Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

17.9.12

APRÈS LE CNM, l’AN 01 ?
Communiqué des Allumés du Jazz
du 13 septembre 2012

Après le CNM, l’An 01 ? Communiqué des Allumés du Jazz du 13 septembre 2012 Le projet Centre National de la Musique, serait abandonné, on s’en réjouira. L’association de préfiguration de ce Centre National de la Musique, elle, continuera à être entendue, on se demande bien pourquoi et au nom de quelle compétence. La sinistre aventure du Centre National de la Musique, entreprise de normalisation faisant émerger un dérisoire concept de « filière musicale », mot béquille dont chacun se gargarise à foison comme s’il signifiait quelque chose, aura atteint un triple but : confusion, désarroi et faux-semblants sont devenus les pénibles atours de nos activités. Comment considérer une industrie qui a été incapable d’imposer le prix unique du disque ou la tva réduite à 5,5%, pour faire de ce disque un objet comparable au livre (qui lui bénéficie de ce régime depuis 30 ans) ? Comment considérer une industrie qui n’a eu de cesse de s’emparer des plus petits dénominateurs communs, brocardant la musique pour des profits toujours plus forts, la minimisant à l’extrême, la staracadémisant, pour en faire au mieux un objet-cadeau de la technologie soudain plus juteuse ? Comment pardonner une industrie, si peu soucieuse de création, qui soudain s’en prend à des gamins-pirates pour excuser son infinie négligence ? Décidément non ! Comme nous l’écrivions dans notre communiqué du 1er juillet *, nous n’avons rien à voir avec cette supposée « filière musicale », nous avons à voir avec le monde, ses joies et ses souffrances, avec tous ceux qui œuvrent en ce sens. Là est notre « corporation » ! Là est l’endroit où notre petitesse est grande, où nous pouvons être reconnus, défendus, aidés. L’abandon du Centre National de la Musique génère un concert de protestations effarouchées ou faisant mine. On y reconnaîtra peu de musiciens. Impossible de nous associer à ces cris si peu musicaux et vaguement criminels qui prétendent que « La France est en retard sur les autres pays qui eux n'ont pas peur du marché, l'avenir de la culture c'est le marché ». Pour nous, cet abandon est la moindre des choses. Mais la moindre des choses ne permettra rien de plus tant que nous ne serons pas considérés pour ce que nous sommes : de véritables artisans amoureux de leur authentique métier et conscients de ce qu’il peut encore pour le monde. À ce titre, nous souhaitons être entendus, véritablement entendus. Les Allumés du Jazz * « Il n’existe pas de filière musicale »

5.9.12

DEAN MAGRAW DAVU SERU
ET ÉMILIE LESBROS AU BLACK DOG

Le duo Dean Magraw - Davu Seru frappe par son sens de la progression des traces passagères, cette façon de dégager constamment le filigrane, de faire d'une esquisse un souffle qui vous prend comme le vent. Les lignes sont mobiles, les grains fins d'épaisseur, quelque chose se soulève qui entrouvre le devenir. La musique de Dean Magraw et Davu Seru respire largement. Chaque premier mardi du mois, le duo joue au Black Dog et chaque fois partage ce mouvement élargissant et jamais deux semblables. Émilie Lesbros était hier soir dans la salle et c'est bien naturellement qu'elle s'est glissée dans le deuxième set, en cette suspension fine en harmonie accomplie, empruntant elle aussi le plus bel air, celui de l'existence.

