Même si la fiche pour les présentateurs radio le définit comme "Orchestre expérimental multi-dimensionnel et multi-directionnel dirigé par Yoram Rosilio", on pourra considérer cet abrégé comme un fameux raccourci. Certes tout ceci est vrai. Vrai dans ce que cette ligne (et l'on sait que nous sommes dans une époque où ce sont ces lignes qui comptent) évoque d'ouverture autour d'un compositeur : le contrebassiste Yoram Rosilio. Il y avait donc un concert de l'Anti RuBber brAIN fActOrY - et il importe de prononcer correctement voyelles et consonnes - le 27 novembre à Anis Gras, très beau lieu. Anis Gras est une ancienne usine construite par la famille Raspail à la fin du XIXe siècle, produisant d'abord de la liqueur "hygiénique", puis à l'arrivée des frères Gras, en 1962, de l'anisette. Le 24 novembre est la date anniversaire de moments pénibles de l'histoire (comme l'arrivée peu futuriste au pouvoir de Benito Musssolini), mais aussi celle joyeuse de la naissance de l'inoubliable Scott Joplin (compositeur de "Maple Leaf Rag") ou de la merveilleuse Arundathi Roy (auteure de Le dieu des petits riens). Souvenirs multi-dimensionnels et multi-directionnels prédisposant bien, au fond, à l'écoute de cet orchestre et ses reliefs ressentis dès la lecture de son nom au graphisme orthographique difficile à mémoriser, mais diablement juste.
Le disque le plus récent de l'Anti RuBber brAIN fActOrY s'intitule Musiques de rêves et de démence. On pourrait dire que ce titre est aussi une piste avant écoute (et c'en est une), mais ça ne sera pas suffisant non plus. Fichtres amateurs de réductions à bon compte qui ne s'en tiendraient qu'aux titres ou aux intitulés classés X (moins de 150 signes). Cet album est, en profondeur, un de ces petits prodiges qui font que le jazz a encore une histoire. Une histoire que le rêve ne dément pas.
Ce soir, la fOrMaTiOn de l'Anti RuBber brAIN fActOrY se compose de Yoram Rosilio (contrebasse, compositions), Fanny Menegoz (flûtes), Jean-Michel Couchet (saxophones alto & soprano), Jessica Simon (trombone), Daniel Beaussier (clarinette basse, cor anglais et hautbois), Florent Dupuit (saxophone ténor et flûtes), Rafael Koerner (batterie).
Un bien beau solo de clarinette basse de Daniel Beaussier lance le paysage, on pourrait dire l'état de passage, la relation, car de suite on est captivé par une sorte d'idée d'un bien commun défendu haut et fort. Ça saute aux oreilles frémissantes. Le paysage est compris dans une sorte de triangle : Terre Mingussienne (département d'Ellingtonie), Afrique du Nord et Vienne (pas la ville de festival de jazz pour touristes, mais celle d'Autriche, vous savez, Mozart, Schubert, Schönberg, Berg, Klimt, Schiele, Hermann Stellmacher, Anton Kammerern, Freud, Josef Gerl, Johan Strauss, Romy Schneider...). En une bouffée de bon vent vivant, on se prend à penser, par esprit plus que par forme, à "Half-Mast Inhibition" de Charles Mingus avec Gunter Schuller. Par désinhibition donc ! Tiens, d'une brève pensée mingusienne à l'autre : "Percussion Discussion" du duo Mingus - Max Roach. Le penseur de l'Anti RuBber brAIN fActOrY, Yoram Rosilio, est contrebassiste et la paire rythmique qu'il forme avec l'ardent batteur Rafael Koerner est palpitante. On la sent battre de cœur pour ouvrir les vents favorables, et les fièvres que l'on aurait cru inaccessibles. Comme une piste ouverte où les soufflants nous délivrent de la nostalgie des départs par des ReLiEFs heureusement tumultueux.
Après Daniel Beaussier avec qui elle échange, la tromboniste Jessica Simon fait résonner le poudroiement jusqu'à le rassembler dans sa lumière ; la fidélité des saxophonistes Jean-Michel Couchet et Florent Dupuit est très préhensible, musiciens capables d'inscrire le souvenir fécond dans le choc d'une générosité effervescente ; et la flûtiste Fanny Menegoz brille en étoile qui ne file pas, mais offre lucidement le sésame de ce petit monde d'amour et de fraternité où l'on est invité à habiter pour en partager les communs. La nuit a bonne figure.
L'Anti RuBber brAIN fActOrY devrait jouer partout, c'est une éViDenCe.
1 commentaire:
Ravi que tu penses à Romy Schneider !
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