Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

24.12.15

LES CINQ DERNIÈRES MINUTES
(UN CONTE DE NOËL)

Bon sang de bonsoir, que faire pour un cadeau digne alors que les boutiques vont fermer dans une poignée de minutes (cinq pour être précis) ? Mais oui :
 

EN ÉCOUTE



Un disque qu’il fasse 17, 25, 33 ou  de façon plus compact 12cm est un cercle qui, comme le cercle chromatique, assure une disposition des couleurs pour améliorer la compréhension de leurs rapports. Le cercle ou disque (objet à lancer) est donc une chose parfaitement adaptée aux desseins de la musique.  

Photo : B. Zon

21.12.15

JOHN TRUDELL ET ETIENNE BULTINGAIRE


John Trudell et Etienne Bultingaire ne se connaissaient pas. L'un était poète-activiste, l'autre ingénieur du son-musicien. Tous les deux ont été emportés par la maladie infernale, à quelques heures d'intervalle, les 7 et 8 décembre derniers.

C'est pour l'enregistrement, en février 1990, de la suite de Tony Hymas Oyaté (dédiée à 12 chefs indiens d'Amérique du Nord de la seconde partie du XIXe siècle) à Albuquerque (Nouveau-Mexique) que la rencontre avec John Trudell a lieu. Dès que nous nous sommes entretenus avec Hanay Geiogamah, conseil sur le projet, le premier nom évoqué fut le sien et l'écoute des cassettes que John Trudell avait réalisées avec Jesse Ed Davis et Quiltman devint confirmation évidente. Ses mots dans Tribal voices saisirent : "Rappelle-toi, toi l'impatient, rappelle-toi et vis sans avoir peur de la vérité".

Né en 1946, John Trudell grandit dans la réserve Santee Sioux dans le Nebraska. En quittant l'armée pendant les premières années de la guerre du Vietnam, il devient un des membres actifs de la cause indienne lors de l'occupation d'Alcatraz par les United Indians of All Tribes en 1969. Il est porte-parole du mouvement et crée le programme Radio Free Alcatraz diffusé la nuit depuis Bekeley. Il rejoint ensuite l'American Indian Movement (créé à Minneapolis en 1968 pour défendre les Indiens du harcèlement policier puis tous les droits indiens dans les réserves et les centres urbains) dont il est le président de 1973 à 1979. 1973 est l'année de l'occupation de Wounded Knee par l'AIM et 300 habitants de la réserve de Pine Ridge à l'endroit même où, en 1890, le 7e de cavalerie avait massacré la tribu du chef Big Foot en recherche de refuge. En 1979 lors d'une manifestation à Washington, John Trudell brûle le drapeau américain après un discours devant les bureaux du FBI. 12 heures plus tard, dans la réserve Shoshone Paiute of the Duck Valley, un incendie ravage sa maison où vit sa femme Tina Manning, activiste pour les questions relatives à l'eau, leurs trois enfants et ses beaux-parents. Tous périssent sauf le père de Tina, sévèrement brûlé. Trudell accuse le FBI. L'enquête conclut à un accident. Il quitte l'AIM pour une sorte d'errance. Doucement, le mot se forge comme nouvelle arme. Devant la foudroyante réalité, l'avenir a encore un cœur. "Rappelle-toi et vis". Il publie un recueil de poésies Living in Reality. Jackson Browne l'encourage à se diriger vers la musique. C'est ce qu'il fait grâce au guitariste kiowa Jesse Ed Davis (entendu avec Taj Mahal, Bob Dylan, George Harrison, John Lennon). Davis meurt, à 43 ans, en 1988 d'une overdose. À cette époque, John Trudell apparaît dans le film de Jonathan Wacks Pow Wow Highway (produit par George Harrison). On le revoit au cinéma en 1992 pour le rôle de Jimmy Looks Twice dans Thunderheart de Michael Apted (1992). Heather Rae lui consacrera un documentaire en 2005 : Trudell.

