Par Thierry Mazaud
Acoquinées aux ronds-de-cuir plus ou moins zélotes qui « powerpointent » leurs sottes pensées, les élites européennes ont proclamé un oukaze sanglant à l’encontre des ratons-laveurs. Les jugeant invasifs, ils veulent leur faire la peau (enfin, ils délèguent cette tâche mortifère à d’autres éradicateurs, mieux armés). C’est pourtant mignon un raton-laveur. Certains font des conneries ici ou là mais c’est mignon. Se faire ainsi épingler par ces gens-là au motif d’être un trublion à la biodiversité relève de la pure cocasserie. S’il n’y avait pas les deux yeux ronds et froids d’un canon de fusil au bout de la logique, il serait même enorgueillissant d’être décrété persona non grata par ces pignoufs, même pas laveurs !
Ce cynisme-là, il en est souvent question dans l’album d’Ursus Minor What Matters Now, disque qui se confronte également à toutes les autres tares d’un monde affolé par ses propres dérèglements. Mais Ursus Minor sait aussi être l’éclaireur de beautés pas (encore) si enfouies que cela. Elles affleurent à la surface des choses et les pattes d’ours grattent avec bonheur le terreau couvrant ces promesses de bonheur. Joie et colère, donc, ainsi qu’il est souligné dans un sample liminaire de l’album. De la joie, il y en a eu au Café du Commerce de Treignac, le vendredi 22 octobre. Le groupe y fêtait la sortie de l’album (double) en compagnie de celles et ceux qui les ont accompagnés (de près ou de loin) au cours d’une résidence et d’un enregistrement aoûtiens épiques et riches en émois humains. Eté 2015. L’immersion avait été totale, l’espace vital partagé avec la sérénité bourrue que savent encore entretenir, parfois, certaines communes à l’esprit tribal.
Les retrouvailles des musiciens avec les Treignacois se sont déroulées sur fond de sangria blanche et de hachis parmentier d’automne au potimarron (merci Flavien et Didier), de ratons-laveurs (l’un en chocolat, réalisé par les apprentis chocolatiers de Tulle ; l’autre en portrait très IIIe République – en plus mignon, toisant l’auditoire au-dessus de Stokley Williams), de dédicaces personnalisées et, of course, de musique brûlante comme l’amitié. Deux petits sets servis dans l’urgence du plaisir à donner et qui ont fait triper très haut les danseurs de l’automne (cf. hachis).
Le lendemain, Tony Hymas, Stokley Williams, François Corneloup, Grego Simmons et Desdamona étaient attendus à la salle Des lendemains qui chantent, à Tulle, pour un concert où joie et colère se sont admirablement imbriqués. La joie de jouer, de chanter, de danser, de clamer… . La colère toute entière exultée dans le chorus de Grego Simmons sur "Notre-Dame-des-Oiseaux-de-Fer", un terrible moment où Haroun Tazieff, Jimi Hendrix et Benjamin Franklin étaient conviés au même festin électrique. Desdamona a endossé avec autorité son rôle d’invitée de marque et a fait une démonstration de son flow implacable et de son placement parfait. Le public risquait tout sauf les escarres.
Quinze jours plus tôt, à quelques dizaines de mètres de là, Tony Hymas retrouvait son piano favori pour un récital autour de l’œuvre de Léo Ferré. Il fit ce soir-là une place de choix à l’esprit aventureux, aux escarpements harmoniques et aux espiègleries imposées par sa jeunesse.
Ses mille doigts (comment peut-il en avoir moins ?) ont émietté des confettis de toutes les couleurs (il y en avait des noirs) dans les cieux corréziens.
Un demi-mois où joie, colère et liberté ont résonné de Treignac à Tulle. Mots simples, principes têtus. Cela ne s’éradique pas. Jamais.
Photos : B. Zon
Ursus Minor : What matters now
Tony Hymas : Tony Hymas joue Léo Ferré