Tonie Marshall, de retour d'enregistrement de Deadly Weapons, nous avait signalé à Liria Begeja et Luc Barnier, respectivement réalisatrice et monteur d'un très beau film intitulé Avril Brisé, d'après le livre d'Ismaël Kadaré. La rencontre avec Liria et Luc avait été des plus aimables, leur désir de musique si bien exprimé que nous nous étions sentis libres de tout avec des indications minimum, mais précises, humainement précises. Avec eux le cinéma semblait une réalité qui valait la peine - l'impression que l'on a pour mettre "nos musiques" dans le panorama - la peine dans les difficultés et ce frémissement de beauté qui soudain vous saisit. Cette belle latitude fût une expérience extraordinaire. Lors de la mort d'Alan Hacker, la radio anglaise a joué - parmi d'autres participations du clarinettiste (toutes classiques) - un morceau de cette musique créée par Steve Beresford.
Luc Barnier, qui a oeuvré sur tant de films, m'a fait découvrir beaucoup sur le métier de monteur, sur le cinéma, sur les images, les sons, les gens, m'entraînant dans d'autres aventures avec Jacques Perrin, Mehdi Charef, Muriel Edelstein, Patrick Blossier, Tonie Marshall. Le festival du film de Minneapolis, en 2005, avait consacré une rétrospective à Benoît Jacquot en l'invitant. Il avait si bien parlé de Luc. Il y a 5 ans, il montait un très sensible film de Liria Begeja sur l'enregistrement de Nucular d'Ursus Minor, non encore publié. Luc Barnier est parti le 16 septembre après une longue lutte contre la maladie, une longue lutte qui a donné beaucoup au cinéma, qui nous a donné beaucoup.
Jean
Salut les ours !
Salut les chats !
Salut les bisons !
Salut les oiseaux !
Salut les tortues !
Salut les baleines !
Salut les pingouins !
Doucement les castors !
Enfants d'Espagne
25.9.12
22.9.12
LE VENT S'EST LEVÉ
(POUR LITTLE CROW)
Le vent s’est levé ce soir… la chaleur myope s’est éclipsée devant le grand panoramique du souffle.
Le vent s’est levé alors que les tambours jouent à l’intérieur, de Pete Leggett ou Davu Seru rejoignant ceux de Pete Hennig les semaines précédentes… là où d’autres tambours étaient frappés lorsqu’était frappé tout un peuple 150 ans auparavant. Quand l’emplacement du Black Dog, café de la ville de St Paul, s’appelait encore Kapozia, village dakota où se joua tant des bouleversements tragiques. Kapozia, la cité de Little Crow, celle de son père Big Thunder, celle où l’on cru que l’on pourrait s’arranger de l’arrivée des pionniers d'Europe-Américaine sans trop de dégâts ; Kapozia à quelques kilomètres d’un autre village sioux nommé Black Dog du nom d’un de ses chefs. Ce soir le vent souffle par rafales. La porte du café s’ouvre par trois fois. George Cartwright semble souffler contre la sorcellerie du temps qui passe, pour éveiller les esprits. Le groupe s’appelle Merciless Ghost, les notes de basse de Josh Granowsky sont profondes, très profondes. Avant que le soleil ne se couche, Todd Harper avait annoncé l’automne et ses tendresses, son lieu de réflexion, ses « favorite things» en permanentes mutations soulignées par Aaron Kerr, mais à la même reconnaissance. Deux semaines plus tôt, il dessinait machinalement les gestes de Donald Washington Brad Bellows et de leurs compagnons. Le drive de Chris Bates avec le batteur ! Remède contre la nostalgie, contre l’épouvantable fardeau, loin du poids de la nuit, proche de ses caresses, de ses sons et des voix qui parlent depuis si loin. Celles qui inspirèrent peut-être ou sans doute Nathan Hanson la semaine précédente, qui joua pleinement à l’endroit. Le corps total.
