Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

3.3.14

ILL CHEMISTRY AU ROCHOIS
PAR CATTANEO
(EN REVENANT DE NANTES)


Au cours de la manifestation nantaise du 22 février contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, les violences de la police ont occasionné de nombreux blessés parmi les manifestants, parmi les journalistes, parmi les passants ; deux ont été gravement atteints. Il paraît qu’en face aussi on déplore des victimes, sans qu’on sache trop bien ce qui a pu leur arriver : les flics, on ne sait pas comment ils se blessent, ils se coincent les doigts dans la culasse de leur flingue, ou un truc comme ça, on ne sait pas. En tout cas, l’ambiance de rue a été véritablement explosive ce samedi, je peux vous le garantir, et au lendemain de cette mobilisation qui vit une foule d' opposants vivre des moments héroïques, les rappeurs de Minneapolis Carnage et Desdamona sont venus manger une tarti fuckin’flette et boire un coup à la maison avec Bénou, Pablo, Merlin, Jean et Christelle. Le duo jouait le soir-même chez Hélène, au café « Le Rochois » de si excellente réputation, le bistrot favori de plusieurs générations de joyeux camarades. Carnage a causé tout l’après-midi avec Des, un flot incessant de conversation qui jaillissait trop vite pour que j’en saisisse autre chose que des bribes (un mot toutes les trois minutes environ) ; dès lors, je me suis laissé porter par le courant et, après avoir doucettement dérivé du Ruicard au port en passant par les Garennes, l'heure fut venue de nous retrouver place du Bouffay pour procéder aux réglages.
Les gens arrivaient. Les instruments et les amis aussi, les couleurs, les pinceaux. On parle, on sourit.  On lève le coude en discutant de la ZAD et de l’Amérique, on célèbre l'amitié. Des copains perdus de vue refont surface, depuis tant d’années, ça s’arrose. Il y a vraiment du monde, ce soir… Et puis on se rend compte que le brouhaha cesse, le concert a commencé, feutré, la salle fait silence, imperceptiblement plusieurs dizaines de consciences entrent en connexion.
Feutré, disais-je, suave même. Tranquille. Du hip hop éthéré, avec une base minimaliste et un chœur soul. Sans mot. Pour mieux captiver l’auditoire et l’inviter à danser, le duo a choisi de créer une délicate tension entre l’émotion fragile qui saisit l’esprit et la très douce implication du corps qui ne s’appuie pas encore sur un rythme trop appuyé mais bouge, dans la pénombre et la douce prémonition de ce qui va arriver. Et cela vient, vite, dès la deuxième chanson, et le flow, et le son et les messages. On peut choisir sa vie. Et la danse donc. On tourbillonne dans certaines sphères d’où jaillissent des vibrations positives. Il fait chaud, c’est la fin du premier set, on ne l’a pas vu venir. Oh, et puis voilà que ça recommence, à peine le temps de siffler un verre et de s’en faire resservir un autre en discutant le coup avec un collègue, qu’on est rendu à vouloir le poser de toute urgence pour gigoter et taper dans ses mains, chanter. Même si on ne voit pas tout, on entend bien, on navigue, on comprend où ils veulent nous emmener avec « Save my people », le débit irrésistible de Carnage est comme du feu sacré que vient apaiser la tendresse groovy de Desdamona. On s’agglomère, on respire ensemble le même air. J’en vois qui sont en transe, qui ondulent du ventre les yeux fermés, ou font des chorégraphies belles et compliquées avec leurs pieds, qui utilisent leurs bras, ou leur cou, leur jambes… J’en soupçonne même un de jouer avec une partie de son anatomie que la décence m’empêche de nommer, ce salopiau se reconnaîtra.
Hey ! Ils nous invitent  à les rejoindre : Tim Le Net se saisit de l’accordéon, Yann Le Bozec de la contrebasse et moi d’un tube de peinture, et hop ! Faut que ça gicle ! Et après ça, Martin Chapron à la guitare électrique, allez hop, hop ! Et vas-y que ça t'improvise des trucs pas possibles ! Le public  applaudit à tout rompre, c’est généreux et cool, les américains sont incandescents, La Roche Bernard en ébullition ; merde, je comprends un truc : le réchauffement climatique, en fait, c’est nous ! Et ils continuent avec « The source », distillant un Love is the reason so love your life qui enthousiasme la foule, l'enflamme, positive vibration, je vous dis ! Personne ne veut qu’ils partent, les gens crient continuez, continuez ! Le bonheur rayonne quand ils démarrent une version rap de "Billie Jean", torrides, les corps dégoulinent, les veines sont parcourues d’étincelles qui crépitent, dehors dans la nuit des milliers d’étoiles scintillent par la grâce d’une éjaculation divine.
Si j’en fais trop, dites-le.
N’empêche, quand j’affirme que La Roche Bernard est le village le plus cool du monde, les gens pensent que j’exagère : ils ont tort. Nombreux sont les échos qui me donnent raison : Timothée Le Net explique souvent en préambule de ses concerts qu’il est originaire de « la perle du Sud Morbihan », Desdamona s’exclame sur internet « I love La Roche Bernard ! », quant à Carnage The Executioner, il m’a confié sur le rocher, adossé au canon qui domine la Vilaine : « It’s my favourite place » ; alors ?
Alors, la bonne question à se poser n’est pas « y a-t-il une vie après la mort ? », mais plutôt « y a-t-il une vie avant ? ».
Et la réponse, évidente, je vous le dis en vérité brillait de mille feux ce soir-là chez Hélène, notre poule rousse chatoyante, comme elle brille aussi à Notre-Dame-des-Landes.
Cela fait déjà deux raisons de ne pas désespérer.

Stéphane Cattaneo

" Love is the light"
 "Love is the reason"
 "Love is the source"
 "Love at first write"

Un grand merci à Timothée Le Net et Hélène Potabes, à Bénou, Stéphane, THX et tous les amis du Rochois, de la Roche Bernard et des environs qui ont permis ce beau moment. 


Photo : B. Zon, peintures Stéphane Cattaneo d'après "The source" de Desdamona et peinture en direct au Rochois le 23 février sur "Love at first" de Desdamona, Carnage The Executioner - arr. Paul Marino.

Aucun commentaire: