Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

30.10.17

LES SPHÈRES DU BLACK DOG
SATURDAY NIGHT JAZZ


Samedi soir , 28 octobre, au Black Dog (St Paul Minnesota),181e concert des Saturday Night Jazz, le trompettiste Steve Kenny en est le programmateur, il s'y produit parfois, mais ce soir il a invité deux formations : le trio Nathan Hanson, Sylvain Kassap, Marc Anderson et le quartet Ellen Lease-Pat Moriarty avec Chris Bates et Davu Seru. L'ambiance est celle des beaux soirs, espace plein, battements d'ailes et conversations vibrantes. Doan Brian Roessler qui devait jouer avec le premier groupe est venu comme spectateur, un accident l'empêchant temporairement de prendre sa basse. Le clarinettiste Sylvain Kassap est en tournée avec The Bridge à partir du 30. Les ponts n'empêchent pas les passerelles : dès jeudi à son arrivée, il a joué à Khyber Pass - le restaurant afghan de St Paul que chaque amateur de musique se doit de connaître - avec le saxophoniste Nathan Hanson pour un duo porteur d'un sens que chacun aura eu à cœur de déplier à l'écoute de ces délicats forgerons d'un lieu d'essence, de motivations et de sentiments. 

Ce samedi, le duo devient trio avec le percussionniste Marc Anderson. De suite, mais très doucement, très humainement, se déploient en confiance l'importance des correspondances, des observations méticuleuses et d'une lucidité généreuse. Attentifs et vaillants ! L'espace devient vaste pour ces porte-parole d'un temps qui libère les entraves sans recours aux ornements prophylactiques d'usage, d'un temps de pertinence intime où l'on ne craint ni la danse,  ni les reliefs déchiquetés traversés en liberté. La salle est concentrée, elle se fait résolument complice et, dans le fond, Steve Kenny exulte en cris et bonds. 

Changement de plateau, Davu Seru installe sa batterie, Chris Bates sa contrebasse, on apporte le piano sur scène pour Ellen Lease et le saxophoniste alto Pat Moriarty organise ses partitions. La paire Ellen Lease-Pat Moriarty partage tout depuis 30 ans, dont une vision de l'histoire du jazz comme un recueil d'impressions. Pat Moriarty aime follement Steve Lacy, Jimmy Lyons, Ornette Coleman. Ellen Lease a fait sa route d'émois avec Chopin, Ravel, Basie, Mingus, Bill Evans, Gershwin. Elle est précise et libre, incroyablement libre. Pour tous deux, Monk est un oasis de ressources, "A Round with Sphere" composé par Ellen en est la preuve flagrante. Chris Bates et Davu Seru bouillonnent d'immédiate allégresse et la musique du quartet - comme toutes les musiques vivant de sens - prononce très vite la vie nouvelle. Ici le rapport à l'histoire n'a rien à faire des nostalgies déboussolées, il creuse sans pansement le sillon qui permet de faire trace ensemble. Il existe des façons non dogmatiques de ne pas s'embarrasser des dogmes. Les résonances croisées comme autant de facettes mises en relief dessinent précisément une singulière figure de la cohésion forte, très forte. La ferveur vit de joie, d'énergie et de vitalité, elle ne cherche pas les raccourcis. Ça passe dans la salle. Pour le dernier morceau, Pat Moriarty propose à Nathan Hanson et Sylvain Kassap de les rejoindre pour un titre dédié à Abdullah Ibrahim "le grand pianiste sud africain", les sourires se lisent partout, c'est quasi orgastique. 

Ce soir s'est jouée encore une si précieuse fois, cette qualité fondatrice du langage musical de dénicher plénitude, énigmes et possibles.

Photo : B. Zon

1 commentaire:

judithabitbol a dit…

Merci Jean

Je t'embrasse