Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

25.12.08

FIN D'ANNÉE - EXTRAIT D'IVRESSE
FIN D'IVRESSE - EXTRAIT D'ANNÉE



"Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
"

Arthur Rimbaud (Le bateau ivre)


Photo : B. Zon

CARL EINSTEIN POUR NOUS AUTRES




Hier c'était Federico Garcia Lorca (hier oui) poète assassiné ... aujourd'hui Carl Einstein par écho sensible et non immuable. Ils sont peu de nos drôles de jours à parler de cet essentiel et visionnaire historien de l'art, poète, auteur de romans et de pièces théâtrales (neveu de l'auteur de La relativité générale). Georges Didi-Huberman le fait très bien, Abel Paz aussi.

Courte évocation :

Carl Einstein a su comprendre la jonction (on dirait aujourd'hui l'interaction) et les liens indénouables entre art et politique (politique entendu au sens plus grec que napoléonien ou combine à la Thiers). Il ne restera pas sur sa chaise rembourrée à théoriser. Cet ami de Georges Braque contribue en 1929 à l'effort de Georges Bataille pour la revue Documents : Doctrines, Archéologie, Beaux-arts, Ethnographie et est le premier en Europe à sérieusement considérer l'art Africain. C'est capital ! Sensible au Spartakisme, il avait déjà pris part à la révolte de Berlin à la fin de la première guerre mondiale. En 1933, il quitte définitivement l'Allemagne où il n'est déjà plus guère. L'écrivain d'origine juive a souvent été la cible dix ans avant des fascistes déjà très assurés. Il a aussi su à l'occasion refuser les honneurs officiels forcément factices. Son indépendance d'esprit et de corps est totale et décisive. À Paris, il s'intéresse également au cinéma et collabore avec Jean Renoir au scénario du film Toni. Il sortira déçu des rapports égoïstes du milieu du cinéma. Anarchiste convaincu, Einstein, qui a déjà rencontré Buenaventura Durruti en 1932 à Bruxelles, s'engage en 1936 dans la Colonne Durruti ("La Colonne Durruti reviendra du front sans analphabètes : c’est une école."). À l'enterrement de l'anarchiste espagnol à Barcelone, l'auteur de Bebuquin lit le texte écrit pour son compagnon qui va tant manquer. Comme les réfugiés espagnols subissant les assauts des fascistes et la traîtrise des faux alliés, le signataire de L'art du XXème siècle passe en France avec sa femme Lyda Guévrékian et les derniers volontaires étrangers en 1939. L'"accueil" est honteux : séjour au camp - très dur - d'Argelès avec d'autres anciens de la Colonne Durruti. Bref retour à Paris avec l'aide d'amis ; il se remet à écrire mais est interné en 1940, comme Allemand vivant en France, au camp de Bassens près de Bordeaux. Libéré un peu avant l'armistice, il tente de se suicider conscient de l'approche des troupes nazies, il est sauvé et s'enfuit. Figurant sur les listes noires des Nazis, Einstein sait qu'il est sur le point d'être arrêté et se suicide près de Mont de Marsan en se jetant d'un pont au dessus du Gave de Pau pour échapper à la torture de l'occupant qu'il connaît trop bien.

"L’art collectif nous est nécessaire : seule la révolution sociale renferme la possibilité d’une transformation de l’art, constitue ses prémisses, détermine à elle seule la valeur d’une mutation de l’art et donne à l’artiste sa mission. L’art primitif, c’est le refus de la tradition de l’art aux mains des capitalistes. Il faut détruire le caractère médiat et traditionnel de l’art européen, il faut constater la fin des fictions formelles. Si nous faisons voler en éclats l’idéologie capitaliste, nous trouvons en dessous les seuls vestiges de valeur de ce continent effondré, préalable à toute nouveauté, la masse ordinaire qui aujourd’hui encore est empêtrée dans la souffrance. C’est elle l’artiste."

C'est pour aujourd'hui et pour demain.

24.12.08

LE RETOUR DES MOTS (SANS ARRÊTS)




Samedi 20 décembre, au Lavoir Moderne de Paris, Violeta Ferrer, dit, donne, chante la poésie de Federico Garcia Lorca en compagnie réfléchie de Raymond Boni (La guitarra). Les mots de Lorca, généreusement transmis, brisent le silence meurtrier par la beauté exprimable de la vie augmentée, celle qui défie l'énergie mortelle refusant aux êtres de pouvoir s'unir. Violeta Ferrer a porté sans jamais les déposer, ces paroles-là depuis l'Espagne des oubliés. L'Espagne violée par l'ordure fasciste qui fut si agréable aux champions de "l'anti-fascisme" libérateurs (sous conditions) de l'Europe qu'elle mourut dans son lit, pendant que les démocrates en vacances s'exhibaient sur ses plages loin du sens des êtres réellement porteurs de vie.

Lorsque toutes les terrasses
furent des sillons en terre,
l'aube ondula des épaules
en un long profil de pierre.

O la ville des gitans !
Les gardes civils se perdent
dans un tunnel de silence
tandis que les feux t'encerclent.


Les mots de la Romance de la Guardia Civil española, résonnent justement et infiniment en nos temps aggravés de brutalités policières, ces temps où le camp des gitans grandit chaque jour. Ces temps où beaucoup d'entre nous sont sur le départ sans savoir où nous irons. Nous devrons surtout emporter la poésie, cette poésie-là, ce langage-là que les Gardes Civils du passé, du présent et du futur brutaliserons toujours en vain. Ils ne peuvent comprendre ceux qui partagent encore. Ceux qui parlent avec le flux des veines. Il est aussi des cris libérateurs.

Les mots de Lorca sont encore là pour nous dire qui nous sommes si nous voulons bien l'entendre. Violeta Ferrer et Raymond Boni ont opté en ces temps de fêtes-rien-que-les-fêtes pour un cadeau utile.

Post blogum : Au moment où l'Empereur et son Baroche sont en vacances, la radio nous informe que c'est la Chef de la Police qui est responsable de l'état.


Images : B. Zon

17.12.08

ET LE CUL DE CHARLIE PARKER
N'ÉTAIT PAS DU POULET
LES TRAVAILLEURS DE LA FNAC HEUREUSEMENT DISCULPÉS




Sur la couverture de Les 1000 CD des disquaires de la Fnac, un superhéros au teint livide-verdâtre et au sourire crispé impose son agitation culturelle dans les rues d'une très grande ville, dispensant, du creux de la main, sa lumière blafarde et ses disques sans noms. Le petit peuple, enfin aiguillé est heureux, il ne demande que ça, il n'a pas le temps de choisir par lui même. Ca sert à ça les superhéros, même d'allures crevardes. Il faut bien que les grands magasins, plus trop fréquentés par les Marx Brothers, guident leurs clients comme la République guide ses ouailles avec des livres d'histoire sur mesure (La commune pas le temps, la révolution espagnole aux oubliettes, le 17 octobre 1961 à la Seine...).

Bien souvent ces listes les 100 CD du siècle, les 100 plus grands chanteurs, les 100 indispensables du Jazz ou ces 1000 CD des disquaires de la Fnac et les cohortes de primes à l'assurance sous forme de petits stickers-récompense, légions d'honneur en chocolat ("bon chien, tu as bien travaillé !") : 4 fortés, un Choc, 4 sapins, tendent à déresponsabiliser l'auditeur en lui confisquant ses choix propres. On aimerait bien un tel ouvrage s'il ouvrait sur d'infinies possibilités, offrait d'autres alternatives que celles que l'on voit dans toutes les listes en offrant des encouragements - franchement Kind of Blue de Miles Davis (premier disque de Jazz et 33ème position du classement général de la Fnac) est une réussite, mais sa surexploitation, surexposition file parfois la nausée - indiquait les liens, accompagnait le sens critique, ce que savent souvent TRÈS BIEN faire les disquaires. Le texte de présentation annonce : " Sélectionner les 1000 meilleurs albums - classés par ordre - de tous les temps (rires non fournis) et constituer ainsi une discothèque quasi-idéale, telle est la mission que ce sont fixés les disquaires de la Fnac ! Parmi les grands gagnants de ce grand plébiscite : Nirvana, Serge Gainsbourg, Radiohead, Portishead et bien d'autres encore." Mais les disquaires ne sont pour pas grand chose dans cet ouvrage et certainement pour rien dans cette "mission" (qui ne compte ni musique classique, ni musique contemporaine de tous les temps) si ce n'est qu'ils ont eu - au mieux - à cocher des noms déjà choisis par un comité directeur. La Fnac méprise son personnel et l'utilise comme bouclier humain.

