Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

31.12.18

2018

2018 ? Une drôle d'année pas toujours marrante...

Photo : B. Zon

28.12.18

ERIC GROLEAU

Eric Groleau et Julien Padovani étaient venus en mai 2008 à Minnesota sur Seine au sein du trio de Dominique Pifarély augmenté quartet pour la circonstance avec la participation de Tim Berne. Sur cette photographie de Sergine Laloux, on les retrouve en pleine répétition au Zeitgeist studio à Saint Paul. Moments intenses, moments heureux ! Image surgissante dans l'ensemble, lors de l'annonce brutale hier : à l'âge de 44 ans, Eric Groleau, musicien à la lumière douce a choisi de s'éteindre.

Batteur inspiré d'un très beau mouvement qui semblait savoir tout du sens véritable du mot "accompagner", musicien talentueux à l'esprit commensal, intéressant, généreux et tellement amical ; pas assez écouté, pas assez rencontré, comme si dans l'incertain du monde, nous avions tout notre temps, peu aptes à saisir ce qui flotte dans un océan de profondeurs.

Photo © Sergine Laloux


17.12.18

MACRONITE AIGÜE

Gilles Le Gendre président du groupe LREM à l'Assemblée nationale a déclaré : "Une deuxième erreur a été faite, dont nous portons tous la responsabilité (...): le fait d'avoir probablement été trop intelligents, trop subtils, trop techniques, dans les mesures de pouvoir d'achat." (17/12/18 Public Sénat). Le vaccin contre la macronite aigüe chez les ahuris en marche n'a pas encore été trouvé. Encore un effort !

12.12.18

LANGUE SANS SENS = LANGUE SANS SWING

On aurait pu croire que la vacuité de la novlangue technocratique n'aurait pas de prise dans des domaines où l'imagination serait assez forte pour l'éviter. Elle s'immisce partout. On interchange les mots vidés de leur sens - mais qui "habillent" et "tuent" le temps de la représentation - et ça donne la même stagnation.

8.12.18

LA MACRONIE AUJOURD'HUI


En deux jours, le service de la communication de la Macronie a produit deux images caractéristiques : celle de l'arrestation par la police d'enfants mis à genoux les mains sur la nuque ou menottées et celle de la présence de véhicules blindés dans Paris. Sur la carte, il est donc bien écrit en grosses lettres immanquables pour ceux qui auraient des problèmes de lecture : "vous êtes ici".


Photo : B. Zon

7.12.18

MANTES-LA-JOLIE

Arrestation et humiliation de lycéens mineurs. C'est en France au XXIe siècle à Mantes-le-Jolie le 6 décembre 2018.

Photo extraite d'une vidéo tournée sur place

5.12.18

JAUNE ET ENCORE*


"Il faut chercher (...). Van Gogh a cherché un peu de jaune quand le soleil a disparu, "
Jean-Luc Godard (Prénom Carmen - 1983)
 
Deux immeubles s'effondrent à Marseille (5-11-18), 8 morts... le Palais de l'Elysée - toujours debout - ne s'y dépêche pas. Dégradations dans les quartiers huppés de la capitale (1-12-18), visite quasi immédiate de l'Empereur de retour d'Argentine pour soulager la souffrance de ses chers premiers de cordée. Leurs protectrices "forces de l'ordre" recevront une prime, pas les autres, pas les riens croisés dans les gares. Au bord de l'impossibilité de vivre, les fragments débordent, le mouvement de l'extérieur vers l'intérieur fait l'autre chemin. Le jaune ne s'obtient pas à partir du mélange d'autres couleurs, il éclate premièrement. Il y a un an, l'Empereur avait dit en Guyane (26-10-17) : "Je ne suis pas le Père Noël". Noël se fera autrement ; les sapins s'enflamment, énonçant un autre éclairage. L'impatience se met à briller et fend les perfections politiques durement mises en question - foin de décoration - saluant la rupture de l'exil avec les choses inertes. La délivrance poétique se mêle à nos vies et l'instable exhale le tout d'une réalité. Sur les ondes les éditorialistes perroquettent "Mais vous condamnez ! Vous condamnez ?". À quel moment perçoit-on les couleurs chaudes ? Il faut chercher. Van Gogh pensait qu'il fallait commencer par éprouver ce qu'on voulait exprimer, c'est ce qu'il a peint dans un grand désir d'action... en cherchant un peu de jaune.

* emprunt du titre de l'album éponyme de Claude Barthélémy (Cobalt - 1979)


Photo : B. Zon 






LA CHOUETTE BOÎTE DE PUSSIAU

Jean-Jacques Pussiau, producteur indépendantiste des disques Owl à partir de 1975 a toujours réalisé ce qu'il aimait profondément. Les disques produits par Jean-Jacques Pussiau sont des feuilles d'amour mises en forme dans un grand recueillement. En 1997, même si il n'avait plus le si chouette Owl, Il mettait dans une sorte de boîte de Pandore intitulée Jazz'n (e)motion (Bmg) 6 disques très très amoureux, piano seul pour Martial Solal, Steve Kuhn, Stephan Oliva, Alain-Jean Marie, Paul Bley. Faites ce que vous aimez et non l'inverse. Pussiau nous a bien inspiré et de nos jours, c'est important d'y penser... concrètement, comme on aime à ajouter.






3.12.18

FRANCE UN FAUX

 Entendu sur France Info (samedi 1er décembre) : "des manifestants ayant revêtu des faux gilets jaunes". Ils ont de sacrés experts à la radio nationale !

1.12.18

EVIDENCE
(SURLIGNÉE EN JAUNE)


Au moins une évidence : "(presque) tout le monde déteste la Macronie."

Photo : B. Zon






28.11.18

AUX CHAMPS

"La plus belle avenue du monde" ... et l'on entend sur les ondes cette sempiternelle (et assez délirante) qualification d'une avenue parisienne farcie de boutiques de luxe à la vaine arrogance avec en son haut un arc de triomphe. Monument inspiré de l'architecture impériale romaine voulu par le dictateur Napoléon 1er, achevé et inauguré par le roi de la restauration monarchale Louis Philippe (avec, pour les détails architecturaux, la collaboration du futur boucher de la Commune, Adolphe Thiers ). Un symbole ? Peut-être ...

