Plaintes longues et obstinées revêtent leurs costumes de métaphore. La parole n'est plus guère et la guerre est sans parole. Aujourd'hui, c'est la Toussaint, moment d'indiscrétion pour quelques revenants de la libre parole, celle dont le cours est largement à la baisse.
Cet été, pendant le festival de Livioù où parole et musique allaient bon train, en regardant de l'autre côté de la mer, nous étions quelques-uns à chercher l'origine de la chanson "Le curé de Camaret" revenant immanquablement à l'esprit, à la lecture d'une carte de géographie. Après quelques recherches, il apparaît (grâce aux archives du tribunal de Quimper) qu'elle pourrait être l'œuvre du poète libertaire Laurent Tailhade, copain de Verlaine, Bruant, Mirbeau et Vallotton. Tailhade, à l'époque champion du parler cru, s'était fait remarquer lors de sa défense d'Auguste Vaillant, futur guillotiné, condamné pour avoir lancé une bombe au Palais Bourbon le 9 décembre 1893 faisant une cinquantaine de blessés légers (parmi lesquels l'Abbé Lémire, père couillu d'une des stupéfiantes bizarreries du XXème siècle : la démocratie chrétienne). Il avait eu ces paroles : « Qu'importe de vagues humanités pourvu que le geste soit beau ! ».
Zola, à l'instar d'une bonne partie de la gent intellectuelle française, se montra un brin lâche lors de la Commune de Paris. Il tira un peu inélégamment la couverture à lui dans l'affaire Dreyfus en pompant largement L'Affaire Dreyfus – Une erreur judiciaire, écrit par le premier dreyfusard, l'anarchiste Barnard Lazare, ouvrage se terminant par un "J'accuse" devenu, deux ans après, par la plume de Zola, instantanément aussi célèbre qu'"I have a dream" du pasteur King. Mais il faut reconnaître à l'auteur talentueux de La Curée (qui ne fut pas écrite à Camaret) le courage de sa défense de Tailhade lors du procès de ce dernier pour avoir signé dans Le Libertaire un virulent article contre le Tsar Nicolas II en visite officielle en France. Tailhade, également fervent dreyfusard, lut en retour l’éloge panégyrique lors des funérailles de l'écrivain naturaliste.
Laurent Tailhade, aimait la mer, mais pas les bondieuseries courantes en Bretagne. Il passait chaque année ses vacances avec sa femme et ses amis à Camaret-sur-mer et le 15 août 1903, au passage de la procession de la fête de la vierge Marie sous les fenêtres de l'Hôtel de France où il résidait, plaça son pot de chambre sur le rebord de la fenêtre. Quelques jours plus tard, le 28 août, près de 2000 bons chrétiens firent le siège de l'Hôtel de France aux cris de « À mort Tailhade ! À l'eau l'anarchiste ! ». Cela dura jusqu'à l'intervention de la maréchaussée à 3 heures du matin pour empêcher le lynchage de Tailhade, de sa femme et de son ami peintre qui se verront expulsés de Camaret sous les huées. Ils trouvèrent refuge à Morgat, port sardinier au fond de la Baie de Douarnenez, dans le Finistère. En septembre, quelques fidèles reconnaissant le poète tentèrent de le mettre à l'eau. Le rancunier recteur Le Bras, curé de Camaret, déposera plainte à la suite de la publication d'un article dénonçant l'emprise des prêtres sur le peuple. Tailhade aussi (une chanson contre son épouse circulait à Camaret). L'audience houleuse eut lieu à Quimper. Le poète fut acquitté et le curé se vit adresser une remontrance du tribunal. La chanson "Le curé de Camaret", à la mélodie indéniablement envoûtante (il existe aussi des variantes apocryphes peu heureuses des paroles initiales), serait une vengeance vite torchée, ayant largement assis sa popularité (et ironiquement celle de la ville de Camaret) depuis lors dans nombres de noces et banquets suivant la messe.
«Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux» avait écrit René Char. Les ânes républicains (dans la chanson le curé aux couilles pendantes en possédait un) et les obscurantistes de tous poils avec leurs déguisements divers - du très branché high-tech à celui de l'imbécilité d'une ancestrale inquisition raciste dont on n'aurait jamais pu imaginer un si grotesque retour) perfectionnent sans cesse leurs façons de tenter de faire taire les mots. En vain peut-être ! Les mots sauront encore et encore échapper - parfois de justesse - au feu et aux asiles... à condition de continuer à les aimer pour ce qu'ils sculptent de la vérité et du témoignage de la profondeur des rêves.
2 commentaires:
Venez donc voir Camaret, c'est une très jolie petite ville qui vaut mieux que son curé
Etonnant. La mémoire se perd, et les tomates de l'autre Camaret célèbre pour ses sauces méritent de déferler sur les incultes finistériens désormais de nouveau dans le droit chemin.... tomates sur la tête en guise de bonnet?
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