Aucun disquaire n'aurait pu écrire les affligeants textes accompagnant ce guide nocif. Au mieux, ces petits poulets sont tissus de banalités horriblement réductrices (dangereusement réductrices). Au pire un enfilage d'âneries. Un exemple parmi d'autres : Charlie Parker figure deux fois dans la sélection (une fois de façon bien inélégante par une compilation-recyclage de domaine public à la pochette hideuse, même pas par une production Norman Granz ou Jazz at Massey Hall). On apprend qu'il était surnommé le Bird car "il mangeait du poulet en quantités astronomiques". Ou comment un accident de la route survenu à un gentil volatile est transformé en délire gargantuesque. Bon dieu mais c'est bien sûr, c'est l'abus de galliforme qui a eu raison de Charlie Parker (on espère que le message passera au Ministère de l'Intérieur) à tel point qu'il en devient ici, "trompettiste". "Chéri rejoue-moi z'en !" Parker, tellement accroc du poulet qu'il se mit à la trompette, instrument que lui dispute John Coltrane pour Love Supreme dans le même livre (vendu 19€ et aussi nuisible que Bruits" de Jacques Attali). Une trouvaille non ?

L'ancienne Fédération nationale d'achats des cadres (créée en 1954 et forte de 78 magasins), finira bien par perdre des plumes à force de voler dans les nôtres. Amateurs de musique, unissez-vous et chassez avec du gros sel tout ceux qui voudraient la transformer en un sinistre poulailler clos d'où elle ne verrait plus le jour. Nous n'aimons le poulet, ni en trompette, ni en batterie.

16.12.08

DES CHAISES























Il a dit "J'ai pris des chaises pour des gens". Il en était tout retourné. Bien sûr la brume était épaisse aux alentours du canal et il aurait pu s'en contenter pour s'excuser d'une aussi grande méprise. Il se souvenait d'une amie qui s'était doucement confiée au petit matin après une nuit complexe "Il ne faut pas prendre les gens pour des chaises". C'était gravé. Il y avait depuis toujours pris garde. Il ne se doutait pas qu'un jour il serait confronté à l'inverse. Des petites lumières clignotaient tout autour. Tantôt elles lui servaient de guide, tantôt il s'y perdait. Quelques pièces en poche pour acheter un journal, mais pour lire quoi, il s'arrêtait constatant que les cafés étaient fermés, les chaises empilées. Au détour d'une ruelle, une odeur de cannelle, le vent ne soufflait pas ; pour le laisser décider ? Comment pourrait-il encore s'assoir ?


Photo : B. Zon

8.12.08

ZOO ET FORETS


L'Ancient Traders Gallery de Minneapolis, une galerie indienne, expose des artistes indiens pour en finir avec l'oubli. Les peintures de Dyani Whitehawk, Carolyn Anderson, Gordon Coons, Jonathan Thunder déCRIvent des chemins parcourus immenses, marqués de larmes et de sang. Il y a encore des aigles dans le ciel de Mankato où furent pendus 38 Dakotas pour l'exemple sur ordre de l'humaniste Abraham Lincoln. L'atmosphère est toujours pesante à Mankato, ville du bannissement. Les militants de l'AIM et d'autres Indiens l'ont rappelé en s'opposant aux acteurs descendants en costumes de colons défendus par la police lors des célébrations des 150 ans de l'édification de St Paul à Fort Snelling au printemps dernier, ils l'ont souligné aussi dans la manifestation contre la guerre pendant la RNC. Les Indiens, comme les policiers, sont toujours en costumes d'époque, mais ce n'est jamais la même époque. La roue tourne, c'est ce qu'elle sait faire "La lutte est comme un cercle, elle peut commencer à n'importe quel point, mais elle ne se termine jamais" (Sous-commandant Marcos). Pas de lutte, pas de peinture. L'art entraine parfois sublimement lorsqu'il n'invite pas à l'oubli. Il est toujours second et lorsqu'il le sait, alors on peut vraiment regarder (réagir).

Dans Mama Too Tight (Impulse), Archie Shepp avait dressé un juste portrait du peintre afro-américain Robert Thompson (aussi connu comme Bob Thompson). Robert Thompson aimait montrer la vie en couleur, des couleurs d'un constat humain espéré, issues du XIXème siècle, siècle indépassable, amplificateur géant interminable, inqualifiable, appelant les siècles suivants à marquer leurs progrès par la guerre toujours plus 2voluée. Nombreux sont ceux qui avaient découvert l'existence de Robert Thompson par la couverture (mal imprimée) du disque sud-américain de Steve Lacy : The Forest and the Zoo (Esp). La forêt et le zoo, en deux mots tout est dit, Archie Shepp le met très bien en musique aussi, on entend tout en prêtant l'oreille : même l'élection "avenir" de Barack Obama suivie du retour des "Clinton", on entend aussi les 240 ouvriers de Republic Windows and Doors à Chicago demandant leurs indemnités légales de licenciement, des cris lointains d'Afghanistan et le Sheriff Fletcher toujours occupé à fabriquer preuve sur preuve pour confondre les anarchistes de St Paul. On entend des signes multiples, multiplicateurs et multipliés, et c'est stimulant, pour peu qu'on n'en reste pas seulement à la musique qui ne pourra jamais rien pour personne.

Il sera sans doute toujours temps de constater la faillite de l'art et sa lente dégradation causée par ses sujets mêmes. Lesquels sujets devraient abandonner les gémissements (ils font - certes - ça très bien) de salons , forcément inélégants, pour rejoindre les véritables damnés de la terre (qui font ce qu'ils peuvent)... un roi doit avoir les mêmes souvenirs que ses sujets (Sartre) à moins que les sujets ne se souviennent de rien.


Image : Texte de l'exposition Honor the Earth - The Impacted Nations

1.12.08

NE PLUS LAISSER FAIRE



Fabrication de boucs émissaires a Tarnac, sécurisation scandaleuse de la haute finance, hausse du chômage malgré les profits, suicides en série dans les prisons, projet d'incarcération des enfants, fastes de la cour, criminilisation des pauvres, allongement du temps de travail, manipulation de la presse (qui ne se fait pas prier), chasse aux SDF, chasse à l'immigré... Combien faudra-t-il d'"indices" sinistres tombant quotidiennement pour comprendre où nous vivons et nous sortir de notre tord-peur ? En voici un autre juste transmis par RESF Isère :

"Une première en Isère : des enfants raflés à l'école
vendredi 28 novembre 2008 (16h28)

Hier s'est produit un fait très grave à l'école du Jardin de Ville, à Grenoble. A 15h45, un père de quatre enfants (un moins de trois ans, deux scolarisés en maternelle et un en CE1 à l'école du Jardin de Ville) est venu,accompagné de deux policiers en civil, chercher ses enfants, pour "un rendez-vous en préfecture", ont compris les enseignants. A 19h, on apprenait que la famille au complet était au centre de rétention de Lyon.

