Après avoir participé à un concert-peinture en direct avec un impressionnant trio de saxophones (Nathan Hanson, Donald Washington, Brandon Wozniak) dimanche 30 juin sur lequel nous reviendrons, Stéphane Cattaneo et ses pinceaux récidivaient à l'invitation du duo Dean Magraw-Eric Kamau Grávátt mardi 2 juillet lors de la première estivale de la fameuse et très ouverte série : First Tuesdays at the Black Dog with Dean Magraw and Davu Seru. Il nous raconte...
par Stéphane Cattaneo
Participer à un concert est
toujours une expérience enrichissante, surtout quand des musiciens de la trempe
de Dean Magraw (guitares) et Eric Kamau Grávátt (batterie) se produisent en duo,
et plus particulièrement encore lorsque ces deux gentlemen vous invitent à les
rejoindre sous les feux de la rampe pour les accompagner aux pinceaux pendant
deux de leurs morceaux. La chose s’était décidée la veille, formellement mise
en place une demi-heure avant le début du set, et j’avais un méchant trac qui
montait, qui montait. L’immense Moebius m’avait dit un jour, alors que je
m’apprêtais à improviser devant un public pour la première fois de ma vie
« Fais ce que tu sais faire, et tout se passera bien ». Soit. Je me
répétais ce bon conseil comme un mantra, et lorsque mon tour fut venu de monter
sur la scène j’étais décidé à l’appliquer à la lettre. Sauf que tout ne se
passe jamais tout à fait comme vous le voulez dans ces circonstances,
essentiellement parce qu’il s’agit d’inventer des formes et des couleurs en
relation intime avec la musique que vous accompagnez, qui est elle-même très
largement improvisée. Si bien que le « fais ce que tu sais faire » se
résume en un alphabet que vous êtes censés maîtriser afin de véhiculer une
émotion nouvelle, qui s’exprime d’une manière inédite, et qui confère une
vibration colorée se superposant et se fondant avec celles que les musiciens
sont en train d’engendrer. Ça ne se passe jamais exactement comme vous voulez,
donc, et vous vous découvrez parfois des ressources insoupçonnées. Comme celle
de danser avec vos pinceaux par exemple, tandis que vous vous laissez embarquer
sur une version haletante du titre de Charles Mingus « Goodbye Pork Pie
Hat », ou d’appliquer vos couleurs les yeux fermés, en état de transe sur
« Your Lady » de John Coltrane. Ce moment, précisément, fut le plus
intense qu’il m’ait été donné de partager avec des musiciens… Eric a démarré le
morceau en plaçant le tempo tandis que je me balançais sur scène, attendant le
bon moment pour entrer dans la danse ; puis Dean a démarré, gentiment
d’abord, déterminant une tonalité haute qui promettait l’ascension du volcan
dont les deux compères étaient en train de déterminer la hauteur, avant
d’enchaîner d’une manière rendue incandescente par l’utilisation des treize cordes
de sa guitare/sitar électrique. Je me suis rendu compte qu’entretemps j’avais moi-même mis en place le noir
sur ma grande feuille de papier, et que j’étais prêt à appliquer le jaune, le
rouge, le blanc, tout ce qui pouvait me passer entre les mains. A partir de ce
moment, ce fut un tourbillon dans lequel chacun joua sa partition solo au
service des autres, nous entraînant mutuellement dans une exploration
esthétique dont l’aspect physique, corporel, déterminait les limites. Je crois
que chacun de nous cherchait à galvaniser les autres, et par l’intensité de
notre implication, par la qualité de ce que nous offrions au public et à
nous-mêmes, cette volonté d’être ensemble, cette euphorie dans la fusion, ce
don envers la vie et l’art sans lesquels elle n’est rien, nous avons offert
plus qu’une consolation au monde. Nous l’avons ré-enchanté.
« Fais ce que tu sais
faire », oui…
C’était mardi soir au Black Dog
de St. Paul, Minnesota, ma dernière soirée aux USA, et l’une des plus
importantes de ma vie.
S.
(Merci à Sara Remke du Black Dog,
sans l’amitié, la générosité et la simplicité de laquelle rien n’aurait été
possible : see you very soon !)
Photographies : Bénou
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