D’abord. Tout d’abord. Tout débord. Qu’est-ce qu’un Belou ? Les explications divergent doucement au gré des interlocuteurs (on le verra plus tard), mais se retrouvent toutes sur la contraction essentielle et limousine, le sens du blues comme prévention de l’abîme. Mot profond d’une région de résistance qui l’est tout autant. Ouverture sur l’heureux. Kind of Belou a été fondé en l’an 2000 à Treignac. Dernier festival des années 1900 ou premier en vue de l’an 3000, cette île de Belous s’est découverte tant de rivages. L’accueil. L’an 2016 y vit surgir à la taille précise de l’être, la curieuse présence ouverte au sens, celle où se glisse la continuité de l’amour. Les logiques fondamentales sont celles issues des rêves.
Le vieil Héraclite nous a donné parfois bien du souci, mais il a écrit (il y a quelques vingt-sept siècles) quelque chose comme "même lorsque l'on descend encore et encore dans le même fleuve, on se baigne toujours dans une eau nouvelle". "Qu'il se fasse un village où c'est nous qui s'en allons" titrait Jacques Thollot dans sa fameuse Girafe. À Treignac (et environs), le village fut le fleuve des suggestions infinies, dites et bien dites, jouées et bien jouées.
Mercredi 3 août, 18 h, Halle de Treignac, vernissage de l'exposition «Hors scène, hors champ» de François Corneloup en présence de Guy Le Querrec
On l'a vu dans notre article du 4 août sur le Glob "Les instants photographiques de François Corneloup" (1), le saxophoniste avait semé les vitrines de Treignac de ses photographies, invitant les regards actifs. Jeux de miroirs et de souvenirs en 25 photographies de ses camarades "Hors scène, hors champ" ainsi qu'il les présente : "Une boucle se forme alors, entre le festival et mes images, qui s’inscrit dans la topographie du village, ses rues, sa vie, sa transformation, ses nouveaux arrivants, ceux qui passent et ceux qui en partent, ses vitrines habitées ou celles désertées par l’exode rural, qu’on a voulu réinvestir et réveiller le temps de cette accroche. Comme la musique vivante dont ces images sont la résonance et qui le temps d’un festival d’été, investit la cité un peu plus qu’au quotidien, ce parcours photographique invite à s’inscrire dans sa boucle, offre ce que le spectacle pourtant si indispensable à la vie citoyenne ne montre pas si souvent : quelques instants de la vie intime du peuple qui l’invente." (2) . La présence de Guy Le Querrec, rappel doux de son histoire, souligne l'insistance de l'œil à sortir de la duplication de l'abandon pour la joie de tous les aiguillons.
Jeudi 4 août, 21h15, Église de Veix : Duo Franck Tortiller - François Corneloup
Franck Tortiller : vibraphone, marimba - François Corneloup : saxophone baryton
À 5 km de Treignac, le petit village de Veix vit au rythme des ruisseaux. Les chats y sont à l'aise et la cabine téléphonique défie le temps. L'église, construite au XIIe siècle, incendiée en 1581, restaurée au XVIIe siècle, bricolée au XIXe accueille ce soir le duo du vibraphoniste Franck Tortiller et du saxophoniste François Corneloup. Ce dernier familier du pays, treignacien (3) de dix ans, présent en 2006 et 2015 avec Ursus Minor, en 2013 avec les Chroniques de résistance (4) de Tony Hymas, a fait la joie du Café du Commerce avec Le peuple étincelle le 22 avril dernier. Cette fois, c'est avec son ami le vibraphoniste Franck Tortiller qu'il va jouer à Veix un concert au fond très complémentaire du jeu d'images des vitrines de Treignac. Par sa musique souple à la mélancolie resserrée, le duo de Singing Fellows (5) offre une suite aux relations perceptibles, celles d'un paysage unique aux contours précis et assortis sans cesse : le bourdonnement dansant d'un village d'heureuse condition.
Vendredi 5 août 18 h, Marché de producteurs de pays, place de la République : Trio Pépée
Sébastien Gariniaux : guitare, banjo, ukulélé, voix et piano à orteils - Catherine Delaunay : clarinette, accordéon diatonique, chant, percussions et piano à orteils - Pascal Van den Heuvel : saxophones, chant, ukulélé et piano à orteils
Le répertoire musical est aussi mouvant que trimardeur, inaltérable que fugace, susceptible d'être interprété et réinterprété. Le sens, l'origine et la lumière nouvelle. Catherine Delaunay, Pascal Van den Heuvel et Sébastien Gariniaux ne cultivent pas le second degré, l'équivoque, pas même l'analogie, mais au contraire le répondant qu'inspire ce répertoire au vocabulaire familier. Le répondant, c'est l'idée même du prolongement incessant, de la connaissance, de ce qui va, c'est le geste, l'impérissable danse, le porte-voix. Sur la place de Treignac, Pépée joue devant un jet : valse, mambo, cha-cha-cha, musette, autant de clés pour les portes de Pépée ouvrant sur une forme de figure parlante autorisée au fond des âges : la douce extase tranquillement saillante. Aujourd'hui c'est demain.