11.11.18

MAUDITE SOIT LA GUERRE

"Nous sommes les sacrifiés" dit la chanson de Craonne... il est écrit sur le monument aux morts de Dardilly "Contre la guerre, à la fraternité des peuples" et sur celui de Gentioux pointé du doigt par un enfant "Maudite soit la guerre". Nous ne serons pas (mais chantons le donc !) les sacrifiés des généraux des armées, ceux de la politique (qui se goinfrent lorsque les immeubles des pauvres s'écroulent), ceux de leurs polices, et ceux de l'industrie (Amazone ne devrait plus rimer avec domination culturelle, mais avec fleuve, forêt et femmes libres). Maudites soient toutes les guerres qu'ils nous mènent. Déshonorons-les de toutes les façons énergiques de nos profondes dignités, maudits soient-ils !

8.11.18

À PROPOS DE
"ENREGISTRER LA MUSIQUE,
POUR QUOI FAIRE"
Les Allumés du Jazz Avignon 7, 8 et 9/11/18

Texte inspiré par le débat à venir du 7 novembre "La généralisation des stickers contre le discours critique" facilité par les retards SNCF


Nous avons aimé la musique
Nous entendons encore aimer la musique
Non parce qu’elle hisserait tel ou telle à quelque fauteuil de noblesse,
Quelque commande de pouvoir,
Quelque posture arrogante d’élection aussi bidonnée que bidonnante,
Quelque Victoire au grand V bien niais

Nous avons aimé la musique
Nous entendons toujours aimer la musique
Par ce qu’elle peut apporter de liberté, d’intelligence, de danse et de fraternité
Et nous avons été aidés ci et là par des commentaires engagés,
Des moments de littératures complémentaires

Les classements, les référendums, les notes, les étoiles
Et autres raccourcis choquants
Datent certainement d’avant l’ère numérique,
Mais leur dictature est assez récente
Le texte n’importerait plus
Voilà que priment : Les 100 meilleurs, les 10 meilleurs,
les sélectionnés,
Les parcours sup à coup de stickers « indispensables » ou « historiques »
Qui étouffent les vérités de l’histoire, les vérités indispensables
Celles de l’œuvre collective sans cesse en mouvement

Tout ce que nous désirons de la musique
Et tout ce qu’elle peut encore désirer de nous
Ne peut rimer avec Trip Advisor ou Uber
Et autres rigidités win win

Abolissons les notes et les classements
Enterrons les médailles
Et vivons la multitude.


                                                                                                  Train vers Avignon le 6/11/2018

2.11.18

LES ACTIONS DE CORINNE LÉONET

C’était encore le temps où fleurissaient en France les mots "Jazz Action" qui dessinaient nos chemins sur les cartes musicales. Corinne Léonet aimait beaucoup le mot "Action". Elle y tenait. Un mot politique, un mot de cinéma. Corinne était agent comme on dit, agent agissante. Chanson et jazz. On la rencontrait, en des lieux d'ébullitions typiquement seventies, comme Angoulême, Jazz Unité, Le Dunois, puis Rive De Gier, Cluny, Chantenay-Villedieu, tel club, tel péniche… Ceux qu'elle avait créés : Le Tripot où l'on entendait en 1972 des chanteurs comme Jacques Bertin. La rue de Bruxelles. Avec Didier Levallet, elle inventait tout le temps, les disques In and Out par exemple. On pense à cette association de 1982 au nom rigolo le Japif (à sa demande, le "a" pour action) avec Sylvain Torikian, Didier Levallet, Gérard Terronès, Alain Bideau, Jean Buzelin, Denis Constant, Alex Dutilh, Jean-François Michel, Jean Rochard, Jean-Paul Rodrigue... On pense aussi à Christian Mousset, Marie Castets, Dominique Abdesselam, à Martine Palmé, à Jean-Jacques Birgé avec qui elle réalisa Sarajevo Suite *. Ses compagnes et compagnons musiciens pour qui elle traçait la route avaient pour nom Kate et Mike Westbrook, Willem Breuker, Annick Nozati, Chris McGregor, Le Rova Saxophone Quartet, Trevor Watts, Kahondo Style, René Botlang, Phil Minton, Lindsay Cooper... L'empreinte demeure forte. Cette femme a marqué notre histoire, nos histoires, l'histoire de nos histoires. Il y eut d'autres appels, d'autres mondes, de Maroquinerie, de Maroc... Corinne est partie définitivement hier.

* Hommage de Jean-Jacques Birgé à lire sur son blog

24.10.18

OUTLAWS IN JAZZ

Certaines maisons de disques ne sont plus, leurs distributeurs non plus, mais restent, mieux que le souvenir statique, des albums-petits joyaux à réécouter (rééditer ?) pour leur étourdissante présence. C'est le cas d'Outlaws in Jazz sorti chez Bleu Regard en 1993, musique d'héritage et de semences pour d'actifs sols à fouler sans cesse, en liesse.

21.10.18

MUSIQUES REBELLES À BERTHELOT

"Musiques Rebelles", deuxième édition au Théâtre Berthelot à Montreuil-sous-Bois (93). Premier soir le 18 novembre : le clair obscur des songes wyattiens avec les" Sea Songes" de Bruno Tocanne en compagnie de Sophia Domancich, Rémi Gaudillat, Antoine Läng puis And His Orchestra avec Danik Lazro au saxophone ténor ("Daunik on ténor"), Jean-Luc Cappozzo, Jean Bolcato et Christian Rollet pour une musique des eaux vives et des terres fidèles. Deuxième soir le 19 novembre : le lieu d'échanges poétiques, joués, parlés, chantés, dansés en un doux fourmillement de faisceaux pleins d'esprit qui se permettront même un petit écart fort joyeux narguant l'ordre établi. C'est bien le moins pour ces musiques belles et rebelles. À suivre et que le souffle continu ...


Photos B. Zon

19.10.18

LES ASSASSINS DE L'ARBRE

"Faire de notre pays une puissance environnementale" a dit le roi dans son allocution télévisée du 16 octobre, semaine où les arbres de la forêt de Romainville et 115 de ceux de place La Plaine à Marseille sont abattus pour des projets politiquement cupides. Les arbres, ces plantes indispensables, gardiennes de la paix de nos racines et garantes de notre souffle, assassinées grâce la protection des dites forces de l'ordre. La puissance environnementale des tronçonneuses.

10.10.18

VENUS

Manifestation à Paris le 9 octobre 2018 : comment échapper aux menottes


Photo : B. Zon

6.10.18

DON BYAS SANS BARRAGE


Les 387 habitants de Tignes (Savoie) avaient lutté de toutes leurs forces contre la construction du barrage dit de Chevril (projet esquissé en 1921, élaboré en 1929, resté d'actualité en 1941 malgré l'occupation) avec son lot de petits arrangements opaques et de scandaleuses conditions. En dépit de l'hostilité organisée, le chantier (où périrent 52 ouvriers) fut mené à terme, de 1947 à 1952, sous la surveillance et la répression des Gardes Mobiles et des CRS.  Le 26 mars 1952, un arrêté préfectoral ordonne l'expulsion manu militari des habitants qui voient dans les trois semaines suivantes leur village dynamité puis noyé sous les eaux du plus grand barrage-voute d’Europe, orgueil saignant de la France moderne. Nombreux en garderont une inconsolable amertume.

