Au cours de la manifestation nantaise du 22 février contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, les violences de la police ont occasionné de nombreux blessés parmi les manifestants, parmi les journalistes, parmi les passants ; deux ont été gravement atteints. Il paraît qu’en face aussi on déplore des victimes, sans qu’on sache trop bien ce qui a pu leur arriver : les flics, on ne sait pas comment ils se blessent, ils se coincent les doigts dans la culasse de leur flingue, ou un truc comme ça, on ne sait pas. En tout cas, l’ambiance de rue a été véritablement explosive ce samedi, je peux vous le garantir, et au lendemain de cette mobilisation qui vit une foule d' opposants vivre des moments héroïques, les rappeurs de Minneapolis Carnage et Desdamona sont venus manger une tarti fuckin’flette et boire un coup à la maison avec Bénou, Pablo, Merlin, Jean et Christelle. Le duo jouait le soir-même chez Hélène, au café « Le Rochois » de si excellente réputation, le bistrot favori de plusieurs générations de joyeux camarades. Carnage a causé tout l’après-midi avec Des, un flot incessant de conversation qui jaillissait trop vite pour que j’en saisisse autre chose que des bribes (un mot toutes les trois minutes environ) ; dès lors, je me suis laissé porter par le courant et, après avoir doucettement dérivé du Ruicard au port en passant par les Garennes, l'heure fut venue de nous retrouver place du Bouffay pour procéder aux réglages.
Les
gens
arrivaient. Les instruments et les amis aussi, les couleurs, les
pinceaux. On parle, on sourit. On lève le coude en discutant de la ZAD
et de l’Amérique, on célèbre l'amitié. Des copains perdus de vue refont
surface, depuis tant d’années, ça s’arrose. Il y a vraiment du monde, ce
soir… Et puis on se rend compte que le brouhaha cesse, le concert a
commencé, feutré, la salle fait silence, imperceptiblement plusieurs
dizaines de consciences entrent en connexion.
Feutré,
disais-je, suave même. Tranquille. Du hip hop éthéré, avec une base
minimaliste et un chœur soul. Sans mot. Pour mieux captiver l’auditoire
et l’inviter à danser, le duo a choisi de créer une délicate tension
entre l’émotion fragile qui saisit l’esprit et la très douce implication
du corps qui ne s’appuie pas encore sur un rythme trop appuyé mais
bouge,
dans la
pénombre et la douce prémonition de ce qui va arriver. Et cela vient,
vite, dès la deuxième chanson, et le flow, et le son et les messages. On
peut choisir sa vie. Et la danse donc. On tourbillonne dans certaines
sphères d’où jaillissent des vibrations positives. Il fait chaud, c’est
la fin du premier set, on ne l’a pas vu venir. Oh, et puis voilà que ça
recommence, à peine le temps de siffler un verre et de s’en faire
resservir un autre en discutant le coup avec un collègue, qu’on est
rendu à vouloir le poser de toute urgence pour gigoter et taper dans ses
mains, chanter. Même si on ne voit pas tout, on entend bien, on
navigue, on comprend où ils veulent nous emmener avec « Save my
people », le débit irrésistible de Carnage est comme du feu sacré que
vient apaiser la tendresse groovy de Desdamona. On s’agglomère, on
respire ensemble le même air. J’en vois qui sont en transe, qui ondulent
du ventre les yeux
fermés, ou font des chorégraphies belles et compliquées avec leurs
pieds, qui utilisent leurs bras, ou leur cou, leur jambes… J’en
soupçonne même un de jouer avec une partie de son anatomie que la
décence m’empêche de nommer, ce salopiau se reconnaîtra.
Hey !
Ils nous invitent à les rejoindre : Tim Le Net se saisit de
l’accordéon, Yann Le Bozec de la contrebasse et moi d’un tube de
peinture, et hop ! Faut que ça gicle ! Et après ça, Martin Chapron à la
guitare électrique, allez hop, hop ! Et vas-y que ça t'improvise des
trucs pas possibles ! Le public applaudit à tout rompre, c’est généreux
et cool, les américains sont incandescents, La Roche Bernard en
ébullition ; merde, je comprends un truc : le réchauffement climatique,
en fait, c’est nous ! Et ils continuent avec
« The
source », distillant un Love is the reason so love your life qui enthousiasme la foule, l'enflamme, positive vibration,
je vous dis ! Personne ne veut qu’ils partent, les gens crient
continuez, continuez ! Le bonheur rayonne quand ils démarrent une
version rap de "Billie Jean", torrides, les corps dégoulinent, les veines
sont parcourues d’étincelles qui crépitent, dehors dans la nuit des
milliers d’étoiles scintillent par la grâce d’une éjaculation divine.
Si j’en fais trop, dites-le.
N’empêche,
quand j’affirme que La Roche Bernard est le village le plus cool du
monde, les gens pensent que j’exagère : ils ont tort. Nombreux sont les
échos qui me donnent raison : Timothée Le Net
explique souvent en préambule
de ses concerts qu’il est originaire de « la perle du Sud Morbihan »,
Desdamona s’exclame sur internet « I love La Roche Bernard ! », quant à
Carnage The Executioner, il m’a confié sur le rocher, adossé au canon
qui domine la Vilaine : « It’s my favourite place » ; alors ?
Alors, la bonne question à se poser n’est pas « y a-t-il une vie après la mort ? », mais plutôt « y a-t-il une vie avant ? ».
Et
la réponse, évidente, je vous le dis en vérité brillait de mille feux
ce soir-là chez Hélène, notre poule rousse chatoyante, comme elle brille
aussi à Notre-Dame-des-Landes.
Cela fait déjà deux
raisons de ne pas désespérer.
Stéphane Cattaneo
" Love is the light"
"Love is the reason"
"Love is the source"
"Love at first write"
Un grand merci à Timothée Le Net et Hélène Potabes, à Bénou, Stéphane, THX et tous les amis du Rochois, de la Roche Bernard et des environs qui ont permis ce beau moment.
Photo : B. Zon, peintures Stéphane Cattaneo d'après "The source" de Desdamona et peinture en direct au Rochois le 23 février sur "Love at first" de Desdamona, Carnage The Executioner - arr. Paul Marino.
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