En 1989, nous prenons contact avec lui pour le projet d'enregistrement de "Crazy Horse" qui ouvre ce qui deviendra Oyaté. La même année, il rencontre Tony Hymas en tournée avec Jeff Beck à l'issue d'un concert à Los Angeles. Février 1990, dans une ancienne opera house transformée en studio dans le village de Cerillos dans les montagnes du Nouveau-Mexique, se retrouvent Hymas et plusieurs musiciens et chanteurs indiens (Paul Ortega, Carlos Nakai, Floyd Westerman, Jim Pepper, Tom Bee, Hanay Geiogamah, Joe Bellanger, DJ Nez, Bonnie Jo Hunt et John Trudell). Trudell enregistre "Crazy Horse" (Jeff Beck y ajoutera sa guitare, ce qui le ravira). l interprète également le "Captain Jack" de Barney Bush, empêché au dernier moment à cause d'un décès familial. C'est lui qui suggérera le titre Oyaté (mot signifiant "le peuple" en lakota). Ensuite c'est la première venue à Paris pour Oyaté au festival Banlieues Bleues à la Maison de la Culture de Bobigny. À un journaliste un peu trop enjoué qui veut lui servir un verre de vin en insistant car "En France, on dit que c'est le sang de la terre", il réplique "Moi, j'appelle ça le soporifique de l'oppresseur". En 1992, pour Ryko, il publie l'album A.K.A. Graffiti Man, premier d'une longue suite de disques et de concerts où sa vision première de la force des mots, capable d'engendrer de profondes métamorphoses sans le moindre reniement, ne cédera jamais. En l'an 2000 au festival Sons d'Hiver, nous nous retrouvons avec John Trudell, Barney Bush et Tony Hymas pour de mémorables moments. John et Barney, deux voix qui se muent, dans la multiplicité, en suite pour la vie. Une plume fut offerte que Trudell viendrait rechercher un jour. Elle est toujours là.

C'est grâce à Didier Petit que la rencontre avec Etienne Bultingaire eut lieu, non dans les montagnes du Nouveau-Mexique, mais près des Pyrénées, à Tarbes en septembre 1997 pour les enregistrements de Fluide de Denis Colin et de NOHC, ensemble de Didier Petit. Immédiatement avec Étienne, l'aventure enregistrée prend un autre tour, celui d'une capacité à saisir le temps au moment où la vie s'exprime, de rendre compte de la totalité des brisures hors normes. Son parcours n'est pas celui d'une carrière, mais d'une recherche. Une recherche de contrastes et d'harmonies des esprits, en partie commencée au théâtre de Amandiers des années plus tôt lors de ses  rencontres avec Eric Rohmer, Pierre Stein et Daniel Mesguich. En 1982, il rejoint l'Ircam comme assistant son et travaille avec Pierre Boulez ainsi qu'avec Marc Antoine Dalbavie, Philippe Manoury, Tristan Murail, Harrison Birtswisle, Luciano Berio et Karlheinz Stockhausen. Mais sa curiosité dépasse les bornes des normes. Le son s'acquiert comme idéal, comme vision. L'exploration du son touche à l'insaisissable où l'ailleurs porte autant de signes d'ouverture : le son suscite la matière. Pierre Henry trouve en lui un partenaire précieux pour plus de 20 ans de collaboration. 

Avec Didier Petit se noue rapidement une indéfectible entente. Le violoncelliste et producteur raconte : "Notre première rencontre s'est faite au Dunois. Et oui !!! Mais pas l'ancien, le nouveau... Il y avait eu des soirées de rencontres improvisées en avril 1991 avec le gratin des improvisateurs. Je désirais les enregistrer et Xavier Bordelais (avec qui j'avais enregistré deux disques), n'étant pas disponible, m'a parlé d'Étienne qu'il connaissait de l'IRCAM. Là a débuté une longue amitié durant laquelle notre échange sera passé d'un état de complicité sur des enregistrements de la collection in situ (duo Zingaro-Pifarély, Guillaume Orti, Hélène Breschand, Système Friche, Denis Colin trio Fluide, NOHC, François Tusques Le jardin des délices, Frédéric Firmin, Olivier Benoît-Sophie Agnel)... vers son entrée dans le monde de la maniputation sonore avec le groupe Wormholes. Outre l'enregistrement du disque, Étienne faisait aussi du traitement sonore durant les concerts. Puis, nous avons collaboré artistiquement durant 4 ans au Festival des Wormholes au théâtre de l'Echangeur à Bagnolet. Nos deux dernières représentations ont eu lieu en duo au Festival Why Note à Dijon et à La Lutherie Urbaine." Étienne enregistre et sonorise Claude Barthélémy, Thierry Lancino - Tamas Ungvary, Luc Ferrari, Camel Zekri, Jean-Rémi Guedon, Fred Frith, Steve Coleman, Nelson Verras, John Hebert, Tom Johnson, Dominique Pifarély. Désireux de raconter par la matière sonore, il chérit particulièrement le partage de la scène favorable à cet envol intérieur, avec Didier Petit donc, mais aussi Jean-Pierre Drouet, Louis Sclavis, Carol Robinson, Serge Teyssot-Gay et bien sûr avec son camarade Thierry Balasse.

