La Java, club parisien bellevillois, a la spécificité de prolonger les branches d'un arbre planté il y a bien longtemps par Gérard Terronès, un arbre qui a offert une multitude de pousses, de feuilles, de sèves, de nids et d'oiseaux perchés. Gérard Terronès, qui confiait récemment que ses influences restaient Bob Thiele ou Bernard Stollman, a provoqué, au travers abondance de lieux, de disques, de déplacements, de volontés, quelques-unes des parties les plus historiquement vivaces du jazz en France. Le 4 janvier, il organisait à La Java une journée pour Jacques Thollot, musicien disparu le 2 octobre 2014. De Jacques Thollot, Gérard Terronès avait publié en 1971, en un 33 tours de sa maison de disques Futura, le premier album solo, sujet solitaire et incroyablement peuplé : Quand le son devient aigu, jeter la girafe à la mer. Un disque que l'on n'aura jamais fini d'écouter. La java donc, lieu approprié, au nom de danse, donc de batterie, mais aussi d'une géographie musicale qui sourit à Don Cherry ("Entre Java et Lombok" sur Watch Devil Go 1975), révélée plus tard de "Longitude innée" (Tenga Niña 1996).
À la Java, le 4 janvier, Gérard Terronès et la compagne de Thollot, Caroline de Bendern, avaient convié Tristan Macé, Marie Thollot et Emmanuel Bex, Claude Bernard et Christian Lété, Jean-Marc Foussat et Claude Parle, Sylvain Kassap et Didier Petit, Jean-Jacques Birgé, Antonin-Tri Hoang et Fantazio, Jef Sicard, Claude Parle et Jean-Louis Méchali, François Jeanneau avec Sophia Domancich, Jean-Paul Celea et Simon Goubert, François Tusques avec Mirtha Pozzi et Pablo Cueco, Benjamin Sanz, Frédérick Galiay et Julien Boudart, Jac Berrocal, Francis Marmande, Cathy Heyden et Jean-Noël Cognard... Caroline de Bendern projetait entre les sets, des films avec Jacques, extraits de concerts, séances ou moments de vie quotidienne. Tout ce beau monde évolua avec cette liberté que Thollot décrivait lui-même comme "la vie en direct, où l'on raconte le soir ce qu'on a vécu la journée (...) comme le lendemain on garde ce qu'on a raconté de mieux la veille". Jeux d'ombre, façons douces, confidences pudiques, humour ou mouvements brossés. Quelques clins d'œil directs à la musique de Thollot : sa fille Marie chanta - comme une ouverture - avec Emmanuel Bex (qui fit partie du quintet de Jacques Thollot en 1980) "Turning on my mind" (de Cinq Hops 1978) et une chanson personnelle où l'on glane comme un secret de fille à père : "Laisse-moi être ton repère dans cette jungle austère", François Tusques mêla thème de Thollot à Solitude et le trio Jean-Jacques Birgé, Antonin-Tri Hoang et Fantazio tira fantaisie des poèmes de la Vie dans les plis d'Henri Michaux (poète chéri du batteur qui lui emprunta le titre de sa Girafe).
François Jeanneau avec un quartet composé de Sophia Domancich, Jean-Paul Céléa et Simon Goubert offrit un set complet de musique de Jacques Thollot. François Jeanneau, compagnon de longues routes, acteur des groupes des années 70 et des trois albums de cette période, François Jeanneau dont Thollot raffolait du son de soprano - et ce fut une des beautés de ce set de rappeler ce que ce saxophoniste a apporté à cet instrument et à quel point ; ce qu'on ne dit vraiment pas assez. Au travers de "Cinq Hops" (dont Jean-Paul Céléa était le bassiste d'origine), le quartet mu par une commune présence, une commune essence, rendit possibles le retour d'un visage, mais aussi son futur inspiré, ses infinis possibles. Les improvisations prirent leur place sans intrusion, sensiblement, avec une douce puissance dans l'élan d'exposés en quête d'harmonie universelle. Le désir de Jacques Thollot, son chant, étaient là, facilement partagés, en multiples résonances. Chacun joua avec la plus charmante des déterminations, la plus épanouie, la plus émerveillante... la délicatesse de Sophia Domancich, le déploiement grave de Jean-Paul Céléa... et le solo de batterie bouleversant de Simon Goubert, moment de transmission, d'intime poésie dans le poème lui-même.
François Jeanneau, Sophia Domancich, Jean-Paul Céléa et Simon Goubert nous firent partager une complexité alors révélée évidente : la musique de Jacques Thollot est capable d'affronter le temps.
Photographie : Caroline de Bendern
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