Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

25.4.22

1848-2022

 

En 1848, Louis-Napoléon Bonaparte, candidat alors
nommé "Attrape Tout", emporte largement les premières élections présidentielles de France, invention subtile pour cadrer les objectifs de la bourgeoisie en laissant croire au peuple qu'il "participe", qu'il "délègue". Les actuels aménagements startupisés feignent de diversifier l'offre en jouant avec l'enfer pour arriver au même endroit. Offrant même de valorisantes déceptions de premier tour de passe passe, l'illusion est renforcée, avant que tout ne rentre dans l'ORDRE. La tradition est respectée.

24.4.22

LE DISQUAIRE DAY DES ALLUMÉS DU JAZZ

 

La boutique des Allumés du Jazz avait dû dormir du sommeil du juste confiné, elle s'est réveillée avec ses deux nouvelles allumettes-disquaires, Clémence Ferrand et Aurel Lançon qui reprennent la flamme allumée antan par les initiales Valérie Crinière et Cécile Salle. Pour le Disquaire Day, ces deux camarades encouragés par la communauté des Allumés du Jazz accueillaient Quentin Rollet, Emmanuelle Parrenin et Jean-Marc Foussat. En trois sets, le trio joua autant les merveilleux souvenirs que le monde à communément bâtir. Un "pour en finir" qui retenait "quelque chose". La beauté conclusive de leur averse vint rejoindre celle de cieux régénérateurs. Toute la journée, échanges avec les mélomanes et mélowomanes qui trouvaient leur bonheur de toutes sortes de musiques dans la boutique des Allumés du Jazz en plein sourire non simulé.

 

Photo : B. Zon

22.4.22

JACQUES PERRIN ET VALÉRIE

 

En 1988, Tony Coe avait écrit et enregistré la musique du film réalisé par Jacques Perrin, Mer de Chine. Jacques Perrin en était l'un des acteurs avec Jane Birkin, Samuel Fuller et Jean-François Balmer. En 1990, il avait été question avec cet acteur producteur de faire un film avec des indiens d'Amérique, il nous aida un peu à filmer le "Big Foot Ride" de cette année là. Un des premiers rendez-vous auquel assista Valérie Crinière, qui venait d'arriver chez nato, était au bureau de Jacques Perrin. Lorsqu'il ouvrit la porte, elle eut un choc émotionnel fort visible car c'était Maxence des Demoiselles de Rochefort (son film favori) qu'elle rencontrait enfin.

Tony Coe : Mer de Chine (cinénato 1988)

20.4.22

HARRISON BIRTWISTLE

 

Le compositeur Harrison Birtwistle a tenu, en pointillés, une place particulière dans nos voyages des années 80. Son ami Alan Hacker, qui aimait raccourcir les distances, jouait volontiers ses compositions dans des contextes déplacés (entendre : ni à l'opéra, à l'Ircam ou aux Proms) à Chantenay-Villedieu, à Dunois ("La plage " avec Christine Jeffrey, Violeta Ferrer, Tony Coe, Sylvain Kassap, Karen Evans, Gérard Siracusa) ou en enregistrement pour nato ("Verses" in Hacker Ilk). Birtwistle avait parrainé le festival de Chantenay en 1987. Sa musique sort volontiers des arrondis du pré carré de la musique contemporaine, s'autorisant violence et charme avec en constante une aigüe beauté du son. Auteur d'opéras remarquables, sa seule musique de film (The Offence de Sidney Lumet) est splendide. Né en 1934, il nous a quitté avant hier. 

 
Photo classique de Lord Snowdon (National Portrait Gallery)