En janvier 1999, à Sons d'Hiver Étienne Bultingaire est de notre aventure Los Incontrolados (projet infini), où se forgent de nouvelles complicités. Ce gourmand de calissons devient le preneur de son (comme on dirait un transmetteur d'étoiles) le plus intime de Benoît Delbecq (7 albums enregistrés ensemble). Il est des voyages suivants de Los Incontrolados, au Maroc, à l'invitation de Xavier Matthyssens (1999) puis en 2000 à Luz-Saint-Sauveur. En 2000 aussi, il sera également à Rabat pour une une soirée remuante, inoubliable les cols blancs, inoubliable, lors d'une rencontre du groupe de Tony Hymas avec Mike Cooper, Henry Lowther, François Corneloup, Hélène Labarrière, Mark Sanders et Mahmoud Ghania et ses Gnawas. Autres moments de partage avec Wormholes de Didier Petit ou Denis Colin et son Subject to Change et plus récemment avec Joëlle Léandre, Benoît Delbecq et Carnage The Executioner pour Tout va monter. Y figure un morceau spontanément intitulé "Bonjour Étienne", simple dédicace affective désormais un bonjour pour toujours.

Étienne est parti le 7 décembre donc, et John le jour suivant. Tous les deux étaient dans la recherche acharnée du moment initiateur vif et concret, tous les deux étaient présence dans le temps présent, tous les deux n'ont eu de cesse d'évoluer vers un exigeant précipité d'avenir, tous les deux cultivaient les dimensions inattendues pour un peu plus de beauté, état de rêve dans le fleuve du temps.

Photos de John Trudell, seul et avec Tony Hymas, prises à Albuquerque par Guy Le Querrec (Magnum) lors de l'enregistrement d'Oyaté 
Photos d'Etienne Bultingaire : extrait d'une vidéo avec Carol Robinson et Serge Tessot-Gay, Etienne et Didier Petit lors de leur rencontre (collection Didier Petit)


16.12.15

ETOILE DE MER


Nous allons vous recommander quelque chose qui n'a aucunement besoin de publicité. Mais non, bande de saturniens des Alpes, pas La guerre des étoiles (on s'en bat le coquillard de La guerre des étoiles), mais l'édition de The complete Concert by the sea d'Eroll Garner. La plupart du temps, les rallonges en bonus live ou studio, alternate takes, faux départ, démos etc. etc. ne servent pas à grand chose, voire dénaturent de jolies œuvres (type Kind of Blue avec sa dispensable deuxième prise de "Flamenco Sketch"), mais dans ce cas, il faut bien dire que la publication de l'intégrale de ce fameux concert du 19 septembre 1955 (dont avait été tiré le célèbrissime The concert by the sea) en un triple CD (un CD par set + un troisième pour le disque original) chouettement réalisé (Geri Allen figure parmi les producteurs de cette édition) est une merveille.

Bonus qui ne figure que dans l'édition de ce texte du Glob (et non dans celle de Face Book) : Comme l'a dit la disquaire qui l'a proposé avec bonheur "En plus il y a "Caravan !" Une sacrée version en vérité !

14.12.15

L'ANNÉE DU PHOQUE



Bonne année à toutes et tous !

