Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

26.11.23

LE DÉTOUR DE GASTON

Ce n'est certainement pas la grande affaire des temps actuels et de leurs sinistres équipages, mais tout de même, on aurait un mal de mouette à ne pas en dire quelques mots. 

Le 6 avril 2022, la couverture du Journal de Spirou annonçait le retour de Gaston - héros (antihéros) de bande dessinée inventé en 1957 par André Franquin (avec les complicités d'Yvan Delporte et Jidéhem) -, en garantissant : "Une gaffe par semaine". Pschiiit ! Gaffe, forcing ou gafforcing des Éditions Dupuis ? La publication s'est arrêtée après la première planche dessinée par Delaf, créateur inspiré de la série Les Nombrils (scénarisée et - pour les premiers albums - coloriée par Maryse Dubuc) paraissant dans le même journal, pour des raisons qui ont été amplement décrites ailleurs. Et puis, avec l'aval de l'institution judiciaire (comme chacun sait, spécialiste de l'intime en matière de bande dessinée), la publication a repris le 23 août 2023 au rythme d'une planche par semaine. M'enfin, l'album Le retour de Lagaffe est sorti le 22 novembre à grand renfort de publicité et de polémiques (objectif 800 000 exemplaires, ça motive).

Ce serait mentir que de dire qu'on s'en fichait. La connaissance d'une reprise de Gaston - le plus proche, le plus copain, le plus libre de tous les héros de bd - par un autre était aussi insupportable que prestement attisée. Impossible de bouder. Alors rogntuduuu, on se jette sur la première planche. La bande dessinée actuelle est farcie de reprises : Astérix, Achille Talon, Lucky Luke, Blake et Mortimer, Ric Hochet, les Schtroumpfs, Tanguy et Laverdure, Buck Danny, Gai Luron, Benoit Brisefer, Corto Maltese, Boule et Bill, Blueberry, Jerry Spring, Tif et Tondu, Michel Vaillant, le Marsupilami, et bien sûr Spirou ultra décliné à toutes les encres (mais ça, c'est tout un chapitre). Ces reprises oscillent entre quelques coups de maître, pas mal d'inutiles platitudes (même avec des "repreneurs" de qualité) et beaucoup d'akouabon. Mais Gaston, c'est une autre affaire, une autre progression, une autre intimité, alors tout est à fleur d'appeau. Les premières planches de Delaf sont bluffantes. Sa documentation est parfaite, permettant une sorte d'imitation assez comparable au Blue du groupe Mostly Other People Do the Killing (imitation rigoureuse du Kind of Blue de Miles Davis). De ce point de vue, Le retour de Lagaffe serait une pièce d'art contemporain et l'on verrait Delaf comme une sorte de Roy Lichenstein en pacte de non agression. 

L'album se regarde avec intérêt - et ci et là quelques rires - mais, même si c'est sans déplaisir, on n'est pas dupe, on n'oublie pas, il y a des détails qui font que le double de ce théâtre se dénonce par moult petites touches. Et plus encore, cette étrange volonté de vouloir tout mettre dans un contexte historique dégarni de son épaisseur, faire figurer tous les objets (un désuet passage du Gaffophone), et la presque intégralité des personnages : Yves Lebrac, Léon Prunelle, Sonia (celle dont le dessin se rapproche le plus naturellement des Nombrils), Aimé De Mesmaeker, Jules de chez Smith en Face, le Père Gustave, Ducran Lapoigne, Joseph Longtarin, Yvonne, Joseph Boulier, le Chat, la Mouette, Mélanie Molaire, Freddy-les-doigts-de-fée, et bien sûr Mademoiselle Jeanne terriblement sous traitée et même mal traitée (chaque lectrice et lecteur attentifs à la progression de Gaston en 34 années savent l'évolution des sentiments respectifs de Gaston et de Jeanne ; à l'endroit de reprise, jamais Gaston n'aurait abandonné niaisement Jeanne en camping ou ne l'aurait blessée, même par mégarde). 

On y retrouve même Fantasio, Spirou, Spip et le Marsupilami. Franquin n'avait impliqué Gaston dans une aventure (déguisée en épisode de Spirou et Fantasio) en suite que dans l'exceptionnel, le splendidissime, Bravo les Brothers. C'est au retour de ces personnages (planches 27 et 33), abandonnés par Franquin bien longtemps avant d'arrêter Gaston, que l'édifice tenu par l'impressionnante et talentueuse force du crayon magnétique se détraque (Delaf a survolé toutes les possibilités de son appliquée documentation). Arrive une interprétation nouvelle avec la pathétique réinsertion du mystérieux dessinateur anonyme (soustraité par Franquin de son aveu même à Numa Sadoul*). Paradoxalement, quand Delaf prend ses libertés en hommage appuyé, quand survient sa création, sa désimitation, quand il aurait pu se mettre à parler, tout s'effondre. Cette liberté souhaitable entre dans une embarrassante et quelque peu bouffonne aventure en suite pour clore l'album, le clore sans rire. 

Planche 36, on écoute cet humble dialogue-aveu lorsqu'Yves Lebrac essaie de recopier une page de Franquin déglinguée par La Mouette : "Ouah c'est bluffant !! On dirait vraiment du Franquin !", "Au premier coup d'œil, oui, au second, bof...", "Comme quoi ça tient à peu de chose...", "Aaah, Franquin : souvent copié, jamais égalé !", "Vous avez raison, je ne lui arrive pas à la cheville !...". Le talentueux L'ingénieux dessinateur des Nombrils aime Franquin, c'est certain, c'est touchant, ça impressionne même, mais ce n'est pas une raison suffisante pour dompter l'impossible. La logique implique qu'il n'y aura pas de suite à ce Gaston de surface (mais 800 000 exemplaires ??? Gaston de grande surface).

Delaf a dessiné Le retour de Gaston sur une palette graphique, parce que c'est meilleur pour son dos et parce que ça lui a permis d'archiver extraordinairement tous les détails pour les redessiner ensuite. Tous les dessinateurs utilisent de la documentation (Hergé n'était pas allé en Chine pour Le Lotus Bleu) et on saluera son travail minutieux en la matière, à hauteur du défi proposé. Mais là où Franquin a su nous rencontrer, nous rencontrer profondément, se livrer en confidences jusqu'à l'accidentel merveilleux, c'est par son trait, son creuset de l'éclat, son sillon d'encre dans le papier à dessin et toutes ses aspérités, s'autorisant les violences du réel, sa liberté la plus folle, sa vie. Aucun dispositif ne peut incarner ça, le saisir au vol. En bande dessinée, le langage, ce n'est pas la représentation, mais le trait même. Depuis pas mal de temps et surtout depuis cette invention absurde du terme "Roman graphique" (comme si les écritures de Victor Hugo, Octave Mirbeau ou Simone de Beauvoir n'étaient pas déjà intensément graphiques, tout autant que leur traduction en volumes ou en livres de poche d'ailleurs) sensée désinfantiliser (traduire ouvrir le marché aux adultes en leur assurant toute respectabilité), le dessin est trop souvent devenu accompagnement et non essence.

 "Il ne faut pas imiter ce que l'on veut créer" entend-on dans Tips d'Étienne Brunet citant Steve Lacy (disques Saravah). Gaston Lagaffe a été un de nos moteurs (la destruction des parcmètres et toute la symbolique qui en découle, l'écologie, la désobéissance créative, le refus du travail, de l'autorité, la passion de la musique, une fantaisie débridée...) avec une libre grâce unique. Il reste quelques éléments, quelques substances, quelques créations indomesticables. Plutôt que de tenter, même et surtout en toute bonne volonté, de les mettre au pas, créons-en d'autres, pour demain.


 * Numa Sadoul : Et Franquin créa la gaffe (Glénat)


 Illustration : 4 couvertures par Delaf



18.11.23

ÉTRANGER DE KARINE PARROT

En temps de sinistre mise en forme de nouvelle "loi immigration" avec, en avant plan, de funestes calculs politiques piétinant les notions les plus élémentaires des échanges humains, il est urgemment sain de comprendre l'histoire de nos rapports - ou des rapports de cette récente invention de l'état-nation, avec ceux que l'on nomme "étrangers". Le livre de Karine Parrot sobrement intitulé Étranger - paru dans la collection Le mot est faible des éditions Anamosa - éclaire cette histoire en 112 pages de grande précision, tant juridique qu'humaine, en revenant sur les points essentiels, dont le moindre n'est pas le fait que "la nationalité française" est une création de la fin du XIXe siècle, avec les conséquences que l'on sait (se répartissant entre la bêtise crasse du rabâché lieu commun "On ne peut pas accueillir toute la misère du monde", les besoins de main d'œuvre à bas prix, et toutes les formes de racismes). 

