Bravant sa peur du monde qu'il appréhendait vaguement, sans trop savoir, comme celui de la connaissance en lutte contre l'instinct de décision, traversant un quartier d'un écrasant renouveau, pour se rendre à l'Université Paris Diderot, les 6 et 7 février dernier, l'enfant sauvage n'imaginait pas que le surgissement de paroles, fruits d'études, d'assemblages chercheurs, composés, improvisés, provoquerait en lui cette légère, mais vibrante secousse. Ses facultés de bric et de broc pourraient-elles entendre celles de la grande Faculté ? Professeurs émérites, amoureux de musiques insolites, Yannick Séité et Timothée Picard avaient mis sur pied un imposant terrain de réflexion, de débat aussi, sur le thème La critique de Jazz (Genres, régimes d'écritures, médiums, figures). Comment et pourquoi parler du jazz, qu'est-ce que cette parole peut encore offrir au monde ou plutôt faire comprendre du monde, le présent a-t-il encore les moyens de se fondre dans l'histoire ? Qu'apportent aujourd'hui, l'étude stéréoscopique d'écrits de critiques réactionnaires encombrants, voire collaborateurs tels André Cœuroy (exposé de Philippe Gumplowicz), ou au contraire celle d'un compositeur européen visionnaire d'une autre préhension comme Darius Milhaud (exposé de Deborah Mawer), l'intrigant décalage horaire de l'œuvre compliquée d'André Hodeir et ses influences bien mises en lumière (exposé de Philippe Fargeton), le voyage dans un temps finalement proche (1927-1934) par la revue de presse de l'Édition musicale vivante (exposé de Martin Guerpin), les grands écarts dans la perception du jazz par le public ou par la presse - étourdissant titre "Le jazz devant ses juges" - (exposé de Sandria P. Bouliane), les rapprochements et rendez-vous difficiles entre écritures jazz et cinéma par le biais des deux périodiques Jazz Magazine et Les Cahiers du Cinéma dans les années 60 (exposé de Gilles Mouëllic), la ligne à haute tension du Jazz Hot de Michel Lebris (exposé de Christophe Voilliot et Mathilde Sempé), les citations de Boris Vian (exposé de Pascal Rannou), le souvenir acclamé, essentiel, de l'indissociable Afrique (exposé de Pim Higginson), le parcours tortueux de la critique italienne (exposé de Giorgio Rimondi), la (trop) brève évocation des rapports du jazz avec l'art peint par Francis Hofstein, le biscornu refus de Miles Davis par l'esprit révolutionnaire de la fin des années soixante pointé par Laurent Cugny ou les questions de Jean-Louis Chautemps présent dans l'auditoire, ses observations sur les traditions phrygiennes toujours nécessaires pour aller de l'avant ?
Comme antennes de repères, deux terminaux ou rampes de lancement, de ponts et chaussées, deux ancres balisent. Ancre de l'après-midi : la mise en forme bien trempée d'un genre de recensement de l'engagement poétique contenue dans un titre "L'invention de la New Thing dans Jazz Magazine" (exposé de Dominique Dupart). Ancre du matin : une méthode envisagée de la possibilité d'une écriture toujours actuelle sur la musique (exposé d'Alexandre Pierrepont). Ancres encadrant (la nuit aidant) moult interrogations lors d'un débat de ciels et de terres, d'urgences, de pansements avoués, de trajectoires extravagantes, de nouveaux régiments, de solutions par plumes de cheval militaristes ou antimilitaristes. Le thème était "Formes et usages de la critique de jazz". On aurait pu ajouter (vitesse non limitée). Dominique Pifarély, rare musicien de ces deux jours à la parole invitée, y évoqua au plus près, au plus sensible, contradictions et souffrances trop fréquemment muettes entre les acteurs bien souvent régis par un système portant à l'incompréhension, à l'éloignement. On regretta tout de même l'absence de Philippe Carles et Francis Marmande, empêchés à la dernière minute. Vincent Cotro en artisan exemplaire, Raphaëlle Tchamitchian et Mathias Kusnierz en nouveaux paladins du dire sur la musique, glissant sans patins du papier à l'écran avec une égale somme de doutes et de tournis, offrirent le lendemain une conclusion temporaire laissant libre cours à ce qui nous resterait de lucidité, d'invention, d'envie de beauté.
Et la mention signifiante (off record) par Christian Béthune, un instant, de l'ingéniosité du groupe de hip hop IAM dans l'utilisation de "Moanin'" de Mingus et d'une chanson d'Oum Kalsoum ("Le soldat" in Ombres et Lumières) renvoya l'enfant sauvage à une lourde interrogation longtemps habitée par la citation d'un rappeur du groupe, Akhénaton, dans une autre histoire du soldat : "La vérité ils l’ont fouettée si fort qu’elle ne crie plus" ("Soldat de fortune" in Soldat de fortune). Alors, il sentit l'étreinte d'une forte familiarité, de cette fenêtre sur une parole permise, un sujet névralgique, l'idée que l'on pouvait encore retenir le fouet, permettre le cri, s'emparer, préparer d'autres combats, d'autres musiques. Il retourna dans sa forêt, l'esprit allégé, le sentiment d'avoir bien vécu cette danse des esprits, la musette chargée, en pensant bien revenir un de ces quatre écouter ces nouveaux confidents.
Et la mention signifiante (off record) par Christian Béthune, un instant, de l'ingéniosité du groupe de hip hop IAM dans l'utilisation de "Moanin'" de Mingus et d'une chanson d'Oum Kalsoum ("Le soldat" in Ombres et Lumières) renvoya l'enfant sauvage à une lourde interrogation longtemps habitée par la citation d'un rappeur du groupe, Akhénaton, dans une autre histoire du soldat : "La vérité ils l’ont fouettée si fort qu’elle ne crie plus" ("Soldat de fortune" in Soldat de fortune). Alors, il sentit l'étreinte d'une forte familiarité, de cette fenêtre sur une parole permise, un sujet névralgique, l'idée que l'on pouvait encore retenir le fouet, permettre le cri, s'emparer, préparer d'autres combats, d'autres musiques. Il retourna dans sa forêt, l'esprit allégé, le sentiment d'avoir bien vécu cette danse des esprits, la musette chargée, en pensant bien revenir un de ces quatre écouter ces nouveaux confidents.
Photographie de B. Zon : Sous une mosaïque de quelques grandes figures de la critique de jazz de gauche à droite : Mathias Kusnierz, Raphaëlle Tchamitchian, Yannick Séité et Vincent Cotro.
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