18.4.22

QUENTIN ROLLET SUR reQords

Schématiquement, il existe deux types d'albums discographiques, ou plutôt deux volontés d'albums discographiques : les disques documentaires et les disques de fiction, les uns suivent les artistes à la trace, les autres empruntent à l'empreinte unique. Et puis, il en est d'autres qui ne se résolvent à rien, ou plutôt à tout, des albums-échappées qui se logent dans la vie comme autant de nouvelles, de romans de crier gare. Ils sont le pas ralenti quand tout s'affole ou au contraire le point d'empressement quand tout stagne. Ils n'ont que faire de s'inscrire dans la feria des disques cultes, ni dans quelque course que ce soit, ils sont le pouls de la métaphore, l'ombre qui s'estompe dans la lumière d'une minute privilégiée. Le nouvel album de Quentin Rollet et Eugene Chadbourne, au titre parfaitement palpable Recorded yesterday and on sale today, en est l'adéquate illustration. Il arrive à point. C'est d'ailleurs l'une des grandes qualités de Quentin Rollet d'arriver à point, d'improviser en pleine forme dans l'improvisation trop visée, de former la déforme et, comme artisan sur toute la ligne, du saxophone à la production, de pulvériser les genres. Cinq albums discographiques récents, cinq nouvelles donc, aux pochettes avenantes, publiés par reQords, en sont l'ardente illustration ; l'initiale au milieu du nom, une façon d'animer au-delà du jeu, de loger l'empreinte sans la rendre catégorique. Tout électrise, (s')amuse, farfouille, fusionne, carde, tourmente, signale, insinue, mystifie, démystifie et hop ! relance. Keep rolling Quentin !



- Quentin Rollet - Eugene Chadbourne : Recorded yesterday and on sale today - reQords 2022
- Borisou, Lorichon, Nosova, Rollet : Shampanskoye - reQords 2021
- Kim Giani & Quentin Rollet... mettent une ambiance de malade - reQords 2020
- Q & A : The new me - reQords 2020
- Quentin Rollet & Romain Perrot : L'impatience des invisibles - reQords 2019

10.4.22

FRANÇOIS CORNELOUP CHEZ TEXTURE

Au levé des années 70, André Francis avait inventé à Châteauvallon le terme "solo absolu". Il indiquait clairement qu'il ne s'agissait pas d'un musicien qui quittait son groupe habituel pour se produire avec quarante musiciens, ni de solos accompagnés, l'usuel rayonnant du jazz et de ses enfants, mais de "seul en scène face au monde". Le monde hier, 9 avril 2022, c'était la bien nommée librairie Texture à Paris 19e et l'absolu, le généreux solo de François Corneloup. Il était là pour présenter son livre de photographies Seuils (éditions Jazzdor series, texte Jean Rochard) et c'est bien une forme de loyauté pour ce fameux espace-titre à franchir, puis son dépassement, que joua le saxophoniste. Entouré de livres exaltants, il chemina par les sentiers aimantés d'histoire, saluant de grands ainés tel Harry Carney chez Duke Ellington, faisant surgir des phrases musicales reliées comme autant de poèmes, de naissances solidaires, de partages propices ou de petits festins éclatant les parenthèses, ne se contentant jamais d'acquis, mais désireux, puissamment désireux, de la rencontre.


Photo Z. Ulma

4.4.22

LE PREMIER AVRIL DE CATHERINE DELAUNAY, JEAN-FRANÇOIS PAUVROS ET AnTi ruBbEr brAiN FacToRy


Ça commence par un coup de fil animé d'amène urgence, Yoram Rosilio du Fondeur de Son invite nato pour une soirée commune à Anis Gras - le Lieu de l'Autre à Arcueil. C'est ravissant et comme on aime autant les ravisseurs que les vis-à-vis, on est ravi. Excités même par l'idée de cette petite fête impromptue. Partage immédiat : Le Fondeur de Son convie AnTi ruBbEr brAiN FacToRy, et nato Catherine Delaunay et Jean-François Pauvros. Les amitiés n'ont pas d'automatismes. Intitulé de ces jeux d'un soir, de cette idée de lendemains à chanter : Les démesures Commune du Fondeur de Son et de nato. Pierre Tenne du Fondeur de Son raconte la première partie proposée par nato et Jean Rochard de nato la seconde proposée par le Fondeur de Son

Catherine Delaunay et Jean-François Pauvros

Raspail n'est pas simplement une station de métro faisant référence à un boulevard parisien nommé en l'honneur d'un homme politique d'un autre temps. Et vice-versa. Il y eut longtemps un élixir nommé Raspail, commercialisé par ce même François-Vincent – l'élixir était en fait une liqueur et connut un petit succès jusqu'à sa disparition dans les années 60. On en vendit tant qu'il fallut bien transformer la droguerie originelle de l'avenue Laplace d'Arcueil en distillerie, avant qu'elle soit vendue aux établissements Bols, qui eux-mêmes la revendront aux frères Gras – la famille avait fondé une entreprise d'anisette à Alger en 1872. C'est en 1962 que la famille Gras, quittant Alger avec les « Européens » que la colonisation isolaient des indigènes musulmans, racheta l'ancienne bâtisse des Raspail. En 1994, la ville d'Arcueil rachète à son tour le site avant de le confier en 2005 à l'association Écarts. Depuis, et ça lui colle à la peau, l'Anis Gras est le lieu de l'autre. C'est donc tout naturellement que l'autre rencontra l'autre. 

La maison des disques nato décida, ce soir de neige et de 1er avril, que ces deux autres seraient Catherine Delaunay et Jean-François Pauvros, qui jamais auparavant n'avaient ensemble improvisé. L'improvisation libre ne l'est pas si souvent que ça. De la même manière que les événements et les corps qui réunissent sur quelques mètres carrés le camphre, le chimiste, l'anisette coloniale et la commune d'Arcueil. Ce qui vraiment s'installe parmi nous, pour un instant même ou pour deux siècles, se tisse d'une liberté qu'on ne peut pas raisonner parce qu'elle n'est pas raisonnable. En ce lieu déraisonnable donc, deux musiciens se découvrent et déraisonnent. On les laisse libre, très bien, mais le plus intéressant est ce qu'ils en font de cette liberté. Ils se tournent autour et à tâtons cherchent une entente commune. Ça démarre comme ça, Catherine Delaunay ferme les yeux. L'entente commune est parfois un grouillonnement de guitare saturée qu'accoste une clarinette poussée au bout de son expression. Qui comme cette clarinettiste sait aujourd'hui pousser, si absolue, sa voix ? C'est parfois une rupture violente, comme Jean-François Pauvros qui crie dans le micro de sa guitare pendant que la ritournelle d'une clarinette obsessionnelle emporte la séquence jusqu'à l'épuisement, jusqu'au fin bout du sens. C'est encore les rires du chaos et de l'harmonie. La réunion des éléments fulgure comme le camphre dans l'Erlenmeyer de Raspail. L'autre qui rencontre l'autre, et plus que l'improvisation et la liberté, tout ce qui se passe sous et sur les sens, les raisons, les mots, les notes. Des histoires aussi, qui se boutent sur toutes les autres et depuis lesquelles on repart. Plus que jamais.

                                                                                          Pierre Tenne

AnTi ruBbEr brAiN FacToRy 

Yoram Rosilio et Jean-François Pauvros avaient interrogé l'assistance (féminin de public) sur le genre du mot Entracte. Erik Satie, habitant d'Arcueil, en avait, avec Francis Picabia et René Clair, représenté l'épaisseur en 1924. Il est encore temps. Les entractes sont des régulateurs, des moments d'échanges, de respirations partagées, on y touche des disques, on y fume la pipe ou bien discute de la situation du monde, de cette étrange neige qui tombe un premier avril. Ce soir il y a autant de sourires que de flocons. Et vient naturellement le moment d'entendre AnTi ruBbEr brAiN FacToRy, sextet réuni par le contrebassiste Yoram Rosilio avec les saxophonistes Jean-Michel Couchet, Benoit Guenoun, Florent Dupuit, le soubassophoniste François Mellan et le batteur Érick Borelva. AnTi ruBbEr brAiN FacToRy a le bas de casse qui danse avec les majuscules ; le titre d'un album de cet ensemble à géographie gourmande Serious stuff & Lots of lightness pourrait bien être son mot de passe. Première indication qui ne se dément pas :  la musique opère par glissements de plans plus que par ruptures. Les musiciens abouchent les petits manifestes collectés dans l'histoire comme œuvre dansée : le jazz est une musique de responsabilités assumées, la fécondation d'un ensemble de caractères et de corps subtils. Et dans la musique de ce soir, l'ensemble laisse apparaitre un corps qui rejoint l'ensemble qui génère un autre corps qui rejoint... L'image sans cesse s'agrandit en proportions judicieuses. Le jeu rythmique de la très intéressante paire (on pourrait dire ça dans un journal de jazz) Rosilio-Borelva, paire d'espérance tenace, paire en état de voyance, libère les états d'esprits des captivants soufflants, sans jamais sacrifier à un trop aisé plein-pied (quel qu'il soit). On peut bien considérer d'un seul tenant les histoires complexes, leurs états d'esprits. Alors on ne sera pas surpris dans une perspective de rayon lumineux qu'un dernier morceau soit dédié à Eric Dolphy. Le passeur. *

Vivement la prochaine démesure Commune !

                                                                                             Jean Rochard

Photographies : Z.Ulma

* Titre d'un article, devenu célèbre, de Jean-Louis Comolli à propos d'Eric Dolphy dans Jazz Magazine juin 1965