Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

7.7.12

LE VOLCAN, ORANGE, SONNY
ET LA FIN DU TEMPS QUI BOUGE


L'éruption de l'Eyjafjöll en mars 2010 avait selon les médias "paralysé le ciel". Ce qui ne voulait pas dire que le ciel ne vivait plus, que l'air n'y circulait plus, que les nuages mourraient, que les oiseaux avaient disparu, mais simplement que le panache de fumée surgissant du volcan islandais rendait la visibilité si incertaine au-dessus de l'Atlantique nord que les aéroplanes ne pouvaient y voler. D'une pointe bretonne, une jeune fille sans âge regardait le ciel enfin en paix sans contrails, les étoiles véritablement seules ; la furie de l'explosion volcanique contre celle des hommes, le temps arrêté.

Vendredi 6 juillet 2012 en France, l'opérateur téléphonique Orange accusait une panne de seize heures. Seize heures de scènes de panique pour les usagers des téléphones portatifs : "excusez moi ? vous avez du réseau". Pour un peu, on se serait regardés ! Un peu de brume dans la vallée du vide, les avertissements sont plutôt tendres.

Les usines nucléaires ont repris du service au Japon et on s'en fout. Ça ne vaut pas un bon petit tweet ! Le futur éventuel ne relève plus guère du présent dévoré par l'inconsistance, le renoncement, la trouille confortable et la privation d'intuition. Le mot "révolution numérique" est une grossièreté comme "révolution nationale". La révolution, c'est le mouvement des hommes vers la vie. Les outils ne peuvent dicter.

La couverture du disque Sonny Rollins on Impulse (écouté ce jour par besoin physique, pour éloigner la mort) est une photo de profil du saxophoniste prise par Chuck Stewart. Cette image un peu floue avec le graphisme relativement simple qui l'accompagne en a fait rêvé plus d'un. Pourtant inutile d'essayer de l'imiter. Ce qui la porte, c'est le mouvement. Le mouvement calypso d' "Hold' Em Joe" bien sûr, mais bien davantage le mouvement qui déplace l'identique, qui bouscule l'artificiel, qui génère du nuage enfin, des causes fécondes et de l'action multipliée. Aujourd'hui Sonny Rollins joue toujours bien, mais il joue pour les riches. C'est dommage ! Trop de musique est jouée pour les riches.

Dans le métro parisien, hier, une femme chante, elle tient un petit bout de carton expliquant sa situation de pauvreté avec son enfant. Sa voix, résonnance immédiate d'une douleur, d'une dignité, d'un amour, d'un appel, est bouleversante, de tout corps, spirituelle les pieds sur terre, comme celle de Sonny Rollins, il y a longtemps. Mais elle ne vaut que deux pièces, deux mercis et deux sourires. Le reste des passagers est trop occupé à tweeter, texter, lire des éditoriaux suffisants, se préoccuper de l'avenir de son nombril, s'encourager en pensant qu'un petit coup de pouce de quelques euros au SMIG est largement rassurant, que sous le SMIG, il n'y a rien. Pour ne pas voir les pauvres, autant les ignorer.

À force de désamorcer les risques d'incompréhension, une génération n'a su transmettre à ses enfants que le mot socialisme ne signifiait plus que "cimetière des idées". Pour les laisser danser une nuit, une seule, avant de les mettre en un clic au piquet qui deviendra vite leur pilori. Il n'y aura plus alors d'avertissement des volcans ou de panne salutaire pour réfléchir. Il n'y aura plus rien.

Photo : B. Zon

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