Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

5.2.11

RAGS TIME


"La question n'est plus vraiment celle de la nouveauté..." dit Brian Roessler à l'entracte après un premier set du trio Todd Harper (piano, chant), Brian Roessler (contrebasse), Peter Leggett (batterie) hier soir au Black Dog à St Paul. Deux semaines auparavant à Arcueil pour Sons d'Hiver Marilyn Crispell (piano) faisait état d'une sorte de collage lucide de morceaux choisis, d'étoffes à coudre, à assembler en une logique idéale des parcelles du temps car c'est ce qui reste, ce qui est beau, ce qui peut rendre beau. Signe du matin.

Trois jours plus tard à Choisy (toujours Sons d'Hiver) Geri Allen et Timeline (Kenny Davis à la contrebasse, Kassa Overall à la batterie et Maurice Chestnut, danseur de claquettes). Timeline veut dire ligne du temps, calendrier. L'orchestre de la pianiste rappelle que le temps ne va pas en un seul sens, que le temps n'est pas une histoire de temps dominant, mais une conjonction de ce qui prolonge sans oublier ; et comme nous sommes devenus si difficiles ("difficile" de nos jours signifie souvent "amnésique") sans trop savoir pourquoi, peut-être parce qu'exposés au trop en permanence et surtout au trop peu, la pianiste souligne cet engagement, cette alliance d'une histoire en cours avec le cours de l'histoire, grâce à l'invitation du danseur. Besoin de voir, de sentir, de recoller les morceaux, exigence de laisser tomber notre suffisance du rien. La nécessité du monde est là, et parce que Timeline swingue, elle se fait urgemment comprendre tout simplement. Il fallait y penser. Le jazz a son utilité véritable qu'il est bon de saisir à nouveau. Signe du soir.

Trois autres jours plus tard aux Instant Chavirés à Montreuil, lieu porteur de temps divers, Lol Coxhill (saxophone soprano), John Edwards (contrebasse) et Steve Noble (batterie) prononcent bribes de blues, de calypso, de swing aussi en autant d'appels nombreux, en une reconstruction poétique et fédératrice d'inventions de tous temps, capable d'amalgamer le plus concret au plus rêvé. La musique est action. Signe de nuit lumineuse.

"Stranger in the night" joué au Black Dog, encore trois jours plus tard, en toute véritable simplicité par le trio Harper-Roessler-Leggett, mais avec un groove inquiétant, celui de l'autre, que l'on ne verra qu'au petit matin, lorsque la nuit terminée, les contours se redessineront. La chanson s'appelait d'abord "Broken guitar" puis changea (pour quelques deniers) de titre pour A man could get killed, comédie sans danger avant de faire les beaux jours d'un voyou à la belle voix. Harper-Roessler-Leggett dérobent le standard pour rappeler que si la nuit inquiète, l'étranger est proche, tellement proche qu'il ne saurait être autre chose que nous-mêmes. Oui la nouveauté n'est plus vraiment la question, l'important c'est la relation totale, c'est là qu'il nous faut chercher, peut-être même innover, comme ont su le faire avec la plus humaine puissance, la plus intelligente, la plus nécessaire, la plus neuve, Tunisiens et Egyptiens. Signe des temps.


Photos : B. Zon

Aucun commentaire: