En 1889 (alors qu'il vivait aux Damps - rappelez-vous de ce nom), Octave Mirbeau commentait ainsi (dans son article « Les Peintres primés », in L’Écho de Paris, 23 juillet 1889) "Le rêve" d'Édouard Detaille : "
Jusqu'ici nous nous imaginions que les soldats, abrutis de disciplines
imbéciles, écrasés de fatigues torturantes, rêvent – quand ils rêvent – à
l'époque de leur libération, au jour béni où ils ne sentiront plus le
sac leur couper les épaules, ni les grossières et féroces injures des
sous-officiers leur emplir l'âme de haine. Nous croyions qu'ils rêvaient
à de vagues vengeances contre l'adjudant et le sergent-major, qui les
traitent comme des chiens. [...] À voir le petit soldat se promener si
triste, si nostalgique, il était permis d'inférer que, après les dures
besognes et les douloureuses blessures de la journée, ses rêves de la
nuit n'étaient ni de joie, ni de gloire. M. Detaille nous prouva que
tels, au contraire, étaient les rêves du soldat français. Il nous
apprit, avec un luxe inouï de boutons de guêtres, en une inoubliable
évocation de passementeries patriotiques, que le soldat français ne rêve
qu'aux gloires du passé, et que, lorsqu'il dort, harassé, malheureux,
défilent toujours, dans son sommeil, les splendeurs héroïques de la
Grande Armée, Marengo, Austerlitz, Borodino. [...] Il fallut bien
s'incliner devant cette œuvre, qu'on eût dite – selon le mot d'un juré –
peinte par la Patrie elle-même ".
Photographie : Jeanne Bacharach (métro parisien, 29 novembre 2024)