C’était presque une habitude d’une époque où l’expression, le chahut, le mot complémentaire ou contradictoire et l’abolition de la séparation de la scène marquaient les accents vers le relief, fut-il outré. Et puis tout le monde est revenu dans son rôle assigné : concerts sous contrôle, musiciens sous contrôle, public sous contrôle - sous autocontrôle même. L’idée du rêve dans les nuits de l’amour et les jours fraternels s’était faite beaucoup plus discrète, démissionnaire peut-être. Ne jamais dire jamais!
Le 19 septembre 2021, à Trois Palis (Charente), à l’issue de trois journées d’un festival de village exactement organisé (le village est une forme) par le musicien Bruno Tocanne et ses camarades, une femme s’est levée pour dire le bien que lui faisait la musique, que nous faisait la musique, pour dire notre besoin d’ouverture au rêve, celui d’une autre vie que celle des figures imposées où le besoin matériel monnayé serait la seule règle. Cette femme, debout, s’adressant à ce qu’il est convenu d’appeler «public» parce que les statisticiens du goût l'ont catégorisé comme tel (en réalité un groupe de personnes librement assemblés par un désir voisin), déclara qu’elle n’avait pas l’habitude de parler en public, mais on sentit de suite comme elle était pressée par la beauté reçue et partagée pendant ces trois jours, comme elle souhaitait les vivre au-delà, comme elle souhaitait vivre.
Les trois jours de Trois-Palis furent d’une pénétrante lucidité, d’une beauté de lumière sèche traversée par l’ondée, lumière de vérité, clair obscur où se découvrent les visages intactes de leur humaine révolte. Solos diurnes de Robin Fincker, Vincent Courtois et nocturne de Denis Badault taquinant l’histoire du jazz en acrostiche, duo de Marc Ducret et Samuel Blaser à cheval sur l’horizon, trio de Robin Ficker, Bernard Santacruz et Samuel Silvant porteurs toniques d’une forme très au jazz [1] chantant si fort les capacités d’anticipation de son habitat fondamental, et quartet nommé à point Entre les terres avec François Corneloup, Jacky Molard, Catherine Delaunay et Vincent Courtois, s’adossant sur le panorama pour en livrer tous les secrets. Musiques de grandes énergies, d’étreintes douces, de villages assumés et de violences fraternelles. Musiques si belles qu’une femme s’est levée. Quelle belle nouvelle. Ne restons plus couchés !
Photo : Bernard Santacruz par B. Zon
[1] Depuis 1957, d’abord Sonny Rollins avec Ray Brown et Shelly Manne, Wilbur Ware et Elvin Jones, Henry Grimes et Specs Wright , Oscar Petitford et Max Roach, Henry Grimes et Kenny Clarke, Henry Grimes et Pete La Roca, Jymie Merritt et Max Roach,, Niels Henning Orsted Pedersen et Alan Dawson, Gilbert Rovère et Art Taylor, Jimmy Garrison et Elvin Jones... Puis parmi tant d’autres: • Albert Ayler - Gary Peacock - Sunny Murray • Ornette Coleman - David Izenson - Charles Moffett • Lee Konitz - Sonny Dallas - Elvin Jones • Sam Rivers - David Holland - Barry Altschul • John Surman - Barre Phillips - Stu Martin • Evan Parker - Barry Guy - Paul Lytton • François Jeanneau - Jean-François Jenny-Clark - Jacques Thollot • Paul Motian - Jean-François Jenny-Clark - Charles Brackeen • Marion Brown - Beb Guérin - Eddie Gaumont • Dewey Redman - Malachi Favors - Ed Blackwell • Steve Lacy - Jean-Jacques Avenel - John Betsch • Bernard Santacruz - Frank Lowe - Denis Charles • Daunik Lazro - Jean Bolcato - Christian Rollet • François Corneloup - Claude Tchamitchian - Eric Echampard • Fat Kid Wednesdays • Catherine Delaunay - Guillaume Séguron - Davu Seru …