Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

12.3.09

MOTS CROISÉS


Le peintre Willem de Kooning est cité dans le saisissant film de Terence Davies Of the time and the City : “Le problème d'être pauvre, c'est que ça vous prend tout votre temps". Et le cinéaste complète : "Le problème d'être riche est que ça prend le temps des autres".

On ne s'improvise pas pauvre, on le devient ! Et le temps se confisque à mesure qu'on résiste et chaque mouvement pour ne pas sombrer est payé très cher. Car ce qu'on ne dit jamais assez, c'est que ça coûte très cher de devenir pauvre ou d'essayer de ne pas le devenir, si cher que c'est ruineux. À l'endroit où nous sommes collectivement rendus, il serait intéressant d'évaluer les dommages causés par la cohorte des descendants de Flaubert qui se plaisent à taquiner le bourgeois dans des soirées mondaines pour mieux se réfugier dans ses caleçons lorsqu'arrive le danger. L'auteur de Madame Bovary, ignoble trouillard, urgeait la bourgeoisie d'étouffer la Commune de Paris. L'attitude demeure. Le débat porte plus sur comment mettre de l'ordre que sur l'organisation nouvelle de la société (quand bien même éphémère ... nous voulons les moindres secondes de différence). Napoléon IV a été élu par tous ceux qui ont mis un bulletin dans l'urne, quel qu'il soit... Le jeu est atroce. Il faudra bien en finir avec les faux semblants, les mises en scènes de salons stériles. La bourgeoisie qui croit penser se targue volontiers des mots "rebelles" ou "révolte" ; ces mots coûtent si cher à ceux qui les vivent sans avoir besoin de les employer à tous bouts de champs donneurs. La révolution n'est pas un produit pour vitrine du Noël que les amateurs de gadgets peuvent fêter 365 jours par an. C'est le risque absolu pour vivre totalement, la nécessité la plus intime qui ne tolère pas l'imposture. Ca se lit sur les visages des gens de Barcelone pendant les journées de 36, sur les regards des condamnés à mort de la révolution mexicaine, dans les sourires des compagnons de Nestor Makhno et tant d'anonymes qui aujourd'hui portent quelque chose en eux, quelque chose qui attend la relation. Car nous avons besoin de voir nos enfants sans détourner les regards.



Quelque chose s'est passé en Guadeloupe ... Quelque chose d'important, la révélation absolue du mépris de la haute bourgeoisie et la classe dirigeante pour ceux qu'elles n'hésitent pas à sacrifier sur l'autel du réajustement du capitalisme (seul système envisageable, pour les esprits rétrécis de gauche comme de droite, sur une terre qui a quatre directions fondamentales et des montagnes qui font plus de 8000 mètres, on reste épaté de l'étroitesse de ce schéma directionnel) bien sûr, le surgissement d'un cri anticolonial tellement longtemps étouffé qui veut se faire entendre fort, bien sûr aussi, la confrontation archi-nécessaire, évidemment... mais plus encore, soudain au pays des luttes ramollies, les belles voix antillaises nous ont chanté que l'on pouvait appréhender la vie autrement que comme abîme mortel, que la réserve d'inconnu restait plus grande que celle de tous les champs pétroliers du monde, que l'on se devait d'approfondir le temps. Le 21 février à Paris, lors de la manifestation de soutien aux peuples de France outre mer, il faisait bon se sentir débutant au milieu de cette levée d'une vérité stupéfiante. Dans les rues de Paris, ce jour là, beaucoup d'enfants...


























