Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

9.6.14

THE SOUND OF MUSIC D'ALAN DOUGLAS

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En 2007, nous avions interviewé Alan Douglas à la requête du magazine Muziq. S'en était suivi un lot de conversations, d'échanges et d'esquisses suspendues. Il vient de nous quitter.

THE SOUND OF MUSIC

 

Interview d’ALAN DOUGLAS


Produire un chanteur français a-t-il jamais été un rêve pour vous ?
Un rêve ? Ha ! Ha ! Pas vraiment. Mais à mes débuts, c’est vrai que Nicole Barclay m’avait donné la possibilité de travailler avec Edith Piaf. Hélas, la chanteuse est morte juste après. Nicole m’avait invité à venir à Paris. Elle était ma muse. Elle m’a aidé. C’est elle qui m’a obtenu plus tard le deal à United Artists.

La chanson française est le thème de vos deux dernières productions. ?
Je suis un grand fan de Brel et Aznavour et j’avais depuis pas mal de temps cette idée de faire des versions instrumentales de leurs grandes chansons un peu avec cette manière américaine des song books comme pour Irving Berlin ou George Gershwin. Un jour, j’étais à Marseille à la Fnac, mon œil a été attiré par un disque qui était tombé par terre et qui s’intitulait « Jazz in Marseille ». Je l’ai pris et je me suis dit : « tiens, c’est peut-être intéressant ! ». J’aime toujours découvrir des gens nouveaux. Je l’ai tout de suite écouté et j’ai aimé François Cordas et Perrine Mansuy avec une musique expressive et minimale. L’idée du répertoire Brel-Aznavour m’est alors revenue à l’esprit. Leur manière pouvait parfaitement convenir à mon projet. Ce que je cherchais vraiment, c’était des gens qui puissent jouer les paroles plutôt qu’une simple adaptation instrumentale. Les paroles sont essentielles aux chansons. Je leur ai demandé s’ils sentaient les paroles. Ils m’ont dit « faisons un essai ». Ce n’était pas tout à fait ce que je souhaitais, mais la qualité était là. Puis, on a travaillé ensemble et c’était bien. On ne pense jamais assez aux mots des chansons sans lesquels elles ne peuvent exister.

Les mots ont justement une importance particulière dans votre production ?
Les années soixante ont été une période où les mots fusaient, une période d’activité intellectuelle intense avec des leaders ou poètes remarquables. Alors que j’avais pu gagner 25000 dollars, pour ma participation à une musique de film, j’ai créé Douglas records, ma propre compagnie. Un ami m’a présenté à la mère de Lenny Bruce qui m’a dit que Lenny avait accumulé des quantités de bandes avant de mourir. Je lui ai donné 5000 dollars et écouté, classé, organisé toutes ses archives pour les publier. J’ai aussi enregistré Malcolm X pour lequel j’avais beaucoup d’affection et bien sûr les Last Poets qui venaient directement du message de Malcolm. Le besoin d’expression était puissant et reflétait les bouleversements en cours. Allen Ginsberg ou Timothy Leary avaient aussi beaucoup à dire. À cette époque, nous étions naïfs, dans le disque de Timothy You Can Be Anyone This Time Around , il y avait des samples des Beatles et des Rolling Stones et d’autres groupes. À aucun moment lorsque j’assemblais la musique accompagnant les mots de Timothy, je ne m’imaginais que ce sampling qui ne se faisait guère à l’époque pourrait poser problème. Aujourd’hui on serait poursuivi pour ça. Le disque a été très populaire et les groupes à qui on avait emprunté de la musique n’y ont vu aucun inconvénient.

En parlant de recréation à partir d’éléments existants, ce que vous aviez fait avec les bandes d’Hendrix avait entraîné à la sortie de Crash Landing des réactions épidermiques.
Oui, mais ce qui comptait pour moi était de faire un bon disque. Ce qui a choqué alors est devenu monnaie courante de nos jours. Les puristes seraient sans doute choqués d’apprendre que dans quelques morceaux de l’Expérience, c’est Jimi qui joue la basse. Dans « Mannish Boy », Jimi avait fait 27 prises et n’arrivait pas à une prise satisfaisante. Il insistait car il aimait beaucoup Muddy Waters mais pour je ne sais quelle raison ne parvenait pas à en jouer une heureusement d’un trait. Alors, quand j’ai monté le morceau pour la sortie de Blues, j’ai fait un composite des différentes prises pour en recréer une bonne, ca a duré trois semaines, prendre un mot ici, un accord là. Les mêmes types qui m’ont critiqué pour Crash Landing étaient ravis par ce morceau parce qu’ils ne savaient pas. L’important c’est que ça marche n’est-ce pas ?

Hendrix cherchait-il des directions nouvelles et le fait que vous soyez un producteur de jazz ouvrait-il cette possibilité ?
Je ne crois pas, il n’était certainement pas un musicien de jazz. Il était très intuitif, mais je ne crois pas qu’il était dans une recherche précise. Jimi était très vite fatigué de ce qu’il faisait. Il écrivait des chansons tout le temps au dos d’une enveloppe sur une boîte d’allumettes et saisissait la moindre opportunité d’essayer des choses. Malheureusement, son management ne l’entendait pas ainsi. Je ne voulais pas interférer, mais nous avions quelques idées que nous avions essayées. Mais la confusion régnait avec son entourage qui le poussait à tourner sans cesse. Vous pensez sans doute à cette histoire du rendez-vous manqué de Miles Davis et Jimi que j’ai raconté mille fois. Nous étions simplement amis. Jimi achetait des vêtements dans la boutique de ma femme, mais c’est à Woodstock où j’avais une équipe qui filmait que je l’ai rencontré.

Qu’est-ce qui vous a attiré vers la production, étiez-vous musicien ?
Non pas vraiment, même si bien sûr, tout jeune, je jouais un peu avec mon oncle qui avait un petit orchestre. J’étais très attiré par la musique. Je pense que comme tous les producteurs qui ne sont pas musiciens, je suis avant tout un fan. Et si vous êtes un fan, vous voulez faire partie du truc, et comment en faire partie si vous n’êtes pas musicien ? En produisant ! J’ai grandi avec les types qui étaient à la Boston School of Music. Sam Rivers était très investi. J’ai tout d’abord été un fan de Rythm’n Blues puis de jazz.

C’était le temps de grands changements ?
C’était un peu avant. Enfin je ne sais pas, les choses allaient très vite, tout changeait tout le temps. Le jazz était alors une musique très populaire. J’ai commencé à être producteur maison pour United Artists en 1962. Il y avait toutes ces compagnies indépendantes, Blue Note, Prestige, qui ne pouvaient pas toujours payer correctement les artistes. Une maison comme United Artists avait des moyens, mais personne sous contrat. En fait, tout a commencé ici à Paris alors que Nicole (Barclay) m’avait demandé de donner un coup de main à une production avec Duke Ellington et Billy Strayhorn. De retour à New-York, Duke m’a appelé en me demandant si je ne voulais pas faire un disque avec lui. J’ai pensé à un disque de piano et ai suggéré Charles Mingus et Max Roach comme rythmique. Money Jungle est aujourd’hui réédité avec ce qu’ils appellent des « alternate takes », mais qui sont en fait des prises rejetées, aussi intéressantes soient-elles, et non des prises alternatives. On tend aujourd’hui à exhumer des choses, beaucoup trop, que l’on ne souhaitait pas sortir alors parce que jugées peu intéressantes.

C’est le lot des classiques ?
Oui, mais c’est aussi une façon de ne pas chercher aujourd’hui. Avant d’être un classique le disque de Duke avec Max et Mingus a d’abord été un disque qui a été bien reçu. La musique était belle même si les séances n’étaient pas faciles, Mingus était difficile. Ensuite, j’ai produit Undercurrent de Bill Evans et Jim Hall. J’aimais bien mettre en présence des gens qui n’avaient jamais joué ensemble. J’ai aussi travaillé avec Art Blakey. Une année avec beaucoup de succès et des choses douloureuses comme le Town Hall concert de Mingus.

Pourquoi avoir quitté United Artists ?
Je faisais quasiment un disque par semaine et ça devenait trop. Je ne ressentais plus le même plaisir qu’au début. Et puis il se passait d’autres choses dehors, qui me titillaient. L’explosion du folk ou le développement des radios FM. Nous avons ensuite monté notre propre maison où j’ai pu enregistrer deux disques avec Eric Dolphy dans la même semaine avec la crème des musiciens de New-York. Eric était aussi important que Coltrane. Il était un peu comme Hendrix. Ce sont parmi mes plus beaux souvenirs. Cass Elliott, future Mama des Mamas and Papas a aussi enregistré avec moi. Il y avait aussi un disque de Bill Cosby.

Qu’est-ce que vous pensez être la grande différence entre aujourd’hui et les années soixante ?
Je ne sais pas, mais l’acide avait certainement une influence majeure sur ce qui se faisait ces années-là. Le discours était révolutionnaire. Tout le monde était « parti » et puis quand le grand trip a été fini, tout le monde est retombé en retournant au travail ou à l’école.

Qu’est-ce qui vous donne l’impression d’avoir fait un bon disque ?
Je suppose de me sentir bien. Pour le reste, il s’agit d’une certaine manière de documenter l’époque où les époques que je traverse et de montrer la force de la musique. Mais quel que soit le travail ou la minutie que l’on accorde à un disque, ce qui compte c’est le matériau, les thèmes, les mélodies. Ce qui fait la réussite du disque de Pete La Roca Turkish wormen, at the bath par exemple, c’est la qualité des compositions, belles et simples.

Propos recueillis par JR le 20 mars 2007

Photographie Douglas avec Mingus - DR

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