Samedi 6 août, à 11 h 30, Cour de l’office de tourisme de Treignac : La Fanfare des Belous
Catherine Delaunay : clarinette, direction, Sarah Van den Heuvel : flûte, Anna Mazaud : mélodica, chant, Christelle Raffaëlli : clarinette, Rachel Annand : clarinette, Philippe d' Hauteville : clarinette, Sylvia Cornet : saxophone ténor, Pascal Van den Heuvel : saxophone baryton, Marc Giraud : saxophone baryton, Marie Cathala : trombone, Pascal Chaumette : trompette, Sébastien Gariniaux : banjo, chant, Daniel Chomette : cajón + Véronique Dao et Isabelle Vedrenne : percussions
"Qu'il se fasse un orchestre ou s'est nous qui s'en allons !". Là les Belous se déclarent, ils revendiquent leur kind. Un belou selon les sources variées c'est au choix : le cri d'appel des bergers pour rassembler les moutons «belou, belou, belou !», un paysan, un individu solitaire qui fuit la société, quelque chose de mignon, de joli ("un bébé tellement belou"), un petit belin (nom ancien du mouton - Le roman de Renart), un agneau, une bête sauvage (belua en latin), un individu inquiétant, un myope, un boudeur, un amateur de bière, une chérie ou un chéri, une hyène, un pleurnichard, un niais, un voyou ou même une autre dénomination du dieu Baal (le chevaucheur des nuées). On y ajoutera le belouze, pas loin du blues, qui nous rapprochera de notre sens, du sens du nous autres. Our kind ! Ce samedi, entre l’Office du Tourisme et les toilettes publiques (ornées d’un graffiti délicat et informé « Fuck the police »), la Fanfare des Belous offre sa première aubade (à 11h30) devant un auditoire complice. Kind of Belou a lancé un appel au printemps pour la création de cet ensemble sans restriction de niveau musical ni obligation académique et a confié à Catherine Delaunay la charge heureuse de mener cette petite troupe pour laquelle elle a apporté "Clair de Lune", "Suzanne" et "Salomé". La clarinettiste a dirigé les quatre répétitions préalables complétant ce premier récital avec deux tubes de révolution "Le temps des cerises" (Catherine Delaunay rappelle que ce temps est le nôtre) et "Bella Ciao" (tous deux chantés par la jeune et gracile Anna Mazaud), ainsi que le thème d'opérette "Mexico" fougueusement entonné par le pétulant bouffe Sébastien Gariniaux (à noter que dans l'opérette de Francis Lopez, l'ami du héros se nomme Bilou). Introduction à cette dernière, le thème des "Vikings" de Mario Nascimbene pour le film de Richard Fleischer, prestation perturbée par le rire de deux viking-belous dans la foule. D'aucuns croient avoir reconnu les fantômes subreptices de Kirk Douglas et Ernest Borgnine. Sous les vigoureux et élégants pas de danse de Catherine Delaunay et l'évident plaisir des participants, s'applique l'évidence de cette enceinte où tous, musiciens et spectateurs ont joyeusement trouvé leur filiation de Belous. Un orchestre, c'est une autre sorte de village : danse avec les Belous !
Samedi 6 août, 21h15, Salle des fêtes de Treignac : Aquaserge Orchestra
Benjamin Glibert : guitare, voix - Julien Gasc : clavier, voix - Audrey Ginestet : basse - Julien Chamla : batterie - Manon Glibert : clarinette - Robin Fincker : saxophone ténor - Sébastien Cirotteau : trompette - Olivier Kelchtermans : saxophone baryton
La salle des fêtes de Treignac est un monument d'histoire. La municipalité de Treignac va la rénover. Souhaitons seulement qu'elle prenne garde à y laisser les traces de toute la musique qui s'y est plu. Celle d'Aquaserge Orchestra, cette soirée de samedi également. "Orchestra" parce que le quintet signataire d'À l'amitié (6), excellente nouvelle de la pop made in France, est renforcé par trois souffleurs qui brassent d'autres perles que du vent. Le groupe commence avec "La ligue anti jazz rock", thème générique où se mettent en lice différentes conceptions internes. Au fil des plages, la musique se développe en une sorte d'onctuosité acide au sens neuf et éclaté, recherche d'une destination imprévue modelée par une somme d'informations foisonnantes corrosives et dénudées. Les chansons, éraflures méditatives, s'intègrent dans cet univers aux figures imbriquées, au sentiment tourné vers ses réserves d'intuition. Les vents s'emportent, la transe délaisse ses coquetteries de crépuscule. Le vieux spectateur a pu parfois penser à quelque Machine Molle, mais l'essentiel ne réside pas dans nos catalogues de souvenirs et leurs bons déclencheurs. Aquaserge, que l'on dit né d'un déluge, est une aventure singulière s'inscrivant dans l'essentiel syllabaire des lendemains qui chantent.
