Mazel pensait que Morris
« était un narrateur exceptionnel, dans sa simplicité, dans son efficacité ».* Lucky Luke et plus généralement le journal de
Spirou, faisaient partie des fanaux de Luc Maezelle (devenu Mazel) comme l'avaient été les lectures familiales de Jules Verne et Alexandre Dumas. Il rêvait de dessin, mais devint architecte. Comédien de théâtre amateur, grâce à un croquis sur un programme, il rencontre à Bruxelles la nièce de Sirius (auteur de
Timour et futur participant du
Trombone Illustré de Delporte) qui le présente à son oncle, lequel l'incite de suite à faire de la bande dessinée. Il dessine un
Oncle Paul évidemment scénarisé par Octave Joly (
Un exploit surhumain) qui n'a pas l'heur de plaire à Yvan Delporte. Le rêve d'être dans
Spirou, où ses héros sont plutôt ceux qui dessinent, reste rêve. Il lui faudra attendre pour rejoindre cette bande de cols belges et patienter chez le moins déluré journal de
Tintin. Là, il publie dès 1960 (
Hippolyte homme des cavernes, Cromagnon et le stentor Kalasse,
Ivan le petit Moujik... ) et invente les aventures cocasses de deux clochards Riesling et Bôjolet
. Y fleurent bon toutes sortes de références passagères (Vittorio de Sica ou Alfred Hicthcock, par exemple). Puis vient
Fleurdelys (scénario Vicq), où ressurgit sa passion enfantine de Dumas et ses Mousquetaires.
Pilote l'accueille pour quelques séries : une parodie de James Bond
O.K. 27-43 (scénario Duchâteau) ou le très prophétique
Téléphonophage. Mazel fait aussi à cette époque partie de l'équipe du studio d'animation Belvision.
Enfin en 1969, année cinétique, il rejoint de justesse le journal de Spirou quand Charles Dupuis, après le départ de Delporte, cherche quelqu'un pour une série de cape et d'épée. Alors, avec le scénariste Raoul Cauvin, Mazel poursuit à haute énergie ce qu'il avait commencé avec Fleurdelys en inventant la série Câline et Calebasse qui deviendra plus tard Les Mousquetaires. Franquin dessine pour l'occasion Spirou s'agitant joyeusement avec un fleuret et disant : « Mazel ? Un pinceau vif comme une épée ! » Et c'est bien cette vivacité qui frappe, cette façon de rendre irrésistiblement vivant ses personnages à l'instar d'autres magiciens de la BD. Le minutieux soin documentaire des décors et des situations aussi impressionne comme l'articulation de la mise en scène/mise en page. Le dessin déborde le scénario, il va plus profondément. Le trait est magnifiquement souple. Et puis la véritable héroïne de la série est, plus encore que le gascon Calebasse ne payant pas heureusement de mine, la jument de trait Câline. Malheur à ceux qui se moquent stupidement de sa corpulence qu'elle écrase de son hennissement content « Hirâhirâhirâhirâ ». Câline est de toute beauté, de toute liberté ; elle piétine les codes imbéciles. Mazel dessinera encore d'autres séries Boulouloum et Guiliguili (Les jungles perdues) ou, en finale, Jessie Jane avec le scénariste (et cinéaste) Gérald Frydman. Mazel s'oriente alors vers la peinture. Vingt ans après... ce triste 20 juin 2024.
Calîne et Calebasse ont ajouté de l'imagination à l'imaginaire cape et d'épée au même titre qu'André Hunebelle ou Richard Lester, et c'est à ce titre autant que par ce trait vif décrit par Franquin (qui s'y connaissait en trait vif) qu'il serait parfaitement indélicat d'oublier Mazel. « Hirâhirâhirâhirâ ».
* Cité par Patrick Gaumer in Spirou n°4504