Chers et chères amiEs d'une région d'un bout du monde,
À l'invitation des associations
Nautilis et Penn Ar Jazz, de vos professeurs et proviseurs, nous nous étions rendus avec Tony Hymas et Christophe Rocher dans vos classes le 6 décembre 2016. Ce jour-là, Tony Hymas avait joué une pièce dédiée au chef Comanche Quanah Parker puis, avec Christophe Rocher, un morceau fraîchement créé ce jour même : "Standing Rock 2016", qui allait être joué sur scène au Vauban le dimanche suivant avec Hélène Labarrière et Beñat Achiary. Nous avions ensemble échangé à propos de la musique comme langage et des différentes expériences qu'elle reflète, commente ou stimule.
Standing Rock est le nom d'une réserve indienne à cheval entre les états américains du Dakota du Nord et du Dakota du Sud où vivent les Lakotas (communément appelés Sioux). Cette réserve, la sixième des États-Unis d'Amérique en superficie, est aussi célèbre car elle fut la terre de Sitting Bull, qui y fut tué par la police en 1890, ce qui précipita les événements qui allaient se conclure tragiquement par le massacre de Wounded Knee où furent décimés entre 300 et 400 Lakotas par le 7e de Cavalerie. Cette réserve est également celle de Vine Deloria jr, activiste, historien et écrivain indien dont l'ouvrage Custer died for your sins, publié en 1969, eut une influence considérable sur la naissance de l'American Indian Movement et le renouveau indien. L'an passé, cet endroit qui compte à peine 10 000 habitants vivant souvent dans la pauvreté fut le théâtre d'une lutte exemplaire pour la vie, pour la nature, pour l'histoire et pour l'espoir.
Début avril, les habitants de Standing Rock ont commencé un combat pour empêcher la proximité de la traversée d'un oléoduc nommé Dakota Access Pipe Line (DAPL), entreprise de la société texane Energy Transfer Partners financée par 17 banques (dont 4 françaises). Le DAPL traverserait quatre états sur 1 900 km avant d’être raccordé à un autre oléoduc afin d'alimenter les raffineries du golfe du Mexique. Le trajet initial prévoyait de passer près de la ville de Bismarck, mais au vu de l'inquiétude provoquée (les risques de pollutions étant très élevés), il a été révisé pour passer à proximité (moins d'un kilomètre) de la réserve indienne. Son coût initial est estimé à 3 700 000 dollars.
Conscient du danger écologique majeur (il s'agit du transport d'un peu moins de 600 000 barils de pétrole par jour - les précédents accidentels sont nombreux), de la violation de sites ancestraux (les limites de la réserve sont par traité bien plus larges que celles effectives par confiscations successives), les membres de la tribu ont invité les représentants d'une centaine d'autres tribus indiennes de tous les Etats-Unis. Des milliers d'indiens, mais aussi de soutiens se sont ainsi retrouvés pour s'opposer aux travaux en cours. Cette lutte est rapidement devenue synonyme de la défense absolue de l'eau indispensable et d'une autre façon de partager nos vécus. Black Lives Matter, nouveau mouvement noir fondé après le meurtre de Michael Brown par la police de Ferguson, se montra également un soutien actif. Malgré la répression très violente (de la police et des services de sécurités privés) et les arrestations nombreuses, un gigantesque campement fut installé pour plusieurs mois. Le 5 décembre, alors que le camp devait être évacué par la force et que 2000 vétérans indiens avaient afflué à Standing Rock comme bouclier des opposants au DAPL, l'administration retirait
in extremis le permis de forer. La nouvelle était d'importance mais provoqua une joie mesurée. On savait bien que le nouveau président élu, était forcément favorable au projet puisqu'y ayant des intérêts personnels. Une amertume aussi : cette décision prise quelques années auparavant aurait eu une issue toute autre. Ce n'est pas nouveau : le monde politique et ses relations vivent en un autre temps.
Le 6 décembre, jour de répit à Standing Rock, nous étions ensemble en pays de Brest à échanger sur tout cela, sur la relation que des gens de musique pouvaient avoir à ce type d'événement, ce qu'ils pouvaient modestement un peu éclairer. Nous avons tous appris les uns des autres ce jour-là, plus que par nos paroles. J'y ai souvent pensé.
"
Ils nous faisaient beaucoup de promesses, plus que je ne peux me
rappeler, mais ils n’en ont jamais tenu qu’une seule ; ils ont promis de
prendre nos terres, et ils les ont prises."
Mah’piua Luta (Red Cloud - chef lakota oglala)
Le nouveau président, dès sa prise de fonction, ordonna la reprise des travaux et le camp fut évacué le 23 février 2017. Les occupants, encerclés par la police en surnombre, mirent le feu au camp avant de se retirer pour ne pas voir les bulldozers le détruire. Refus de cette humiliation-là après ces mois de vie exemplaire, ces mois de solidarité où la vie prenait un nouveau sens.
C'est naturellement que j'ai pensé à vous lors de ces récents épisodes. À cette journée où s'était doucement inscrite votre essentielle jeunesse, cette journée où même si j'étais le plus bavard, c'est vous qui m'avez appris, ce type de journée que l'on n'oublie pas car la vie est faite de ces moments d'échanges inattendus où se mêlent les souvenirs, les métaphores du réel, une altération salutaire, une douce insurrection naturelle. En quelques instants et toutes proportions gardées quelque chose de parallèle au camp de Standing Rock, qui nous laisse espérer la vie. La vie nôtre lorsque nous le voulons.
Cette semaine, les Lakotas et leurs amis ont marché sur Washington, ils y ont manifesté et planté quelques tipis à deux pas de l'arrogante Maison Blanche sur le National Mall. Façon de continuer l'action, façon aussi de ne pas faire taire l'histoire populaire.
Nous avons tant à faire ensemble.
Amitiés fraternelles,
Jean
Un grand merci aux
professeurs d'anglais Marine Carval, Stéphanie Cohier, Lydie Le Lann et aux principaux Pascal Coignec, Olivier Hureau et Eric Salaun, aux
collèges des Quatre Moulins à Brest et à celui de Kerzouar à Saint Renan ainsi qu'aux équipes de Nautilis et Penn Ar Jazz.
Photo : DR et B. Zon