Il y a 150 ans, l’inévitable se produisit à l’issue terrifiante. Aujourd’hui, l’histoire des dépossédés s’écrit toujours avec peine, mais la musique appelle toujours. « Nous sommes nombreux, mais nous sommes un » (Little Crow). Le vent s’est levé ce soir…
•Donald Washington (saxophones ténor et soprano), Brad Bellows (trombone à pistons), Chris Bates(contrebasse), Pete Hennig (batterie) - Black Dog le 7 septembre
•Nathan Hanson (saxophone soprano),
Pete Hennig (batterie) - Black Dog le 14 septembre
•Todd Harper (piano), Aaron Kerr (violoncelle), Peter Leggett (batterie) - Black Dog le 21 septembre
•Merciless Ghost : George
Cartwright, (saxophones ténor et alto) Josh Granowsky (contrebasse), Davu Seru
(batterie) - Black Dog le 21 septembre
Photos du Black Dog : B. Zon - dessin Todd Harper
17.9.12
APRÈS LE CNM, l’AN 01 ?
Communiqué des Allumés du Jazz
du 13 septembre 2012
Après le CNM, l’An 01 ?
Communiqué des Allumés du Jazz du 13 septembre 2012
Le projet Centre National de la Musique, serait abandonné, on s’en réjouira. L’association de préfiguration de ce Centre National de la Musique, elle, continuera à être entendue, on se demande bien pourquoi et au nom de quelle compétence.
La sinistre aventure du Centre National de la Musique, entreprise de normalisation faisant émerger un dérisoire concept de « filière musicale », mot béquille dont chacun se gargarise à foison comme s’il signifiait quelque chose, aura atteint un triple but : confusion, désarroi et faux-semblants sont devenus les pénibles atours de nos activités.
Comment considérer une industrie qui a été incapable d’imposer le prix unique du disque ou la tva réduite à 5,5%, pour faire de ce disque un objet comparable au livre (qui lui bénéficie de ce régime depuis 30 ans) ? Comment considérer une industrie qui n’a eu de cesse de s’emparer des plus petits dénominateurs communs, brocardant la musique pour des profits toujours plus forts, la minimisant à l’extrême, la staracadémisant, pour en faire au mieux un objet-cadeau de la technologie soudain plus juteuse ? Comment pardonner une industrie, si peu soucieuse de création, qui soudain s’en prend à des gamins-pirates pour excuser son infinie négligence ?
Décidément non ! Comme nous l’écrivions dans notre communiqué du 1er juillet *, nous n’avons rien à voir avec cette supposée « filière musicale », nous avons à voir avec le monde, ses joies et ses souffrances, avec tous ceux qui œuvrent en ce sens. Là est notre « corporation » ! Là est l’endroit où notre petitesse est grande, où nous pouvons être reconnus, défendus, aidés.
L’abandon du Centre National de la Musique génère un concert de protestations effarouchées ou faisant mine. On y reconnaîtra peu de musiciens. Impossible de nous associer à ces cris si peu musicaux et vaguement criminels qui prétendent que « La France est en retard sur les autres pays qui eux n'ont pas peur du marché, l'avenir de la culture c'est le marché ».
Pour nous, cet abandon est la moindre des choses. Mais la moindre des choses ne permettra rien de plus tant que nous ne serons pas considérés pour ce que nous sommes : de véritables artisans amoureux de leur authentique métier et conscients de ce qu’il peut encore pour le monde.
À ce titre, nous souhaitons être entendus, véritablement entendus.
Les Allumés du Jazz
* « Il n’existe pas de filière musicale »
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5.9.12
DEAN MAGRAW DAVU SERU
ET ÉMILIE LESBROS AU BLACK DOG
Le duo Dean Magraw - Davu Seru frappe par son sens de la progression des traces passagères, cette façon de dégager constamment le filigrane, de faire d'une esquisse un souffle qui vous prend comme le vent. Les lignes sont mobiles, les grains fins d'épaisseur, quelque chose se soulève qui entrouvre le devenir. La musique de Dean Magraw et Davu Seru respire largement. Chaque premier mardi du mois, le duo joue au Black Dog et chaque fois partage ce mouvement élargissant et jamais deux semblables. Émilie Lesbros était hier soir dans la salle et c'est bien naturellement qu'elle s'est glissée dans le deuxième set, en cette suspension fine en harmonie accomplie, empruntant elle aussi le plus bel air, celui de l'existence.