Samedi 6 août, 23h, Café du Commerce : Lord Rectangle
Charles X : chant - M. Gadou : guitare - Johann Loiseau : steel drum, claviers et percussions - François Chommaux : guitare et percussions - Eric Camara : basse - Johann Mazé : batterie
+ François Corneloup : saxophone soprano, Robin Fincker : saxophone ténor, Sébastien Cirotteau : trompette
Le Café du Commerce à Treignac est le lieu des rencontres, des complots sympathiques, des franches rigolades, du Pago et du whisky et aussi souvent que possible de la liberté de danser. Le Café du Commerce est l'allié de Kind of Belou qui y présente régulièrement quelques surprenantes soirées telles Tony Hymas-Pete Hennig-Desdamona, Hymn for Her, Le peuple étincelle, Zarboth et pas mal d'autres... Lord Rectangle, groupe calypsoul survolté, y trouve parfaitement sa place. Avant d'être une danse des Antilles, Calypso était une nymphe océanide et amoureuse. Les musiciens vifs incarnent tout ça en une rêvée harmonie un peu punky. Le chanteur de Lord Rectangle se nomme Charles X. X est la 24e lettre de l'alphabet latin. À une lettre par heure, elle pointe le jour complet, X est le nom de Malcolm, un symbole de lumière aussi. La belle forme surgit d'autant plus, énergise, dynamise encore, libère. La danse emporte. Tout le monde bondit, tout le monde se retrouve. Sur un clin d'œil de l'ingénieux guitariste M. Gadou, François Corneloup court chercher son soprano. Répondant aux défis guinchants de Lord Rectangle, il livre un flamboyant chorus emporté par la bouillonnante rythmique. Robin Fincker et Sébastien Cirotteau, saxophoniste et trompettiste d'Aquaserge, rejoignent l'ensemble un peu plus tard. Un peu plus tôt même, car personne n'est disposé à ce que la foudre rectangulaire quitte la place des Farges. L'éphémère est perpétuel.
Dimanche 7 août, 21h15, Salle des fêtes de Treignac : SDS invite Donald Washington
Guillaume Séguron : contrebasse - Catherine Delaunay : clarinette, accordéon - Davu Seru : batterie - Donald Washington : saxophones ténor et baryton
+ Pascal Van den Heuvel : saxophones baryton et alto
et Nathan Hanson et François Corneloup : saxophones soprano
Musicien de l'histoire essentiellement discrète, Donald Washington n'avait jamais joué en France avant ce 7 août, il aura donc fallu cette proposition de SDS (Guillaume Séguron, Catherine Delaunay, Davu Seru) et l'invitation généreuse de Kind of Belou pour enfin entendre ce musicien atypique avec ce trop rare trio. À cet endroit, on mesure la distance qui sépare l'association corrézienne des officines qui, se défendant pourtant d'être formatées, n'en détournent pas moins les propositions "risquées" au nom d'un mystérieux public dont elles prétendent être les tutrices. Il faudra bien - à un moment - rompre avec ce qui s'est progressivement dessiné comme un enfer ouaté, ce divertissement culturel asexué emberlificoté dans ses bourgeoiseries, retrouver en plein jour ce moment où le jazz affirme son sens de la pulsation du monde et peut être entendu en tant que tel. C'est là le terrain des trois musiciens de SDS, trio fondé en 2014 (7) grâce à quelques histoires d'amitié. L'amitié est la lucidité du temps immédiat, celui qui dure. SDS comme Students for a Democratic Society (8). Chez eux, il ne s'agit pas d'extérioriser la convoitise, mais de tracer généreusement hors des terres à l'abandon. L'abandon c'est le malheur des humains, ce qui les afflige. Le blues dit ça, très fort. La part du blues est importante chez SDS, fondatrice même. Le blues est du côté de la terre, de la chair. Lorsqu'on est attentif, il peut prendre un accent médiateur pour les germes d'avenir. À un moment on s'enlace. La musique jouée par Guillaume Séguron, Catherine Delaunay et Davu Seru n'a pas d'ambition nostalgique ni ne cherche la renaissance des îles exténuées, mais se plaît aux petites embuscades à tous les temps. Le passé opère et tout est à naître autrement en passant les frontières. Le chant a un rôle primordial dans l'avènement de nouvelles transitions. Il en est la nature et lorsque Donald Washington entre sur scène sur "Love, the mystery of", thème du Ghanéen Guy Warren (Kofi Ghanaba), popularisé par Art Blakey puis Randy Weston, ce qui frappe c'est cette conviction de survie, cette lumière naturelle sortie de l'ombre dont on découpe les rêves à la faveur de tous les accents. Le concert durera deux heures de reliefs, aspérités et fioles de sagesse, contradictions et luttes, dialogues de gravité et de passion, d'appels et de réponses. Deux thèmes nouveaux de Davu Seru "Roi mère mort" dédié à un oncle chamboulé par l'assassinat de Martin Luther King (nous en reparlerons) et "Situated so", verront les renforts nourrissants de Pascal Van den Heuvel. En rappel, François Corneloup et Nathan Hanson (de passage avec son camarade Doan Brian Roessler après un concert à Gourdon avec Pablo Cueco et Mirtha Pozzi), ainsi que Pascal Van den Heuvel se joindront au groupe sur un morceau dit haïtien de Sidney Bechet. Tout est ouvert, besoin de temps, on attend la prochaine de cette musique digne d'avenir, on en a besoin, et ça tombe bien car la prochaine est dans trois jours chez les voisins et amis de Tarnac. (À suivre...)