Et oui aujourd'hui débute l'année du phoque qui s'achèvera le 7 mai 2017 ! Une tradition relativement récente fixe le jour de l'an du phoque le lendemain de la fin du jeu électoral (aussi appelé "Référendum pour ou contre le FN" anciennement connu sous le titre de "Élections régionales"). Après cette période ludique, la vie va donc reprendre son cours normal avec son chômage grandissant, sa pauvreté montante, son exclusion, ses lois Macrons (et autres ramassis antisociaux de l'ère sarkozyste que seule la gauche a le secret de faire passer sans heurts), ses appels d'offres du fascisme religieux, ses boucs émissaires immigrés, sa chasse aux Roms, ses jeunes à la dérive, ses banlieues abandonnées, ses coupes budgétaires pour la santé ou la culture, ses ventes d'armes juteuses aux gouvernements d'états qui oppriment, torturent et tuent, ses alliances et mésalliances selon le vent, ses multinationales sans obligations, ses courbettes, son écologie simulée, son état d'urgence, ses interdictions de manifester, sa loi sur le renseignement, son vide (avec tissu d'aménagement), sa purée médiatique, ses clins d'œils aux idées fascistes, ses valses sans temps, ses menaces de guerre civiles, ses larmes de crocodiles, son racisme ordinaire, ses drapeaux, ses drapés, ses dérapages (contrôlés), ses estrosimes, ses petits chantages, son cynisme, ses jingles, ses stars qui prennent toute la place, ses forces de sécurité qui prennent toute la place, son éducation qui en prend de moins en moins, ses guerres (sauf contre la pauvreté), ses grands travaux inutiles, ses facteurs de pollution et d'injustice sociale, ses dérèglements climatiques, ses PPP, ses confiscations de la pensée, ses anaphores, ses refus de comprendre, ses simplifications de l'histoire, ses bavures, ses "on a évité le pire !", sa surdité, son mépris, ses injustices, ses jeux du cirque...

Et puis le 23 avril 2017 un nouveau jeu, un même enjeu... 

PS (toujours en bas de page) : le FN a perdu, mais il part avec un lot de consolation, l'assurance que ses avilissantes idées infusent encore et encore, lui garantissant une pôle position dès le 23 avril 2017 pour une nouvelle partie qui aura lieu jusqu'au 7 mai. À moins d'un Autrement réveil nous sortant d'un sommeil usé par les règles d'un jeu au sens perdu. On peut (activement) rêver !



Photo : Andreas Trepte

6.12.15

"LES CINQ NOMS DE RÉSISTANCE DE GEORGES GUINGOUIN"
d'ARMAND GATTI
par TONY HYMAS, FRÉDÉRIC PIERROT et VIOLAINE SCHWARTZ

« La géographie n’est autre chose que l’histoire dans l’espace, et l’histoire la géographie dans le temps. »
Elisée Reclus (1)  

Aux discours invalides, nous préférons les poèmes valides. "Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin" (2) d'Armand Gatti par exemple.

"Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin", poème épique écrit en 2005 suite à la disparition du premier maquisard de France, fut l'une des motivations, une des stimulations du projet de Tony Hymas Chroniques de résistance (3). Une version en court métrage figure donc dans l'album du même nom enregistré à Treignac en 2013 et paru en 2014. L'attrait puissant de ce texte pour son intégralité se faisait toutefois irrésistible. Exigeant texte qui, à partir de l'évocation du parcours éclatant d'un homme, déborde sur plus d'un siècle de toutes les résurgences ébouriffantes, de tous les angles de l'histoire, des ombres d'un monde tour à tour fertiles et déliées, impulsives et cruelles, foisonnement des cohérences et des significations superposées. On ne pouvait en rester là.

Les 27 et 28 novembre, Tony Hymas, Frédéric Pierrot et Violaine Schwartz étaient à Limoges pour une interprétation du poème d'Armand Gatti. C'est à l'écoute des Chroniques de résistance de Tony Hymas avec Frédéric Pierrot, Nathalie Richard, Desdamona, Elsa Birgé, Journal Intime, François Corneloup, Pete Hennig, un an auparavant au Centre Jean Gagnant de Limoges, le 7 novembre 2014, que l'association Refuge des résistances Armand Gatti eut le souhait de faire figurer une lecture intégrale avec musique pour sa journée du 28 novembre 2015 intitulée "Résister disent-ils !".

Pauline Tanon, co-auteur avec Jean-Jacques Hocquard de Armand Gatti dans le maquis des mots (4) et Yann Fastier, dessinateur, avec la présentation des planches de son livre Georges Guingouin, un chef de maquis (5) participaient également à cette rencontre consacrée à l'expérience d'Armand Gatti, écrivain-résistant. Un film provenant d'archives de la cinémathèque du Limousin présenté à l'issue de la rencontre publique avec Gatti ainsi qu'une exposition de photographies de résistants d'Izis (le "colporteur d'images" comme le dénommait son ami Jacques Prévert, torturé par les nazis, libéré par le maquis et photographe de premier plan de ses camarades dont Georges Guingouin) liaient l'ensemble de cette journée passée au Théâtre de l'Union (6) (lieu plein d'Histoire qui vaut le détour).