Ils y ont dormi. Ils étaient injoignables hier soir. On a réussi à les joindre tôt ce matin aux cabines téléphoniques du centre de rétention (qui, rappelons-le, est une prison). Ils étaient paniqués. On a prévenu le centre que la CIMADE, seule association ayant le droit d'entrer dans les centres de rétention, irait voir la famille ce matin. Arrivés au centre, les militants de la CIMADE les ont cherchés, sans succès : la famille était en route pour l'aéroport, leur avion décollant une demi-heure plus tard.

Nous n'avons rien pu faire, nous attendions que les militants des la Cimade comprennent la situation de la famille, afin de pouvoir les aider en connaissance de cause. Ils ont été expulsés ce matin. Leurs chaises d'école resteront vides.

C'est une première en Isère : la traque des étranger-e-s pénètre dans les écoles.

Les seuls enfants en situation irrégulière sont ceux qui ne sont pas à l'école.

Nous vous demandons de bien vouloir faire circuler cette information le plus largement possible. Personne ne doit pouvoir dire "on ne savait pas".

Merci

Réseau Education Sans Frontières 38"


Photo Jacques Guez - Expulsion de familles d’immigrés, il y a trois ans, le 2 septembre 2005- jour de la rentrée scolaire - 4 rue de la Fraternité à Paris XIXe

19.11.08

BROKEN DREAMS



En 1972, la musique changeait de mains à plus d'un jet de toupie. Le rock'n'roll s'affranchissait (hélas souvent) de sa réputation de "petite vérole" ou de "vitriol" (pour paraphraser Au bonheur des dames) jouant soudain la carte aristocratique (et de ce fait même forcément décadente). David Bowie débarquait de mars assurément, quelques jeysers spontanés type T.Rex allaient bientôt s'éteindre, Mick Jaegger transformait les Rolling Stones en entreprise et Keith Jarrett à Cologne nous signifiait sévèrement qu'on avait assez rigolé et qu'il était temps de reprendre les chères études. Il faudra attendre les punks pour le nouveau chambardement libérateur.


1972, c'est l'année où paru Rock Dreams de Guy Pellaert, ex collaborateur d'Hara Kiri pour Jodelle et Pravda. Peintre, illustrateur et fou de cinéma (et plus encore), Peellaert avait témoigné pour le rock'n'roll à son grand tournant (les lecteurs de la BD Titeuf savent toute la douleur cruelle qu'il y a à quitter l'adolescence). Peellaert fixait ce moment à jamais mieux que tous les discours. Il couchait l'ambigüité dans de beaux draps. Du coup David Bowie et les Rolling Stones lui commandaient les couvertures de leurs disques ambigus. Le générique ultra-panoramique signé Peellaert de la belle émission de cinéma à la télévision (ça a existé) de Claude Ventura (Cinéma, cinéma) rendait l'appareil ins kino et du coup les affiches de Taxi driver de Scorcese, des Ailes du désir ou Hammett de Wenders, de l'Argent de Bresson, des Rendez-vous d'Anna de Chantal Akerman, Mauvais Sang de Léos Carax suivaient. Cet admirateur de Marilyn Monroe (qui travailla aussi avec Alain Resnais pour le documentaire sur Gershwin) et d'une certaine folie urbaine, loué par Baudrillard, se retrouvait dans la lumière narrative des néons, celle d'une humanité fouillée dans la désillusion. Les lueurs de Peellaert, intéressant témoin des mutations d'un siècle finissant en agonisant énérgétiquement, se sont éteintes à 74 ans le 17 novembre.




Peintures : Guy Pellaert - Rock Dreams, The Big Room

17.11.08

HUMANITÉS






"Les artisans du vrai changement c'est vous" pouvait être le mot clé de cette soirée du 16 novembre réunissant trois groupes bourrés de talent et de conscience sociale. Effluves du violent passage de l'Elephant dans la cité et des immédiates réponses musicales, cette soirée au Black Dog était aussi et surtout celle d'une nécessaire évacuation du néant sans simulacre par la prise de parole. Une parole à porter loin, à donner, qui sait qu'elle n'est rien sans gestes. Tout n'est que "question de temps" pour saisir l'instant crucial qui fait d'une vie, une vie véritable. Taina Asili Y la Banda Rebelde, Broadcast Live et Junkyard Empire (avec Kristoff Krane en invité surprise), ont puissamment joué le partage des tâches et les dénominateurs communs avec champ maximal : la reconquête d'une liberté sans cesse menacée au plan collectif. Et les gens, toujours invités, ont chanté, dansé et parlé ensemble, un moment de conviction et d'intime force partagée. Jean-Paul Sartre écrivait en préface du livre de Frantz Fanon Les damnés de la terre* (le titre-liant de ce concert du 16 novembre était The Wretched Rising): "Peut-être, alors, le dos au mur, débriderez-vous enfin cette violence nouvelle que suscitent en vous de vieux forfaits recuits. Mais ceci, comme on dit, est une autre histoire. Celle de l’homme. Le temps s’approche, j’en suis sûr, où nous nous joindrons à ceux qui la font". Rien n'est jamais loin.


* Les Damnés de la terre, de Frantz Fanon, Paris, Éditions Maspero, 1961


Images : B. Zon - peinture Neto (exposé au Black Dog en novembre)

16.11.08

CORPS ACCORDS À BRUXELLES
















La photographie reste à la fois un des grands mystères des temps présents, qui ne sont pas toujours des temps de pause, et l'un des grands fournisseurs d'interrogations de la société elle-même et des questions suscitées par ses sujets (voir celle d'Avedon par exemple). Endroits de départ ou d'arrivée, lieux de prescription des temps respectifs enchevêtrés, panneaux de transmission, arrêts sur images en mouvement parce qu'il le faut, choix d'un moment solitaire et autrement invisible, trains rébus désintoxiqués, expressions du détail et l'infini sans passer par le zéro, surexpositions brûlantes, les clichés photographiques ont souvent permis au corps d'avoir un magnifique plaidoyer contre les religions confiscatrices. Photographier la danse est une clé du dossier saisie dès les origines de l'invention de la boîte à images (Ted Shawn photographié par Ralph Hawkins par exemple - voir Erik Satie et Autre Messieurs : Airs de Jeux).

Alors que la danseuse Sergine Laloux - que les habitués de Minnesota sur Seine connaissent bien pour les quatre mains avec Guy Le Querrec appréciables dans les programmes édités - prenne l'appareil, c'est un pas chassé et qu'elle rejoigne la musique, un bel emboîté.

Sergine Laloux expose au Théâtre Marni à Bruxelles du 2 au 13 décembre 2008 une série justement intitulée Corps Accords

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13.11.08

IN FROM THE STORM




Le 15 octobre 1966, La Dépêche d'Evreux commentait avec luxe de détails le "second souffle" du chanteur "à risques" (devenu depuis chanteur à Lunettes), Johnny Hallyday, pour son concert au Novelty de la ville Normande. On notait en fin d'article la phrase suivante : "Nous passerons rapidement sur la première partie du spectacle composée à l'improviste, nous a-t-on dit, parce que les danseuses de jerk qui doivent l'animer n'étaient pas arrivées en France. Nous n'en garderons que le souvenir d'un assourdissant vacarme." Eure Éclair, aussi enthousiaste, ne donnait guère plus de précisions sur les coupables : "Après cet intermède assourdissant apparut la dernière découverte de Johnny Hallyday. Il s'agissait d'un chanteur guitariste à la chevelure broussailleuse, mauvais cocktail de James Brown et de Chuck Berry, qui se contorsionne pendant un bon quart d'heure sur la scène en jouant également de la guitare avec les dents ". Ce bordel sonore n'était autre que le premier concert du Jimi Hendrix Experience, scintillance majeure du XXème siècle, relais à la volée du haut périple Coltrane, ouvrant cette tournée du futur bluesman sarkozien. Jimi Hendrix : guitare, chant, Noel Redding : basse, chant complémentaire, Mitch Mitchell : batterie en plein dans le champ. Le vacarme eut sans doute vite raison des sourds et lors de l'étrange concert à l'Île de Wight en septembre 1970 du dernier groupe de Jimi Hendrix avec Billy Cox et Mitch Mitchell, ce dernier livra un combat de chef afin de rendre vie au miracle qui allait bientôt faillir définitivement, lors d'un solo précédant le déchiré "In from the storm". Les éditions successives du concert d'Hendrix à l'Île de Wight oblitérèrent souvent ce solo qui pourtant en fit rêver plus d'un (ici même me suive). Plus qu'Hendrix même, Mitch Mitchell fut souvent le meilleur ambassadeur du jazz dans le monde du rock (l'inverse qui va dans le même sens est aussi vrai). Miles Davis qui n'aimait pas grand monde, l'aimait beaucoup. À 61 ans, merde c'est jeune, Mitch a fouttu le camp à trois pierres du soleil dans sa chambre d'hôtel d'une ville au climat tempéré, Portland (Oregon). Tous les batteurs d'Hendrix ont disparu. Il faut craindre un monde sans batteurs. "Un monde sans batteurs, dira bientôt un vieux proverbe, c'est un monde qui ne danse plus, un monde de sinistres ministres de l'intérieur".


Documentation : http://brume13.ifrance.com/1966.htm">http://brume13.ifrance.com/1966.htm signalée par Philippe Truffault, candidat à Monsieur Cinéma le lendemain du concert d'Hendrix à l'Île de Wight - Photo Interview Sounds talk - Mitch Mitchell par Dick Meadows



11.11.08

MALAS OU LES LUMIÈRES DU CANAL CHANSON




Serge Gainsbourg, Léo Ferré, Jaqcues Higelin et quelques autres avaient fait glisser le terme de "variétés" pour chanson française à "pop music", signifiant ainsi de réels rapports avec ce qui se passait outre Manche et outre Atlantique. Simples (pas si) questions de langage ! Les Variations, groupe de pop music française, avait ouvert une voie fin des années 60, mais ils chantaient beaucoup en anglais. Red Noise et Komintern avaient ouvert une autre voie... Tac Poume Système, les Moving Gelatine Plates encore une autre ... D'autres viendront plus tard : Les Stinky Toys, Marquis de Sade, Kas Product, les Berruriers Noirs, les Rita Mitsouko, Noir Désir... À chaque fois une petite aventure recommencée pour trouver ses marques et ses liens, la langue française pas tout à fait avalée par la langue anglaise, mieux redessinant les contours pop comme un ballet d'expressions toujours à tailler. C'est aussi le défi de Malas, éclairé power trio (en anglais dans le texte : guitare basse batterie) aux héritages assurés et à la voie libre. On pourra entendre cet excellent groupe (Nicolas Massouh : guitare, chant, Vincent Lefrançois : basse et Olivier Gasnier : batterie, oui LE Olivier Gasnier) - qui vient de terminer l'enregistrement d'un six titres où tous les coups font mouche - à l'Abracadabar, 123, avenue Jean Jaurès, Paris 19 à 22h le 12 novembre. (Métro Laumière)

Photos : B. Zon

10.11.08

MIRIAM MAKEBA




Dans les années 60, les artistes yéyés français reprenaient les chansons anglo-saxonnes en les adaptant souvent phonétiquement, le sens linguistique ne primait pas. La tradition continua. "Pata-Pata" écrite par Miriam Makeba en 1956, décrivant une danse de Johannesburg qu'elle quittera en 1959 après son apparition dans un film anti apartheid (Come Back Africa de Lionel Rogosin) devint "Tape-tape" dans la bouche de Sylvie Vartan (une histoire de doigts énervés) en 1980. Pour Miriam Makeba, la langue primait. La chanteuse sud-africaine a agi (musiques, textes et gestes) contre le racisme toute sa vie. Être l'épouse de Stokley Carmichael (membre important du Black Panther Party que l'on aperçoit dans One + One de Jean-Luc Godard), l'obligera à quitter les USA pour la Guinée. En 1990 devenue française, Nelson Mendela lui demandera de rentrer en Afrique du Sud. Hier soir, elle chantait à Naples pour un concert de soutien à l'auteur de Gomorra Roberto Saviano. Prise d'un malaise à l'issue du concert, elle ne pourra offrir de rappel, la mort l'emportant. Jusqu'au dernier moment, le possible de l'espérance, la langue, a primé... pour le plus longtemps possible.

9.11.08

THE WRETCHED RISING



Dimanche 16 novembre au Black Dog (St Paul Minnesota) Concert en solidarité avec tout ceux qui luttent contre l'oppression (sous quelques formes que ce soit, économique et autres ...) co-organisé par Junkyard Empire et le Black Dog
avec : Taina Asili(New York)
Broadcast Live(New York)
Junkyard Empire (St Paul)

20h entrée selon moyens The Black Dog Cafe and Wine Bar 308 Prince St. Saint Paul, MN 55101 651-228-9274

LE JOUR OU LES ECUREUILS PERDENT LA BOULE



À la page 23 de l'album des aventures de Spirou et Fantasio Les Marais du Temps (excellemmenptionnellement dessiné et scénarisé par Frank Le Gall), Fantasio, coincé au 19ème siècle avec Spirou et le Comte de Champignac, à cause d'une machine à remonter le temps mal conçue par Zorglub, déplore "que tout repose sur les frêles épaules d'un petit écureuil qui n'a même pas fait polytechnique". Seul, de leur petite bande, l'écureuil Spip est resté au 20ème siècle. Chez certaines tribus des indiens d'Amérique, rêver de l'écureuil est se préparer à un grand changement, mais chez les Germains (qui mirent la pâtée à la Gaule Romaine), l'écureuil fout la zone entre l'aigle et le serpent en les embrouillant mutuellement. Les chrétiens (c'est une manie chez eux) y virent au moyen-âge une incarnation du Diable. C'est l'un des animaux les plus répandus au monde, présent partout avec de subtiles variations (écureuil géant d'Inde, écureuil roux, écureuil fauve, écureuil gris, écureuil d'Abert, écureuil volant, écureuil pygmée ou encore écureuil répondant au nom scientifiquement stimulant de spermophile). Les enfants, bons petits diables, aiment les petits rougeurs à la queue panachée et les français (même christianisés) y voient le symbole de l'épargne sacrée. Mais récemment, cette créature-là, prise d'une folie digne de son cousin chez Tex Avery, a bazardé des tonnes de noisettes à la va-comme-je-te-pousse, ça s'est su le jour où l'une de ses agences connaissait un hold-up à l'ancienne. Il paraît que le grassouillet rongeur sifflait la Marseillaise, lorsque riant de son ancêtre de 1818, se retournant en terre, il se gavait d'actions empoisonnées. "Ce n'est pas parce qu'il y a un trou qu'il y a un écureuil dedans" chantait-il ! Spirou - roux comme son animal - avait sauvé Spip d'un savant fou en 1939 lors d'un voyage avec le milliardaire américain Bill Money, ça n'avait pas suffi. Mais l'écureuil moderne s'est pris pour l'ingénieur. Et l'ingénieur s'est pris pour le milliardaire et le milliardaire pour le maître du temps, le temps qui dérape, qui fuit dans les bas fonds du 19ème siècle, ceux de Napoléon III en 1865, avant la défaite de Sedan, avant la Commune de Paris.


