Salut les ours !
Salut les chats !
Salut les bisons !
Salut les oiseaux !
Salut les tortues !
Salut les baleines !
Salut les pingouins !
Doucement les castors !
Enfants d'Espagne
26.10.10
"LE COEUR EN FÊTE" PAR CATTANEO
URSUS MINOR,
BOOTS RILEY, DESDAMONA
À RENNES
21 OCTOBRE
Comme un symbole fort, le dernier concert de la tournée accompagnant la sortie d'I will not take "but" for an answer eut lieu à l'Ubu de Rennes, lieu électrique s'il en est, bourré d'histoire et de mémoire active. Nous y retrouvions Jean-Louis Brossard, avec qui le premier contact eut lieu en 1982 lorsqu'il invitait Lol Coxhill pour une non moins mémorable édition des Trans Musicales de Rennes dont il est le fondateur. Bertrand Dupont, très présent dans notre histoire récente était déjà là. Ce jeudi 21 octobre, il avait fait le voyage de Langonnet pour danser avec les ours et saluer l'équipe d'Ursus Minor avant le départ ; acte généreux et fraternel car Bertrand fut le déclencheur de cette tournée d'octobre 2010. Autres retrouvailles chaleureuses ce soir-là avec notre ami le dessinateur Cattaneo qui nous livre ici ses impressions.
LE COEUR EN FÊTE
par Stéphane Cattaneo
photographies : Z. Ulma
Le jeudi 21 octobre, Ursus Minor donnait à l’Ubu de Rennes le dernier concert de sa tournée française qui, outre Paris, a vu l’essentiel de ses dates programmées dans l’ouest, et particulièrement en Bretagne, ce dont nous ne pouvons qu’être heureux, voire nous montrer fiers si tant est que ce ne soit pas là un sentiment trop déplacé.
La vie étant question de priorités, j’avais positionné cet évènement auquel j’avais été convié par mon vieux camarade Jean Rochard tout en haut de la liste des plus vitales d’entre elles, moyennant quoi j’avais dû économiser patiemment, c’est-à-dire goutte après goutte, ce précieux gazole dont les deux stations-services de La Roche-Bernard sont encore dépourvues à l’heure où j’écris, afin d’être assuré de pouvoir parcourir les presque quatre-vingt-dix kilomètres qui séparent ma campagne profonde et enchanteresse de la grande ville où le raout devait avoir lieu, quitte à ne pas pouvoir en revenir d’ailleurs, mais honnêtement cela me semblait accessoire.
Plusieurs signes m’apparurent comme d’excellents présages : il y eut tout d’abord ce magnifique coucher de soleil sur la route, dont je laissais les éclats sanglants illuminer le ciel dans mon dos, puis mon arrivée à Rennes où, tout de suite après avoir trouvé une place miraculeuse près du Théâtre National de Bretagne au flanc duquel est accolé la salle de concerts, j’assistai à un magnifique vol d’étourneaux, constitué par trois groupes de plusieurs centaines d’individu s’adonnant avec la passion mystérieuse qui les caractérise au croisement incessant et acrobatique de leurs trajectoires respectives. De plus, je m’aperçus que la lune était pleine, ce qui me sembla de bon augure. Enfin, après avoir traîné à la recherche d’un troquet sympa et échoué finalement au Royal Kebab de l’avenue Jean Janvier, je découvris un arbre magnifique planté sur le boulevard de la Liberté qui, seul parmi tous les autres qui bordent cette grande rue accueillait en sa ramure l’essentiel de la troupe des oiseaux susnommés, ce qui, tandis que je mangeais mes frites arrosées de sauce blanche et que les canaillous faisaient entendre leur pétulant ramage, me sembla poétique comme tout.
Puis, impatient et tendu comme si c’était moi qui m’apprêtais à jouer, j’entrai bien en avance dans la salle de spectacles qui, se présentant un peu sous la forme d’un club à l’anglaise, accueillera prochainement Susheela Raman, Kélé ou encore le claviériste Brian Auger, et où, parvenu au long bar en S rouge, je passai un moment à écluser des Bonnets Rouges en me livrant à une observation sociologique du public qui commençait à s’y masser, plutôt jeune. Au bout d’une petite éternité le concert commença. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la musique d’Ursus Minor déménage. Le groupe n’est pas là pour plaisanter : il attaque son set à fond, augmente l’intensité à mi-parcours et termine en donnant le maximum, suscitant l’émoi du public qui s’anime, trépigne, applaudit, s’égosille à l’unisson.
