Si la biographie écrite est un genre aussi difficile que l'expédition de Thésée pour venir à bout du Minotaure, s'attaquer à celle d'un animal type Jean-Luc Godard, une vie où il y a tant de joués et de déjoués, de théâtre et son double, d'attachements et de détachement, pourrait sembler aussi raisonnable que pour Hercule, attraper le sanglier d'Érymanthe après avoir mis à bas l'Hydre de Lerne et avant de battre à la course la biche de Cérynie.
Antoine de Baecque s'y est risqué avec un succès indéniable. Son
Godard biographie (Grasset) est une franche réussite loin de toute godardolâtrie, avec beaucoup de précision, de mises en relations de ces drôles de mélanges de fragilité et d'assurance de tendresse et de cruauté, d'enfance et d'innocence brulée, et d'éclairages qui peuvent surprendre en tous sens et à tout moment. De quoi reconsidérer bien des certitudes à propos de ce cinéaste essentiel à son art.
Petite frustration tout de même, l'absence de détails ou de clés concernant les choix musicaux de Godard ou plus précisément sur sa relation avec les compositeurs des musiques de ses films. Le passage sur
Pierrot le Fou ne mentionne pas Antoine Duhamel, celui sur
Sauve qui peut (la vie) ignore Gabriel Yared (pourtant le dernier compositeur utilisé par le réalisateur - qu'est ce qui décide Godard à utiliser des emprunts ensuite ?), celui sur
Le Mépris expédie Georges Delerue. On sait simplement que seul Paul Misraki (pour
Alphaville) avait trouvé grâce à ses oreilles dans les années 60. Mais on aimerait tout de même en savoir plus, puisqu'il existe des photographies de Godard discutant avec ces gens, vivant avec ces gens. Pourquoi Godard manque le free jazz en 1960 en choisisant le Melvillien Martial Solal ? Quoi qu'on en dise, quoi que JLG
in person en dise, ces musiciens ont aussi porté leur empreinte puissante dans le souvenir de pas de géant comme
Pierrot le Fou,
Le Mépris ou même
À bout de souffle. Ce ne sont pas de minces exemples. Ce n'est pas rien la musique chez Godard. De même, on ne comprend pas vraiment l'éloignement du projet "Eicher" pour
Notre Musique et la drôle d'amourette entre Manfred et Jean-Luc.
Et puisqu'on en est à
Notre Musique (film important trop sous estimé), tout de même, il y a quelque chose, un tout petit détail, d'un peu choquant à lire page 791
"... qui donne à Godard l'idée de convier trois vrais indiens Sioux en tenue de combat...". Si comme le dit le cinéaste suisse "
Le vrai contrechamp des palestiniens, c'est sans doute moins Israël que les Indiens", alors les indiens sont passés dans le contrechamp du contrechamp, le hors champ total avec si peu de considération. Il serait bien choquant en effet de lire
"... qui donne à Godard l'idée de convier trois vrais Palestiniens..." ou
"... qui donne à Godard l'idée de convier trois vrais Israëliens...". Ça ne passerait heureusement pas, alors pourquoi cela devrait-il "passer" pour les indiens ? Ne peut-on en finir véritablement avec la contre-histoire fabriquée à Hollywood. L'indien se doit d'être authentique sinon il n'est pas et son authenticité est faite de détails fabriqués par ses colonisateurs même. Comme ces imaginaires
tenues de combat invoquées ici (non nommées dans le film qui aurait mérité d'avoir à cet endroit meilleur contour, le biographe en fait trop - ce qui ne lui ressemble pas - dans la grandiloquence momentanée et en sait trop peu sur les peuples en questions, du coup, il johnfordise). La présence de ces indiens est une clé forte du film. On dira que c'est couper les cheveux quatre mais un simple :
"... qui donne à Godard l'idée de convier trois indiens..." aurait avec force fait l'affaire. Pas de "vrais" Sioux (terme impropre hérité d'une injure mal comprise par des trappeurs français pour désigner Lakotas, Dakotas et Nakotas) dans
Notre musique vrai film, mais trois comédiens
figurant de façon (trop) stylisée les membres d'un même peuple : George Aguilar acteur français d'origine apache (mari de Josiane Balasko à la ville), Leticia Gutierrez actrice mexicaine, et Ferlyn Brass d'origine ojibway, ex animateur du Buffalo Bill Wild West Show chez Disney à Marne la Vallée. Le cinéma peut tout, mais il ne peut pas encore tout dire.
Ce détail, aussi infime que la parole des opprimés, ne devrait pas gâcher le plaisir des 929 autres pages de cet excellent ouvrage. Pour Godard et la musique, il y aura peut-être un jour un complément en attendant
Godard et les indiens.
* Les mohicans sont une tribu inventée de l'auteur James Fenimore Cooper à partir d'une sorte de mix culturel entre Mahicans et Mohegans