Dessin : Spip par Franquin

7.11.08

FANTÔMES À PRENDRE -
RENDEZ-VOUS À FONTENAY SOUS BOIS
CE SOIR




Fat Kid Wednesdays 6 novembre 2008 l'Ermitage Paris 20ème


Vous n'avez pas la chance de vivre à Strasbourg l'Alsacienne, ni dans les sudistes exposées Avignon (vive l'Ajmi, hourrah ! hourrah ! hourrah !), Vitrolles et Hyères, vous ignorez tout de la ville qui a vu naître Jean Marboeuf et l'ultra cool Guingois, Montluçon, vous n'avez retenu du Mans que les Rillettes et Steve McQueen, vous avez quitté trop tôt la capitale du pays d'Anne de Bretagne, Rennes, vous n'avez ni valises, ni goût des Alpages suisses, bref vous êtes Parisien ! Et comble de malchance, vous avez manqué à l'Ermitage le superbe concert de Fat Kid Wednesdays hier soir où nous fûmes pris de vertige lors d'un Ghost d'Ayler d'une totale et absolue actualité. Alors il vous reste une chance de tutoyer en même temps fantômes et vivants avec le concert de Fat Kid Wednesdays ce soir à Fontenay sous Bois, patrie des expériences nouvelles de Denis Colin. IMMANQUABLE !

Ce soir : Comptoir de la musique Fontenay sous bois (de plus on y mange très bien) 95 rue Roublot 94120 Fontenay-sous-Bois - Si vous n'utilisez pas de voiture automobile : RER A descendre à Fontenay sous Bois.



Tournée Fat Kid Wednesdays

Images : B. Zon

5.11.08

44ème PARALLÈLE
























Un produit élégant, soigné, performant dans un certain genre et un peu vide, attire de nos jours beaucoup de publicité (en numéraire et en affection).

Photo : B. Zon

30.10.08

TERRORIZING DISSENT









Inutile de perdre votre temps à aller voir l'inutile film de Oliver Stone W. (avec Redacted Brian de Palma - qui vient de sortir en DVD - avait réalisé, sur l'Amérique contemporaine, un film utile, Oliver Stone a fait l'inverse), regardez l'indispensable film de Glass Bead Collective et Indy Media Terrorizing Dissent www.terrorizingdissent.org sur la RNC 8.Vous pouvez aussi le télécharger gratuitement sur ce site.

Le film a été réalisé et monté sur place dans des conditions difficiles quasi clandestines

Le film sera projeté à partir de samedi dans les Twin Cities :

Samedi 1er novembre
Minneapolis — Riverview Theater, 10h40

Dimanche 2 Novembre
Minneapolis — Book House in Dinkytown, 16h30pm
Minneapolis — Arise!, 19h
St. Paul — Black Dog Café, 19h

Lundi 3 Novembre
Minneapolis — Arise!, 19h

Dimanche 9 novembre
Maplewood — Maplewood Community Library, 14h


29.10.08

PETITION POUR LES RNC 8




Vous pouvez signer la pétition pour les RNC 8 sur ce site (www.thepetitionsite.com/1/defendthernc8)

A VOIR :
Democracy Now le 4 septembre 2008 David Bicking (père de Monica Bicking) et Bruce Nestor (président du Minnesota Chapter of the National Lawyer's Guild) interviewés par Amy Goodman


Une lettre des RNC 8 du 5 octobre


rnc8.org


28.10.08

EXPO ZOU, EXPO CATTANÉO


Que vous soyez à Paris (ville de la Commune du même nom) ou à Besançon (ville des Lip), il vous faudra une très bonne excuse pour manquer les expositions de deux dessinateurs que l'on devrait chérir autant qu'ils nous chérissent. Zou et Cattanéo (le premier créateur chez nous de l'appareil Chronatoscaphe et de ses conducteurs, le second, chouchou de Moebius avec qui il a réalisé un album -Beautiful Life- chez Zanpano, et participant à l'album Left for Dead) font partie des collaborateurs du journal des Allumés du Jazz (le numéro 22 vient de sortir) et de l'équipe des dessinateurs de Monsieur Mouche (éditions Zanpano). Leurs dessins valent le bon coup d'oeil.





27.10.08

LA CRISE - SOUVENIR DE LÉO FERRÉ


"On coupe une tête par-ci par-là

Vingt ans après, tiens vous r'voilà

Les rupins, c'est comme la chienlit

Plus qu'on l'arrache...

Plus qu'ça r'produit"



Léo Ferré 1961 (Les Rupins - extrait de "Chansons Interdites")

24.10.08

LES EAUX FORTES
DE FONTAINE ET CORNELOUP




Certes, 80 000 manifestants pour défendre l'école et les élèves, dimanche dernier dans les rues de Paris, ce n'était pas mal, encourageant certainement. Mais pourquoi quasiment seuls des enseignants et des parents d'élèves ; et puis des passants regardant ce cortège comme si ça ne les concernait pas. Au mieux : "tiens, ils manifestent encore !". Comme s'ils n'avaient pas été élèves, qu'ils n'en avaient pas dans leur famille, qu'ils ne voyaient pas de relation, que le savoir leur échappait. Mais surtout comme si réinvestir la rue en compagnie ne les intéressait pas. Le soudain surgissement de milliers de milliards d'eurodollars au secours des plus riches (qui ne sont pas nombreux - nous le sommes) devrait nous mettre une puce grosse comme une baleine chantante à l'oreille. D'où vient que l'on soit devenu à ce point étrangers à notre propre existence en l'imaginant seulement comme possible dans une sorte de solitude que l'on se refuse à admettre en la remplaçant par toutes sortes de faux-semblants. Où seront les acteurs lorsque nous ne serons plus que spectateurs, des spectateurs qui ne voient plus très bien, qui ne braillent plus. L'autre est si loin. Notre absence programmée justifie LEUR (suivez mon regard, pas ses larmes) ignoble présence. Privée de coeur et d'esprit, instruments de liens à la portée de TOUS, la comédie de la vie tourne au sinistre, au tragique.

Un mouvement, c'est un groupe qui a conscience de l'être. D'une simple rencontre animée naîtra un lendemain différent. Impossible de se rencontrer en retournant comme une garantie à l'étape précédente, impossible de se rencontrer en étant indisponible, impossible de se rencontrer sans chercher à comprendre, impossible de se rencontrer sans comprendre qu'il faut chercher, impossible de se rencontrer sans se rencontrer.

Un mouvement, c'est le dessin des êtres vivants se transformant peu à peu en êtres plus vivants encore et plus encore à en mourir (car nous mourons tous, alors que ce soit en étant vivant). Le dessin des êtres vivants, comme ces silhouettes s'échappant des pinceaux de Sylvie Fontaine dans le paysage irrigué se levant du saxophone de François Corneloup, hier soir sur les bords d'un canal parisien où les passants sont nombreux et les flots réfléchissant.

Nous étions quelques-uns dans la salle, proches sans doute car ayant pour partie répondu à un appel. Et les silhouettes animées de Fontaine et Corneloup allaient jusqu'à nous pour nous porter, soudain nombreux, dans tous les dehors, sûrs de nos intimités. Cette multitude rêvée, offerte pour que demain (c'est aujourd'hui) nous puissions nous aussi la créer à notre tour, lançant d'autres appels, répondant à d'autres appels.



Jeudi 23 octobre 2008 : Librairie MK2 Quai de Loire (merci Sophie, Judith, Florian) : Sylvie Fontaine - François Corneloup duo avec de la suite dans les idées

Images : B. Zon

21.10.08

SYLVIE FONTAINE
& FRANCOIS CORNELOUP



Lorsque la musique de Next est apparue à l'horizon, les silhouettes en marche de Sylvie Fontaine s'en sont de suite drapées avec un naturel désarmant. Les va-et-vient étaient tendres et farouches, habités. Histoire commencée...

Le 23 octobre (19h30) à la Librairie du MK2 Quai de Loire, François Corneloup, auteur et rassembleur de Next et Sylvie Fontaine, auteur et dessinatrice du Poulet du Dimanche et de Miss Va-nu-pieds (tous deux aux Editions Tanibis, le second sort tout juste) poursuivront ce bout de chemin avec pinceaux et saxophones en lignes, entrelacs, contours et profondeurs des gestes et souffles communs. Histoire prolongée...

