Le Mississippi prend sa source dans le lac Itasca (nord du Minnesota) et se jette dans le Golfe du Mexique. Mississippi est l'appellation du fleuve par les Ojibways (Misi-ziibi), les Dakotas l'appelait Ne Tongo (dans les deux cas : "la grande rivière"). Hernando de Soto, faisant peu souci en y cherchant un passage qui lui permettrait d'arriver en Chine, le renomma "Rio de Espiriti Santo" (ben voyons !) et les français : "Rivière de Colbert" (re-ben voyons !). Les Natchez vivaient dans la région couvrant un territoire entre les actuels St Louis et Nouvelle Orléans. Il furent décimés par les troupes françaises de Louis XIV qui réduisirent les survivants à l'esclavage, les transférant à St Domingue. La société Natchez connaissait une hiérarchie comparable à certaines civilisations d'Amérique du Sud, à l'opposé des autres tribus d'Amérique du Nord, plus libertaires, plus insaisissables, sans dignitaires ni sacrifices. Les Natchez avait bâti la ville de Cahokia, la plus grande cité d'Amérique du Nord (environ 30 000 habitants - proche de l'actuel emplacement de St Louis). Elle disparut avant l'arrivée des Européens. La raison en reste inconnue. Les Natchez ne sont plus, les autres tribus du Mississippi, malgré les incessants efforts d'éradication, demeurent plus ou moins : Ojibways, Dakotas, Quapaws, Tamaroas, Cahokias, Kaskaskias, Péorias, Metchigamias, Choctaws, Bayagoulas (qui se prirent les pieds dans le tapis des guerres franco-britanniques jusqu'à y perdre la vie). Le fleuve devint sous l'emprise des européens, un haut lieu de navigation coloniale et de trafic d'esclaves africains. Pendant la guerre de sécession, son contrôle fut un enjeu majeur pour les deux parties. Le Mississippi, cours d'eau gorgé de blues, aime à sortir de son lit, on le comprend. C'est une rivière au cœur qui saigne.
Carolyn Anderson est une artiste Navajo qui vit dans les Twin Cities (Minneapolis-St Paul). Dans de son exposition au Black Dog (1), Jim Denomie lui a réservé un espace pour lui permettre de présenter sa vision "identitaire du paysage". Au fond de la pièce, non loin d'une série de portraits de Denomie, là où les musiciens jouent. Un énorme cœur rouge, que l'on dirait sorti d'un tableau de Jérôme Bosch.
Vendredi soir, réception autour de l'exposition Denomie - Anderson. Beaucoup d'artistes indiens comme Jonathan Thunder (autour d'une autre image de cœur, celle d'un cœur déchiré) (2). Todd Harper joue en compagnie du contrebassiste Bjorn les fragments sentimentaux d'un monde qui se (dé)-(re) compose. Le cœur est bien là.
Nous sommes tout près du Mississippi (lors de ses crues, le sous sol du Black Dog doit déménager). À 20h et des poussières, Brad Bellows (trombone à pistons), Donald Washington (saxophones ténor et soprano), Brian Roessler (contrebasse) et Pete Hennig (batterie) prennent l'espace. Le concert commence comme une plainte lumineuse, une plainte bourrée d'intelligence, qui connaît sa propre histoire. Washington (déjà entendu au même endroit avec le Full Moon Rabbit Orchestra de Todd Harper (3)) projette toute cette histoire dans l'atmosphère avec un son prodigieux, un son de blues écorché et de sourire. Brad Bellows joue avec la tendresse précise de l'ours, animal au grand cœur (le trombone à piston est un instrument de tendresse - est-ce pour cela qu'il a tendance à disparaître ?). Roessler et Hennig agitent les ferments de l'indispensable, l'invitation à la danse est inévitable. De longues explorations en duo révèlent au mieux cette fraternelle paire, solide et délicate, sorte de Milt Hinton - Jo Jones des temps présents. Les quatre hommes vivent en allers et retours panoramiques et micro observants sur le fleuve. Les alluvions de tous les restes des musiques du Mississippi forment l'indispensable pulsion du monde dont nous sommes les acteurs et les témoins.
"Aucun oiseau
n’a le coeur de chanter
dans un buisson
de questions"
(René Char)
Depuis (Char avait alors 20 ans) le temps a du s'inverser car c'est dans une forêt de questions qu'il nous faut chanter. Nous n'avons d'autre choix que celui de l'avoir.
Chaque année, des milliers de cygnes qui émigrent du nord au sud, s'installent par nécessaire repos en un endroit (près de Winona au sud de Minneapolis) où le Mississippi s'élargit soudain de façon spectaculaire. Ils restent là environ deux semaines, en paix... Chaque mois, sur les tables du Black Dog, a lieu une exposition parallèle faites de petites photographies de Mike Hazard (Media Mike) disposées de telles façons que tous les fragments forment une aléatoire image du monde faite de mille interrogations, de mille évidences, jamais loin de la méthode musicale de Todd Harper. Nous vivons de nos propres restes comme des oiseaux migrants en recherche de l'endroit unique.
22h30, Brad Bellows, Donald Washington, Brian Bellows, Brian Roessler, Pete Hennig terminent leur set. La grosse caisse du batteur marque la pulsion du cœur, plus qu'une porte, en toute innocence, en toute évidence.
(1)Voir Glob du 3 juillet 2011
(2) Voir les Allumés du Jazz n° 23 encore disponible
(3) Voir Glob du 12 juin 2010
Photos : B. Zon (Donald Washington, Brad Bellows, Brian Roessler, Pete Hennig, Jonathan Thunder, Carolyn Anderson, Todd Harper, Bjorn)
Peintures : Jim Denomie, Carolyn Anderson
Avant plan cygnes : photo Mike Hazard
2 commentaires:
Pourquoi ecrivez-vous en francais? Comme le pere du Media Mike je suis toujours interessant en les affaires de "Le Chien Noir", mais pourquoi faut-il je dois penser dans une langue etranger? Patrick D. Hazard, Weimar,Germany. www.MyGlobalEye.blogspot.com.
Mais cher Patrick, il s'agit d'un blog de langue française (ou presque), voilà tout.
Guten Tag
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