À Paris, ce 26 mars 1952, au Studio Pathé-Pelouze, le saxophoniste Don Byas enregistre sa version de  "En ce temps-là", la chanson de Charles Trenet. Le très expatrié Art Simmons est au piano, l'ellingtonien Joe Benjamin à la contrebasse et, à la batterie, le compagnon des nuits parisiennes de Dizzy Gillespie ou Mary Lou Williams, Bill Clark. Le groupe s'appelle Don Byas and his Rhythm, comme si cette formidable prééminence n'allait pas de soi, qu'il fallait la signaler avec élégance. Ce qu'y joue Don Byas, c'est l'admirable prise de conscience qui transparait partout, dans le son tout d'abord, gigantesque et ardent, dans le phrasé, aussi, d'une assurance impétueuse, dans la respiration même. La sagesse se mêle à tous les risques, rien d'illusoire. Don Byas joue plus la franchise que la ruse, sa fraternité est débordante, son intériorité réfléchie, sa conviction et sa détermination ébahissantes.

Il n'y avait pas de projet de barrage à Paris ce jour-là. Y subsistait un village. Un village musical lové dans la dévorante où se trame tant. La vallée ne semblait pas encore céder et pourtant ses habitants, ceux de l'intérieur, y jouaient en ce temps-là la description d'un monde forcément menacé. Autrement, après l'épouvantable conflit de la décennie précédente.  En percevaient-ils l'urgence ? Celle de la description, du  témoignage tellement vivant, avant que la vallée ne prenne l'eau, avant que les traces ne soient contraintes à s'estomper. Dire qu' "En ce temps là" n'était pas déjà passé.

Don Byas : En ce temps là (Jazz in Paris - Gitanes Jazz Productions, édition 2002) ‎

18.9.18

LA TRAVERSÉE DE LA RUE

Méfiez-vous des gens qui vous conseillent de traverser la rue pour trouver votre bonheur *

* en langage marcheur, synonyme de "travail"

4.9.18

NEUF ET MINGUS

Le futur, ou plus exactement les résistances (au sens électrique) du présent, ne seraient-ils compatibles qu'avec les placards de l'histoire. D'autres lost tapes (forcément intéressantes) surgissent : cette fois-ci Charles Mingus (dans sa période sans Dannie Richmond - avec Roy Brooks). À l'heure où, pour une majorité d'êtres, le téléphone est un des membres intégré du corps humain, n'oublions pas tout de même de composer le neuf.


"Laissez mes enfants avoir de la musique!" Mingus, 1971

2.9.18

RANDY WESTON

Uhuru Afrika (Roulette 1961), un grand disque aussi prémonitoire que la perspective passée pouvait le permettre. Livret : Langston Hughes, musique : Randy Weston (arrangements Melba Liston)

28.8.18

MENU COLUBER

Las sans doute des repas reptiliens quotidiens, le ministre de l'écologie quitte le gouvernement. Dans son annonce sur la chaîne de radio France Inter, il évoque l'alerte - ignorée - que constitue l'étuve dans laquelle a été plongée la planète cet été, ce qui n'empêche pas la présentatrice météo à la suite de cette annonce de dire "que demain tout le monde profitera du soleil". Les couleuvres ont de beaux jours  à venir dans les estomacs et pas seulement ceux des ministres...

• Définition dans le Diconato : Pluie 





27.8.18

THE INTRUDER (ROGER CORMAN)

Au moment ou sort BlacKkKlansman, le nouveau film de Spike Lee  il est plus qu'intéressant de (re)voir ce film très méconnu de Roger Corman (cinéaste ayant fait sa réputation sur d'autres sujets, d'autres manières) The Intruder (1962 - aussi nommé I Hate Your Guts! ou en Angleterre Shame ou The Stranger) avec William Shatner (plus connu pour être le capitaine Kirk de Star Trek ou nous faire rigoler en chantant "Mister Tambourine Man"). Le film eut bien des problèmes avec la censure (et la population des lieux où il fut tourné). Il est une petite perle (pas loin de Fritz Lang) à ne pas manquer.

En ce moment au Champo à Paris (51, rue des Écoles)

16.8.18

ARETHA FRANKLIN

La voix prodigieusement charnelle de l'éveil souligné, de l'entité transcendée, du mouvement grandissant et libérateur. THINK !




23.7.18

GÉRARD PEINA LÀ

Étape du Tour de France du jour avec l'équipe En Marche et son coureur cycliste vedette Gérard Collomb pédalant grossièrement dans la choucroute.

22.7.18

PRÉMONITION

1er mai 2018, fin d'après-midi, Paris quartier Mouffetard/Contrescarpe, un officier CRS fait à voix haute cette réflexion : "oh là là, ça va être compliqué ce soir !"  
Une sorte de prémonition ? 

Photo : B. Zon

9.7.18

COMOLLI, COLTRANE, PARKER, KEBADIAN IMAGES SAISIES DE TEMPS EN TEMPS


Trois objets récemment parus nous parlent du temps de ce temps à partir d'un autre temps, des fragments du devenir : les parutions de deux petits livres Les fantômes de mai 68 de Jacques Kebadian et Jean-Louis Comolli (1)De Motu d'Evan Parker (2) et d'un album discographique Both directions at once: the lost album de John Coltrane (3).

Le titre de ce disque du signataire pétrisseur de "My favorite things" est posthume bien sûr, la classique histoire de bandes retrouvées ci-ou-là, sur une étagère, dans un garage ou dans une boîte à thé. Il y a eu des Lost albums d'Elvis Presley, Alexis Korner, Doris Day, The Trashmen, Johnny Thunders, Rod Stewart, Paul McCartney, The Kinks, Patto, Fred Wesley and the JB's, Eddie Harris et des dizaines d'autres. Un Lost album, c'est très différent d'un Last album, comme ceux d'Albert Ayler ou Lee Morgan par exemple, en cela qu'il n'a pas de valeur testamentaire autre que celle d'un soudain possible trait d'union pouvant à nouveau éclairer sinon toute une œuvre, au moins un coin de la forêt. Coltrane, Elvin Jones, Jimmy Garrison et McCoy Tyner y livrent l'éclat d'un moment à deux têtes où s'entrechoquent la valeur de l'histoire et la décharge des traces chéries vers une sorte d'unité de sens pourtant multiple. Deux directions en une.

Les acteurs de Mai 68 ont connu leur lot de lost et last jusqu'à paraître pour des fantômes. Les images arrêtées de Jacques Kebadian proviennent du film qu'il avait tourné avec Michel Andrieu en mai 1968, Le Droit à la parole. Le texte de Jean-Louis Comolli leur redonne un autre mouvement, un autre transport, que celui d'un défilement de 24 images par secondes, celui de la pertinence du geste révolté, de la résistance féconde, du possible départ à tout moment de l'imprévisible train à partir des abords. Le commencement est un ralliement où vivre ses amours véloces en alliance idéale.

Directions complémentaires, le mouvement : De motu. Retour sur les mots d'Evan Parker prononcés à Rotterdam en 1992. Sur la couverture le saxophoniste réfléchit devant une photo de John Coltrane. On sait la filiation. Le texte évoque les fragiles contours de l'improvisation libre, "la façon de remplir l'espace", "la force de la musique résidant dans sa capacité à indiquer une dimension au-delà du banal", "les limites de l'endurance". Le vécu n'est pas une simple forme architecturale. Deux directions en une.

Trois commentaires sur la beauté qui sont la beauté où l'apparente violence de l'expression abolit la douleur, jusqu'au vaste silence et le bruit de tous ses habitats, jusqu'à la végétation où grandissent les amitiés, les bonheurs fuselés. "Aussi limité que cela puisse paraître, il semble que même les publics qui réclament du 'connu' aient besoin d'une musique renouvelée."(2) "Nous revenons à nous et, qui sait, nous allons vers les autres."(1) "Aucune autre nécessité que celle d'aller vers une vie bonne et de la partager. telle est l'utopie qui nous a conduits."(1)


(1) Jacques Kebadian - Jean-Louis Comolli Les fantômes de Mai 1968 (Yellow now / Les carnets / #15)
(2) Evan Parker De motu (Lenka lente)
(3) John Coltrane Both Directions At Once: The Lost Album (Impulse - Universal)

5.7.18

MAURICE LEMAîTRE

Dans les 45tours de l'enfance, il n'y avait pas seulement "La ronde des enfants", "Vive jeudi", les Beatles ou les Rolling Stones, il y avait aussi "Improvisation sur des thèmes de bande dessinée" de Maurice Lemaître. Aujourd'hui, le lettriste n'a plus l'être, c'est triste.

4.7.18

ABUBAKAR F


BLOW FOOTBALL

"Le travail physique épuisant, le souci de la maison et des enfants, les querelles mesquines entre voisins, les films, le football, la bière et, surtout, le jeu, formaient tout leur horizon et comblaient leurs esprits. Les garder sous contrôle n’était pas difficile. Quelques agents de la Police de la Pensée circulaient constamment parmi eux, répandaient de fausses rumeurs, notaient et éliminaient les quelques individus qui étaient susceptibles de devenir dangereux.

George Orwell - 1984 (1948)




2.7.18

L'ONJ PLUS FAIT QUE NEWS

Suite à l'engouement pour les pronostics du petit monde du jazz (dit "mundillo" par les critiques avertis) et sur recommandation du jazzophile érudit Stéphane Bern, le Ministère de la Culture (nouvellement renommé Française des Jeux) a décidé de mettre en place une grande loterie "spécial ONJ" avec un lot (non encore dévoilé) pour les gagnants qui auront parié sur le bon chef.

26.6.18

LES MANIPS À MANU

Pour les manips à Manu, l'ordre a ses forces, celles de la "violente tranquillité" (Victor Hugo) tellement contraires à nos aspirations humaines, nos fraternités, nos capacités d'harmonisation.

20.6.18

PRÉFÉRENCES DE PIERRE LANDRY

En 2015, alors que le trio SDS (Guillaume Séguron - Catherine Delaunay - Davu Seru) était de passage à Tulle pour quelques concerts corréziens, nous étions passés à la splendide librairie Préférences tenue par Pierre Landry. Catherine le connaissait. Nous sommes restés plusieurs heures en discutant de livres et d'auteurs autant que de questions relatives à l'édition et, comme ce libraire véritable était parfaitement bilingue, avec Davu de littérature américaine et afro-américaine.

Il y a eu des idées issues de cette conversation qui nous sont restées (l'éclipse) jusqu'à les penser en projet musical. Un après-midi inoubliable. Pierre Landry n'est plus.

Le Glob du 10 avril 2015:
GUILLAUME SÉGURON, CATHERINE DELAUNAY, DAVU SERU OU LES AVENTURES DE PÉTRICHOR EN BRETAGNE ET LIMOUSIN

16.6.18

PARCOURS SOUPE



Le bebop, le rock'n'roll, le free jazz, la free music, le punk, le hip hop (par exemple) furent tous d'incroyables gestes libérateurs, des secousses affolantes, des signaux indispensables au monde, laissant augurer d'incroyables lendemains. Forts (ou affaiblis, c'est selon) de nouvelles habitudes intellectuelles et/ou économiques, ils établirent souvent à leur corps défendant de nouvelles cloisons dans l'espace clos des réalités. Gestes d'école sécurisés, fins de non recevoir, mish mash, vigueur moins fondamentale, dés-hardiesse, théorie guidée, précisions superflues là où l'origine nous plongeait dans un déchirement que l'univers aurait semblé inapte à contenir tout entier. Mais chemin faisant, l'infusion reste toujours possible. Chemine.

13 juin 2018, à la Brêche,  partie de l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales) occupée, se retrouvent lycéens, parents d'élèves et autres soutiens contre les iniques arrestations ayant fait suite à la brève occupation du lycée Arago le 22 mai dernier, protestation contre Parcoursup, nouvelle trouvaille discriminante de l'Éducation Nationale Macroniste. Films, discussions, tombola, crêpes, salades, buvette et musique pour une fête précédent l'audience  au tribunal du 15 juin. Retour sur un moment de musique de cette tonique soirée.

