"Dans un monde qui s'écroule sous le poids de la rentabilité, envahi par
les sirènes ravageuses de la techno-science, la voracité du pouvoir, par
la mondialisation -nouvel esclavage-, au-delà de tout cela, l'amitié,
l'amour existent."
(Henri Cartier-Bresson 15 mai 1998)
Le 15 avril dernier, devant le McDonald du quartier Dinkytown à Minneapolis, Jayanthi Kyle chante :
"The day’s gonna come when I won’t march no more
The day’s gonna come when I won’t march no more
But while my sister ain’t equal, my brother can’t breathe
Hand and hand with my family, we will fill these streets"
"Le jour viendra où je ne marcherais plus
Le jour viendra où je ne marcherais plus
Mais lorsqu'il n'y pas d'égalité pour ma sœur, que mon frère ne peut respirer
Main dans la main avec ma famille, nous emplirons ces rues"
Quelques heures avant s'est formé sur le campus universitaire un rassemblement pour rejoindre les employés en grève de la plus célèbre firme mondialement empoisonneuse à bien des titres. Première revendication : "15 now !"
Le mouvement 15 now a pris naissance à Seattle en janvier et s'est rapidement étendu à de nombreuses villes américaines. Plus encore que la lutte pour demander un salaire minimum de 15 dollars dans les entreprises qui réalisent des profits aujourd'hui décuplés, cet élan est un geste essentiel de décence au moment où l'on constate que les 1% détenteurs du pouvoir économique (et donc du pouvoir) n'ont jamais été aussi arrogants à la tête de fortunes inégalées dans l'histoire. Comme ceux qui se sont battus pour les 8 heures (les cinq anarchistes exécutés suite à l'affaire dite de Haymarket consécutivement au rassemblement du 1er mai 1886 à l'usine McCormick de Chicago en sont un symbole qui perdure chaque 1er mai), la demande de 15 $ n'est pas un but mais "une étape vers la dignité et l'égalité sociale". Le mouvement 15 now revendique une naturelle parenté avec Occupy et Black Lives Matter pour lutter contre la pauvreté et la discrimination raciale ("Les emplois à bas salaires sont disproportionnellement dévolus à des personnes de couleur, des femmes et des immigrés de sorte que ce combat est aussi une question de race, de sexe et d'égalité sociale").
Le 15 avril à Minneapolis, les employés du McDonald prennent la parole ainsi que d'autres de compagnies similaires ou de représentants de divers groupes comme ceux de Black Lives Matter. S'échangent toutes sortes de tracts et de paroles, mais ce qui frappe surtout, c'est le désir profond de sortir des cadres tels qu'ils ont été définis par les dénommés 1%, la volonté de reprendre sa vie en main. Une femme dans la foule crie "Assez de travailler pour des gens qui gagnent plus de 1000 fois plus que nous grâce à nos souffrances". D'autres décrivent les conditions de travail chez le géant du fast food et le peu de place restant à quelque épanouissement et surtout l'envie de vivre autrement, de ne plus se soumettre, de partager. Oui "l'amitié, l'amour existent" et ils peuvent beaucoup.
Et c'est bien amicalement, pendant qu'un groupe parvient à faire fermer le McDonald, que chanteurs et rappeurs sont venus soutenir les grévistes : Jayanthi Kyle, mais aussi Lizzo, Metasota, Sophia Eris et Manchita (du groupe Grrl Prty), Manny Phesto. Metasota a même repris le "Fight the Power" de Public Enemy que tous et toutes ont repris en cœur comme s'il s'agissait d'une chanson des carnets de Joe Hill ou d'un classique du mouvement pour les droits civiques. L'anecdote est largement dépassée, l'expérience est transmissible. Et le chant de Lizzo et de Grrl Prty un peu plus tard viendra dire, la tête haute, dans ce monde saisi d'une sidération qui fait plier les êtres, les fondamentaux des droits humains, les relations à autrui. Toutes les relations. Ce chant-là exige l'exercice des libertés, des prises de positions, la mise en œuvre lucide de nos propres destinées. NOW!
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