Photo : B. Zon

4.9.12

LA CITÉ DE L'INDICIBLE PEUR

 Lorsque vous passez par Salers (Cantal), vous apercevez sur l'une des devantures de pâtisseries fabriquant le savoureux biscuit intitulé "carré de Salers" (et non "pavé de Salers", autre spécialité locale, mais taillée dans le bovin rouge, descendant de l'auroch), trois photographies de Bourvil se délectant du fameux sablé. À la dérobé, ces photographies évoquent vaguement La cuisine au beurre (film familial de Gilles Grangier de 1963). Mais comme l'on n'est pas plus en Normandie qu'en famille ... C'est en circulant le soir dans la petite cité médiévale que quelque chose titille, une impression de connaître un peu l'endroit, quelque chose d'indicible...
Quelques temps plus tard, lors d'une de ces soirées que l'on termine en regardant le DVD d'un film chéri, une émulsion empreinte, et que votre main tombe sur La cité de l'indicible peur de Jean-Pierre Mocky, le goût du carré de Salers rapplique au rythme des petits bonds de Bourvil qui y joue le rôle d'un drôle de flic comme on aimerait en rencontrer.  La cité de l'indicible peur, long métrage librement adapté d'un roman de Jean Ray et dialogué par Raymond Queneau, à l'harponnant casting (Francis Blanche, Jean Poiret, Véronique Nordey, Jean-Louis Barrault, Jacques Dufilho, Victor Francen, René Louis Laforgue, Raymond Rouleau, Marcel Perès, Roger Legris...) a en effet été tourné dans la ville de Tyssandier d'Escous en 1964. Bourvil était à Salers pour un de ces grands films "mine de rien".
 À la sortie du film, ce ne fût pas du gâteau pour le réalisateur, son métrage fut amputé et rebaptisé La grande frousse par les producteurs pris de trouille, ce qui ne l'empêchera pas d'être boudé par la critique et le public (comme dirait Shakespeare "C'est de ta peur que j'ai peur"). Il faudra attendre 1972 pour le revoir sous sa forme d'origine (titre et montage). Le retrouver aujourd'hui, avec son entraînante ritournelle de Gérad Calvi "Fatalitas", constitue une ronde de petits chocs, de subtilisantes danses, de motifs allusifs, de résonances ambivalentes, de poésie éprouvée. On ne saurait se passer de ce biscuit rieur, qui indique bien là, sans crier gare, comme d'autres fictions de Mocky, un trou de serrure où l'on aperçoit la sortie vers un mieux de liberté.

Photos : B. Zon (sauf extrait de La cité de l'indicible peur)

29.8.12

LA LIMONADE
D'ALEXANDRE MARIUS JACOB

La veille de se donner, comme il l'avait prévu, la mort le 28 août 1954, Alexandre Marius Jacob avait invité - il aimait à le faire - les enfants du village à jouer puis déjeuner. Ceux-ci étaient heureux comme tout car il y avait au menu, de la limonade.

21.8.12

DE LA TOUR D'AIGUES À TREIGNAC

Sur la route à toute vitesse quelque part entre Montélimar et Avignon, le fronton d'une grande bâtisse arbore en très grosses lettres : "Le Sang du peuple". Il semble s'agir d'un négociant en vin. L'image passe vite, impossible de voir le détail de la marque tant les quatre mots marquent l'esprit. Le sang du peuple n'a que faire des grands crus, il coule si souvent - jeudi 16 août à Marikana, 34 mineurs grévistes tués par la Police - il ne saurait couler en vain.

La musique elle ne devrait jamais être jouée vainement ; elle peut quand elle le veut incarner une chance immense de tant d'œillades sur le monde. Les festivals de musique sont légions et enfilent de plus en plus machinalement leurs dizaines sur le grand chapelet d'un gigantesque parc d'attractions culturelles. La lutte des classes y est souvent flagrante (cachets entre 100€ et + 100 000€) ce qui ne choque pas grand monde, pas même les commentateurs ou les agents de redistribution des deniers publics. Plus l'endroit est grand, plus les stars sont chères (les places aussi) et plus le contact avec l'artiste se voit relayé par des intermédiaires sélectionnant visuellement l'action musicale sur des écrans géants si fait qu'en direct il n'y a plus de direct. Rien de mieux que d'être à la télévision pour avoir l'impression de bien/rien voir. La fin du présent, le triomphe du lointain, de la figuration. 

Il existe heureusement des exceptions, des tas d'exceptions, des échappées au "format", des veilleurs qui distillent, des tireurs à l'arc soulevant des vagues, des pieds de nez aux semonces de l'élimination de la mémoire, des visages qui aiment, des inventeurs de compagnonnage, des préférences d'amitiés, des lutteurs hardis, des casseurs de cadres, des danseuses et danseurs lucides, des permanents du souffle et de l'amour.

Deux exemples flagrants : Jazz à la Tour (organisé par l'Ajmi) à la Tour d'Aigues (Lubéron) et Kind of Belou à Treignac (Corrèze).

À la Tour d'Aigues (le 14 août), les murs d'un château Renaissance vandalisé (puis restauré) servent d'enceinte. Les fenêtres évidées font parler les fantômes. On pense à ces photographies poignantes de l'Hôtel de Ville brûlé par les Communards. De l'obscurité sort la flamme. Le trio Journal Intime occupe tout l'espace, au sol et aux fenêtres,  éconduit le temps divisé, ravive les sources vivantes quelle que soit l'époque, brouille le conflit des significations, il éclate comme un beau soulèvement.  Le trio de Bruno Angelini (avec Sébastien Texier et Christophe Marguet) se livre avec humilité et conviction profonde. On y entend le désir d'une poésie qui doit sauver le monde, notre vie ne tient qu'à un fil. La très belle fin du set dit doucement que le feu couve toujours. Cette fin est un commencement et toute la réalité de ce qui a été joué précédemment. Et puis Kartet (Guillaume Orti, Benoît Delbecq, Hubert Dupont et Stéphane Galland), groupe à la polyphonie des sens, qui dit l'être vivant, rassure les oiseaux, célèbre toutes formes de retrouvailles au détour d'une image insolite, ouvre toutes les possibilités d'agir par une sorte d'évidence bourrée de mystère d'où émerge, en un tout, la danse.

Le programme de cette distinguée soirée à Jazz à la Tour ressemble à ceux et celles qui organisent ce festival. Ils nous offrent, l'après concert le confirme, tant de sourires et de pas légers, de liberté et d'inattendu faits de traces assez claires : le temps plein et le présent du dialogue.

Le festival Kind of Belou à Treignac (le 17 août - un spectateur fait remarquer que c'est la date anniversaire de la sortie du disque de Miles Davis Kind of Blue) a invité, Salle des fêtes, le Jef Lee Johnson Band (avec Yohannes Tona et Patrick Dorcéant). Le groupe prend tout son temps sur cette terre de résistance, évolue lentement vers une forme de redéfinition des corps déployés jusqu'au bouleversement de l'être, un foisonnement de feu serti par la douceur âpre du blues.

Là aussi le programme ressemble aux organisateurs, à leur impressionnante énergie, leur sens du partage. Cette phrase de René Char, résistant et poète, leur va si bien :

" Dans nos ténèbres, il n´y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté." 



Merci à Pierre, Jean-Paul, Anne-Marie, Bernard, Aurore, Magali, Jean-Luc, Florence, Benoît, Sophie, Thierry, Isabelle et toutes les équipes de Jazz à la Tour et Kind of Belou qui nous ont tant offert.  

Photos : Z. Ulma et B. Zon



17.8.12

PIERRE EST OURS


Les roches parlent et leurs dessins évoquent. Ainsi cette tête d'ours et l'occasion du souvenir d'une conversation avec Pierre Villeret lors du festival Jazz à la Tour d'Aigues.

Photo : B. Zon

11.8.12

EDWARD SHERIFF CURTIS AU BLACK DOG

Le Black Dog (St Paul Minnesota) présente une exposition de tirages du photographe Edward Sheriff Curtis (qui fut apprenti photographe à St Paul avant de se consacrer à son grand oeuvre sur les Indiens d'Amérique). Le lundi 20 août, il y aura une discussion sur ces fameuses photographies avec Christofer Cardozo en charge des tirages effectués selon le procédé d'époque.

Réaction à certains commentaires et articles postés sur le Face Book du Black Dog : http://www.facebook.com/blackdogcafe  :

Les 20 volumes de "The North American Indian" de Curtis sont une inestimable documentation. Le fait qu'il ait souhaité représenter les Indiens dans une certaine pureté à une période où ceux-ci était dévastés est bien sûr sujet à débat. Theodore Roosevelt voulait voir dans ces photographies un objet du passé, pensant que la disparition des Indiens était salutaire au développement de la civilisation là où Curtis voulait au contraire sauver quelque chose du grand désastre. Edward Sheriff Curtis a été peu publié à son époque et sujet à de nombreuses critiques ; préserver le passé était pour beaucoup une entrave à l'achèvement de la construction du Nouveau Monde. Aujourd'hui, l'aspect posé de ces photos évitant le tragique contexte de misère au tournant du siècle est contesté. Mais cette distorsion est sans commune mesure avec celle qui a prévalu de façon écrasante dans le cinéma américain par exemple et de bien des façons, ces photos ont permis, en un temps où l'expression et le témoignage des Indiens eux-mêmes était très rare, une possibilité de contrer l'inacceptable révision de l'histoire par la machine hollywoodienne. Souvenons-nous que nous sommes dans un contexte différent désormais et que ces images ont ouvert les yeux à de nombreuses personnes sur l'existence des indiens dans une période critique.

En les regardant avec attention, on voit qu'elles ne sont pas silencieuses, qu'elles crient pour quelque chose et ce "quelque chose" a désormais besoin de complément, d'autres vues, d'autres commentaires et tout ce qui est nécessaire à reconsidérer l'histoire et le présent pour leur réalité. Sans comprendre celle du colonialisme et sa violence extrême, bien peu pourra être accompli pour le souhait d'un monde meilleur.

Sans aucun doute Edward Sheriff Curtis est l'un des photographes essentiels de l'histoire. L'écrivain Kiowa Scott Momaday a dit " L'ensemble des travaux de Curtis représente un singulier achèvement. Jamais n'avions nous pu voir les Indiens d'Amérique du Nord si près des origines de leur humanité. Les photographies de Curtis comprennent les images indispensables de chaque humain se trouvant à chaque période à chaque endroit ".