Sylvie Fontaine dédicacera ensuite ses livres, François Corneloup ne sera pas en reste avec son beau Next.



Images : B. Zon

17.10.08

JUNKYARD EMPIRE


Lors de la Convention Républicaine 2008 qui vit à St Paul (voir L'éléphant contre les chiens noirs) une nouvelle étape franchie dans le façonnage de l'état policier américain, un groupe de musiciens a émergé de façon saisissante et entière par la relation directe entre son vécu musical, sa poésie, son engagement contestataire, ses concerts quotidiens dans les lieux signifiants, ses actions et sa compréhension des situations. Plus encore que Rage Against the Machine qui fit la une le 2 septembre, Junkyard Empire a incarné, les partageant d'égal à égal, l'espoir et la parole de ces milliers de personnes venues à St Paul manifester leur colère contre la guerre, le capitalisme. Hier 16 octobre, ils soutenaient les RNC 8 avec le groupe Pocket of Resistance au Black Dog où ils avaient aussi participé le 23 septembre dernier à une conversation sur les rapports musique et politique. Brihanu (chant) C R Cox (trombone/claviers/electronics) Bryan Berry (guitare) Dan Choma (basse) Graham O'Brien (batterie/electronics) 

INTERVIEW AVEC BRIAHNU ET CHRIS COX DE JUNKYARD EMPIRE (9/09/08)

   

Jean : Junkyard Empire ?  

Briahnu : Je viens de Philadelphie où j’étais musicien de hip hop et je suis venu ici il y a quatre ans. J’avais laissé tomber l’idée de faire de la musique. Un ami avec qui je travaille m’a dit avoir vu une petite annonce d’un groupe de jazz, un peu free, qui était à la recherche d’un rappeur, mais d’un rappeur dont les paroles auraient un contenu politique. Il m’a un peu poussé, ayant entendu certaines choses que j’avais faites avant. J’ai rencontré Chris et tous ces supers musiciens. J’ai aimé le son et j’ai apporté quelques-uns de mes textes les plus radicaux. On s’est fait haïr de suite. On est parti de là il y a trois ans. 

 Chris Cox : Avant que tu n’arrives, on avait seulement répété six ou sept fois. On jouait une sorte d’Acid Jazz. Chacun d’entre nous avait, ou bien joué avec des rappeurs, ou au moins était intéressé par la liberté que pouvait apporter ce genre de musique. Quand Brian est entré dans le groupe, on swinguait avec une sorte de funk-jazz et il a posé ses mots assez évidemment.  

Jean: Pourquoi cherchiez-vous un rappeur ?  

Chris : Pour deux raisons, la première parce que le hip hop permet une liberté considérable, une liberté harmonique, un endroit où l’on peut vraiment chercher loin ; la seconde parce qu’il contient une capacité d’expression, de réelle expression. Le hip hop parle, il s’adresse au pouvoir avec sa poésie. Le format n’est pas contraignant comme avoir à faire rentrer des mots dans une petite mélodie. On peut avoir de long passages avec ou sans couplet, on peut inventer à foison. Nous voulons être politiques, mais pas prévisibles.  

Jean : J’ai entendu une fois Max Roach dire que le rap était la chose expressivement la plus forte depuis Charlie Parker, pas avec la même complexité musicale, mais avec la même projection.  

Briahnu : Oui peut-être pas avec la même complexité musicale, mais la poésie portée est peut-être plus complexe que bien d’autres formes incluant la poésie. On peut extrapoler sur le choix illimité des rythmes, des polyrythmes et des métriques, à l’occasion assez fouillés, superposés au travail des mots.  

Chris : C’est une forme où j’apprends sans cesse. Je suis un souffleur et je pense rythmiquement autant qu’harmoniquement. Je trouve, dans le hip hop, un terrain d’improvisation extrêmement ouvert. La différence entre jazz et hip hop se tient dans le fait que la complexité ne réside pas de ce qui est impulsé par la section rythmique, mais de la poésie elle-même. Dans notre cas, l’improvisation rejoint les mots. D’une certaine façon, c’est un endroit où c’est la simplicité qui crée la complexité alors que dans beaucoup de jazz, la route, quand bien même ayant son lot de surprises, est souvent toute tracée. Du point de vue du son aussi, le hip hop peut être neuf tout le temps.  

Briahnu : Nous parlons ici bien sûr du hip hop non-commercial. 

Jean : J’ai l’impression que l’avénement du hip hop correspond au moment historique où l’industrie du disque dérape. D’abord, elle n’y croit pas. Ça marche sans elle, alors elle cherche à le récupérer, l’altérer, le manipuler en courant après jusqu’à s’épuiser. Ensuite elle ne sera plus à même de repérer quelque mouvement musical que ce soit.  

Chris : Je vivais à San Francisco lorsque j’avais 19 ans, les jazzmen et les rappeurs jammaient assez volontiers ensemble. C’était fréquent d’entendre un rappeur sur un thème de John Coltrane et encore plus souvent sur un thème de Thelonius Monk. Et puis on pouvait aussi voir un type jouer un solo de be-bop dans un set de rap. C’était une forme renouvelée de jazz.  

Briahnu : C’est aussi à cette époque qu’il y a eu des restrictions drastiques sur l’emploi des échantillons, une loi limitant leur utilisation. Je crois que le hip-hop a dû s’éloigner du jazz aussi pour cette raison. 

 Jean : Quel est le besoin de musique dans le monde tel qu’il est ?  

Briahnu : Il est difficile de classer la musique, y compris la musique totalement commercialisée qui se love parfaitement dans les play-lists des radios ou de Clear Channel. Cette musique parle aux gens d’une certaine façon. Il existe un foisonnement de choses jouées loin de ce type de projecteurs. Il y a un besoin de contrôler par la musique et de faire de l’argent en même temps. Les multinationales sont fortes pour ça. Si nous ne sommes plus capables d’exercer nos propres choix, c’est que nous sommes soumis aux formats en cours, aux dix chansons choisies pour nous qui font bientôt place à la liste suivante de dix chansons quasi identiques etc. Le contrôle est parfait. Mais il y a cette montagne de musiques différentes qui peut rencontrer tous les besoins d’expression corporels ou intellectuels.  

Chris: La créativité ne meurt pas. Aucune multinationale, aucun pouvoir ne peut totalement tuer la créativité. Pour moi, là se niche le rôle de la musique. Son rôle quotidien. Elle est comme toute forme artistique la seule façon de survivre pour la société. La créativité n’est d’ailleurs pas seulement liée à l’art, elle est une partie du quotidien de chacun. Mais quelle part de cette créativité est confisquée par les orientations qui nous sont infligées brutalement ou non? Les radios n’ont plus de DJ, on n’y trouvera plus un type qui mettra "Sidewinder" de Lee Morgan au top à un moment où le rythm’n’blues ou le son Motown dominent.  

Jean : Le jazz a aussi beaucoup changé dans son appréhension du monde. Il ne s’agit peut-être pas simplement d’un effet subi du système, mais peut-être aussi d’un éloignement de ceux qui le font.  