Il est déjà tard lorsque s'installe le groupe de circonstance Parcours Soupe : Antonin-Tri Hoang (saxophone alto), Ève Risser (clavier), Francesco Pastacaldi (batterie) rejoints - fait de situation - par Jean-François Pauvros (guitare). Le transformateur du clavier implose - frustration de quatre à trois -  et deux rappeurs de groupes ayant précédé refusent obstinément sans méchanceté, mais avec une probable et prononcée influence dionysiaque oblitérant un utile discernement, de céder le micro, imposant un enchaînement dont la seule issue est de se déchaîner. De prévisibles, les positionnements (rien de ce qui est prévu du rien n'est prévu ne se passe comme prévu) vont alors basculer dans une perte d'orientation, où émerge tant bien que mal le bruit d'abord confus puis assuré ouvrant le rideau soudain vers une sorte de configuration convulsive et visionnaire. En quelques minutes, après une cavalcade d'impossibles où l'incapacité de s'entendre - Dionysos ne lâche pas le morceau - ne peut mener qu'à l'impossibilité de s'écouter, Ève Risser se saisit d'un antimachiste micro pour une partie vocale faisant passer Dean Jones et Phil Vane pour des émules de Jean Sablon. Hoang, Pauvros et Pastacaldi forgent enfin l'indescriptible bienvenu, la poésie revêche sans à bout, pleine de souffle. Éclate alors en folle densité une héroïque compression de ce que nous n'arrivons souvent plus à assumer : les malentendus d'une lutte des classes déclassée, les lambeaux des mirages de l'expression libre tranquillisée, la rage des saluts à bons entendeurs. Faramineuse représentation dans le nœud - est-il insurmontable ? -  de ce qui nous cloue encore lorsqu'on se libère dans la "longue et douloureuse nostalgie qui règne dans le présent" (Bakounine). Vacillent les certitudes rapides et s'allument les lueurs irréductibles. L'irréductible dans un vieux dictionnaire, c'est l'écoute vigoureuse mieux que la prise de pouvoir avec ou sans objet.

Quelques minutes de musique de chair totale comme on la rêve sans cesse et par là même qu'on la redoute, en filiation directe du monde épineux, une extraordinaire perception de l'éclatement des frontières de nos irréalisables. Nous avons mieux que des coulisses à partager.

Photo : B. Zon

5.6.18

KLOOK GÉNÉRATION

Le batteur Kenny Clarke (ou bien "Oop bop sh'bam a klook a mop" simplifié en Klook) a inventé vers 1940 une manière inédite d'établir une pulsation. Ce n'est pas rien. Ce nouveau battement a permis de déterminer une nouvelle et bouillante musique, le be bop. Tout cela a été possible car les esprits étaient agités et tournés vers la recherche au delà de cadres établis devenus invivables. Langston Hugues avait écrit : « Le bop est issu de la police qui cogne sur la tête des noirs. Chaque fois qu’un flic frappe un noir avec sa matraque, ce sacré bâton dit : ‘bop, bop, be-bop !’ ».

Le be bop n'est plus la nouvelle musique, mais les "sacrés bâtons" sont toujours là et frappent à tout va quiconque cherche à sortir d'un cadre se réduisant sans cesse. De nouvelles pulsations s'imposent, soyons des Klook.

Photo DR



2.6.18

SIGNE DÉTEINT

Tout les jours, un signe nouveau (au moins) : aujourd'hui le trajet de la manifestation parisienne pour le retrait du projet de loi asile-immigration qui devait aller de République au Sénat en passant par Bastille a été raccourci de République à Bastille sur ordre de l'auteur de la loi même. Jusqu'où (et pourquoi) s'abstraire de comprendre ces signes pour ce qu'ils sont ?

1.6.18

KIND OF BELOU
2 au 5 août 2018

Que sera Kind of Belou cette année pour sa 19ème édition ? 
Le programme du festival de Treignac vient d'être annoncé : 

2 août 19h
Kind of Belou aime la propice convivialité et l'invitation de la Guinguette à Pépée au classique Café du Commerce de Treignac en est la plus douce des attestations. Le 2 août à 19h... première manifestation de la 19e édition de l'annuelle et chaleureuse rencontre des belous avec Catherine Delaunay, Pascal Van den Heuvel, Sébastien Gariniaux
Chronique de leur étonnant disque 



3 août 21h15 
 Busking ! Mais oui Busking ! Tant de musique a été ainsi transmise, humée, touchée même. C'est ce qu'évoquent Hélène Labarrière et Hasse Poulsen dans leur duo ainsi sobrement et précisément nommé. Quelle histoire ! Une démarche, une façon d'être au monde... et à Treignac au festival Kind of Belou le 3 août prochain.  
Chronique in disques amis

4 août 12h
André Francis avait inventé l'expression "solo absolu". Et l'on se délectait de "solos absolus" de Lol Coxhill, Sam Rivers, Evan Parker, Steve Lacy ou Anthony Braxton. À Kind of Belou (Treignac - Corrèze) cette année le 4 août, il y aura bien, avec Nathan Hanson, saxophoniste qui vient d'effectuer une tournée seul dans le Minnesota, un solo dont l'absolutisme aura pour frontière un ravissant déjeuner sur l'herbe. L'absolutisme champêtre et sans privilèges du 4 août.

4 août 21h30
Kind of Belou à Treignac est un lieu d'expériences heureuses, alors on ne s'étonnera pas, le soir du 4 août (mais oui !), d'y voir une formation qui est le fruit de diverses expériences heureuses : le trio Tony Hymas, Hélène Labarrière, Simon Goubert devenu quartet avec Jacky Molard au festival de la CNT à la Parole Errante l'an passé, l'autre trio avec Tony Hymas, Catherine Delaunay, Simon Goubert au Magasin Général de Tarnac ou au Café du Commerce de Treignac toujours l'an passé ou récemment le duo Hymas/Goubert jouant pour les Réfugiés à Campus. Tout ce petit monde de beaux nous-autres se réunira dans la Pacific 345, locomotive imaginaire qui tombe à pic .

5 août 12h
"Une sorte de belou" ... quoi de mieux qu'une fanfare pour exhaler ce terme (exploré dans la quatrième partie du texte "La révolution de belous") ? Après leur première apparition il y a deux ans, la joyeuse Fanfare des Belous sous la houlette généreuse de Catherine Delaunay, revient à Treignac le 5 août prochain. Cet ensemble est ouvert à toutes et même à tous quelque soit le niveau musical (avec répétition les jours précédents : contact Kind of Belou)

5 août 21h15
1ère partie
Depuis le 8 mai, sont dévoilés ici les concerts de la 19e édition de Kind of Belou. Le 5 août en première partie du No Territory Band de Davu Seru, on pourra entendre sur la scène de la nouvelle salle des fêtes de Treignac - première française - Riverdog, jeune groupe des Twin Cities (avec Léo Remke-Rochard et Jack Dzik). Le chien aboie et la rivière coule où se reflètent conjointement bien des attraits musicaux.
2ème partie 
There’s a Hole in the Wall in the Bucket est l'éloquent titre de l'album de l'étonnant groupe de Davu Seru, No Territory Band, au nom non moins éloquent (et combien substantiel) dont la sortie digitale a été fêtée hier soir au Black Dog (Saint-Paul - Minnesota). La première française aura lieu le 5 août à Kind of Belou (Treignac - Corrèze) où sera cette fois fêtée la sortie dite physique de l'album. Éloquence hors frontières ! Bien sûr !
• Avec Pat O’Keefe, Nathan Hanson, Scott Fultz, Jake Baldwin, Levi Schwartzberg 



 

28.5.18

ACTION MUSICALE

Plutôt que constater son anesthésie systémique, écouter et voir (écouter voir = mettre en œuvre) partout ou c'est possible, sur et hors des murs, tous les signes d'existence réelle de la musique, sa débordante coulée poétique, sa participation au cours de l'action.

