disparaître en 1982). On attend - dans cette partie du monde non virtuelle - le renouveau du 78 tours (qui ne devrait plus tarder) avant le retour en grâce du CD.

Photo : B. zon

8.11.17

DEAN MAGRAW ERIC KAMAU GRAVATT
7 NOVEMBRE 2017 AU BLACK DOG

Salut à Sonny Sharrock, à Coltrane, à Johnny Hodges, à Billy Strayhorn, à Monk, aux travailleuses et travailleurs de l'endroit, rappel aussi, "Power to the people", que le pouvoir est au peuple... c'était hier soir au Black Dog avec le duo Dean Magraw - Eric Kamau Grávátt, un moment de défis doux pour que tout se fasse : perles de réalité et tendre hardiesse.

Photo : B. Zon


7.11.17

DENNIS BANKS PAR ROGER RENAUD


DENNIS BANKS

par Roger Renaud

La presse française s'est complétement abstenue du moindre commentaire sur la disparition de Dennis Banks : l'histoire en sérieuse perte de perspective. Suite à notre article du 2 novembre, François René Simon nous a adressé ce texte de Roger Renaud. La photographie de Milo Yellow Hair (de dos), Russell Means et Dennis Banks est de Guy Le Querrec lors d'une rencontre à Kili Radio sur la réserve de Pine Ridge où nous étions aussi invités le 26 décembre 1990 lors du Big Foot Trail.

Comme en ce moment, encore plus que de coutume, je me tiens peu au courant de
l' "acte alité", c'est seulement à l'instant que je viens d'apprendre, par l'intermédiaire d'un ami, le décès survenu il y a quelques jours de Dennis Banks, l'un des fondateurs de l'American Indian Movement et, sur un plan purement personnel, l'une des très belles rencontres de ma vie. Il n'est pas dans la tradition indienne nord-américaine de célébrer les morts et de se retourner sur eux. La mort en même temps qu'une fin est considérée comme un don; c'est une vie qui, en même temps, s'éteint et se multiplie, qui, en l'occurrence, d'une naissance à un décès, s'efface comme évènements mais se multiplie comme parole.

Dennis appartint à cette génération exceptionnelle (Leonard Crow Dog, Russell Means, John Trudell, Clyde et Vernon Bellecourt, etc. et derrière, invisibles au monde médiatique euroaméricain, mais essentiellement présentes et devant, au premier rang de l'essentiel, d'un point de vue indien : tant de femmes) qui fonda à la fin des années 1960 et fit entendre au début des années 1970 l'American Indian Movement. Génération exceptionnelle, non certes par simples mérites personnels, mais par conjoncture historique : ils avaient grandi dans une résistance indienne, qui, contrairement à ce qu'on imagine souvent, n'avait à aucun moment baissé pavillon mais qui, par la force des choses et parce qu'elle n'avait ni les moyens ni le savoir de se faire entendre au-dehors, était tout intérieure : ils ont rongé le monde tout autour de nous ; ils ne le rongeront pas du moins au-dedans de nous. Mais ils avaient aussi, de diverses façons, appris à grandir au sein du monde euroaméricain, dans ses écoles, dans ses villes, dans ses armées, dans ses prisons. Ils en parlaient la langue et ils savaient comment y agir. Ce qu'ils firent avec éclat. Ils purent et surent exprimer combativement dans l'insupportable présent modelé par le monde qui avait supplanté les leurs ce qui de ces derniers s'était maintenu dans un exil du temps. Ils contribuèrent à remettre dans le courant de l'histoire une indianité qu'on avait tellement voulu rendre muette qu'elle avait pris l'habitude de se taire, au point qu'on avait pu la croire effectivement muette, alors qu'elle n'était que silencieuse, préférant plutôt que de parler en vain à des sourds ne parler qu'à elle-même, aux vents et au fantôme bien vivant de l'Aigle-Tonnerre. Et non pas pour se laisser emporter par ce courant de l'histoire et se mêler à tous les naufrages et vociférations qu'il charrie, mais pour le détourner, pour le chevaucher, pour le conduire, in the Indian way, non comme animal chose qu'on croit diriger où l'on veut, mais comme animal allié avec lequel s'invente un trajet.

Dennis fut de ceux-là : aux côtés de Russel Means,retournant violemment, comme la lame d'un couteau qu'on déplie, toutes les blessures de l'histoire pour s'en faire non pas une plainte, certes, mais une arme,Dennis était plutôt, dans le même engagement, une sorte d'élégance lucide : vous ne m'avez pas touché, je me tiens là où vous ne m'avez pas touché, c'est mon arme (et les deux armes, celle de Russell et celle de Dennis sont bien sûr complémentaires).

Et tel était encore Dennis la dernière fois que je le vis, non pas en chair et en os mais sur une vidéo tournée il y a deux ans par un ami avec Edith Patrouilleau servant d'interprète. Octogénaire, militant autant qu'il y a 40 ans, n'ayant pas d'un dixième de degré baissé la garde, pour autant pas donneur de leçons comme trop d'Indiens occidentalisés d'aujourd'hui, mais toujours insoumis, tellement insoumis qu'il n'avait aucunement besoin de le démontrer, plutôt l'humour, plutôt le bonheur de vivre. On ne cède rien, cela va tellement de soi. Mais on ne cède pas non plus le bonheur de vivre (fier) à la nécessité d'avoir à combattre pour lui.

Pas de photo, donc, et pas de regrets. Today is a good day to live and we'll try tomorrow should be another good day also.

Roger Renaud

Photographie : © Guy Le Querrec/Magnum 

Remerciements à François-René Simon 

5.11.17

LES COLONISATEURS
DES TERRITOIRES ENFANTINS


Le simulacre démocratique en est rendu là : prendre en otage les enfants, kidnapper ces sources vivifiantes de la révolte en les déguisant au passage en repères adultes de la société présumée pour qu'ils nous prennent à leur tour, ainsi modifiés en tristes nous, en otage.


Même triste sujet : se rappeler aussi des propos de Geneviève Fioraso, ministre française de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (5 février 2014 in Les Échos) 

2.11.17

DENNIS BANKS

À Minneapolis au mois de juillet 1968, fut créé l'American Indian Movement qui sut redonner vie et vue actives aux peuples indiens vivant aux Etats-Unis, occupés sur leur propre terre après l'un des grands génocides de l'histoire de l'humanité. L'Ojibway Dennis Banks fut l'un des créateurs de l'AIM avec Clyde et Vernon Bellecourt, Alan Morsette, George Mitchell, George Mellessey, Herb Powless, Harold Goodsky, Eddie Benton-Banai. Dennis Banks nous a quitté à 80 ans le 29 octobre. Saluons l'extraordinaire inspiration, le souffle neuf, il y a 49 ans, qui vit sortir de l'ombre, à laquelle ils avaient été si violemment condamnés, ceux que l'on avait nommés indiens.

Photo © Ilka Hartmann

1.11.17

MUHAL RICHARD ABRAMS

Muhal Richard Abrams ! 
Tous ces gens qui s'en vont, tous ces signes, ces gens-signes, le grand chant des signes.