Chris : Le jazz est une musique qui pèse lourd sur mes épaules. Ca a été une façon d’exister. On le voit encore à la Nouvelle-Orléans, une façon de marcher dans la rue. Dans notre société où dominent d’imposants courants, le jazz a perdu cette relation. Les musiciens portent leur part de responsabilité. On a vu l’éclosion de ce jazz extrêmement institutionalisé, de développement d’écoles où l’on apprend tout jusqu’à copier le son de ceux qui ont fait cette musique. Je me souviens avoir essayé de sonner comme Jay Jay Johnson, j’essayais vraiment très dur en appliquant toutes les recettes, effets de langues etc., et les gens m’encourageaient en ce sens « Super ! tu sonnes comme Jay Jay Johnson ». Je me suis dit, non seulement que ça ne pouvait être le cas, mais en plus me suis demandé de quel genre d’accomplissement il s’agissait. Ca m’a mis en pétard, j’ai foutu tout ça par la fenêtre et suis retourné à l’endroit où j’avais laissé les choses pour en saisir la portée politique aussi. L’académisme qui a envahi le jazz est d’une pesanteur extrême, c’est un langage très contrôlé. Les tenants de ces dogmes me font penser à ces gens venus assister à la Convention Républicaine la semaine dernière qui vous disent « Va y petit creuse ! » en ayant aucune capacité intellectuelle de penser en dehors d’un format qui règle votre vie ou qui sont le produit des manipulation de la propagande du système. Les limites sont ainsi établies qu’on ne peut chercher ailleurs.  

Briahnu : Il y a ce bénéfice du status quo.  

Jean : Parce que quelqu’un pourrait encore faire un choix... Lorsque l’on voit les meilleures ventes de disques, on y trouve des gens inconnus, il y a deux ans qu’on ne connaîtra plus dans deux ans...  

Briahnu : Les buts de l’industrie musicale ont certainement changé en fonction de la nécéssité de contrôle de la société. En ce qui concerne le changement de perspective, nous avons le choix de nous éliminer nous-mêmes ou de considérer un peu tout. Enfant, vous grandissez jusqu’à un certain point.  

Chris : Dans ce pays, un rapide sondage montrera que le vendredi soir, les gens ne se ruent pas pour aller écouter de la musique en direct. Prenons les Twin Cities, il y réside beaucoup de talents très divers qui sont encouragés par une poignée de gens venant les écouter avec plaisir. Lorsque je vois l’état de ce qu’il est convenu d’appeler « musique populaire » aujourd’hui et que je mets ça en rapport avec ce qu’il était convenu de nommer à l’identique lors des périodes précédentes. Je frémis. Tout est conditionné par les pratiques du marché, la propagande capitaliste. Mais la responsabilité revient partiellement aux musiciens qui tombent éternellement dans les mêmes pièges en refusant de prendre leurs responsabilités.  

Jean : Comment ce lien peut être restauré ?  

Chris : Je crois qu’il y a déjà quelque chose qui se passe. C’est très lent car nous sommes aux USA et on ne fait rien très vite dans ce pays, à part les guerres bien sûr où nous sommes imbattables. Mais lorsqu’il s’agit de changements sociaux ou humains qui n’impliquent pas de faire davantage de profit, là ça ne bouge pas vite. les gens qui en souffrent ne croient pas à un changement radical, alors qu’ils devraient y participer. Ca prendra un moment avant que les musiciens ne soient capables de dire « Fuck the music industry » et décident de vivre ce qu’ils font en vérité. Il y a des maisons de disques qui soutiennent ce qui est fait de façon logique en comprenant les transitions et ce que nous sommes et ça c’est appréciable, mais lorsque l’on vous force à être un autre ou travailler sans savoir à quoi ça sert pour quelques cents, quel sens ça a ? On voit beaucoup de groupes de hip hop, toujours le hip hop, au Minnesota qui prennent les choses à la racine sociale de ce que doit être la musique dans son environnement et l’ensemble du processus est vécu de la sorte : pourquoi on fait un disque, comment on le fabrique, ce qu’on y met etc.  

Jean : Dans l’histoire, on trouve des musiciens qui ont pris en main leur production avec une belle vitalité, mais d’autres le font aussi par dépit ne trouvant pas où s’inscrire.  

Briahnu : Nas dans son disque Illmatic dit « Si c’est réel, vous le faites sans contrat». 

 Jean : Il y a un sorte d’aspect religieux dans le fait d’être « signé »...  

Chris: Oui une idée romantique. Il existe une différence entre avoir l’esprit ouvert et forcer son esprit à être ouvert.  

Jean : La semaine passée, durant la Convention Républicaine, Junkyard Empire a été un groupe pas seulement actif artistiquement ; vous avez été les seuls à jouer en prélude à la manifestation du 4, mais aussi politiquement participant comme les autres militants et acteurs.  

Briahnu : Nous souhaitons être plus qu’un orchestre, une petite organisation politique, un groupe d’aide. La musique est le nuage qui nous entoure et nous nourrit, mais il y a plus. Si quelque chose d’important doit se passer, nous devons y répondre par la musique, mais aussi par l’action.  

Chris : Dans notre chanson « Complex Crooks », les mots disent « You fall for anything if you don’t stand for nothing ». On peut bien sûr rapper sur tous les sujets avec grande passion, on peut jouer une musique qui prône une révolution prochaine sur une scène, mais nous aimons surtout prendre part aux actions, manifester dans la rue avec les gens que nous aimons voir à nos concerts. Nous aimons penser à Junkyard Empire comme une petite « Commune ».  

Jean : Et le titre Rise of the wretched ?  

Briahnu : Nous utilisons ce titre de la façon dont Frantz Fanon l’utilise (Les Damnés de la terre - éditions la découverte). Il y a une infime minorité richissime qui gouverne le monde, un monde de pauvres ou de classes moyennes qui parfois ne voient pas que la frontière s’amenuise avec celle des pauvres et qu’elles seront aussi inévitablement sacrifiées.  

Chris : Les 200 personnes ou moins qui dirigent ce pays et qui nous regardent comme des malpropres sous-éduqués ne pourraient vivre de la façon dont elles vivent sans nous collectivement. Et elles nous oppressent collectivement. Pas besoin de soins, ni d’éducation, ni d’eau propre, pour cette masse méprisée ! À cet endroit soit nous sommes capables de dire collectivement « C’est assez ! », « Je m’en fous d’être pauvre et je vais vous mettre le doigt dans l’œil, MAINTENANT », soit nous nous enfonçons.  

Briahnu : Nous devons cesser de nous battre sans cesse entre nous, ils nous tiennent ainsi. Les Américains considèrent les Iraquiens comme des êtres inférieurs, alors qu’une partie d’entre eux de plus en plus grande est aussi confrontée à la pauvreté. Alors quand on bombarde l'Irak pour sauver ce qui nous reste de confort, on trouve ça normal. Tant que nous ne serons pas capables de comprendre que nous sommes régis par les mêmes choses, rien ne se passera.  

Chris : De nombreux vétérans qui reviennent d'Irak parlent bien de tout ça, ils sont ceux qui demandent de l’aide pour les Irakiens et qu'on fasse preuve d'unité avec eux. Mon père a fait la guerre du Vietnam. Quand il est revenu, il entendait les gens le traiter de « tueur d’enfants », beaucoup étaient choqués, il ne l’était pas. Il comprenait car il savait très bien ce que les Etats-Unis faisaient au Vietnam. Il s’est engagé ensuite dans le mouvement anti-guerre. La moitié des Américains ne comprend toujours pas qu’elle se bat pour le bien de puissantes multinationales.  

Propos recueillis par Jean au Black Dog Café à St Paul le 9 septembre 2008 

Le disque Rise of the Wretched (6 titres superbes) est disponible aux Allumés du Jazz pour la somme de 5 euros (port compris)
Chronique in : Disques amis
A consulter : blogs de Junkyard Empire et de Chris Cox

 
Images : Junkyard Empire à la Black Dog Block Party le 2 septembre 2008 par B. Zon

YASMINE MODESTINE




Les chanteuses ont des choses à dire et les comédiennes des choses à chanter, porteuse de ce double état révélateur, Yasmine Modestine, comédienne et chanteuse, noire et blanche, française et normande, mais surtout personne de coeur et de talent confiait à Rue 89 ses difficultés devant cette forme de discrimination par une profession qui chante pourtant facilement les louanges du "métissage" :

"Je suis comédienne, issue du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Je travaille au théâtre, à la télévision, au cinéma, dans le doublage. J’écris des pièces, des chansons, je chante.