Photo : B. Zon
Photo : B. Zon
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4.9.12
LA CITÉ DE L'INDICIBLE PEUR
Lorsque vous passez par Salers (Cantal), vous apercevez sur l'une des devantures de
pâtisseries fabriquant le savoureux biscuit intitulé "carré de Salers"
(et non "pavé de Salers", autre spécialité locale, mais taillée dans le bovin
rouge, descendant de l'auroch), trois photographies de Bourvil se
délectant du fameux sablé. À la dérobé, ces photographies évoquent
vaguement La cuisine au beurre (film familial de Gilles Grangier de 1963).
Mais comme l'on n'est pas plus en Normandie qu'en famille ... C'est en circulant le soir
dans la petite cité médiévale que quelque chose titille, une impression de connaître un peu l'endroit, quelque chose
d'indicible...
Quelques temps plus tard, lors d'une de ces soirées que l'on termine en regardant le DVD d'un film chéri, une émulsion empreinte, et que votre main tombe sur La cité de l'indicible peur de Jean-Pierre Mocky, le goût du carré de Salers rapplique au rythme des petits bonds de Bourvil qui y joue le rôle d'un drôle de flic comme on aimerait en rencontrer. La cité de l'indicible peur, long métrage librement adapté d'un roman de Jean Ray et dialogué par Raymond Queneau, à l'harponnant casting (Francis Blanche, Jean Poiret, Véronique Nordey, Jean-Louis Barrault, Jacques Dufilho, Victor Francen, René Louis Laforgue, Raymond Rouleau, Marcel Perès, Roger Legris...) a en effet été tourné dans la ville de Tyssandier d'Escous en 1964. Bourvil était à Salers pour un de ces grands films "mine de rien".
À la sortie du film, ce ne fût pas du gâteau pour le réalisateur, son métrage fut amputé et rebaptisé La grande frousse par les producteurs pris de trouille, ce qui ne l'empêchera pas d'être boudé par la critique et le public (comme dirait Shakespeare "C'est de ta peur que j'ai peur"). Il faudra attendre 1972 pour le revoir sous sa forme d'origine (titre et montage). Le retrouver aujourd'hui, avec son entraînante ritournelle de Gérad Calvi "Fatalitas", constitue une ronde de petits chocs, de subtilisantes danses, de motifs allusifs, de résonances ambivalentes, de poésie éprouvée. On ne saurait se passer de ce biscuit rieur, qui indique bien là, sans crier gare, comme d'autres fictions de Mocky, un trou de serrure où l'on aperçoit la sortie vers un mieux de liberté.
Photos : B. Zon (sauf extrait de La cité de l'indicible peur)
Quelques temps plus tard, lors d'une de ces soirées que l'on termine en regardant le DVD d'un film chéri, une émulsion empreinte, et que votre main tombe sur La cité de l'indicible peur de Jean-Pierre Mocky, le goût du carré de Salers rapplique au rythme des petits bonds de Bourvil qui y joue le rôle d'un drôle de flic comme on aimerait en rencontrer. La cité de l'indicible peur, long métrage librement adapté d'un roman de Jean Ray et dialogué par Raymond Queneau, à l'harponnant casting (Francis Blanche, Jean Poiret, Véronique Nordey, Jean-Louis Barrault, Jacques Dufilho, Victor Francen, René Louis Laforgue, Raymond Rouleau, Marcel Perès, Roger Legris...) a en effet été tourné dans la ville de Tyssandier d'Escous en 1964. Bourvil était à Salers pour un de ces grands films "mine de rien".
À la sortie du film, ce ne fût pas du gâteau pour le réalisateur, son métrage fut amputé et rebaptisé La grande frousse par les producteurs pris de trouille, ce qui ne l'empêchera pas d'être boudé par la critique et le public (comme dirait Shakespeare "C'est de ta peur que j'ai peur"). Il faudra attendre 1972 pour le revoir sous sa forme d'origine (titre et montage). Le retrouver aujourd'hui, avec son entraînante ritournelle de Gérad Calvi "Fatalitas", constitue une ronde de petits chocs, de subtilisantes danses, de motifs allusifs, de résonances ambivalentes, de poésie éprouvée. On ne saurait se passer de ce biscuit rieur, qui indique bien là, sans crier gare, comme d'autres fictions de Mocky, un trou de serrure où l'on aperçoit la sortie vers un mieux de liberté.
Photos : B. Zon (sauf extrait de La cité de l'indicible peur)
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