Si "Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin" est selon l'avertissement du poète un "Poème rendu impossible par les mots du langage politique qui le hantent mais dont les arbres de la forêt de la Berbeyrolle maintiennent le combat", c'est aussi une rhapsodie, un ensemble de rumeurs, de clameurs et de rythmes où les mots s'orchestrent en équilibre jusqu'à toucher une vérité. Celle des paradigmes de l'expression offre ses blessures, ses heurts de l'histoire et ses reliefs jusqu'au chant profond de nuances symphoniques illimitées.

Le 28 novembre, donc, Tony Hymas, Frédéric Pierrot et Violaine Schwartz se retrouvent sur la scène du Théâtre de l'Union. Violaine Schwartz, ayant récemment rejoint l'aventure, apporte la trame précise de la découverte, son imminence naturelle, apte à dire les plantes et les mots comme autant de désirs, autant de consciences, d'explorations de vie à hauteur d'arbres. Là est la sève. Frédéric Pierrot incarne la célébration d'un réel multiple jusqu'à l'évidence, l'articulation du réveil et de l'éveil. Il sait que lorsque l'effervescence percute, le regard du poète est rendu possible. Là est le mouvement. Tony Hymas complète ou bien ouvre le champ large de toutes les épreuves, là où le paysage devient l'action livrée à notre soif lorsque pointe le jour, la verdure de nos engagements, de nos apprentissages aussi. Là est le secret des sources. Une heure et vingt minutes plus tard, Armand Gatti rejoint le trio sur scène, il semble heureux. La musique s'est à nouveau invitée sur une branche de sa poésie. Une poésie de résistance même qui indique le parcours que nous avons à faire ensuite, ce qui nous reste à écrire de tous nos êtres, pour être, bien sûr.


(1) Épigraphe de L’Homme et la Terre Elisée Reclus 1885
(2) Co-édition Le cercle Gramsci Limoges - Le bruit des autres - Couverture Paul Rebeyrolle : Le Cyclope, hommage à Georges Guingouin - Préface de Francis Juchereau, 2006
(3) Chroniques de résistance sur le site nato 
(4) Acte Sud, 2014
(5) Atelier du Poisson soluble, 2015 
(6) D'abord salle des fêtes d'une coopérative ouvrière en 1910, le bâtiment fermé en 1971 a été racheté par la mairie en 1986 et converti en théâtre

Remerciements chaleureux à Francis Juchereau, Richard Madjarev, Christophe Soulié, Anne Millen, Guy Pedotti et tous les membres de l'association Refuge des résistances Armand Gatti, à Jean Lambert-Wild et toute l'équipe du Théâtre de l'Union ainsi qu'à Catherine Meyraud pour l'organisation du concert
Chroniques de résistance à Limoges un an plus tôt le 7 novembre 2014, à Thierry Mazaud, Isabelle Vedrenne, Anna Mazaud, leurs amis de Kind of Belou et Jean-Pierre Brandy sans qui le Limousin ne serait jamais entré en si belle lumière dans nos cœurs.

Photographies par B. Zon : Tony Hymas, Frédéric Pierrot et Violaine Schwartz en répétition le 27 novembre - Armand Gatti avec Francis Juchereau le 28 novembre

14.11.15

PIERRE OUIN



On a connu Pierre Ouin, dessinateur de BD par Métal Hurlant et Psikopat . Son coup de crayon punk a traversé tout l'underground de papier. C'est sa participation au livre "Tous coupables" qui nous a conduit à l'inviter à rejoindre le journal Les Allumés du Jazz avec la chouette équipe de dessinateurs qui improvisent merveilleusement au delà du regard convenu sur le Jazz . Travailler avec lui était toujours plaisant avec des échanges nourris de ses commentaires doucement tranchants sur les articles qu'on lui adressait. Ses dessins faisaient beaucoup rire Valérie Crinière. Il nous a quitté le 10 novembre . Nous ne l'oublierons pas.

Illustration de Pierre Ouin pour le n°30 du Journal des Allumés du Jazz

31.10.15

ANTHONY BRAXTON - DEREK BAILEY
FIRST DUO CONCERT



Pour nombre d'entre nous (qui sont-ils ? qui sommes-nous ?), la sortie de l'album "First Duo Concert" d'Anthony Braxton et Derek Bailey avait constitué un choc aussi fort que Miles Davis at Fillmore par exemple. Nous étions en présence de deux façons, deux savoirs, deux discours, deux traditions, deux évidences, deux sources de secrets, deux tactiques même, bien différents, qui là vivaient ensemble en créant l'espéré inespéré. Une époque où Anthony Braxton pouvait faire la couverture des magazine spécialisés en Jazz... Emanem est toujours là et en propose une belle réédition de ces plages de référence en disque compact.