Photo B. Zon (graffiti XIXe arrondissement Paris)












27.5.18

DÉ COLLOMB

«Si on veut garder demain le droit de manifester, qui est une liberté fondamentale, il faut que les personnes qui veulent exprimer leur opinion puissent s’opposer aux casseurs et ne pas, par leur passivité, être complices de ce qui se passe». Déclaration de Gérard Collomb, ministre de la sûreté nationale, à propos des manifestations de mai 2018. En plus de l'insupportable séparation "bons manifestants" (comprendre dans la bouche du descendant d'Ernest Picard : "figurants permettant de simuler une pratique démocratie de vitrine qui doivent donc désormais faire mieux") et "mauvais manifestants" (hors cadre), on y trouve un appel à l'autodéfense organisée. Il n'y a pas des kilomètres - mais quelques indices - à imaginer pour l'ex Berluscollomb, des milices d'extrême droite régulant tout ça, ce qui soulagera la Police Nationale. Demain c'est le 28 mai, triste anniversaire de la fin de la Semaine Sanglante au Mur des Fédérés, un rêve pour celui à qui les Guillotins avaient décerné le "chiotte d'or" 2016 ?

26.5.18

LA MACHINE À RAGOTS CONTRE L'ÉVEIL

La répression et l'intoxication sont montées d'un cran après la brève occupation du lycée Arago le 22 mai (au moment des résultats de Parcoursup - quel nom !!!).  
Le nouveau Thiers et ses colons tentent d'étouffer la jeunesse véritable, celle qui vibre aux rythmes libres et indispensables et non aux mortifères canons de l'économie autoritaire.

23.5.18

QUE VIVE LA COMMUNE DU RAIL
(TENTATIVE DE RÉCIT)



Le soir du 17 mai sur la scène du théâtre de la Commune à Aubervilliers, se retrouvèrent, se rencontrons-nousèrent, musiciens et cheminots, travailleuses et chemineaux-écrivains, grévistes et poètes, lectrices et chercheurs, syndicalistes et vocalistes, diseurs et bons aventuriers. Une soirée simple, une soirée d'origine où paroles et musiques prirent un autre tour, comme un tressage de récits de luttes, de peines et de désirs, de nécessités expressives, de ce qui affleure, imprenable, et touche à l'ensemble, titillant le chaos, la béance, l'altérité, l'intense poétique, l'envol. De quoi surgir. Un train de luttes susceptible en son germe de mettre à bas le pandémonium économico-politique. Après l'écoute accueillante d'une vespérale et improvisée préface ensoleillée, une solidaire confrérie du souffle avec le clarinettiste basse Jean-Brice Godet, les saxophonistes alto Antonin-Tri Hoang et Basile Naudet et les flûtistes Ève Risser et Sylvaine Hélary, rassemble les gens dans le théâtre. Sylvaine rejoint Laura Varlet, cheminote qui raconte son métier, ses motifs ("Mon grand-père était cheminot, en Argentine, et si je m'engage dans cette bataille, au-delà de mes convictions, c'est aussi parce que mon grand-père et mon père m'ont raconté ce qu'a donné le démantèlement du chemin de fer en Argentine"). La flûtiste accompagne, note les indices, aide à rendre compte, à se rendre compte de la profondeur du regard de Laura lorsqu'elle insiste sur la discrimination. La flûte est l'instrument du monde entier, apte à l'annonce de la venue des mots, de leur train. Lise-Marie Barré lit ensuite un extrait d' Hommage à la Catalogne de George Orwell, son voyage en train lorsque revenant du front à Barcelone au printemps 1937,  il se trouve saisi par le contraste, l'effacement de la teinte noire et rouge vers une atroce normalité. Aux côtés de Lise-Marie, Sylvain Kassap, à la clarinette basse, commence avec "Els Segadors", très ancienne chanson catalane, adaptée au 19e siècle et devenue chant de ralliement lors de la guerre d'Espagne (et hymne national de la Catalogne depuis 1993 - la musique n'a pas plus de garanties que le reste), il quitte la mélodie pour rejoindre le train des observations et questionnements d'Orwell, "Els Segadors" ne revient que de façon fantomatique. La guerre d'Espagne a eu ses enseignements et ses transmissions qui auraient dû annihiler toute possibilité, même modique, de redoublement. 

Bhernad, travailleur chez McDonald's décrit la grève dans la supersizissime chaîne de restauration rapide symbole consommé de l'exploitation sous toutes ses formes, la témérité et l'ingéniosité des grévistes, renforcées par des aides de cheminots et d'étudiants. Deux étudiants de Paris 8 corroborent l'idée que l'on peut faire beaucoup avec de "petites équipes" : "la question de la validation automatique autour de laquelle on nous reproche de nous crisper inutilement, les notes, c'est le rapport matériel contre lequel on se bat et qui est démobilisant (...) un truc qui a été assez chouette a été la dynamique de blocage des examens".  Figure dont les rimes perspicaces commentent fréquemment le mouvement social, L'1consolable poursuit : "Est-ce bien à nous de demander pardon / pour le paradis perdu, dont ils nous parlent, dont nous partons / à mesure que nous tardons à faire les choses et gardons / l'habitude d'abdiquer, à se piquer entre ronces et chardons? / Tout dépend sur quelle pente et dans quel sens nous allons !". Régis Hébette du Théâtre de l'Echangeur qui a gaillardement déjà exercé le Rencontrons-Nous, invite les lieux dits de "culture" a faire de même et se mettre en mouvement à long terme. Jean-François Pauvros, après une installation où Don Quichotte se retrouve chez Jacques Tati, alerte avec une fausse distraction, contre les désastres de l'homophobie, du sexisme, projette hors science-fiction une "cheminot-phobie" machinée par le PDG de la SNCF, Guillaume Pepy et rappelle que "ces luttes sont des luttes les unes dans les autres et que les luttes sociales qui se voient ne doivent pas cacher nos luttes intimes". Ce n'est pas une version de "l'Internationale" que Pauvros délivre, mais "L'internationale" tout entière, dans le chahut libéré de l'infernale tutelle stalinienne qui échoua, après passage par le sas Perestroïka, automatiquement dans le calcul capital (1). Alors ça hurle, et ça passe en revue accélérée et dans l'essentiel désordre 147 années de luttes et d'assidus défis contre l'humiliation ; se campe l'indomptable nécessité que ce trop classique retrouve sa crête vertigineuse, dans l'espace qui sépare à jamais Eugène Pottier de Pierre Degeyter. Et en toute logique se dessine la si amabile mais insistante séquence suivante "Memorias del Olvido" (la mémoire de l'oubli). L'Espagne encore. One + One. Sylvain Kassap rejoint alors le guitariste. Le chant respire librement de tous ses mots, ses portions de présent et ses volutes d'antan. Il est main tenante. 

"On a fait le choix de travailler avec la vie, avec la mort, on a eu un idéal de travail sauf que ça se dégrade via les politiques. Maintenant le patient, est-ce qu'on peut encore l'appeler comme ça, plutôt un client ? Un billet de banque ?" Ève Risser fait résonner au piano toute la gravité de cette présentation d'Elodie et Leïla, infirmières, et Jean-Marc, aide soignant, pendant qu'Antonin-Tri Hoang au saxophone alto y saisit la ligne prête à se déployer. Les couleurs sonores ne peuvent qu'être concrètes. "On n'a plus le temps de s'occuper de nos patients. (...) On peut difficilement faire des actions et sortir de l'hôpital, c'est très bien de bloquer des trains, bloquer des gens, mais nous on ne peut pas bloquer l'humain, la maladie alors forcément on a très peu de moyens pour se faire voir. Vraiment on a besoin de votre aide et vous faire prendre conscience que c'est très important de nous aider et qu'on sera les patients de demain (...) On a honte de ce qu'on fait, on a honte de ce qu'on nous fait faire." Fantazio monte sur scène pour un pas si imaginaire écho orwellien "La scène est surélevée, mais pourrait aussi être complètement complétement enfoncée comme une grande baignoire, tous dans le même bain, ne t'inquiète pas dans un moment, les dix derniers TGV qui font Paris-Marseille seront transformés en hôpital, des hôpitaux roulants, il n'y aura plus de service, nous pourrons passer au wagon deux, au wagon 8 par un toboggan". Antonin entonne une très courte introduction, sorte de cavatine improvisée et Naji El Khatib, sociologue palestinien, raconte sa vie d'adolescent avec sa mère et son père cheminot palestinien, les intolérables années d'exil. Fantazio attrape sa contrebasse et rejoint Antonin pour un rusé motif oriental (doucement hypnotique) alors que Naji El Khatib parle des efforts de Palestiniens et d'Israëliens œuvrant pour dépasser les nationalismes et vivre humainement. Contrebassiste et saxophoniste jouent le tube calypso-mitchumien du premier : "Magic boy (playing with his magic Toy)" et dérivent justement : "En faisant grève, vous nous autorisez à retrouver l'eau d'un grand bain, vous nous autorisez à ne nous plus motoriser, laisser les motos de côté et rentrer dans le grand bain."

Criss Niangouna comédien et metteur en scène congolais est là parce que "dans mon secteur on n'est pas mieux loti que ceux qui défilent ici". C'est l'un des intérêts de ses rencontres de comprendre qu'aucun "secteur", fût-il kulturel, ne sera écarté de la formation très avancée du césarisme économique (motabilem). Avec Ève Risser au piano, il dit "Les haut-parleurs du remords", un poème de Vhan Olsen Dombo  : "Parce qu’il faut souvent rappeler l’idée de population à la population / Sinon / Ca sera « l’après comme ça » / La population va muter en peuple / Et quand une population devient peuple/ C’est là où la souveraineté lui revient de droit / Parce que à ce moment, / Les mains qui étaient restées tout le temps tendues /Des élections aux guerres tribales / Deviennent des poings fermés / Des poings fermés / Après les poings fermés sont solidaires / Il est difficile de reconnaître les poings fermés d’un ami / Dans une foule de poings fermés / C’est tellement fermé / Qu’on n'y voit plus rien / Et les poings vont inviter les autres poings fermés des bandits / Les bandits de grands chemins." Musique et mots trouvent un endroit naturel où mieux que de se refléter, ils forment, dans l'esprit du texte, une forme élégante et compacte de contact attachée à sa vérité. L'Afrique à deux pas. Suit "Bout du quai 36" de Nicolas Flesch, récit immergé. "Émouvant de comprendre, de sentir comment se fabrique une grève. Comment dans chaque gare, les décisions se prennent. J'aime l'écrire. J'aime écrire que ce sont des corps ; des corps qui se retrouvent, se parlent, s'écoutent, fument, se connaissent, se reconnaissent, se galvanisent, crient, chantent, s'offrent une canette, se sourient, confectionnent des banderoles, des complicités, des slogans. Des corps qui font habituellement les trois-huit, des corps qui font rouler jour et nuit les trains qui nous transportent dans d'autres villes, des corps qui font fonctionner les aiguillages, des corps qui réparent les trains qui traversent si bien les paysages que nous chérissons, des corps qui conduisent les trains qui nous transportent vers ceux que l'on aime, vers celle que l'on retrouve, que l'on embrasse, ceux qui nous attendent..." Au-delà de l'observation bouleversée et méticuleuse (des mots qui vont très bien ensemble), l'auteur-acteur-aède énonce précisément notre raison même d'être là ce soir, au théâtre d'Aubervilliers, cette rencontre source d'inventions à venir. Jeanne Added la chante ensuite avec le poignant "A war is coming" : "there's a bigger picture / that says we belong all together / that says we're strong / this body of mine, / this humanity / is what I love, / what I hate in me / no escaping no flee / there's no running away / for here we must be / for here we must stay" ("il y a une image plus grande / qui dit que tous ensemble nous nous appartenons / qui dit que nous sommes forts / ce corps qui m'appartient / cette humanité / c'est ce que j'aime / ce que je déteste en moi / pas d'échappée pas de fuite / pas de fuite possible / car ici nous devons être / ici nous devons rester"). Le mouvement continu, irrigant à l'endroit initial. 

À cet endroit de la soirée, l'arrivée d'un duo masqué, blindfold test ferroviaire, tombe à point nommé, nommé "Que vive la Commune du rail" : "Il y a le système ferroviaire posé comme une étoile sur la vitrine brisée du territoire français". L'encyclopédie est vivante de mots qui touchent et de clavier à 36 touches noires et 52 blanches, d'un Moog aussi. L'intérêt passager est aussi cheminot, il embrasse l'histoire du rail et ses signes prémonitoires ("Dépêchez-vous, dépêchez-vous, la fibre optique des banques court le long de ces voies"), sa nature, l'audace de ses respirations et ses testaments fascinants ("Le rail est autre chose que tous les schémas directeurs, que les grilles horaires, que les règlements d'en haut, que toutes les normes imposées contre le bon sens. Il est tout ce qui déborde de l'organisation du travail, tout ce qui se bricole malgré elle et sans quoi elle n'aurait même pas lieu d'être. Il est le le dialogue des corps et des choses, la présence confiante des choses, le métier poussé jusqu'à l'intimité avec la machine, il est l'obstinée insistance du réel face au règne du calcul"), l'inspiration des vies d'autrui partout perceptible ("Les gares seront des souks ou des bibliothèques spécialisées ou des salles de concerts gratuites ou des cantines populaires ou des lieu de réunions intercommunales plutôt que des centres commerciaux glacés où seul le néant scintille. On retrouvera le goût du voyage en perdant celui du trajet"), ses rayons. Alors, pas de limites à l'exploration des fondements, ni à reconstruire par la qualité poétique une société devenue incompréhensive et incompréhensible, avec des outils de signatures multiples, de révolte. Le pianiste et le récitant délinéent des trains peuplés de fondations, dessinent des traits à la nervosité belle comme l'enchevêtrement d'un dessin de Goya et d'un autre de Franquin. La vie du rail et ses robinsons comme symbiose assurément primordiale. (2)

Suite à une requête, Josep Raffanell i Orra, psychologue, lit ensuite (sur une édition Folio des années 70) comme complément d'objet direct, un extrait de La nuit des prolétaires de Jacques Rancière : "Quels sont-ils ? Quelques dizaines, quelques centaines de prolétaires qui ont eu vingt ans aux alentours de 1830 et qui ont décidé, chacun pour leur compte, de ne plus supporter l'insupportable. Non pas la misère, les bas salaires, les logements inconfortables ou la faim toujours proche, mais plus fondamentalement la douleur du temps volé chaque jour à travailler le bois ou le fer (...) l'humiliante absurdité d'avoir à quémander, jour après jour, ce travail où la vie se perd." Puis vient le temps des rires et des chants avec un karaoké où Stéphane Bérard propose de tester la possibilité de "rendre la liberté de parole face à un karaoké, (...) Une sorte d'autonomisation  par rapport au côté perroquet, au rail tracé". Il se lance sur le play-back d'"I saw her standing there" des Beatles qui devient le très libre "C'est fini de trahir". Tout se lie. Informés par des camarades cheminots, deux conducteurs de la RATP (bus et métro), Walid et Jérôme, demandent la parole et lisent une motion votée le 19 avril au centre bus de Vitry à l'adresse d'une certaine bureaucratie syndicale : "Dirigeants syndicaux, nous exigeons que vous aidiez le mouvement à s'unir, à se structurer, à se doter de comité de grève de bas en haut jusqu'à un comité central SNCF-RATP qui coordonnera le mouvement et le mènera à la victoire. Dirigeants syndicaux de la SNCF et de la RATP, la colère monte dans toutes les AG, nous n'aimons pas les faux-semblants, nous n'aimons pas la mascarade. Entendez cette colère et cette détermination, nous sommes plus que déterminés, nous sommes lucides. L'heure n'est plus à la délibération mais à la mobilisation générale. Bloquer Paris, c'est bloquer Macron, tous ensemble bloquons Paris, bloquons le pays, sauvons nos statuts, sauvons nos régimes spéciaux, sauvons les services publics, appelez les personnels SNCF et RATP à  la grève générale." À Gauthier Tacchella, cheminot, conducteur de RER, revient le soin de conclure avant de rejoindre le parc : "On est dans un conflit qui fait appel à notre fierté (...) je suis fier de voir que mon travail est utile. C'est quelque chose qui nous relie tous ici, on est tous fiers de trouver satisfaction dans ce qu'on fait. Lorsque quelqu'un dans un bureau ou un gouvernement, voire à l'Elysée décide que ce qu'on fait n'est pas bien et qu'il faut le changer absolument et qu'en plus il faut détruire les conditions dans lesquelles on le fait et les rendre beaucoup plus flexibles, beaucoup plus polyvalentes, beaucoup plus ouvertes à toute modification impromptue au détriment de toute une sécurité. Quand ces gens-là décident ça, eh bien on est heurté dans notre fierté, on a ce sentiment d'humiliation (...) Les gens que l'on rencontre pense que l'on se bat non seulement pour nos conditions de travail, mais pour une vision de la société qui est celle d'un service publique, de quelque chose qui se rapproche le plus possible de la Commune du rail."

La fraîcheur du soir n'est pas un obstacle et il fait bon se retrouver ensuite à l'extérieur pour un barbecue (délicieux) fécond de moult réciprocités, interrogations, ardeurs et rires. La caisse de grève se garnit généreusement. Sur une scène de bonne fortune, Fantazio, Antonin-Tri Hoang, Basile Naudet, le violoncelliste Olivier Schlegelmich et le batteur Francesco Pastacaldi ouvrent le bal à qui veut danser. Rock, twist-chacha-mambo, démontés, remontés, gonflés à bloc même, incitent Jean-Brice Godet à les rejoindre pour un saillant chorus. Les voix graves seront toujours indispensables. DJ Etsuga suit. À l'heure où l'on parle (trop) de convergences des luttes, cette soirée pourrait bien être la raisonnable indication que ce qui importe essentiellement serait plutôt la connivence des luttes.


(1) La musique de "l'Internationale" composée en 1888 par Pierre Degeyter n'est entrée dans le domaine public que le 30 septembre 2017 - les droits d'édition appartenaient à Harmonia Mundi qui reprit (via Le Chant du Monde) l'unique catalogue soviétique Melodiya (le titre se trouvait dans la corbeille). Plusieurs utilisations non déclarées, dans des films par exemple, on fait l'objet de poursuites. Les paroles écrites en 1881 par Eugène Pottier (mort en 1887) étaient, elles, dans le domaine public.  

(2) Texte intégral publié dans Lundi Matin


Photos : B. Zon