(1) "Les instants photographes de François Corneloup" sur le Glob à lire ici
(2) Extrait du texte de présentation par François Corneloup à lire ici
(3) Si le Treignacois est l'habitant de Treignac, le Treignacien est son visiteur temporaire mais régulier dont les traces s'inscrivent doucement par petites couches au fil des ans
(4) Chroniques de résistance, Tony Hymas (2015, nato)
(5) Singing Fellows, Franck Tortiller - François Tortiller (2016, MCO)
(6) À l'Amitié, Aquaserge (2014, Chambre 404 - Sony)
(7) La double vie de Pétrichor (2015, nato)
(8) Organisation étudiante emblématique de la nouvelle gauche américaine de 1964 à 1969, prônant la démocratie participative et l'action directe, qui a compté plus de 100 000 membres.
(3) Si le Treignacois est l'habitant de Treignac, le Treignacien est son visiteur temporaire mais régulier dont les traces s'inscrivent doucement par petites couches au fil des ans
(4) Chroniques de résistance, Tony Hymas (2015, nato)
(5) Singing Fellows, Franck Tortiller - François Tortiller (2016, MCO)
(6) À l'Amitié, Aquaserge (2014, Chambre 404 - Sony)
(7) La double vie de Pétrichor (2015, nato)
(8) Organisation étudiante emblématique de la nouvelle gauche américaine de 1964 à 1969, prônant la démocratie participative et l'action directe, qui a compté plus de 100 000 membres.
KIND OF BELOU 2016 VU PAR SON PHOTOGRAPHE-MÊME
Exposition photographique de François Corneloup vue par lui-même. Photo d'Elsa Birgé (Treignac 2013 avec Chroniques de résistance de Tony Hymas) en situation à l'Office du Tourisme de Treignac |
Vibraphone et marimba de Franck Tortiller - Église de Veix |
Joies enfantines (essentielles) |
Le parrain : Guy Le Querrec |
Guillaume Séguron : jet continu |
Le trio Pépée (Pascal Van den Heuvel, Catherine Delaunay, Sébastien Gariniaux ) au marché de pays |
Le trio Pépée : Pascal Van den Heuvel, Catherine Delaunay |
Donald Washington, Catherine Delaunay (avec Pépée) |
La fanfare des Belous : Pascal Van den Heuvel, Daniel Chomette, Marc Giraud, Marie Cathala, Pascal Chaumette, Véronique Dao, Isabelle Vedrenne, Catherine Delaunay |
La fanfare des Belous conduite par Catherine Delaunay |
Anna Mazaud, Sarah Van den Heuvel, Rachel Annand , Philippe d' Hauteville |
Aquaserge Orchestra : Audrey Ginestet, Julien Gasc |
Aquaserge Orchestra : Aquaserge Orchestra : Sébastien Cirotteau, Robin Fincker, Benjamin Glibert, Olivier Kelchterman |
Aquaserge Orchestra : Sébastien Cirotteau, Robin Fincker, Olivier Kelchterman |
Aquaserge Orchestra : Julien Chamla, Manon Glibert, Audrey Ginestet, Benjamin Glibert |
Aquaserge Orchestra : Julien Chamla |
SDS : Pascal Van den Heuvel, Davu Seru |
SDS : Davu Seru, Guillaume Séguron |
SDS : Catherine Delaunay, Donald Washington |
SDS : Donald Washington, Davu Seru, Guillaume Séguron |
SDS : Donald Washington, Catherine Delaunay |
Thierry Mazaud par qui la fête arrive |
Toutes les photographies de cet article sont de François Corneloup photographié ici par B. Zon |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire