Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

25.7.24

JOHN MAYALL

En ces temps-là, les 33 tours (on ne disait pas "vinyl") faisaient exactement la taille de nos cartables et pouvaient ainsi s'échanger (relativement) discrètement au moment de la récréation (ou parfois - avec la même discrétion - pendant les cours). Au diable les risques pour la musique. C'était un matin de jour de pluie, dans un coin du préau bondé où s'entassaient les sacs de sport, servant à l'occasion d'oreillers. Assez nonchalamment le long du mur, le cul sur le sol un peu mouillé, un des gars d'un petit groupe repéré (quatre garçons et deux filles), autant pour son amour débordant de la musique que pour sa réticence à aller en classe, avait plus de merveilles discographiques que de livres de classes. Le pick up pouvait résonner sous le préau et les avertissements des "pions" n'y faisaient rien. Devenir copain avec cette bande, c'était aussi s'assurer un sérieux élargissement de sa culture musicale (et un recul certain de celui d'aller en cours). 

Ce matin pluvieux donc, le gars sortit de son cartable l'album Bluesbreakers de John Mayall. Ça valait une leçon d'histoire. Le nom de John Mayall apparaissait soudain dans la voie lactée, comme bientôt celui de son prédécesseur Alexis Korner. Et l'aiguilleur du ciel pointait si bien les noms de Robert Johnson, Memphis Slim, Willie Dixon, Freddie King, Mose Allison... autant qu'il accueillait (mais c'est une histoire parallèle aux nombreux ricochets) à partir de 1963 (British Blues Boom) des talents à l'éminence garantie : Eric Clapton (entre les Yardbirds et Cream), Jack Bruce (avant Manfred Mann), Mick Taylor (avant les Rolling Stones), Peter Green, John McVie et Mick Fleetwood (tous les trois avant Fleetwood Mac), Ansley Dunbar (avant Frank Zappa), Jon Hiseman, Dick Heckstall-Smith (avant Colosseum), Andy Fraser (avant Free), Colin Allen (avant Stone the Crows) ou le moins chanceux batteur et ami Keef Hartley (pour Woodstock, son fin manager, avait accepté le cachet de 500$ mais refusé que son groupe soit filmé... le sens de l'histoire). On pouvait aussi entendre les saxophonistes Alan Skidmore, Ernie Watts et Ray Warleigh, le trompettiste Henry Lowther. Si ça ne suffisait pas, avec ses copains, John Mayall jouait aussi de l'harmonica sur l'album From New Orleans To Chicago de Champion Jack Dupree. 

Les disques continuèrent à sortir des cartables : Blues from Laurel Canyon ou USA Union avec le violoniste défricheur Don Sugarcane Harris, les trop sous estimés guitariste Harvey Mandel et bassiste Larry Taylor. Tous nous emmenaient ailleurs, comme si c'était leur essentielle nature, et puis, alors que les oreilles cherchaient résolument cet ailleurs, le très encourageant Jazz Blues Fusion. À la corde, deux marathoniens de l'histoire du jazz : le trompettiste Blue Mitchell et le saxophoniste Clifford Solomon (et aussi le batteur Ron Selico, entendu avec Frank Zappa dans Hot Rats, le guitariste blues blues blues Freddy Robinson  et la constance du bassiste Larry Taylor). 

Ensuite les disques prirent d'autres voies plus débordantes que celles des cartables. John Mayall fut un sacré bon prof.

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