Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

16.9.17

LES ÎLES ET PRESQU'ÎLES
DE JEAN AUSSANAIRE

16 avril 2016, les Allumés du Jazz, sous la houlette de leurs disquaires Cécile et Juliette, organisent dans leur boutique du Mans comme à la presque habitude, leur très avenant Disquaire day. Et pour plus de faits et de fête, quelques amis musiciens (Pierrick Lefranc, Jean Aussanaire, Catherine Delaunay, Tony Hymas et les groupes Le bénéfice du doute - Timothée le Net, Mael Lhopiteau - et Ensemble Luxus  - François Cotinaud, Jérôme Lefevbre, Pascale Labbé) s'ébattent toute la journée, dehors ou dedans. Amicale atmosphère de très bonne camaraderie et musique qualificative. Vers 15h, Jean Aussanaire, seul avec son saxophone alto puis soprano, joue dans la cour. C'est immédiatement saisissant, mais doucement saisissant et s'affirme sans heurt. On se trouve bien de cette écoute et on réalise petit à petit, en quelques pièces, dont une de Steve Lacy, cette sorte d'énoncé de tendresse, mais une tendresse intrépide où s'entrelacent la vie des hommes, leurs regards directs et le lieu de leurs secrets. Une alchimie d'une grande beauté à la précision la plus adaptée : l'ampleur réelle pourrait bien se nicher, sans nier le souffle des hymnes au long cours, dans une certaine simplicité au milieu d'un monde tourmenté. Ce concert offert par Jean Aussanaire dans la cour des Allumés du Jazz restera un de ces grands moments de musique, plantes exceptionnelles qui surgissent sans crier gare et perdurent à jamais dans la mémoire. Sur le chemin du retour, lorsque chacun donne ses impressions, Tony Hymas confie : "Jean Aussanaire is a hell of a player".

Un sacré musicien, c'est sûr ! Oscillant entre la douceur tourangelle et l'appel de la mer, Jean Aussanaire, véritable navigateur, a toujours bourlingué dans un grand jeu de liberté, de franche détermination n'excluant aucune conciliation. Le devenir lui sied si bien.

Quelle maladie traîtresse a pu avoir l'audace imbécile de l'arracher à la vie ce soir du 14 septembre 2017 ? Lui qui avait compris que les sources, quelles que soient leurs géographies, ne sont jamais isolées, qu'elles peuvent être jointes et se rejoindre. Que ce soit avec Cache Cache, trio de dix ans pour terminer le siècle précédent, avec ses amis Olivier Thémines (l'étonnant Veine de tuffeau), Jean-Luc Cappozzo, Mico Nissim, Jacques Bolognesi, Jacques Mahieux, Sébastien Boisseau, Ed Sarath, Clément Gibert, Luigia Salvi, Hélène Labarrière, Jacky Molard (Brest Babel Orchestra), Bernard Santacruz, Bruno Tocanne (il était membre d'Over the hills), Eric Brochard (la musique créée ensemble pour Finis Terrae de Jean Epstein), MOB, quartet consacré à la musique d’Ornette Coleman, l'étonnante fanfare de poche TouUt (avec Camille Secheppet et Daniel Malavergne - que de bons souvenirs à Livioù ou Douarnenez !). On n'oubliera évidemment pas bien sûr le Workshop de Lyon, auquel il était si heureux d'appartenir, groupe substantiel depuis 1967 qu'il rejoignit en 2003. Ce qui le conduira aussi à intégrer l'Arfi et participer activement à quelques uns de ses groupes et inventions comme La Marmite Infernale, Arfolia Libra ou, à partir d'un tableau de Bruegel, la création, avec Jean Méreu, Bernard Santacruz et Laurence Bourdin, du spectacle A la vie, la mort. 

On pourrait aussi citer des danseurs, des sculpteurs, des comédiens, des œnologues, évoquer aussi les festivals qu'il a organisés à Rochecorbon (ville de tuffeau), Noizay ou dans sa chère Belle-île-en-mer (Notes à Belle-Île).

Dans le numéro 35 des Allumés du Jazz, Jean Aussanaire avait écrit "Du bénévolat aux institutions" article où il s'inquiétait de la dérive qui a saisi l'ensemble du monde musical : "La structuration, la reconnaissance, le professionnalisme ont gagné tous les étages de notre petit monde, et alors ?  Est-ce que les musiciens jouent plus ?".

La citation attribuée parfois à Platon, parfois à son élève Aristote : " Il y a trois sortes d'hommes : les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer" a beau être le lieu commun des préfaces maritimes, on l'aimerait réelle afin que Jean Aussanaire, musicien fendant l'onde d'une insigne humanité et merveilleux compagnon, se retrouve dans cette troisième voie se dessinant de toutes les façons dans nos cœurs.


Photo B. Zon ( Le Mans, 16 avril 2016)











1 commentaire:

Anonyme a dit…

Effondré d'apprendre la mort de Jean et plus encore de l'apprendre au détour de ce beau texte qui la rend, de quelque façon, plus cruelle. Pas pour lui, bien sûr, mais pour nous, qui restons seuls avec sa musique, le souvenir de sa musique et le souvenir de sa manière d'être présent. Yannick