 
• Karine Parrot, Étranger - Anamosa, 2023, 9€
 

10.11.23

SHEILA À L'HEURE DE SES SORTIES

 

Aujourd'hui 10 novembre, vers 13h30 à la radio nationale, la chanteuse Sheila (qui a également donné une interview au quotidien fondé par Jean-Paul Sartre en s'en trouvant fort heureuse "Aujourd'hui je vais faire partir de la gauche caviar ha ! ha !" - le r de partir est prononcé) a appelé, sur un ton aussi poignant que celui de ses grandes interprétations, à participer à une manifestation dimanche sans dire de quoi il retournait : "Pour cette manifestation de dimanche, tout le monde doit être là, y a pas de questions à se poser. On est chez nous, il faut qu'on soit tous regroupés (...) On a un beau pays et faut pas que ça change !"... hmm... Il parait que vont y défiler, entre autres, un lot de politiciens s'évertuant à faire passer de dures lois anti immigration, un ancien président de la République condamné par la justice et en son temps expert en discrimination contre les roms, un ministre obsédé par la répression, un parti politique dont les fondations reposent en partie sur la haine des juifs... Le berger des rois mages de Sheila a dû perdre le nord.

 

 

8.11.23

LA LÉGENDE DE L'OISEAU

 

"La légende de l'oiseau" du poète Samih al-Qâsim est chantée par Abed Azrié dans l'album Les voix d'Itxassou de Tony Coe :

"On dit qu'il viendra,
qu'il viendra avec le soleil,
Visage abîmé par les poussières de sillons.

On dit qu'il viendra,
Quand la sécheresse dans ma voix sera anéantie,
Lui qui possède
D'inépuisables merveilles,
Lui que les chants appellent
L'oiseau tonnerre.

Il viendra, c'est certain,
Car nous avons atteint les cimes
De la mort."

 

 

5.11.23

PIERRE CORNUEL, ROCHETTE,
TONY HYMAS, CATHERINE DELAUNAY & AUTRES ANIMAUX...

 

On dit visuel, on disait pochette... les images qui accompagnent, complètent, interrogent les albums discographiques sont rarement commentées, si ce n'est par quelques éminents spécialistes, voir l'excellent Comics Vinyls de Christian Marmonnier aux éditions Ereme, très justement sous-titré "50 ans de complicité entre la bande dessinée et la musique". La complicité peut recourir à une infinité d'angles et c'est le défi posé dans le choix des illustrations ou des images se liant à une musique pour toujours en dépassant, dans les imaginaires, l'intention première. 

Pour nos deux dernières parutions, nous avons eu recours à la pochette originale de Flying Fortress de Tony Hymas (remarquée par Francis Marmande dans son article paru dans le quotidien Le Monde du 22 octobre 2023) en demandant à Pierre Cornuel, illustrateur (historique comme on dit aujourd'hui) des couvertures nato des années 80 (à partir de Tournée du chat de Tony Coe) jusqu'au milieu des années 90, de créer deux autres images de suite, parallèles au travail de Tony Hymas pour Back on the Fortress. Une grande joie ! Pierre Cornuel a publié, par ailleurs et principalement, quelques 70 albums, dont une grande partie destinée à l'enfance (classique parmi les classiques : Les deux maisons de Désiré Raton - scénario Lydia Devos - ou Chu Ta et Ta'o le peintre et l'oiseau, scénarisé par Sohee Kim, à propos du peintre chinois Bada Shanren), ça tombe bien l'enfance nous préoccupe au plus haut point : regard sur le monde, envol. 

Quant à la couverture de No Borders de Tony Hymas et Catherine Delaunay, nous sommes tombés amoureux d'un loup de Rochette. Le loup ne connaît pas les frontières, ce qui lui a permis de revenir, par la montagne, dans des territoires d'où on l'avait chassé. De son trait minéral, Rochette sait croiser le destin animal et celui de l'aventure humaine, ses bonheurs, ses peines et ses cruautés. Il a publié une vingtaine de bandes dessinées. La plus récente, d'une liberté de cimes, La dernière reine, est une véritable clé d'appréciation de l'état du monde.
 
Les deux albums sont mis en pages par Marianne T. La maquette, la typographie, tout un chapitre aussi...
 
• Pierre Cornuel, Lydia Devos : Les deux maisons de Désiré Raton (Grasset - 1982)
• Pierre Cornuel, Sohee Kim: Chu Ta et Ta'o le peintre et l'oiseau (Grasset - 2010)
• Rochette : Le Loup (Casterman - 2019)
• Rochette : La dernière reine (Casterman - 2022)
• Tony Hymas : Flying Fortress - Back on the Fortress (nato - 2023)
• Tony Hymas - Catherine Delaunay : No Borders (nato - 2023)

1.11.23

REPRISE

Mais qui a eu cette curieuse idée de demander à Fabcaro de réaliser le scénario du nouvel album des Rolling Stones ?