Je suis métisse. Mon père est noir et ma mère est blanche. Biologiquement, nous sommes tous métis. Je suis française. J’ai grandi en Normandie. L’île que je connais la mieux et dont je parle couramment la langue s’appelle Angleterre.

Le 16 février 2007, je double une série américaine. Nous sommes une douzaine de comédiens, dont deux métissés, A. et moi. Lors d’un changement de bobine, la chef de plateau demande si nous sommes libres le 20 mars. La majorité l’est. En fin de journée, ceux qui ont fini partent. Restent trois ou quatre comédiens blancs, A., l’ingénieur du son et moi. La chef de plateau se tourne alors vers A. et moi:
- « Je ne sais pas s’il y a des gens comme vous dans le prochain épisode, et comme vous avez des voix spéciales, je ne peux pas vous prendre sur tout, vous ne pouvez pas doubler les Blancs. »

Il faut savoir que dans le doublage, « les comédiens noirs ont des voix graves de Noirs » et les comédiens asiatiques ont une voix « aigue d’Asiatique. » Les comédiens blancs, eux, ont la chance d’avoir une tessiture suffisamment étendue qui permet de doubler et les Noirs et les Asiatiques et les Blancs.
Cette croyance est telle qu’il n’est pas rare d’entendre une comédienne blanche affirmer qu’elle a « une voix de Noire » sans penser être raciste, au contraire, elle double des Noires.

Ce métier a un problème avec la couleur. Seuls les comédiens noirs américains seraient « valables » et comme, je cite, « il n’y a pas de bons comédiens noirs français » ni « assez de diversité », force est d’employer des comédiens blancs, lesquels sont meilleurs.

On sourit. Mais cette violence détruit. Votre histoire vous est dérobée. Exit les plages du débarquement, exit la peau laiteuse de cette femme que vous appeliez maman, exit votre cousine blanche qui vous dit « J’ai toujours voulu des enfants métis, ça doit être à cause de ton frère et toi. » Exit Conservatoire, exit Angleterre … vous êtes « noire », cela veut dire « vous êtes un être humain différent de nous », vous venez du Noirland.

Sonnés, nous sommes sortis dans l’absolu silence des comédiens blancs présents.

Plus tard, j’appelle cette chef de plateau, lui explique la blessure et ce qu’est une voix. Réponse : « Nous ne travaillerons plus ensemble jusqu’à nouvel ordre. » J’écrirai à la boîte de doublage qui pariera sur mon silence. J’écrirai à la HALDE (Haut Comité de Lutte commettre les Discrimination et pour l’Egalité). A. m’accompagnera puis prendra peur. Je prends le risque d’être sur « une liste noire. »
J’appellerai les journalistes que je connais. Je leur avais déjà parlé du racisme dans ce métier où l’on vous présente « en version colorée, mais pas trop », vous demande de « ne pas oublier que vous êtes noire » quand une comédienne s’oublie pour jouer… Cette fois nous avons « une voix spéciale ».

J’écris à Libé et PPDA qui évoquait le racisme devant Halle Berry, j’appelle France Culture, France 2, mon amie Anne - blanche - tente de convaincre sa tante, journaliste: rien

En décembre, la HALDE répondra qu’elle ne peut pas traiter le dossier, alors j’irai au HCI (Haut Comité pour l’Intégration) où je serai enfin entendue.
En janvier, je contacte le CRAN (comité représentatif des associations noires) qui m’écoute. J’entends à la télé un journaliste du Nouvel Obs. Je le contacte. Il lit le dossier qu’Anne et moi avons établi, dossier qui démontre que si les Blancs peuvent doubler les Noirs, la réciproque n’est pas vraie. Pratiquement tous les rôles majeurs joués par des comédiens noirs américains sont doublés par des comédiens blancs. Bien sûr, quelques exceptions, « l’exception qui confirme la règle ». L’absurdité est qu’on peut trouver la voix d’une comédienne noire pas assez noire et lui préférer celle d’une comédienne blanche qui serait plus conforme aux préjugés.
Enfin le papier sort le 14 février 2008.

La HALDE, contactée par le HCI et le journaliste, ré ouvre le dossier.

L’article signé Olivier Toscer conjugué à l’action du CRAN entraînent des appels de plusieurs médias dont le Times. S’ensuit une succession d’interviews, pour France Ô, RFO, RFI.

Aucun média supposé « généraliste » français n’a réagi. Ont réagi un journal anglais et des chaînes dites « communautaires »
« Le théâtre se doit d’être le grand commentaire de la société » écrit Roland Barthes. Le commentaire est ici édifiant.

Je connais les pommiers bien avant les palmiers, les plages du débarquement avant celles des Salines, j’attrape des coups de soleil, « oui un noir bronze. »
J’habite Paris, la métisse.

Pourquoi la discrimination raciale à l’embauche dans le doublage n’intéresse t’elle pas France 3, France 2, France Inter, France Culture, France Infos?
Pourquoi aucun média dit généraliste ne semble être concerné par les dessous des images qu’il véhicule ?

NB Depuis la parution de ce texte dans Rue 89 le 5 avril, France 2 et France Inter ont réagi, avec Les Mots de minuit, émission à laquelle j’avais déjà participé en 2000 et l’émission Cosmopolitan de Paula Jacques"



Yasmine Modestine chante Au Kibelé les 24 octobre, 28 novembre, 17 décembre

15.10.08

SOIRÉE DE SOUTIEN AUX RNC8
LE 16 OCTOBRE AU BLACK DOG




LE JUSTE PRIX (ET SON DOUBLE)



Le 22 septembre 2007, l'ancien maire de la ville de Sablé sur Sarthe, habitant de Solesmes (près de l'abbaye prospère) et actuel général en chef des troupes de Napoléon IV déclarait : «être à la tête d’un État en situation de faillite». Le 1er octobre 2008, le même affirmait "Il n'y aura pas de faillite d'une banque française". Et hop ! Il y a deux jours, par un tour de passe passe dont l'Empereur semble avoir le secret, l'État en faillite (qui déclinait récemment toutes possibilités de progrès sociaux, réduisait les budgets pour la culture, privatisait les services publics pour tout ou partie etc.) sort de son national chapeau, 360 milliards d'euros, à la joie générale, en aide aux banques nécessiteuses. La faillite est donc bien une donnée relative et variable, de quoi redonner le moral aux Damnés de la Terre !

Post bankum : Quelqu'un a sifflé La Marseillaise ?

POETRY AND POLITICS...




13.10.08

GUILLAUME DEPARDIEU




Faire confiance à l'imagination sensible de l'être profond et rien d'autre : c'est l'impression terrible se tatouant sur nos chairs à penser et nos pensées à chérir au sortir de la projection du beau film de Pierre Schoeller Versailles. Où pouvons-nous encore nous tenir sans honte lorsque les espaces d'enfance se dérobent et que les hommes ne savent plus se reconnaître ? Jusqu'à quelle lie boirons-nous, un peu gênés, certes, mais sans plus, le calice de l'ignominie. Versailles voulait aussi dire un peu d'humanité encore possible hors des mots convenables et des attitudes lâches. Guillaume Depardieu incarnait cette exclusion du monde civilisé de façon bouleversante avec l'intensité de l'autre monde, le vrai, celui des liens non trafiqués. Une intensité à porter après le film. Guillaume Depardieu, acteur isolé et fulgurant, donnait, dans cette histoire-là, du sens au mot si souvent égoïste, "cinéma". Au moment où seule la santé des puissants de la finance tient le peuple en haleine, l'interprète juste de Versailles vient de mourir, emporté par une pneumonie foudroyante.