2.8.12

LA RÉALITÉ ET SON BESOIN D'IMAGINATION


Si j'avais quatre dromadaires
de
Chris Marker
(1966)
Musique :
Barney Wilen,
Jean-François Jenny-Clark,
Jacques Thollot

29.7.12

LOL COXHILL À PROPOS DE SIDNEY BECHET (ET CHARLIE PARKER)
IN JAZZ ENSUITE 1984


Vol pour Sidney

par Lol Coxhill

Durant mes années scolaires, vers 13, 14 ans, un des profs jouait ce qu’il nommait « le choix des élèves » : 40 minutes chaque semaine de nos disques préférés. A cette époque-là, ma propre connaissance de la musique était assez limitée et je ne demandais qu’à entendre du Bing Crosby, Glenn Miller, The Andrew Sisters, The Ink Spots, The Mills Brothers et Hoagy Carmichael. Maintenant, j’ai assez peu d’intérêt pour ces premiers musiciens et chanteurs mais j’ai conservé une passion pour le chant, la technique et les compositions assez étonnantes de Carmichael.

J’avais entendu un enregistrement de Charlie Parker, Dizzy Gillespie et Sarah Vaughan de « Lover Man » que je trouvais étrangement fascinant. Mais ce n’est qu’à la fin de mes études secondaires que j’ai entendu (pour la première fois) le 45 tours original de Charlie Parker « Cool Blues » diffusé en Angleterre par le label Esquire (basé à Londres). Je me suis passionné pour cette musique peu familière à tel point que j’ai commencé immédiatement à chercher ces disques, y compris des importations par contrebande, des articles, des photographies, n’importe quoi sur Parker, Gillespie et leurs collègues.

Par la suite, j’ai commencé à me considérer très bien informé en ce qui concerne la musique et le style personnel de ces musiciens d’élites et je déclarais à mes amis non sans fierté que j’étais un « Bopper ». Pour être complètement dans le ton, j’ai changé ma façon de m’habiller afin d’imiter les costumes « American Drape » portés par mes nouveaux héros.

En assumant ce nouveau rôle, je traitais mes amis indifférents soit de « figues moisies » - un terme désobligeant pour les amateurs du New Orleans Jazz dans sa forme révisée et souvent plus fade - soit de « vieux jeu » (square) dans le cas de ceux qui n’exprimaient aucun intérêt ni pour la musique de Parker ni même pour les formes plus anciennes du jazz.

Heureusement, une des « figues moisies » qui comptait parmi mes amis m’a initié aux disques de Bechet. Malgré mon refus quasi-total et (je croyais !) obligatoire du jazz d’avant-guerre, j’ai été tout de suite attiré par son interprétation au saxophone. Actuellement, je trouve son jeu de clarinette également intéressant mais à cette époque je ne connaissais pas de musiciens contemporains qui avaient développé une identité à la clarinette comparable à celle de l’école du « Be-Bop ». Par conséquent, je considérais cet instrument indigne de moi.

Au début, je trouvais le vibrato très prononcé de Bechet trop extrême pour mon goût puisque et je préférais le son plus serré et le rythme moins marqué de Parker et ses associés. Cependant, Bechet a toujours affirmé cette façon de souffler dans le saxophone pour tous les disques qu’il a jamais enregistrés et c’est une des caractéristiques les plus aimées de sa musique. Rapidement, j’en suis venu à apprécier cet aspect de Bechet d’autant que j’admirais l’énorme puissance, la prestance et l’originalité de son œuvre. Malgré cela, j’ai acheté mon premier saxophone bon marché dans l’espoir de pouvoir finalement jouer comme Charlie Parker. Je n’avais aucune envie d’imiter Bechet. Mon ambition, jamais atteinte, quand j’étais dans la Royal Air Force, m’a amené à me disputer avec un des membres de l’orchestre de la RAF qui soutenait qu’il n’y avait qu’une seule vraie façon de jouer du saxophone. « Il faut imiter Bechet ». Je n’ai jamais pu le convaincre de  la contribution musicale capitale  de Parker et de son approche innovatrice. Quand je relis mon précédent article pour Jazz Ensuite « Le saxophone romantique », je me rends compte que je risque de décrire mes impressions sur Bechet de telle façon qu’on puisse croire qu’il fait partie de ces musiciens particuliers. Certes, la musique de Bechet contient un élément de romantisme et une grande passion, mais pour moi sa musique est plus aiguisée et exprime une telle urgence qu’on a toujours le sentiment, même avec ses disques les plus familiers, de l’écouter pour la première fois.