La présence d'une délégation du syndicat allemand FAU à l'invitation de la CNT française n'était pas le moins bouleversant des moments consacrés à la mémoire des résistants anarchistes et antifascistes espagnols pendant la seconde guerre mondiale, ce samedi 7 février au cimetière du Père Lachaise. Elle arriva avec une banderole portant les mots de Durruti "Nous portons un monde nouveau dans nos coeur", mots qui ouvrent notre disque saluant Durruti, alors heureusement dits par Elsa Birgé, enfant, qui les chantait presque (elle est d'ailleurs devenue une excellente chanteuse) après avoir prononcé l'autre partie de la phrase de l'anarchiste Espagnol, tué pendant le siège de Madrid : "Nous n'avons pas peur des ruines". Lorsqu'il allait prendre la parole, Ramiro Santisteban, ancien de la CNT espagnole, dernier survivant des 7000 espagnols détenus au camp de Mathausen, ne put prononcer un seul mot, envahi par les larmes. Les nôtres n'étaient pas loin. On parle rarement de l'importance des combattants espagnols dans la lutte contre les Nazis, elle a finalement été reconnue "officiellement" il y a quatre ans, mais reste prononcée du bout des lèvres (il y a depuis longtemps une place minuscule à la porte d'Italie). La France avait "accueilli" à la baïonnette les combattants antifascistes exilés dans les camps honteux (qualifiés par les instances gouvernementales elles-mêmes de camps de concentration) dans le sud de la France. Pourtant la haine du fascisme fut plus forte pour ces prisonniers que celle que les autorités françaises (d'où qu'elles soient) avaient de leur anarcho-syndicalisme. Un officier français disait "un espagnol avec nous équivalait à avoir un char supplémentaire". Les espagnols composaient plus de la moitié de la deuxième DB du général Leclerc. Ils comptaient sur la suppression des trois dictateurs, le leur est resté en place par les petits arrangements sinistres des "alliés" (De Gaulle avait promis de chasser Franco). Pour l'homme de pouvoir, la trahison est le moindre des encombrements. Avouer que Paris avait été libéré en 44 en partie par des anciens de la colonne Durruti (entre autres) est un étouffe politicien de première classe.

Le 7 Février au Père Lachaise, il y avait aussi des ouvriers immigrés, des ouvriers du bâtiment. À Mathausen, les déportés portaient des pierres... Après plusieurs témoignages, non loin du mur des fédérés, Ramiro Santisteban put, plus tard, prononcer quelques mots et puis regarda longuement avec une éloquente tendresse un petit enfant dans les bras de sa mère ; peut-être le moment le plus signifiant d'une journée qui ne manquait pas de sens multiples. La mémoire et la vie. "Nous portons un monde nouveau dans nos coeurs."


L'adaptation cinématographique du roman de l'irlandais John Boyne Le garçon au pyjama rayé n'est peut-être pas un grand film comme me le disait avec force un haut connaisseur cinéphilique (mise en scène trop scolaire, présentation schématique, manque de contexte historique, musique inutile etc. tout cela est vrai !), mais il est inoubliable car il a su capter deux visions d'enfants perdus dans l'incompréhension causée par le goût vorace des hommes adultes pour l'horreur rentable. Quelque chose de ce film moyen dont une qualité est sa hauteur - celle de l'enfance, celle des regards de ce petit garçon juif et de ce fils d'officier nazi - ne nous quitte plus. Comment en arrive-t-on à cette inhumanité totale et pourquoi ? Le 8 mai 1945, c'est enfin la capitulation de l'Allemagne Nazie qui met fin à 12 années d'épouvante. Le 8 mai 1945 c'est aussi le massacre de la population de Setif par les colons Français et le commencement d'une autre sale histoire. On aurait dû apprendre ! Impossible, ça ne s'arrête jamais. Puisqu'il est impossible de voir à notre hauteur, mettons nous à hauteur d'enfant, c'est urgent. Ne peut-on pas vivre pour ce que nous sommes, en réalité de nous-mêmes, avec ce que nous portons, dans nos coeurs !

En fin du film de Terence Davies, il est aussi dit : "Les enfants sont la terre, mais la terre est brève".

Photos B. Zon sauf banderole FAU, et images des films L'enfant au pyjama rayé et Of time and the city (Photo : Bernard V Fallon) - Images animés : Z. Ulma

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ce qui pose réellement la question de la capacité de l'art et sa limitation.