La répartition des rôles au sein du groupe m’apparut légèrement différente par rapport à celle du disque, dans le sens où je perçus plus nettement le rôle prédominant du fantastique batteur Stokley Williams autour duquel tout se détermine, celui-ci distribuant avantageusement les rythmes et les syncopes propres à libérer l’expressivité de ses petits camarades ; les petits saligauds ne s’en privent d’ailleurs pas, et c’est tout bénèf’ pour les spectateurs. Par exemple, ce fut un bonheur d’assister aux interventions de François Corneloup, qui prend autant de plaisir qu’il en donne à faire vibrer son baryton : que ce soit dans l’accompagnement de la rythmique ou les solos dans lesquels il se lance, son éructante virtuosité fait chavirer les plus indécis des chichiteux présents dans la salle, et il ne se gêne pas pour aller chercher par moment dans les aigus le supplément d’âme d’une musique qui n’en manque pourtant pas, mais il est comme ça : trop, pour lui ce n’est encore pas assez. Et au cours des deux heures que durèrent le set, je fus heureux de profiter de la polyvalence de ses interventions, tantôt derrière tantôt devant, au polissage et à la finition, à l’accompagnement ou en plein devant…
Et s’il a un gros son, sa tâche n’est pas aisée pour autant, car un camarade qui touche sa bille, a des choses à dire, et, partant, se taille une part de lion, c’est Mike Scott à la guitare. Il paraît que le jeu de Mike dégage un truc «sexuel » (ce sont certains de ses compagnons de scène qui me l’ont affirmé après le concert), mais moi j’étais mal placé alors je ne peux pas en juger ; par contre, ce que je peux dire sans contestation possible c’est qu’il a un jeu pertinent, incisif et tranchant, et qu’à un moment, sur un blues, il nous a sorti (excusez-moi l’expression) un putain de solo de guitare électrique à ce point hallucinant, dévastateur et inspiré que j’ai cru que 1°) j’allais pleurer de bonheur ; 2°) le bâtiment allait s’effondrer. Le public a littéralement rugi de plaisir, et ce fut un des grands moments de la soirée. Un autre fut celui qui vit arriver Boots Riley sur scène.
Evidemment, j’aime beaucoup Desdamona, et trouve qu’il n’y a rien à redire à sa prestation ; elle a une façon de raper, avec sa douceur et sa féminité, qui me touchent, en sus d’une forme d’intériorité plutôt rare dans le milieu.
Et quand Boots la rejoint sur scène, il y a le feu. Ce type, en sus d’un look afro old style super cool, dégage une énergie volcanique ainsi qu’une sensualité exquise, et sa façon de bouger, danser et s’adresser dans les yeux à certaines personnes du public desquelles il se rapproche en se courbant tout au bord de la scène fait mouche, parmi les filles bien sûr, mais pas seulement. Virevoltant, scandant des textes politiques, revenant entre deux morceaux sur les grèves du moment, il rapproche le mouvement social actuel et les affrontements directs contre l’autorité policière qui en découlent avec ses préoccupations intimes, ce qu’il écrit et pense de toute éternité, et l’on sent qu’il est avec nous ; quand il rape de nouveau après un court laïus, il est secoué d’une transe épileptique qui me galvanise. Si d’aventure nous devions nous trouver du même côté d’une barricade (et si barricade il y avait, nous serions indubitablement du même côté), je sais que Boots chantant nous gagnerions quoi qu’il arrive.
Et je peux vous dire que je m’en fous bien si ce que j’exprime, dans ma naïveté crasse en fait sourire certains ; je m’efforce seulement d’être aussi sincère et direct que le message qu’il délivre, d’être à la hauteur de ses espérances quant à notre capacité à changer le monde en faisant l’amour et la révolution.
Je suis sûr que ce n’est pas Tony Hymas qui m’en ferait le reproche, Tony qui avec ses faux airs de renard dépressif tient toujours la baraque et s’occupait ce soir-là de la basse via un clavier relié à un ordinateur portable lui permettant de changer de sons à loisir. Je trouve qu’il y a un mystère Tony Hymas, je n’arrive pas à m’expliquer comment un type de son allure parvient à s’embarquer dans des projets aussi ébouriffants que celui-là tout en gardant une apparence si flegmatique. Surtout que sans en avoir l’air, il est très impliqué et s’active aussi bien pour assurer la cohésion de l’ensemble que pour faire jaillir des solos aux sonorités bizarrement électroniques, dans une tradition anglo-saxonne qui a fait ses preuves sur les scènes du monde entier. Pour tout dire, je me sens très proche de lui, et je regrette de ne pas m’exprimer plus correctement en anglais pour mieux échanger avec lui, comme j’ai eu l’occasion de le faire après ce concert explosif, en rejoignant les musiciens dans leur loge.
Car j’ai été invité par eux à franchir ce Rubicon qui sépare les artistes du commun des mortels, et je me suis senti comme au bon vieux temps honoré d’être convié à partager leur intimité. Ainsi, cela faisait des années que je n’avais pas vu Tony, François et même Jean, et les retrouvailles furent émouvantes, de mon point de vue.
Et oserais-je le dire ? Je fus littéralement enchanté de ma rencontre avec Christelle Raffaëlli qui est, il faut le dire très, très charmante, et je suis poli. Christelle, dont les yeux sont comme deux lacs sombres dans lesquels on a envie de se noyer, s’occupe de tout un tas de choses chez nato, du genre contrats, coups de téléphone, billets d’avions, etc.
Et c’est le plus naturellement du monde que, une fois les portes refermées, nous gardant à l’intérieur de ce qui ressemblait à un cocon, nous passâmes tous deux notre temps à discuter de choses qui ne vous intéresseraient pas forcément, en riant de temps en temps de nos conneries (j’avoue qu’il m’arrive parfois d’en raconter), tandis que de son côté, Boots Riley qui avait essayé sans succès de dévergonder quelques jeunes filles avenantes (mais ce n’est pas racontable ici) se consolait en buvant de ce champagne si généreusement offert par Jean-Louis Brossard, notre hôte de la soirée. Et là, je voudrais signaler un fait qui me semble important, malgré le fait que mon point de vue légèrement extérieur à l’affaire : l’accueil de Jean-Louis fut exemplaire de générosité et d’implication personnelle et son enthousiasme à accueillir le groupe réel et spectaculaire. Ainsi, loin de l’image d’un type blasé revenu de tout que ce fondateur des Transmusicales pourrait afficher, je l’ai vu fendre la foule en plein milieu du concert, pour aller danser et recevoir son quota de good vibrations au cœur du chaudron qu’il avait contribué à créer ; mieux, au cours des rappels dont nous ont gratifiés les musiciens, il se faufila avec Jean de manière à pouvoir danser spontanément au fond de la scène. Moi, je dis chapeau.
Las ! Nous ne sommes pas toujours maîtres de notre destinée, et vers les deux heures du matin il fallut nous rendre à l’évidence : ça fermait pour de bon et nous devions nous séparer.
Sur un morceau de trottoir rennais, nous nous serrâmes longuement la main avec Boots, en nous regardant yeux dans les yeux, et bien malin qui saurait dire ce qui nous passa par la tête à ce moment.
Je saluai Jean et embrassai François et Tony.
Puis nous nous fîmes la bise avec Christelle, avant que je m’enfuie vers mon automobile, au volant de laquelle je passai presque une heure et demie à tenter de me convaincre que c’était mieux que rien.
En guise de consolation, le voyant lumineux de la réserve de carburant s’alluma seulement trois kilomètres avant d’arriver chez moi.
De ce point de vue-là au moins, j’étais sauf.
Stéphane Cattaneo
Remerciements à Jean-Louis Brossard, Etienne Jacquet, Annoussay Phommaline, Yannick Bringuet, Rémi Bonneau, Farid Baba, Christian Becker, Victor Becel, Séverine, Xavier Carjuzââ, Béatrice Macé et toute l'équipe de l'Ubu.
Ursus Minor : I will not take "but" for an answer
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