Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

30.11.24

"LE RÊVE" DÉTAILLÉ PAR OCTAVE MIRBEAU

 
En 1889 (alors qu'il vivait aux Damps - rappelez-vous de ce nom), Octave Mirbeau commentait ainsi (dans son article « Les Peintres primés », in L’Écho de Paris, 23 juillet 1889) "Le rêve" d'Édouard Detaille : " Jusqu'ici nous nous imaginions que les soldats, abrutis de disciplines imbéciles, écrasés de fatigues torturantes, rêvent – quand ils rêvent – à l'époque de leur libération, au jour béni où ils ne sentiront plus le sac leur couper les épaules, ni les grossières et féroces injures des sous-officiers leur emplir l'âme de haine. Nous croyions qu'ils rêvaient à de vagues vengeances contre l'adjudant et le sergent-major, qui les traitent comme des chiens. [...] À voir le petit soldat se promener si triste, si nostalgique, il était permis d'inférer que, après les dures besognes et les douloureuses blessures de la journée, ses rêves de la nuit n'étaient ni de joie, ni de gloire. M. Detaille nous prouva que tels, au contraire, étaient les rêves du soldat français. Il nous apprit, avec un luxe inouï de boutons de guêtres, en une inoubliable évocation de passementeries patriotiques, que le soldat français ne rêve qu'aux gloires du passé, et que, lorsqu'il dort, harassé, malheureux, défilent toujours, dans son sommeil, les splendeurs héroïques de la Grande Armée, Marengo, Austerlitz, Borodino. [...] Il fallut bien s'incliner devant cette œuvre, qu'on eût dite – selon le mot d'un juré – peinte par la Patrie elle-même ".
 
Photographie : Jeanne Bacharach (métro parisien, 29 novembre 2024)





 


15.11.24

L'AUTRE GODARD


Dans le champ de l'invention, il existe bien des angles. La bande dessinée en est un bien vivant exemple. À partir de quelle situation œuvre-t-on ? Pour arriver à la poésie, à l'humour, à la réflexion, au désir ? Ou bien part-on de l'arrivée supposée pour une déambulation de plus ample liberté, plus ample, mais moins voyante - moins appuyée, moins volontaire. Doucement libre. Comme les histoires dessinées par Christian Godard. 
 
René Goscinny incarnait une autre tendance et pourtant il a scénarisé (entre autres premières séries dessinées par Godard) Tromblon et Bottaclou dont se souviennent les lecteurs du premier Pilote et vivement encouragé ce Godard-là à suivre sa voie en solo. Ce sera fait avec Norbert et Kari (toujours dans Pilote). Après la création sans succès de Toupet dans le Journal de Spirou, il file chez Tintin où il réalise Martin Milan, pilote d'un avion-taxi, dont le seul but semble d'être intensément  (c'est-à-dire très simplement) humain. Martin Milan, fumant la pipe, au travers de ses petits envols philosophiques, ne cherche aucune bonne affaire, seulement l'entraide. 
 
Après cette série unique dans le monde de la bande dessinée, il scénarisera de nombreuses histoires (La jungle en folie avec Mic Delinx...). Au milieu des langages affirmés de ses confrères et souvent amis, Goscinny, Will, Mittéï, Franquin, Uderzo ou Greg, Godard évolue comme Martin Milan dans une généreuse solitude. Il vient de nous quitter le 6 novembre.