Je n’ai jamais rencontré un joueur de soprano qui n’ait pas été impressionné par la façon qu’avait Bechet d’aborder son instrument.

John Coltrane, Steve Lacy, Evan Parker et d’autres sopranos liés au jazz ont développé des identités complètement différentes de celle de Bechet et ces musiciens ont eu une telle influence que, depuis les années soixante, relativement peu de jeunes musiciens se tournent vers Bechet pour leur inspiration. Cela n’indique pas un manque d’appréciation de la part des innovateurs de soprano mentionnés dont certains, y compris Coltrane et Shepp, ont enregistré des compositions en hommage à celui qui fut le chef de file de cet instrument. Bechet a été considéré par Albert Ayler comme un des personnages dont la musique manifestait une grande force spirituelle et incarnait l’essence même du jazz.

Il y a beaucoup de très bons exemples de l’œuvre de Bechet sur disque. Les morceaux que je cite sont ceux que je connais depuis plusieurs années et je les apprécie en tant qu’amateur aussi bien qu’ « en tant que joueur de soprano».

« Blue in Third » par le Earl Hines Trio, Bechet à la clarinette avec Baby Dodds, enregistré en 1940, est un classique de jazz arrangé et improvisé pour petit orchestre. Au premier chorus, Bechet fait son entrée proche de la mélodie, puis il change de « sensation », de façon plus lente et plus soutenu pour les chorus suivants, ensuite le piano soutient la mélodie et Bechet improvise les dernières parties. Sur deux enregistrement de « Winin’ Boy » par Jelly Roll Morton et les New Orleans Jazzmen (1935), on est frappé par la très belle interprétation de Bechet. Les enregistrements faits par « The Red Onion Jazz Babies » en 1924 avec Louis Armstrong à la trompette et Bechet au soprano témoignent des débuts de son style fondamental. Bien que celui-ci continuera à se développer et à mûrir, il n’a radicalement pas changé tout au long de sa carrière. Même si j’aime ces morceaux, je préfère les enregistrements des années quarante où Bechet montre plus de capacités à élargir ses solos.

Dans une version de « Summertime » diffusée par la radio de New York en 1948 avec accompagnement de piano, basse et batterie, les variations de Bechet au saxophone sont ingénieuses et uniques, tout à fait différentes des autres versions que j’ai entendues de cette chanson. Malgré un manque personnel d’intérêt pour cette mélodie, j’aime beaucoup ce disque.

Les disques sortis sur le label « Vogue » en 1957 unissant Bechet avec le très « moderne» Martial Solal au piano (avec basse et batterie), démontrent la façon dont Bechet développait un solo, dans ce cas au soprano, tout en gardant un lien puissant avec chaque mélodie initiale. Pierre Michelot, Kenny Clarke, Al Levitt et Lloyd Thompson jouent plus ou moins à leurs manières habituelles, bien que les parties de basse et de batterie soient assez cantonnées pour ces morceaux. En dépit des différences entre le style de Solal et celui de Bechet, les rapports sont bons. La « section rythmique » soutient le reste si bien que Bechet, bien que jouant merveilleusement, aurait même pu jouer avec plus de liberté. J’aime tout particulièrement l’ouverture d’un des morceaux où les improvisations de la batterie et du saxophone suggèrent « I Can’t Give You Anything but Love » pour devenir  ensuite « Wrap your Troubles in Dreams ».

Charlie Parker, Kenny Dorham et de nombreux joueurs de be-bop ont fait un enregistrement à la Salle Pleyel en 1949 avec Bechet où il joue un puissant solo suivi d’un chorus dans lequel il soutient des notes aiguës au-dessus des riffs de l’ensemble avec une force et une précision instantanément reconnaissables.

Ces quelques exemples de l’œuvre de Bechet ne présentent pas un tableau complet de toute sa superbe musique. Il y en a beaucoup d’autres, aussi bien, sinon mieux. Un jour, j’espère tous les saisir !

Lol Coxhill
(Jazz Ensuite été 1984)

24.7.12

LOL COXHILL (IMPRESSIONS)

Lol was doing things that sometimes were happily seen as eccentric but in fact were a manifestation of an incredible courage, a deep way to increase the power of life, to indicate a possible and strong independence of the mind, never far from the one of the body – Lol was also a great dancer. Lol was one of those creative beings, one of those major musicians, improving humanity and relations, showing us always a real way not only for free music, but for freedom, generosity and autonomy.
Thank you !

Jean (July 23)

Dessin : Cattanéo (Journal des Allumés du Jazz n°28)