Gérard Terronès m'avait donné son contact une après-midi où je pensais à lui. J'ai appelé Sam Rivers de suite. Noël Akchoté, avec qui nous parlions beaucoup de tous ces fabricants-fondateurs de l'histoire de nos musiques, Tony Hymas, Paul Rogers et Jacques Thollot complétaient cette première Configuration quelques temps plus tard à La Buissonne près d'Avignon. Quintet, duo, trio et reprise de "Beatrice", standard inventé par Sam, cette fois en compagnie de Noël et Tony, pour sa compagne de toujours. Le présent se configurait aussi avec des souvenirs forts pêle-mêle : le passage éclair solo à Châteauvallon en 1976 (et quel éclair !), l'église des Blancs Manteaux avec Dave Holland et Barry Altschul, l'écoute à tue-tête de Streams (avec Cecil McBee et Norman Connors - Impulse) dans un club vidé de tous les poseurs à l'Alpe d'Huez en 1974, la rencontre avec Shepp dans les arènes de Nîmes en 1979, le passage surprise avec Dizzy Gillespie, les nouvelles des lofts colportées par Bernard Loupias et tout le grand œuvre de Gérard Terronès...
Sam Rivers naquit en 1923 Oklahoma, terre de déportation de noirs et d'indiens. En 1947 il vint à Boston au conservatoire. Très vite de belles rencontres, avec Quincy Jones, Billie Holliday et en 1959 se lia d'amitié avec un môme possédé des tambours, Tony Williams. Tous les deux participeront à l'aventure Blue Note. Alfred Lion, qui souhaitait alors que sa maison de disque soit synonyme de jeunesse raccourcit l'âge de Sam de plusieurs années, ce qui restera longtemps dans bien des dictionnaires. Sam jouera brièvement avec Miles Davis (à la demande de Tony Williams) avec Cecil Taylor... Il signera quelques marqueurs comme Fuschia Swing Song, des emplacements bien nommés sur la carte musicale tels Contours, Crystals, A New Conception avant de devenir, au Rivbea, le phare de toute une génération, celle des fameux lofts où la liberté avait retrouvé ses vertus libératrices.
Sam Rivers jouait avec un son sans pareil la musique de la vie humaine, une musique qui avait vu couler bien des rivières.
Après Configuration, ses improvisations d'un seul mot et quelques concerts avec cette formation (dont certains inoubliables le caveau des Trinitaires en deux soirs uniques), Tony Hymas écrivit la suite Eight Day Journal, objet de confluences, écrin de vents, de peaux et de cordes pour une semaine de huit jours avec Sam en soliste. Londres, Sons d'Hiver à Villejuif, Maubeuge... avec Sam et Tony, Carol Robinson, Sylvain Kassap, François Corneloup, Henry Lowther, Rita Manning, Sonia Slany, Philip Dukes, Sophie Harris, Noël Akchoté, Paul Clarvis et Chris Laurence ... la belle équipe... beaucoup de rires et au moment de se séparer les compliments chaleureux. "Beautiful playing Sam" lança Chris Laurence alors que Sam s'en allait. Sam se retourna d'un beau sourire. À Uzeste Sam et Tony jouèrent en duo. Le duo se perpétua à Orlando, sa ville et fit l'objet d'un film Quatre jours à Occoe de Pascale Ferran qui sut voir là encore un autre âge des possibles.
Chercheur rigoureux, visionnaire inspiré, homme d'action du jazz sensible à ce devenir secret projeté par chaque note, jamais en retard sur la vie, connaisseur sans pareil du chemin des sources qui chantait les lendemains de chaque instant, Sam Rivers, nous a quitté hier, lendemain de Noël. Il avait 88 ans.
Merci Sam
Jean
Biographie de Sam Rivers sur le site nato
Photo extraite du film de Pascale Ferran (Agat Films)
4 commentaires:
Oh non... Hey Sam ! repose en paix, grand homme, grand musicien ! BDelbecq
J'ai réécouté ce matin Eight day Journal.
C'est vraiment une réussite artistique. Cette longue oeuvre nous fait ressentir
et entrevoir les formes inconnues de la vie. Elle offre
la beauté comme une révélation sensible de mystères imperceptibles à la banalité
du quotidien. Sam Rivers est mort. La vie est éphémère
et pourtant la beauté de son jeu tendait vers l'éternel : une présence au temps
qui se voulait justement dépassement de la contingence de l'immédiat.
Pour lui, l'élégance était une urgence.
Je me souviens de "Conference of the birds"en 78 je crois. Ce disque fut une révolution pour moi.
J'ai souvent joué "Béatrice" dans ces années-là aussi.
Sam Rivers a été sous-estimé mais le mal est fait.
Je me souviens de Rivbea, aussi.
Bon...88 ans est un age décent pour passer à autre chose.
Son son, son phrasé font partie de notre mémoire.
Souvenir lointain en temps que cette belle rencontre Londonienne. Pourtant Si proche en intensité...
Souvenir à mon oreille de toute une longue vie de musique dans un son de ténor. Art brut et science de la création.
Musique vivante, toujours...
F.Corneloup
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