Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

24.12.15

LES CINQ DERNIÈRES MINUTES
(UN CONTE DE NOËL)

Bon sang de bonsoir, que faire pour un cadeau digne alors que les boutiques vont fermer dans une poignée de minutes (cinq pour être précis) ? Mais oui :
 

EN ÉCOUTE



Un disque qu’il fasse 17, 25, 33 ou  de façon plus compact 12cm est un cercle qui, comme le cercle chromatique, assure une disposition des couleurs pour améliorer la compréhension de leurs rapports. Le cercle ou disque (objet à lancer) est donc une chose parfaitement adaptée aux desseins de la musique.  

Photo : B. Zon

21.12.15

JOHN TRUDELL ET ETIENNE BULTINGAIRE


John Trudell et Etienne Bultingaire ne se connaissaient pas. L'un était poète-activiste, l'autre ingénieur du son-musicien. Tous les deux ont été emportés par la maladie infernale, à quelques heures d'intervalle, les 7 et 8 décembre derniers.

C'est pour l'enregistrement, en février 1990, de la suite de Tony Hymas Oyaté (dédiée à 12 chefs indiens d'Amérique du Nord de la seconde partie du XIXe siècle) à Albuquerque (Nouveau-Mexique) que la rencontre avec John Trudell a lieu. Dès que nous nous sommes entretenus avec Hanay Geiogamah, conseil sur le projet, le premier nom évoqué fut le sien et l'écoute des cassettes que John Trudell avait réalisées avec Jesse Ed Davis et Quiltman devint confirmation évidente. Ses mots dans Tribal voices saisirent : "Rappelle-toi, toi l'impatient, rappelle-toi et vis sans avoir peur de la vérité".

Né en 1946, John Trudell grandit dans la réserve Santee Sioux dans le Nebraska. En quittant l'armée pendant les premières années de la guerre du Vietnam, il devient un des membres actifs de la cause indienne lors de l'occupation d'Alcatraz par les United Indians of All Tribes en 1969. Il est porte-parole du mouvement et crée le programme Radio Free Alcatraz diffusé la nuit depuis Bekeley. Il rejoint ensuite l'American Indian Movement (créé à Minneapolis en 1968 pour défendre les Indiens du harcèlement policier puis tous les droits indiens dans les réserves et les centres urbains) dont il est le président de 1973 à 1979. 1973 est l'année de l'occupation de Wounded Knee par l'AIM et 300 habitants de la réserve de Pine Ridge à l'endroit même où, en 1890, le 7e de cavalerie avait massacré la tribu du chef Big Foot en recherche de refuge. En 1979 lors d'une manifestation à Washington, John Trudell brûle le drapeau américain après un discours devant les bureaux du FBI. 12 heures plus tard, dans la réserve Shoshone Paiute of the Duck Valley, un incendie ravage sa maison où vit sa femme Tina Manning, activiste pour les questions relatives à l'eau, leurs trois enfants et ses beaux-parents. Tous périssent sauf le père de Tina, sévèrement brûlé. Trudell accuse le FBI. L'enquête conclut à un accident. Il quitte l'AIM pour une sorte d'errance. Doucement, le mot se forge comme nouvelle arme. Devant la foudroyante réalité, l'avenir a encore un cœur. "Rappelle-toi et vis". Il publie un recueil de poésies Living in Reality. Jackson Browne l'encourage à se diriger vers la musique. C'est ce qu'il fait grâce au guitariste kiowa Jesse Ed Davis (entendu avec Taj Mahal, Bob Dylan, George Harrison, John Lennon). Davis meurt, à 43 ans, en 1988 d'une overdose. À cette époque, John Trudell apparaît dans le film de Jonathan Wacks Pow Wow Highway (produit par George Harrison). On le revoit au cinéma en 1992 pour le rôle de Jimmy Looks Twice dans Thunderheart de Michael Apted (1992). Heather Rae lui consacrera un documentaire en 2005 : Trudell.

En 1989, nous prenons contact avec lui pour le projet d'enregistrement de "Crazy Horse" qui ouvre ce qui deviendra Oyaté. La même année, il rencontre Tony Hymas en tournée avec Jeff Beck à l'issue d'un concert à Los Angeles. Février 1990, dans une ancienne opera house transformée en studio dans le village de Cerillos dans les montagnes du Nouveau-Mexique, se retrouvent Hymas et plusieurs musiciens et chanteurs indiens (Paul Ortega, Carlos Nakai, Floyd Westerman, Jim Pepper, Tom Bee, Hanay Geiogamah, Joe Bellanger, DJ Nez, Bonnie Jo Hunt et John Trudell). Trudell enregistre "Crazy Horse" (Jeff Beck y ajoutera sa guitare, ce qui le ravira). l interprète également le "Captain Jack" de Barney Bush, empêché au dernier moment à cause d'un décès familial. C'est lui qui suggérera le titre Oyaté (mot signifiant "le peuple" en lakota). Ensuite c'est la première venue à Paris pour Oyaté au festival Banlieues Bleues à la Maison de la Culture de Bobigny. À un journaliste un peu trop enjoué qui veut lui servir un verre de vin en insistant car "En France, on dit que c'est le sang de la terre", il réplique "Moi, j'appelle ça le soporifique de l'oppresseur". En 1992, pour Ryko, il publie l'album A.K.A. Graffiti Man, premier d'une longue suite de disques et de concerts où sa vision première de la force des mots, capable d'engendrer de profondes métamorphoses sans le moindre reniement, ne cédera jamais. En l'an 2000 au festival Sons d'Hiver, nous nous retrouvons avec John Trudell, Barney Bush et Tony Hymas pour de mémorables moments. John et Barney, deux voix qui se muent, dans la multiplicité, en suite pour la vie. Une plume fut offerte que Trudell viendrait rechercher un jour. Elle est toujours là.

C'est grâce à Didier Petit que la rencontre avec Etienne Bultingaire eut lieu, non dans les montagnes du Nouveau-Mexique, mais près des Pyrénées, à Tarbes en septembre 1997 pour les enregistrements de Fluide de Denis Colin et de NOHC, ensemble de Didier Petit. Immédiatement avec Étienne, l'aventure enregistrée prend un autre tour, celui d'une capacité à saisir le temps au moment où la vie s'exprime, de rendre compte de la totalité des brisures hors normes. Son parcours n'est pas celui d'une carrière, mais d'une recherche. Une recherche de contrastes et d'harmonies des esprits, en partie commencée au théâtre de Amandiers des années plus tôt lors de ses  rencontres avec Eric Rohmer, Pierre Stein et Daniel Mesguich. En 1982, il rejoint l'Ircam comme assistant son et travaille avec Pierre Boulez ainsi qu'avec Marc Antoine Dalbavie, Philippe Manoury, Tristan Murail, Harrison Birtswisle, Luciano Berio et Karlheinz Stockhausen. Mais sa curiosité dépasse les bornes des normes. Le son s'acquiert comme idéal, comme vision. L'exploration du son touche à l'insaisissable où l'ailleurs porte autant de signes d'ouverture : le son suscite la matière. Pierre Henry trouve en lui un partenaire précieux pour plus de 20 ans de collaboration. 

Avec Didier Petit se noue rapidement une indéfectible entente. Le violoncelliste et producteur raconte : "Notre première rencontre s'est faite au Dunois. Et oui !!! Mais pas l'ancien, le nouveau... Il y avait eu des soirées de rencontres improvisées en avril 1991 avec le gratin des improvisateurs. Je désirais les enregistrer et Xavier Bordelais (avec qui j'avais enregistré deux disques), n'étant pas disponible, m'a parlé d'Étienne qu'il connaissait de l'IRCAM. Là a débuté une longue amitié durant laquelle notre échange sera passé d'un état de complicité sur des enregistrements de la collection in situ (duo Zingaro-Pifarély, Guillaume Orti, Hélène Breschand, Système Friche, Denis Colin trio Fluide, NOHC, François Tusques Le jardin des délices, Frédéric Firmin, Olivier Benoît-Sophie Agnel)... vers son entrée dans le monde de la maniputation sonore avec le groupe Wormholes. Outre l'enregistrement du disque, Étienne faisait aussi du traitement sonore durant les concerts. Puis, nous avons collaboré artistiquement durant 4 ans au Festival des Wormholes au théâtre de l'Echangeur à Bagnolet. Nos deux dernières représentations ont eu lieu en duo au Festival Why Note à Dijon et à La Lutherie Urbaine." Étienne enregistre et sonorise Claude Barthélémy, Thierry Lancino - Tamas Ungvary, Luc Ferrari, Camel Zekri, Jean-Rémi Guedon, Fred Frith, Steve Coleman, Nelson Verras, John Hebert, Tom Johnson, Dominique Pifarély. Désireux de raconter par la matière sonore, il chérit particulièrement le partage de la scène favorable à cet envol intérieur, avec Didier Petit donc, mais aussi Jean-Pierre Drouet, Louis Sclavis, Carol Robinson, Serge Teyssot-Gay et bien sûr avec son camarade Thierry Balasse.

En janvier 1999, à Sons d'Hiver Étienne Bultingaire est de notre aventure Los Incontrolados (projet infini), où se forgent de nouvelles complicités. Ce gourmand de calissons devient le preneur de son (comme on dirait un transmetteur d'étoiles) le plus intime de Benoît Delbecq (7 albums enregistrés ensemble). Il est des voyages suivants de Los Incontrolados, au Maroc, à l'invitation de Xavier Matthyssens (1999) puis en 2000 à Luz-Saint-Sauveur. En 2000 aussi, il sera également à Rabat pour une une soirée remuante, inoubliable les cols blancs, inoubliable, lors d'une rencontre du groupe de Tony Hymas avec Mike Cooper, Henry Lowther, François Corneloup, Hélène Labarrière, Mark Sanders et Mahmoud Ghania et ses Gnawas. Autres moments de partage avec Wormholes de Didier Petit ou Denis Colin et son Subject to Change et plus récemment avec Joëlle Léandre, Benoît Delbecq et Carnage The Executioner pour Tout va monter. Y figure un morceau spontanément intitulé "Bonjour Étienne", simple dédicace affective désormais un bonjour pour toujours.

Étienne est parti le 7 décembre donc, et John le jour suivant. Tous les deux étaient dans la recherche acharnée du moment initiateur vif et concret, tous les deux étaient présence dans le temps présent, tous les deux n'ont eu de cesse d'évoluer vers un exigeant précipité d'avenir, tous les deux cultivaient les dimensions inattendues pour un peu plus de beauté, état de rêve dans le fleuve du temps.

Photos de John Trudell, seul et avec Tony Hymas, prises à Albuquerque par Guy Le Querrec (Magnum) lors de l'enregistrement d'Oyaté 
Photos d'Etienne Bultingaire : extrait d'une vidéo avec Carol Robinson et Serge Tessot-Gay, Etienne et Didier Petit lors de leur rencontre (collection Didier Petit)


16.12.15

ETOILE DE MER


Nous allons vous recommander quelque chose qui n'a aucunement besoin de publicité. Mais non, bande de saturniens des Alpes, pas La guerre des étoiles (on s'en bat le coquillard de La guerre des étoiles), mais l'édition de The complete Concert by the sea d'Eroll Garner. La plupart du temps, les rallonges en bonus live ou studio, alternate takes, faux départ, démos etc. etc. ne servent pas à grand chose, voire dénaturent de jolies œuvres (type Kind of Blue avec sa dispensable deuxième prise de "Flamenco Sketch"), mais dans ce cas, il faut bien dire que la publication de l'intégrale de ce fameux concert du 19 septembre 1955 (dont avait été tiré le célèbrissime The concert by the sea) en un triple CD (un CD par set + un troisième pour le disque original) chouettement réalisé (Geri Allen figure parmi les producteurs de cette édition) est une merveille.

Bonus qui ne figure que dans l'édition de ce texte du Glob (et non dans celle de Face Book) : Comme l'a dit la disquaire qui l'a proposé avec bonheur "En plus il y a "Caravan !" Une sacrée version en vérité !

14.12.15

L'ANNÉE DU PHOQUE



Bonne année à toutes et tous !

Et oui aujourd'hui débute l'année du phoque qui s'achèvera le 7 mai 2017 ! Une tradition relativement récente fixe le jour de l'an du phoque le lendemain de la fin du jeu électoral (aussi appelé "Référendum pour ou contre le FN" anciennement connu sous le titre de "Élections régionales"). Après cette période ludique, la vie va donc reprendre son cours normal avec son chômage grandissant, sa pauvreté montante, son exclusion, ses lois Macrons (et autres ramassis antisociaux de l'ère sarkozyste que seule la gauche a le secret de faire passer sans heurts), ses appels d'offres du fascisme religieux, ses boucs émissaires immigrés, sa chasse aux Roms, ses jeunes à la dérive, ses banlieues abandonnées, ses coupes budgétaires pour la santé ou la culture, ses ventes d'armes juteuses aux gouvernements d'états qui oppriment, torturent et tuent, ses alliances et mésalliances selon le vent, ses multinationales sans obligations, ses courbettes, son écologie simulée, son état d'urgence, ses interdictions de manifester, sa loi sur le renseignement, son vide (avec tissu d'aménagement), sa purée médiatique, ses clins d'œils aux idées fascistes, ses valses sans temps, ses menaces de guerre civiles, ses larmes de crocodiles, son racisme ordinaire, ses drapeaux, ses drapés, ses dérapages (contrôlés), ses estrosimes, ses petits chantages, son cynisme, ses jingles, ses stars qui prennent toute la place, ses forces de sécurité qui prennent toute la place, son éducation qui en prend de moins en moins, ses guerres (sauf contre la pauvreté), ses grands travaux inutiles, ses facteurs de pollution et d'injustice sociale, ses dérèglements climatiques, ses PPP, ses confiscations de la pensée, ses anaphores, ses refus de comprendre, ses simplifications de l'histoire, ses bavures, ses "on a évité le pire !", sa surdité, son mépris, ses injustices, ses jeux du cirque...

Et puis le 23 avril 2017 un nouveau jeu, un même enjeu... 

PS (toujours en bas de page) : le FN a perdu, mais il part avec un lot de consolation, l'assurance que ses avilissantes idées infusent encore et encore, lui garantissant une pôle position dès le 23 avril 2017 pour une nouvelle partie qui aura lieu jusqu'au 7 mai. À moins d'un Autrement réveil nous sortant d'un sommeil usé par les règles d'un jeu au sens perdu. On peut (activement) rêver !



Photo : Andreas Trepte

6.12.15

"LES CINQ NOMS DE RÉSISTANCE DE GEORGES GUINGOUIN"
d'ARMAND GATTI
par TONY HYMAS, FRÉDÉRIC PIERROT et VIOLAINE SCHWARTZ

« La géographie n’est autre chose que l’histoire dans l’espace, et l’histoire la géographie dans le temps. »
Elisée Reclus (1)  

Aux discours invalides, nous préférons les poèmes valides. "Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin" (2) d'Armand Gatti par exemple.

"Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin", poème épique écrit en 2005 suite à la disparition du premier maquisard de France, fut l'une des motivations, une des stimulations du projet de Tony Hymas Chroniques de résistance (3). Une version en court métrage figure donc dans l'album du même nom enregistré à Treignac en 2013 et paru en 2014. L'attrait puissant de ce texte pour son intégralité se faisait toutefois irrésistible. Exigeant texte qui, à partir de l'évocation du parcours éclatant d'un homme, déborde sur plus d'un siècle de toutes les résurgences ébouriffantes, de tous les angles de l'histoire, des ombres d'un monde tour à tour fertiles et déliées, impulsives et cruelles, foisonnement des cohérences et des significations superposées. On ne pouvait en rester là.

Les 27 et 28 novembre, Tony Hymas, Frédéric Pierrot et Violaine Schwartz étaient à Limoges pour une interprétation du poème d'Armand Gatti. C'est à l'écoute des Chroniques de résistance de Tony Hymas avec Frédéric Pierrot, Nathalie Richard, Desdamona, Elsa Birgé, Journal Intime, François Corneloup, Pete Hennig, un an auparavant au Centre Jean Gagnant de Limoges, le 7 novembre 2014, que l'association Refuge des résistances Armand Gatti eut le souhait de faire figurer une lecture intégrale avec musique pour sa journée du 28 novembre 2015 intitulée "Résister disent-ils !".

Pauline Tanon, co-auteur avec Jean-Jacques Hocquard de Armand Gatti dans le maquis des mots (4) et Yann Fastier, dessinateur, avec la présentation des planches de son livre Georges Guingouin, un chef de maquis (5) participaient également à cette rencontre consacrée à l'expérience d'Armand Gatti, écrivain-résistant. Un film provenant d'archives de la cinémathèque du Limousin présenté à l'issue de la rencontre publique avec Gatti ainsi qu'une exposition de photographies de résistants d'Izis (le "colporteur d'images" comme le dénommait son ami Jacques Prévert, torturé par les nazis, libéré par le maquis et photographe de premier plan de ses camarades dont Georges Guingouin) liaient l'ensemble de cette journée passée au Théâtre de l'Union (6) (lieu plein d'Histoire qui vaut le détour).

Si "Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin" est selon l'avertissement du poète un "Poème rendu impossible par les mots du langage politique qui le hantent mais dont les arbres de la forêt de la Berbeyrolle maintiennent le combat", c'est aussi une rhapsodie, un ensemble de rumeurs, de clameurs et de rythmes où les mots s'orchestrent en équilibre jusqu'à toucher une vérité. Celle des paradigmes de l'expression offre ses blessures, ses heurts de l'histoire et ses reliefs jusqu'au chant profond de nuances symphoniques illimitées.

Le 28 novembre, donc, Tony Hymas, Frédéric Pierrot et Violaine Schwartz se retrouvent sur la scène du Théâtre de l'Union. Violaine Schwartz, ayant récemment rejoint l'aventure, apporte la trame précise de la découverte, son imminence naturelle, apte à dire les plantes et les mots comme autant de désirs, autant de consciences, d'explorations de vie à hauteur d'arbres. Là est la sève. Frédéric Pierrot incarne la célébration d'un réel multiple jusqu'à l'évidence, l'articulation du réveil et de l'éveil. Il sait que lorsque l'effervescence percute, le regard du poète est rendu possible. Là est le mouvement. Tony Hymas complète ou bien ouvre le champ large de toutes les épreuves, là où le paysage devient l'action livrée à notre soif lorsque pointe le jour, la verdure de nos engagements, de nos apprentissages aussi. Là est le secret des sources. Une heure et vingt minutes plus tard, Armand Gatti rejoint le trio sur scène, il semble heureux. La musique s'est à nouveau invitée sur une branche de sa poésie. Une poésie de résistance même qui indique le parcours que nous avons à faire ensuite, ce qui nous reste à écrire de tous nos êtres, pour être, bien sûr.


(1) Épigraphe de L’Homme et la Terre Elisée Reclus 1885
(2) Co-édition Le cercle Gramsci Limoges - Le bruit des autres - Couverture Paul Rebeyrolle : Le Cyclope, hommage à Georges Guingouin - Préface de Francis Juchereau, 2006
(3) Chroniques de résistance sur le site nato 
(4) Acte Sud, 2014
(5) Atelier du Poisson soluble, 2015 
(6) D'abord salle des fêtes d'une coopérative ouvrière en 1910, le bâtiment fermé en 1971 a été racheté par la mairie en 1986 et converti en théâtre

Remerciements chaleureux à Francis Juchereau, Richard Madjarev, Christophe Soulié, Anne Millen, Guy Pedotti et tous les membres de l'association Refuge des résistances Armand Gatti, à Jean Lambert-Wild et toute l'équipe du Théâtre de l'Union ainsi qu'à Catherine Meyraud pour l'organisation du concert
Chroniques de résistance à Limoges un an plus tôt le 7 novembre 2014, à Thierry Mazaud, Isabelle Vedrenne, Anna Mazaud, leurs amis de Kind of Belou et Jean-Pierre Brandy sans qui le Limousin ne serait jamais entré en si belle lumière dans nos cœurs.

Photographies par B. Zon : Tony Hymas, Frédéric Pierrot et Violaine Schwartz en répétition le 27 novembre - Armand Gatti avec Francis Juchereau le 28 novembre

14.11.15

PIERRE OUIN



On a connu Pierre Ouin, dessinateur de BD par Métal Hurlant et Psikopat . Son coup de crayon punk a traversé tout l'underground de papier. C'est sa participation au livre "Tous coupables" qui nous a conduit à l'inviter à rejoindre le journal Les Allumés du Jazz avec la chouette équipe de dessinateurs qui improvisent merveilleusement au delà du regard convenu sur le Jazz . Travailler avec lui était toujours plaisant avec des échanges nourris de ses commentaires doucement tranchants sur les articles qu'on lui adressait. Ses dessins faisaient beaucoup rire Valérie Crinière. Il nous a quitté le 10 novembre . Nous ne l'oublierons pas.

Illustration de Pierre Ouin pour le n°30 du Journal des Allumés du Jazz

31.10.15

ANTHONY BRAXTON - DEREK BAILEY
FIRST DUO CONCERT



Pour nombre d'entre nous (qui sont-ils ? qui sommes-nous ?), la sortie de l'album "First Duo Concert" d'Anthony Braxton et Derek Bailey avait constitué un choc aussi fort que Miles Davis at Fillmore par exemple. Nous étions en présence de deux façons, deux savoirs, deux discours, deux traditions, deux évidences, deux sources de secrets, deux tactiques même, bien différents, qui là vivaient ensemble en créant l'espéré inespéré. Une époque où Anthony Braxton pouvait faire la couverture des magazine spécialisés en Jazz... Emanem est toujours là et en propose une belle réédition de ces plages de référence en disque compact.

25.10.15

FREEDOM

On n'en finit pas de se dire (et ce depuis le début des années 70) que tout ce recyclage posthume (qui nous a d'abord ravis - Rainbow Bridge, Cry of Love) dépasse les bornes jusqu'à l'étrange indiscrétion rapace, au léger malaise. Mais force est de reconnaître que l'attirance provoquée par ces drôles de galettes va le plus souvent contre notre volonté sainement rationnelle. Alors, la petite honte du hors-jeu-hors-temps momentanément remisée, l'émerveillement éclate une fois encore comme dans ce Freedom - Atlanta Pop Festival qui vient d'être publié, trace d'une urgence difficilement concevable, de l'éclat de la nécessaire incertitude poétique, d'une liberté prise par le temps, d'une preuve infaillible du jaillissement de la vie courte, d'un incendie définissant l'existence, du temps brutalement rétréci. Et le fait de savoir tout ça par cœur n'y change rien.

Jimi Hendrix : Freedom: Atlanta Pop Festival (Double album - Experience Hendrix distribution Sony)

18.10.15

HISTOIRE DE CHEMISES, VERSION MARX

Dans le film Cocoanuts (1929), lors d’une petite confusion physique propre au monde des Marx, Harpo pique la chemise d’un certain Hennessy  (qui se présente comme un défenseur de l’ordre). Lequel s'offusque : « Qui a pris ma chemise ? Où est passée ma chemise ? Je veux ma chemise ! »
Groucho : « Hé, vous avez perdu votre chemise ? »
Hennessy : « Oui. »
Groucho : « Pouvez-vous la décrire ? »
Hennessy : « Comment ça ? »
Groucho et Chico dessinent sur le maillot de corps un jeu du morpion : « Regardez. Cette croix montre l’endroit où votre chemise a été vue en dernier. »
Hennessy : « Arrêtez ! »
Groucho : « Voulez-vous bien rester tranquille ? »
Groucho et Chico dessinent des ronds et des croix sur le maillot de Hennessy qui se débat.
Hennessy : « C’est bien ce que je pensais. Vous vous êtes donné le mot et vous m’empêchez tous de retrouver la chemise. »
Groucho : « C’est faux, espèce de morveux. Morveux ! Morveux ! »
Hennessy (offusqué): « Je veux ma chemise ! »
Groucho : « Il veut sa chemise. »
Harpo rapplique et l’assistance de reprendre sur l’air de Carmen : « Il veut sa chemise. »
Hennessy chante : « Je veux ma chemise. Je ne suis pas heureux sans ma chemise. »
et l’assistance enchaîne, toujours sur l’air de la "Habanera" de Bizet : « Il veut sa chemise, il n’est pas heureux sans sa chemise. »

On a beaucoup entendu parler de chemises récemment et sans doute pas assez chanté Carmen. Une indication ? Dans Prénom Carmen (1983) justement, Oncle Jeannot - lointain cousin des Marx - joué par Jean-Luc Godard dit : « Van Gogh a cherché un peu de jaune quand le soleil a disparu… faut chercher mon vieux, faut chercher ! ». Qui cherche ? Certainement pas l’actuel président de France, son chef du gouvernement et leur chef de la sûreté, mais pas davantage la cohorte de bien pensants sensibles au sort des gueux dans le lointain des chambres confortables. Eux, comme Flaubert au temps de la Commune (le talent en moins) préfèrent qualifier les arracheurs de chemises qui ont, comme des millions d’autres, déjà perdu la leur, de « voyous » et de montrer le bâton et la case prison comme outils de dissuasion à la colère sociale. « Voyous ? » vraiment ! Un terme qui semble aussi en phase que le « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ! » de la reine Marie-Antoinette un jour de révolution. La nouvelle Vals n’est plus viennoise mais elle se propose toujours de faire danser des parachutes de chemises aux cols blancs pour ralentir sa descente au lieu d’y voir le blanc de l’espace de projection des tourments endurés.

Le 12 octobre, le chef du gouvernement (ex chef de la sûreté), à cheval sur sa chemise immaculée, était à Ryad pour vendre du matériel d’armement et autres bricoles sanitaires à un état qui condamne à mort les adolescents pour porter des tee-shirts contestataires. Lieu d’inspiration. Le même jour, en France, les condés arrêtaient à 6 heures du matin six syndicalistes rendus responsables d’arrachage de chemise d’un col blanc d’Air France qui, lors d'une autre confusion physique, n’a pas su voler bien haut. Six personnes arrêtées, six personnes représentant 2900 autres en passe de perdre leur travail et au-delà, des millions d’autres dont le ras-le-col devrait impressionner. Six personnes qui en réalité devraient être remerciées publiquement pour avoir prévenu d’une colère gigantesque qui n’en finit pas de monter, six personnes qui en retirant cette chemise ont ouvert les volets baissés pour laisser passer un peu de lumière, le jaune de Van Gogh, six personnes qui ont su par un geste – là où les discours ne passent plus – soulever une montagne de questions et de périls sournois. Un geste contre l’amnésie nous rappelant à la bonne géographie des costumes indiquée dans un vieux proverbe : « autour du col, il y a la cravate ».

Dans Cocoanuts, le rôle du détective Hennessy était interprété par Basil Ruysdael, un acteur que l’on retrouvera en 1955 dans Graine de Violence de Richard Brooks, premier film « rock’n’roll » où l’on entendra cette réplique d’un directeur d’école : « Je ne suis pas préparé, on ne m'a pas préparé à maîtriser une émeute ».


Merci à Fabien pour sa requête sur les standards à chemises.

8.10.15

L’ARTISANAT DE LA MUSIQUE
FACE À L’EMPIRE

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Les disques nato seront présents aux Rendez-vous de l'histoire de Blois dont le thème cette année est "Les Empires"  les 8, 9 et 10 octobre. Pourquoi ? Tentative de réponse.


Nous sommes en 2015 au commencement de l’ère dite numérique, du monde virtuel, où seule la souffrance n’a pas le privilège de l’abstraction.

En ce monde réputé neuf où les possibles se confondent dans la confusion même, où le désir s’abîme dans la métaphore infranchissable, la musique perd sa place initiale. Elle pâlit dans les forêts d’algorithmes, se love dans les espaces high-tec pour canidés domestiques (« niches »), devient facilement interchangeable, s’utilise en sonnerie téléphonique,  accompagne des va-et-vient d’ascenseurs pas très sociaux, ou plutôt se tient gentiment à l’écart en remplissant ses fonctions de consommation dite culturelle. La musique, lieu d’échange humain absolument exceptionnel, semble être désormais trop souvent partout et nulle part à la fois.

Elle ne manque ni de créativité, ni d’audace, ni de jeunesse, ni de belles rides, mais de lieu, de lieu originel. Tout n’est pas substituable. Les vrais villages ne ressemblent à aucun autre.

Qu’elle crie sa liberté chez Beethoven, Hendrix ou Ayler, qu’elle témoigne de la mort par baïonnette d’un jeune manifestant chez Janáček ou de quatre adolescentes noires tués par le Ku Klux Klan dans « Alabama » de Coltrane,  qu’elle fulmine d’un « Fuck the Police » avec NWA, mais aussi parce qu’elle peut faire danser, qu’elle peut rassembler les esprits et les corps, la musique a toute sa place dans l’histoire. Elle sait faire naître, adresser des signes, parler de l’autre - être sensible - en laissant entrevoir le Monde en multiples facettes.

Si nous persistons aujourd’hui, après 35 années, à être toujours une maison de disques, si nous devons plus encore que jamais déployer une énergie que l’on aimerait romantiquement infatigable en dépit de difficultés croissantes, c’est parce que, comme d’autres artisans, nous  souhaitons toujours la musique comme ce lieu indispensable entre le temps des épreuves et celui du début de longues passions.

Le récit, l’échange, l’existence, l’inattendu, l’air, la poésie, l’engagement et la transmission d’ondes (parfois de choc) qui nous ont permis d’avancer nous importent.  Ils sont les instigateurs de ces albums que nous continuons à proposer avec détermination physique ; à tout cœur, à toutes forces, sans peur du futur (un peu quand même), sans grande nostalgie mais avec conscience de la valeur du passé pour notre indispensable présent.



www.natomusic.fr


Photo : B. Zon

6.10.15

CHANTAL AKERMAN

Je, tu, il, elle : Toute une vie.
Chantal Akerman (1950 - 2015)


 

13.9.15

FORUM DE NIVILLAC


À Monique Travers, Timothée le Net, Mael Lhopiteau et Sylvain GirO, à l'occasion de la soirée d'ouverture de la saison 2015-2016, le 12 septembre.

Lorsque le 14 novembre 2012, nous nous rendîmes à Notre-Dame-des-Landes, nous n’avions pas idée à quel point ce week-end remplirait nos vies.

En un endroit où l’existence semblait avoir élu domicile, loin des abandons sinistres et rectilignes, de nouvelles sources musicales vinrent bien vite, aussi, suggérer d’autres réponses, d’autres métamorphoses possibles. Alors qu’au détour d’une haie, nous retrouvions notre ami Janick Martin en lui confiant de façon impatiente que nous étions follement tombés amoureux de la chanson « Notre-Dame-des-Oiseaux-de-Fer », nous le questionnâmes sur les paroles, il nous parla du gars qui les avait écrite et vivait juste à côté, à Vigneux-de-Bretagne, Sylvain Girault. Autres retrouvailles un peu plus tard, notre ami le dessinateur Stéphane Cattaneo parti migrer sur les terres bretonnes depuis plusieurs années ; il nous présenta sa compagne Bénou la perlière, ainsi qu’un petit gaillard, sorte d’habitant naturel de la forêt, Timothée le Net. L’elfe était accordéoniste et, justement, ne tarda pas à nous parler de Janick Martin. Un peu plus tard, à la Roche Bernard, au Rochois, le café d’Hélène Potabès, nous allions faire plus ample connaissance avec ce nouveau monde.

L’attirance de la mer étant aussi forte que l’aversion des vagues bleues marines terriblement sèches et nuisibles, les occasions se multiplièrent dès les jours suivants et pour très souvent de revenir à Notre-Dame-des-Landes autant qu’à la Roche Bernard. Au Rochois nous entendîmes Timothée répéter avec son compère du Bénéfice du doute, Mael Lhopiteau, harpiste. Notre Marx préféré s’appelle Harpo alors toute créature se présentant avec une harpe est dispensée de mot de passe. De suite, cette musique dégagea une sorte d’atmosphère un peu secrète, avec une lumière d’arc-en-ciel qui ne se laisse pas gagner par la panique (ce qui n’est pas si fréquent dans les musiques de ce siècle commençant).

Dans le même temps, ou plutôt dans le même élan, le gars de Vigneux, l’auteur de « Notre-Dame-des-Oiseaux-de-Fer », chanson qui a la puissance du plus fort dans ce qui a pu être écrit et chanté pour l’unité des hommes, nous invita. Le train de Woody Guthrie n’avait pas dû passer loin. Ce moment partagé avec Sylvain Girault allait s’inscrire dans un beau mouvement.

Pendant ce temps, dans la campagne anglaise du Gloucester, Tony Hymas, musicien avec qui nous faisons la route depuis 1984, trépignait d’impatience de rencontrer tous ces gens. Lui aussi avait été saisi par « Notre-Dame-des-Oiseaux-de-Fer » qu’il intégrait au programme de son trio, puis d’Ursus Minor. Alors à la première occasion, il passa en février 2013 au Rochois avec les Bates Brothers. Soirée mémorable où se firent les rencontres avec Timothée et Mael. Tony ajouta un de leur thème au répertoire de son trio et eux firent de même. Et puis pour l’album « Chroniques de résistance », c’est bien naturellement que Sylvain Girault fut sollicité pour l’écriture de deux chansons. Ensuite il y eut bien d’autres épisodes, tous plus stimulants les uns que les autres - dont un à Nivillac l’an passé* - et c’est tout naturellement que le lac d’Eugénie de Sylvain GirO avec Erwan Martinerie, Julien Padovani et Jean-Marie Nivaigne et le Bénéfice du doute s’inscrivirent au catalogue de notre maison de disque.

Bertolt Brecht avait écrit en 1933 : « En ces temps de choix décisifs, 1'art doit choisir. Il peut livrer les hommes aux illusions et aux miracles ou il peut livrer le monde aux hommes. » La question résonne toujours autant huit décennies plus tard. La publication des albums de Sylvain GirO, Le Bénéfice du doute et Tony Hymas sont une part importante de notre réponse.

L’équipe des disques nato

 * Photographie : Timothée le Net 4tet (avec Pierre Droual, Martin Chapron,Yann Le Bozec) invite Tony Hymas, Erwan Hamon et Janick Martin à Nivillac le 14 novembre 2014

12.9.15

LES CHANSONS QUE MES FRÈRES M'ONT APPRISES

Pour Antonin Artaud, le cinéma devait jouer d'abord avec "La peau humaine des choses, le derme de la réalité ". C'est le point d'ancrage de Chloé Zhao pour son premier long métrage Les Chansons que mes frères m’ont apprises (Songs My Brothers Taught Me) filmé dans la réserve lakota de Pine Ridge. L'histoire y émerge de façon sensible, lucide et contrainte par la folie du monde. Le cœur et le corps de la très jeune Jashaun St. John traversent le film en harmonie ouverte dans tant de lieux concrets. Il est de beaux gestes au sortir des ténèbres pour apprendre à voir.  Son visage impressionne à jamais.

Les Chansons que mes frères m’ont apprises (Songs My Brothers Taught Me) de Chloé Zhao (2015)
avec John Reddy, Jashaun St. John, Taysha Fuller, Travis Lone Hill, Irene Bedard - co-produit par Forest Whitaker

4.9.15

COLTRANE PLAYS

L'écoute de ce disque déclenche une sorte de sentiment irrésistible : une façon d'être saisi au plus près du sentiment amical, des pensées qui rassemblent, dans la relation véritable d'êtres de chair, ses beautés et ses tourments. Coltrane a donné pour longtemps en jouant pour ses amis, pour nos amis.

19.7.15

SCIENCE-FICTION

La science fiction * au secours du monde politique azimuté et des électeurs, électrices et électriciens en déroute : l'un d'eux (de gauche suivant l'expression consacrée) déclarait récemment "finalement, Alain Juppé ne serait pas la plus mauvaise solution !"

* au demeurant archi formidable disque d'Ornette Coleman

JOHN TAYLOR


Le pianiste John Taylor s'est éteint ce 18 juillet, après s'être effondré sur scène au Festival de Segré où il jouait avec le groupe de Stéphane Kerecki.

On devrait se souvenir de son parcours avec de très proches compagnons - d'une autre voie anglaise - tels John Surman, Kenny Wheeler, Chris Laurence, Alan Skidmore, John Marshall.

Musicien de grande élégance sophistiquée et donc de prédilection pour les trois lettres de Manfred Eicher, il figure sur nombreux albums ECM avec Azimuth bien sûr, groupe créé avec Norma Winstone et Kenny Wheeler, mais aussi avec Arild Andersen, Jan Garbarek, Charlie Haden, Miroslav Vitous, Palle Danielsson, Marilyn Mazur et bien sûr quelques références importantes de Surman et Wheeler. Après avoir enregistré avec lui en duo le serein mais fécond Patience (Outhere Music France/Zig Zag Territoires), Stéphane Kerecki l'a invité sur son projet Nouvelle vague (Outnote Records/Outthere Music France).

Pour l'anecdote, ce Taylor-là avait participé - à la suite d'une rocambolesque aventure digne d'une comédie de Frank Tashlin dont Evan Parker, Michel Portal et John Stevens furent quelques-uns des acteurs - à un quartet avec Jean-Louis Chautemps, Jacques Di Donato et Chris Laurence au festival de Chantenay-Villedieu en 1980.

Son premier album en 1971 s'intitulait Pause, and Think Again. Une façon de définition pour le parcours d'un musicien riche de ponctuation, d'exigence et d'une sage défiance.

18.7.15

NOTRE-DAME-DES-VALSES

En décembre 2014, le premier ministre de la France annonçait : "Après la décision du tribunal administratif, il faudra s'engager dans la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes". Et bien conformément à ce souhait, la j.u.s.t.i.c.e du dit tribunal administratif a débouté aujourd'hui tous les recours des opposants à cette monstrueuse imbécilité. Un sacré visionnaire ? Un magicien ? Un mec super tuyauté ?

14.7.15

CAT POWER

Mais quel est l'impudent (scientifique d'un monde virtuel?) qui a prétendu que pour mettre de l'ordre dans le monde, on devrait forcer les chats à faire des chiens? Cat power.
 

Photo : B. zon - Chats de la Commune libre d'Ussanges

5.7.15

WILLEM BREUKER ET GÉRARD TERRONÈS

C'est un 11 juin 1976 que certains d'entre nous découvraient le Willem Breuker Kollektief en première partie de Cecil Taylor ; soirée organisée à la Mutualité de Paris par Gérard Terronès dont on ne dira jamais assez tout ce qu'il a apporté. En cette chaude soirée d'été d'êtres sans avoir, idée naturelle de réécouter le disque du Willem Breuker Kollektief produit par Terronès (Marge) en 1978 intitulé Summer music, galette qui nous avait tant ravi et qu'il est toujours tant de plaisir à entendre. Merci Gérard !

28.6.15

LEONARD PELTIER :
40 ANS DE VIE EN PRISON

40 ans ! Cela fait 40 années que Leonard Peltier est en prison, malgré les promesses succesives de révision de procès (homme politique = mémoire salement courte). Insupportable indifférence pour l'injustice commise non seulement contre un homme, non seulement contre les peuples opprimés, massacrés, exploités, non seulement contre la perception de l'Histoire, mais contre notre présent même, contre nos réalités, contre nous-mêmes.

25.6.15

DON PAUVROS DE LA MANCHE
PAR GUY GIRARD

Camarades marseillaises et marseillais, vous avez une sacrée veine car vous pourrez voir les premières projections publiques du film de Guy Girard consacré à Jean François Pauvros, Don Pauvros de la Manche, au FID (excellent festival au demeurant) les 3 juillet à 12h30 (Cinéma les Variétés) et 5 juillet à 21h15 (même salle) ! Nous avons aussi eu la chance de voir ce film unique au sortir de son mixage. Impressions !

Immédiatement, on est frappé par le rapport nu, la puissance intime, entre les corps et le décor, frappé par les marques partagées, intermédiaires de poésie, qui dessinent à l'écran ces deux entités - équilibres premiers du cinéma -, corps et décors, ferments de réveil éclos au bord de l'abîme. La rue, la mer, le Nord, le studio Campus, sont des idées où pointe le déferlement de nos possibles contrariés par la lecture de nos impossibles.

Le titre, Don Pauvros de la Manche, affiche son plus-que-parfait, un combat de bâtis passés transitant en un temps présent vers l'ébauche d'un demain aussi provisoire que les images d'un film d'Ed Wood (aperçues à l'écran). Le guitariste séjourne dans le film sans se tourmenter de ses bords et débords, il y promène ses solitudes peuplées de brèves rencontres à l'accès vaste. Chacune ouvre une brèche ; une forme d'engagement assumant ses vertus discontinues, ses combustions contradictoires. On pense à Monk (mais oui !). “Là où est la musique, il n'y a pas de place pour le mal” avait dit Cervantès via Don Quichotte et ailleurs dans le roman : “Dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es.” Chez Pauvros, l'âpre son, sa violence,  ne rêvent que chanson. La rumeur se propageant électriquement, le rock'n'roll et ses frappes auraient donc toujours voulu dire "tout instant est décisif". C'est filmé à la vitesse d'un crépuscule jouant la naissance du jour. Tendre vertige indispensable, on est au plus près de l'ingénieux hidalgo. Il est rare de percevoir à ce point les nécessités d'un musicien au cinéma.

Entre le souvenir d'une mélodie à reconstituer et la matière affolée qui ne dessine plus que les lambeaux d'un destin, Don Pauvros de la Manche, a quelque chose d'in extremis, impératif et précieux comme le sable du temps qui passe, comme s'il s'agissait d'un dernier témoignage de l'histoire par le cinéma.

Site du FID

24.6.15

L'AMOUR À MORT

La photographie a été prise ce matin au sortir d'une rame de métro. Le cadrage n'est pas réfléchi, nulle besoin de truquer, la passer en noir et blanc pour lui conférer une force d'un autre temps, plus chic, plus graphique, c'est selon ; elle pourrait être invisible, l'objectif noyée par les larmes, elle a seulement les couleurs d'aujourd'hui. Les industriels, condés, argentiers, ministres, inquisiteurs, grivetons (liste non close) ne peuvent mettre l'amour à mort sans nos complicités quotidiennes.


Photo : B. Zon

23.6.15

ARRÊTEZ DE PARTIR !

Magali Noël avec Federico Fellini sur le tournage d'Amarcord

22.6.15

LES MURS PARLENT DE JAZZ ET DE DIANÉTIX

Vu ce matin à Paris : Herbie Hancock à côté d'un membre de l'église de scientologie passé au rayon X

Photo : B. Zon

LE TROISIÈME DIMANCHE DE JUIN DE GUNTER SCHULLER


Le 21 juin, ce n'était pas la fête du Troisième courant, son inventeur  Gunter Schuller s'en est allé à 89 ans. Schuller croyait en une zone curieuse, un genre épais où se maillent jazz et musique classique, et qu'on ne saurait réduire à "jazz with strings". À l'origine corniste (il joue dans Birth of the Cool de Miles Davis) Schuller a travaillé et experimenté avec John Lewis, Dizzy Gillespie, Eric Dolphy, Jim Hall, Bill Evans, Charles Mingus, Ornette Coleman (dont il était un grand défenseur). Avec Ornette Coleman, Schuller a enregistré "Abstraction" . L'abstraction ? ... oups... on est déjà rendu !

19.6.15

GUY PIÉRAULD : LA VOIX CASSÉE

Guy Piérauld - lyonnais d'origine italienne et copain des frères Jacques, puis étudiant de Charles Dullin - s'était cassé une corde vocale à 17 ans, ce qui lui donnera une voix unique. Encouragé par Roger Carel, il devient vox pingere de quelques dessins animés fameux en jouant les versions françaises de Bugs Bunny, Woody Woodpecker, Kiri le clown, Max la Menace, Dupont ou  le lapin d'Alice. Il fut Astérix dans les disques, place prise ensuite par son ami Roger Carel lorsque le personnage s'animera sur la pellicule. On a pu découvrir le visage de cette voix célèbre au théâtre (multiples "Au théâtre ce soir") ou au cinéma (chez Yves Robert, Pierre Etaix, Philippe de Broca, François Truffaut, Alain Resnais). Un Drame Musical Instantané l'avait invité en 1987 dans l'album L'hallali (Grrr 2011- disponible aux Allumés du Jazz). Il y a bien des raisons d'être sans voix de nos jours, mais si Bugs Bunny perd la sienne... c'est plus qu'un signal pour qu'on redonne de la nôtre.

16.6.15

FORMULATION SANS RESTRICTION

"Les réfugiés ont besoin d'aide et d'amour". L'assertion est cardinale, elle nous concerne tous. Quelqu'un sur le trottoir (entre deux gendarmes) a dit "c'est plus compliqué que ça". Non ! C'est aussi simple que ça. À chacun d'y trouver le monde véritable des propositions déployées.

Photo : B. Zon (manifestation du 16 juin)

14.6.15

QUESTIONS FOR TOMORROW (NOW)


In all languages

Le flux médiatique se gave de congrès de partis politiques guignolesques, de relaxe de notables proxénètes, de fierté de ventes d'avions meurtriers à des régimes qui ne le sont pas moins, de scandales de balle au pied, de caprices de ministres, de CAC40-en-hausse-en-baisse, de Grand Paris indécent, de grands chantiers pharaoniques inhumains. Ceux qui sont rapidement et abstraitement désignés comme "migrants" y apparaissent en pointillé. Leurs naufrages réguliers dans les eaux de Méditerranée tirent trop souvent de simples larmes de crocodiles. Comme les "pauvres", les "chômeurs", les "sans papiers",  les "minimas sociaux" et autres appellations ne recueillant pas les suffrages des amateurs de démocratie-une-fois-tous-les-cinq-ans, ces migrants ne sont pas des entités anonymes, des masses d'ombres. La moindre des choses, la moindre humanité, est d'accueillir ces êtres humains au courage inimaginable qui ont survécu à des voyages d'enfer, avec générosité et gentillesse tant ils forcent le respect et bouleversent nos réduits. La moindre des choses pour nous est aussi d'échapper à la honte. 

Change of Century

Jeudi 11 juin 2015, à Paris, les migrants accueillis par l'association du Bois Dormoy doivent partir, l'association n'assumant plus au motif que "L’association gestionnaire du jardin partagé du Bois Dormoy n’a pas la capacité de se substituer aux pouvoirs publics (État et Ville de Paris) dans le traitement des questions humanitaires, sanitaires et administratives liées à la situation des migrants." Compréhensible sans doute. La différence historique de points de vue (c'est vieux comme la guerre d'Espagne) des soutiens des migrants éclate alors : il y a ceux qui pensent s'entendre avec les autorités et ceux qui ne leur font aucune confiance.  On traduira éventuellement par : ceux qui préfèrent accompagner la misère et ceux qui souhaitent la combattre. L'occupation de la caserne de pompiers désaffectée de Château-Landon commence contre l'avis des premiers. L'Armée du Salut (qui distribue des repas aux SDF dans ce lieu) dispense des repas aux migrants investissant l'endroit. Chapeau !

The Shape of Jazz to Come

La police arrive, nombreuse, prend le contrôle du carrefour rue de l’Aqueduc-rue Philippe de Girard. Certains migrants ne peuvent entrer et se retrouvent avec les manifestants présents et ceux qui arrivent dans le quartier. Un migrant menace de se jeter du haut du pont métallique sur les rails de la Gare de l'Est. Le trafic ferroviaire est suspendu. Une petite ("esprit du 11 janvier es-tu là ?") foule déterminée se presse à l'extérieur. La police charge à plusieurs reprises. La fanfare Invisible mais fort présente - une vingtaine de musiciens - continue à jouer lors de ces manœuvres, surpassant la crainte des gaz lacrymogènes, des rapides mouvements de foules et la brutalité policière. Ils entonnent, sans défaillir, "El pueblo unido jamás será vencido" repris en chœur par les manifestants, la police recule, un très beau moment de musique, de dignité, de vie. Chapeau !

Broken shadows

Rue de l'Aqueduc, barrage de police, on ne peut passer. Quelques migrants qui n'ont pu rentrer dans la caserne errent. L'un d'eux porte un grand sac de plastique gris. Un des flics qui a l'air de s'ennuyer un brin s'adresse à lui, sourire en coin, en pointant le sac avec sa matraque : "Qu'est-ce que t'as dans ton sac ?, il fait simplement signe en joignant ses mains penchées vers sa tête qu'il voudrait seulement dormir, l'argousin se marre : "il fait chaud là, t'as besoin de rien pour dormir". Le tutoiement lors des contrôles policiers pour qui n'est pas de type caucasien est habituel et quotidien. Faut-il vraiment s'y habituer ?

Tomorrow is the question

Plus tard, les migrants "acceptent" (les problèmes de langues sont importants et les pressions diverses certainement fortes - les versions sont contradictoires) de sortir et d'être temporairement conduits pour une durée non garantie dans trois foyers (deux à Paris et un à Nanterre). Les CRS repoussent les soutiens. 110 places négociées. D'où sort ce chiffre de 110 ? Il reste une cinquantaine de migrants ne sachant où aller. Quelques personnes proposent des hébergements. Les autres se dirigent vers les jardins d'Éole dans le XIXème. Où seront-ils demain ?

Who's Crazy 

On connait l'extrait de phrase attribuée à Michel Rocard (ex scout du PSU recyclé businessman du PS), reprise à bon compte par les perroquets politiques de droite et de gauche modernisée. On sait moins son intégralité énoncée lors de son passage à la télévision le 3 décembre 1989 : «Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique, nous sommes signataires de la convention de Genève […] mais pas plus. […] Il faut savoir qu’en 1988 nous avons refoulé à nos frontières 66 000 personnes. 66 000 personnes refoulées aux frontières ! A quoi s’ajoutent une dizaine de milliers d’expulsions depuis le territoire national. Et je m’attends à ce que pour l’année 1989 les chiffres soient un peu plus forts.». Il confirmera le 13 décembre à l'Assemblée Nationale : «Puisque, comme je l’ai dit, comme je le répète, même si comme vous je le regrette, notre pays ne peut accueillir et soulager toute la misère du monde, il nous faut prendre les moyens que cela implique.» Le 7 janvier 1990, il insiste : «J’ai beaucoup réfléchi avant d’assumer cette formule. Il m’a semblé que mon devoir était de l’assumer complètement. Aujourd’hui je le dis clairement. La France n’est plus, ne peut plus être, une terre d’immigration nouvelle. Je l’ai déjà dit et je le réaffirme, quelque généreux qu’on soit, nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde […] Le temps de l’accueil de main-d’œuvre étrangère relevant de solutions plus ou moins temporaires est donc désormais révolu.». Le Front National était alors bien en selle, déjà puant régulateur de la vie politicienne. Sa cavalerie n'a fait que grandir et avec elle les idées xénophobes hypocritement encouragées par les gouvernements successifs. Jusqu'où ?

Friends and Neighbors 

Et pourquoi ne devrait-on pas prendre notre part sérieuse et appliquée dans "l' accueil et le soulagement de toute la misère du monde" lorsqu'on y a tant contribué. Qui peut réellement éluder cette question ? Qui peut réellement éviter la réponse ? Qui peut jurer qu'il ne connaîtra jamais d'exil, de retirada ? Mardi 9, le rassemblement suivant l'évacuation brutale de la veille (Paris XVIIIème) est finalement "parti en manif" jusqu'à la Chapelle contre l'avis des plus "raisonnables". Quelqu'un a dit à la fin : "nous pouvons reprendre la rue".  L'art évolution ne se fait pas seulement derrière un écran, mais bien in situ.

Love Call,

Aux jardins d'Éole, s'est mise en place une remarquable entraide à laquelle nous pouvons tous participer, là comme en bien d'autres endroits que l'on saura trouver. Retrouver l'autre en nous, les nous-autres, participer à un cheminement vers les rives d'une fertilité véritable pour qu'aucun chant ne nous manque.

This Is Our Music

Les titres des paragraphes précédents ont été empruntés à ceux d'albums magnifiques du musicien Ornette Coleman. Ce même 11 juin, il nous a quittés et avec lui la marque d'impressionnantes trajectoires, d'une poésie de l'action, d'une caravane de rêves, d'une chronologie bouleversée. Il nous reste à jeter les bases de nouvelles illuminations.


Photos : B. Zon

    9.6.15

    LES ALLUMÉS DU JAZZ À PROPOS DES CHANGEMENTS À RADIO FRANCE

     « Liberté d’expression » ! Ces mots ne sauraient être une tournure vide de sens, un habillage vaguement pratique.

    Or, au travers d’une grève de 28 jours, la plus longue de l’histoire de Radio France, ses personnels nous ont alertés d’une menace sérieuse.

    Ce n’est pas la première fois que frustrations, contrariétés, sentiments d’injustices naissent des décisions des pouvoirs en charge (renvoi de journalistes et producteurs talentueux, amputations des programmes, érosion de la qualité), mais jamais on n’a senti aussi crûment la mise à bas de cette « liberté d’expression » dont la radio nationale devrait être un tantinet garante ; devrait être expressément garante.

    On partira ici du principe - sur lequel on insistera - que les musiques naissent libres et égales entre elles.

    Faut-il rappeler le rôle joué par la RDF, la RTF, l’ORTF, puis Radio France dans la constitution du champ musical en France, de ses recherches, de ses perspectives ?

    Faut-il rappeler aussi le rayonnement provoqué par la possibilité d’assister à des concerts de grande qualité, gratuitement ou à moindre prix ?

    Faut-il rappeler, par exemple l’importance considérable de la radio dans la diffusion du jazz en France ? On citera avec insistance les noms de Marjorie Alessandrini, Patrice Antona, Yvan Amar, Jean-Arnaud, José Artur, Jean-Christophe Averty, Jérôme Badini, Henri Bernard, Patrice Bertin, Jacques Bisceglia, Patrice Blanc-Francard, Pierre Bouteiller, Xavier Yvonne et Robert Brédannaz, Brocker, Jean Buzelin, Philippe Carles, Claude Carrière, Daniel Caux, André Clergeat, Sim Copans, Maurice Cullaz, Louis Dandrel, Charles Delaunay, Julien Delli Fiori, Jean Delmas, Henry Devay, Michel de Villers, Jack Diéval, Michel Dubourg, Hervé Dubreuil, Alain Durel, Alex Dutilh, Anne-Marie Duverney, Chris Flicker, André Francis, Maryse Friboulet, Louis Fritsch, Alain Gerber, Jean-Louis Ginibre, Michel Godard, Laurent Goddet, André Hodeir, Henri Hubert, Michel Jules, Philippe Koechlin, Gabriel Lallevée, Daniela Langer, Pierre Lattès, Bruno Letort, Lucien Malson, Jean-Marie Masse, Jean-Robert Masson, Franck Médioni, Arnaud Merlin, Anne Montaron, Raymond Mouly, Claude Muller, Daniel Nevers, Bernard Niquet, Hugues Panassié, Jean-Jacques Patrice, Xavier Prévost, Franz Priolet, Jean-Michel Proust, Auguste Pujolle, Henri Renaud, Jean-Paul Ricard , Marie-Berthe Servier, Jean-Paul Terray, Gérard Tourtrol, André Vasset... La liste n’est pas exhaustive et toutes et tous ont œuvré non seulement à une meilleure connaissance de cette musique, à sa compréhension profonde, mais aussi à sa maturité, à son intégration, à son existence même.  Il ne s’agissait pas de situer le jazz dans ce que la novlangue en cours nomme sans dignité une « niche », mais de le vivre sur la place publique. Plus que jamais, le jazz ne saurait être seul, il vit dans une grande diversité de musiques. Le rôle de la radio est d’en préciser les perspectives, les reliefs, les liens.

    Les nouveaux décideurs de l’audiovisuel en France se préoccupent d’abord de réaménagement de bureaux de fonction, de voyages en taxis pharaoniques, de Peugeot 508 neuves, d’experts en gestion d’image, puis ensuite d’audimat « toucher un public le plus large possible[1]  » et de rentabilité, notion qui a son absurde lot d’abstractions lorsqu’il s’agit de service public.  Foin de la création, de l’excellence, de l’intelligence.

    Le changement de la radio, c’est donc maintenant. Il ne s’agit plus de sales petits coups en douce, mais d’une véritable déflagration : avis de 380 licenciements, fermeture du bureau du jazz suivie d’une transformation simulée, annonces de la suppression de France Musique puis son amaigrissement à deux faces (classique et jazz la semaine, « diversité » le week-end), grille des programmes ratatinée, captations de concerts réduites de moitié et suppression des cachets pour les musiciens enregistrés (en invoquant soudainement que France Musique, qui l’a pourtant pratiqué depuis des lustres, ne serait juridiquement pas apte à le faire), mise à l’écart du commentaire (« plus de place à la musique et moins à la musicologie1 »), réduction spectaculaire des moyens de productions au profit de simple passage de musique…

    Un slogan de France Musique indiquait « la musique un ton au-dessus », un autre de France Inter que la « voix était libre » en nous priant « d’écouter la différence ». À l’heure d’impressionnants changements technologiques, sources logiques de confusion, quand lors des deux dernières décennies, les oracles avisés, futurologues high-tech et autres experts se sont lourdement trompés dans leurs prévisions, il semble bien que cette différence, cette liberté sont les moyens inaliénables pour un service public qui se doit d’être au-dessus des concurrences passagères, qui se doit d’écouter autre chose que les logiques meurtrières de l’uniformité.

    C’est TOUTE la création musicale dans son ensemble, dans sa diversité, dans sa créativité que nous voulons voir figurer à titre égal et généreux sur les chaînes de la radio publique - France Musique, France Inter, France Culture, FIP, France Bleu, France Info, Mouv - débarrassée de la dictature du divertissement et de ses manipulateurs. Il en va très sérieusement de « la liberté d’expression ».



                                                                                                                Les Allumés du Jazz




    1 AFP 26 avril 2014

    Photos : B. Zon