Paris, fin mai, parc de La Villette, vernissage d'une exposition de sculpture contemporaine ; aux abords de l'entrée du pavillon, deux agents de sécurité reçoivent un appel pressant d'un supérieur sur leur talkie-walkie. Le réglage sonore est fort, tout le monde en profite : "Vous m'éloignez la racaille, il va y avoir du beau monde ce soir, ça pourrait incommoder". "La racaille", c'est un groupe de jeunes gens qui discutent tranquillement, leur look n'est probablement pas pour le zélé fonctionnaire celui des amateurs d'art des beaux quartiers fantasmés. La pensée kärcher n'est pas un simple accident isolé. Quelques jours auparavant, dans un supermaché du même secteur, un client est allé se plaindre à la direction parce qu' "il y a trop de noires aux caisses". C'est une caissière, visiblement encore choquée, qui rapporte la scène. Ça la soulage un peu de pouvoir en parler car le gros des clients s'en fout, ils passent à la caisse en téléphonant ou bien avec un casque sur les oreilles : la musique comme parfait sédatif artistique, blah blah texté et dorure solitudinale garantis. D'habitude, la caissière se sent ignorée, méprisée (elle le dit), là elle est humiliée, furieuse. Le même soir, dans le métro, derrière les tourniquets, contrôle de pass-Navigo pour "vérifier que les photos sont les bonnes". Les contrôleurs braillent : "c'est pour la photo !". Ils visent plutôt caucasien les contrôleurs (accompagnés de policiers en civil), un hasard sans doute ! On en profite au passage pour virer quelques mendiants. Il faut bien ça pour rassurer le bon français (amateur d'art ?). Lequel n'a pas l'air incommodé, il est branché de toutes les façons. Oh, il se plaindra plus tard (reconstitution), lors d'une conversation-meuble de gauche en bonne compagnie, de "la crise de l'emploi", du "président qui déçoit un peu", de "l'avenir de la retraite", des scénarios de "prochaines élections", de quelques "scandales" en une, des mérites comparés des "uns et des autres", du "retour" de zinzin et du "départ" de zonzon, et un peu du"racisme qui inquiète", en pointant par réalisme, histoire d'avoir l'air d'avoir les pieds sur terre, "qu'il y a tout de même des problèmes". Tout le monde est sur écoute et personne n'entend plus : on appelle ça "la communication". On pourrait traduire par : "les grues qui construisent des ruines".
Ces même journées, à l'issue d'une nouvelle partie de carnaval électoral (les commentateurs intiment quasiment l'ordre d'y croire) qu'il aurait été avisé de boycotter massivement tant la puanteur du résultat se répandait bien avant les faits (et en toute complicité de l'ensemble des participants), l'ignoble s'est affiché sans surprise. Le kit mains-libres pour l'ordure raciste a le vent en poupe... et le pire c'est que ce ne sont même pas les sinistres vedettes de ces élections qui l'ont déposé sous le sapin.
Illustration : Léo Remke-Rochard
2 commentaires:
Merci Jean, merci Léo. On la vit jusqu'au bout de la Pointe du Van, cette maladie qui se répand, ça fait plus de mal que les tempêtes de l’hiver, car nous ne savons pas quand sera le printemps.
Serge
Ahh, Paris... L'écrivain Joanne Anton a mesuré une partie du problème en visitant New York pour l'irritant Next de Libération (7 juin). Comme il n'est pas de bon bec que de Paris, l'insupportable s'installe vite fait partout et le comportement des usagers du rutilant mais modeste tram Brestois (et donc bientôt de ses contrôleurs et de sa police ?), est copié sur celui du métro de la capitale. Dans les urnes de la Cité du Ponant aussi, l'insupportable fait son trou. Guy
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