25.10.15

FREEDOM

On n'en finit pas de se dire (et ce depuis le début des années 70) que tout ce recyclage posthume (qui nous a d'abord ravis - Rainbow Bridge, Cry of Love) dépasse les bornes jusqu'à l'étrange indiscrétion rapace, au léger malaise. Mais force est de reconnaître que l'attirance provoquée par ces drôles de galettes va le plus souvent contre notre volonté sainement rationnelle. Alors, la petite honte du hors-jeu-hors-temps momentanément remisée, l'émerveillement éclate une fois encore comme dans ce Freedom - Atlanta Pop Festival qui vient d'être publié, trace d'une urgence difficilement concevable, de l'éclat de la nécessaire incertitude poétique, d'une liberté prise par le temps, d'une preuve infaillible du jaillissement de la vie courte, d'un incendie définissant l'existence, du temps brutalement rétréci. Et le fait de savoir tout ça par cœur n'y change rien.

Jimi Hendrix : Freedom: Atlanta Pop Festival (Double album - Experience Hendrix distribution Sony)

18.10.15

HISTOIRE DE CHEMISES, VERSION MARX

Dans le film Cocoanuts (1929), lors d’une petite confusion physique propre au monde des Marx, Harpo pique la chemise d’un certain Hennessy  (qui se présente comme un défenseur de l’ordre). Lequel s'offusque : « Qui a pris ma chemise ? Où est passée ma chemise ? Je veux ma chemise ! »
Groucho : « Hé, vous avez perdu votre chemise ? »
Hennessy : « Oui. »
Groucho : « Pouvez-vous la décrire ? »
Hennessy : « Comment ça ? »
Groucho et Chico dessinent sur le maillot de corps un jeu du morpion : « Regardez. Cette croix montre l’endroit où votre chemise a été vue en dernier. »
Hennessy : « Arrêtez ! »
Groucho : « Voulez-vous bien rester tranquille ? »
Groucho et Chico dessinent des ronds et des croix sur le maillot de Hennessy qui se débat.
Hennessy : « C’est bien ce que je pensais. Vous vous êtes donné le mot et vous m’empêchez tous de retrouver la chemise. »
Groucho : « C’est faux, espèce de morveux. Morveux ! Morveux ! »
Hennessy (offusqué): « Je veux ma chemise ! »
Groucho : « Il veut sa chemise. »
Harpo rapplique et l’assistance de reprendre sur l’air de Carmen : « Il veut sa chemise. »
Hennessy chante : « Je veux ma chemise. Je ne suis pas heureux sans ma chemise. »
et l’assistance enchaîne, toujours sur l’air de la "Habanera" de Bizet : « Il veut sa chemise, il n’est pas heureux sans sa chemise. »

On a beaucoup entendu parler de chemises récemment et sans doute pas assez chanté Carmen. Une indication ? Dans Prénom Carmen (1983) justement, Oncle Jeannot - lointain cousin des Marx - joué par Jean-Luc Godard dit : « Van Gogh a cherché un peu de jaune quand le soleil a disparu… faut chercher mon vieux, faut chercher ! ». Qui cherche ? Certainement pas l’actuel président de France, son chef du gouvernement et leur chef de la sûreté, mais pas davantage la cohorte de bien pensants sensibles au sort des gueux dans le lointain des chambres confortables. Eux, comme Flaubert au temps de la Commune (le talent en moins) préfèrent qualifier les arracheurs de chemises qui ont, comme des millions d’autres, déjà perdu la leur, de « voyous » et de montrer le bâton et la case prison comme outils de dissuasion à la colère sociale. « Voyous ? » vraiment ! Un terme qui semble aussi en phase que le « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ! » de la reine Marie-Antoinette un jour de révolution. La nouvelle Vals n’est plus viennoise mais elle se propose toujours de faire danser des parachutes de chemises aux cols blancs pour ralentir sa descente au lieu d’y voir le blanc de l’espace de projection des tourments endurés.

Le 12 octobre, le chef du gouvernement (ex chef de la sûreté), à cheval sur sa chemise immaculée, était à Ryad pour vendre du matériel d’armement et autres bricoles sanitaires à un état qui condamne à mort les adolescents pour porter des tee-shirts contestataires. Lieu d’inspiration. Le même jour, en France, les condés arrêtaient à 6 heures du matin six syndicalistes rendus responsables d’arrachage de chemise d’un col blanc d’Air France qui, lors d'une autre confusion physique, n’a pas su voler bien haut. Six personnes arrêtées, six personnes représentant 2900 autres en passe de perdre leur travail et au-delà, des millions d’autres dont le ras-le-col devrait impressionner. Six personnes qui en réalité devraient être remerciées publiquement pour avoir prévenu d’une colère gigantesque qui n’en finit pas de monter, six personnes qui en retirant cette chemise ont ouvert les volets baissés pour laisser passer un peu de lumière, le jaune de Van Gogh, six personnes qui ont su par un geste – là où les discours ne passent plus – soulever une montagne de questions et de périls sournois. Un geste contre l’amnésie nous rappelant à la bonne géographie des costumes indiquée dans un vieux proverbe : « autour du col, il y a la cravate ».

Dans Cocoanuts, le rôle du détective Hennessy était interprété par Basil Ruysdael, un acteur que l’on retrouvera en 1955 dans Graine de Violence de Richard Brooks, premier film « rock’n’roll » où l’on entendra cette réplique d’un directeur d’école : « Je ne suis pas préparé, on ne m'a pas préparé à maîtriser une émeute ».


Merci à Fabien pour sa requête sur les standards à chemises.

8.10.15

L’ARTISANAT DE LA MUSIQUE
FACE À L’EMPIRE

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Les disques nato seront présents aux Rendez-vous de l'histoire de Blois dont le thème cette année est "Les Empires"  les 8, 9 et 10 octobre. Pourquoi ? Tentative de réponse.


Nous sommes en 2015 au commencement de l’ère dite numérique, du monde virtuel, où seule la souffrance n’a pas le privilège de l’abstraction.

En ce monde réputé neuf où les possibles se confondent dans la confusion même, où le désir s’abîme dans la métaphore infranchissable, la musique perd sa place initiale. Elle pâlit dans les forêts d’algorithmes, se love dans les espaces high-tec pour canidés domestiques (« niches »), devient facilement interchangeable, s’utilise en sonnerie téléphonique,  accompagne des va-et-vient d’ascenseurs pas très sociaux, ou plutôt se tient gentiment à l’écart en remplissant ses fonctions de consommation dite culturelle. La musique, lieu d’échange humain absolument exceptionnel, semble être désormais trop souvent partout et nulle part à la fois.

Elle ne manque ni de créativité, ni d’audace, ni de jeunesse, ni de belles rides, mais de lieu, de lieu originel. Tout n’est pas substituable. Les vrais villages ne ressemblent à aucun autre.

Qu’elle crie sa liberté chez Beethoven, Hendrix ou Ayler, qu’elle témoigne de la mort par baïonnette d’un jeune manifestant chez Janáček ou de quatre adolescentes noires tués par le Ku Klux Klan dans « Alabama » de Coltrane,  qu’elle fulmine d’un « Fuck the Police » avec NWA, mais aussi parce qu’elle peut faire danser, qu’elle peut rassembler les esprits et les corps, la musique a toute sa place dans l’histoire. Elle sait faire naître, adresser des signes, parler de l’autre - être sensible - en laissant entrevoir le Monde en multiples facettes.

Si nous persistons aujourd’hui, après 35 années, à être toujours une maison de disques, si nous devons plus encore que jamais déployer une énergie que l’on aimerait romantiquement infatigable en dépit de difficultés croissantes, c’est parce que, comme d’autres artisans, nous  souhaitons toujours la musique comme ce lieu indispensable entre le temps des épreuves et celui du début de longues passions.

Le récit, l’échange, l’existence, l’inattendu, l’air, la poésie, l’engagement et la transmission d’ondes (parfois de choc) qui nous ont permis d’avancer nous importent.  Ils sont les instigateurs de ces albums que nous continuons à proposer avec détermination physique ; à tout cœur, à toutes forces, sans peur du futur (un peu quand même), sans grande nostalgie mais avec conscience de la valeur du passé pour notre indispensable présent.



www.natomusic.fr


Photo : B. Zon

6.10.15

CHANTAL AKERMAN

Je, tu, il, elle : Toute une vie.
Chantal Akerman (1950 - 2015)