Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

11.4.17

AVEC ARMAND GATTI : ICI, HIER, MAINTENANT, AILLEURS, DEMAIN POUR UNE DEUXIEME AVENTURE DE L'HOMME.
Par Francis Juchereau



Avec Armand Gatti : ici, hier, maintenant, ailleurs, demain
Pour une deuxième aventure de l'Homme.

Par Francis Juchereau

Le "toujours maquisard" limousin "Don Qui ?" est mort le 6 avril, à l'arrivée du printemps. Fils de prolétaires émigrés, Armand Gatti fit de sa longue existence (1924-2017) une extraordinaire aventure combattante et multiple : la recherche d'une possible deuxième aventure de l'homme, hors des chemins de la catastrophe en cours.
Issus du monde des paysans pauvres du Piémont, les parents de Gatti émigrent en Amérique après la Grande guerre. Brutalement de retour en Europe, ils trouvent du travail à Monaco alors que Mussolini instaure le fascisme à deux pas, en Italie.  C'est en 1924, année de la (première) naissance du futur maquisard-poète prénommé Dante. Sa mère, Laetitia, est femme de ménage et admire François d'Assise. Son père Augusto, balayeur-éboueur anarchiste, a connu l'indicible violence des tranchées en Italie du nord, puis l'impitoyable répression patronale dans le Chicago des années 20, au temps de Sacco et Vanzetti.
Dante Gatti naquit pauvre et apatride... à Monaco : paradoxe originel qui le fera rebelle. 
Sa vie durant, il préservera farouchement cette marque de fabrique qui lui permettra de ne pas succomber. Car l'homme, dit-il, a la possibilité de s'émanciper, mais seulement s'il refuse catégoriquement cette société marchande et spectaculaire qui le happe. Il y réussira à la seule condition qu'il résiste, qu'il se déprenne de ce monde qui le rend "petit" et précipite la catastrophe.  
L'argent, la richesse, le lucre n'auront pas prise sur la vie et la pensée de Gatti. Et celui-ci se tournera naturellement vers un humanisme cosmopolite. Il s'engagera en faveur de la vie aux côtés des hérétiques, des "vaincus", des pauvres, pour "un homme plus grand que l'homme", par delà les frontières de l'espace et du temps.
L'historien Eric Hobsbawm nomma "Âge des extrêmes" le "Court XXe siècle" (1914-1989). Durant moins d'une vie humaine, surgirent deux guerres mondiales, des génocides (des arméniens, des juifs... peu après des tutsis) et une gigantesque techno-science qui cachera derrière son étiquette "Progrès" des boucheries industrielles de l'homme par l'homme et des saccages de notre planète. Face à cette démesure-ci, des révolutions et des luttes de libération surgirent mais furent interrompues brutalement, ou s'avérèrent des impasses, ou furent terriblement dévoyée.   
Gatti déploiera avec ferveur sa passion existentielle à travers les tumultes de ce siècle. Il sera journaliste, cinéaste, dramaturge... et toujours poète. En 1968, le milieu culturel officiel (TNP, Avignon...) l'avait quasiment consacré.  "Sous les pavés, la plage", slogan culte de 1968, est une réplique issue de son théâtre à l'heure du succès. Mais bientôt une de ses pièces sur le dictateur Franco sera interdite par le pouvoir. Alors Gatti se place délibérément en marge des institutions culturelles et sort définitivement du cadre son théâtre comme le langage qui s'y crée. Ces vingt dernières années, il élabora au long de ses écrits et de ses "expériences" (une autobiographie "improbable", La parole errante et les 17 textes et pièces de La traversée des langages) une parole exploratrice porteuse d'une vison du monde différente et nouvelle. Cette expression, complexe et d'un lyrisme certain, qui cependant participe à une véritable révolution culturelle, passe aujourd'hui quasiment inaperçue (la plupart des médias ne se réfèrent qu'à ses pièces d'avant 68, éditées au Seuil).  Malgré cela, la grande presse qui a largement annoncé sont décès, flaire une postérité prometteuse à travers des titres comme, "la légende d'un siècle", "mort d'un révolutionnaire du théâtre", "figure du théâtre du vingtième siècle", "miroir éclaté des utopies".
Mais c'est d'abord sur la montagne limousine, accueilli par des paysans communistes et planqué dans un trou de maquis au cœur de la forêt de la Berbeyrolle près de Tarnac, que Gatti connaît, assure-t-il,  sa "seconde naissance".  Arrêté puis interrogé, il découvre alors la parole poétique comme arme (prosaïquement, les gendarmes notent sur le procès-verbal de son arrestation : "l'intéressé (...) simule l'idiotie").
 "Ô forêt  seul langage inventé par la terre pour parler au soleil", déclame-il au même endroit, soixante trois ans après, amorçant sous l'orage la lecture publique de son poème en hommage à Georges Guingouin, au Limousin et à la longue marche de toutes les résistances.
Et de finir le poème par ces mots : "Les lettres d'Antonio Gramsci, lues à haute voix aux arbres pendant les heures de garde, nous remplissaient de la conscience que les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin étaient une barricade, la même que celle de Madrid, le même combat, le même futur à chaque instant créé."
Laissons conclure le poète, devenu à son tour "notre mort".
Ainsi, sur une pierre, au trou de la Berbeyrolle , le Toujours maquisard Don Qui ? a voulu placer ces mots :
"Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs. Cherchez-y la vérité. Inventez là, vous ne la trouverez nulle part ailleurs".  Nestor Makhno.
"Nous ne sommes rien, soyons tout". Nicole Gompers. 


Armand Gatti et le cercle Gramsci

Gramsci-Guingouin-Gatti, une conjonction extraordinaire en Limousin

Si le G du logo du Cercle représente naturellement la première lettre du patronyme d'Antonio Gramsci, il a, au fil de sa "carrière" plus que trentenaire, indissolublement incorporé celle des noms Guingouin, puis Gatti.
En  juillet  2005, Armand Gatti a rencontré pour la première fois le cercle Gramsci en venant tout un week-end à Ligoure fêter les 20 ans du Cercle, avec Hélène Châtelain[1]. Ce fut un moment mémorable où les salles du château résonnèrent des chants de la Chorale des résistances sociales et où ses murs nous permirent d'admirer le film tourné par Hélène à Los Angeles lors de la création dans cette ville de la pièce "Chant public devant deux chaises électriques"(à partir des derniers moments de Sacco et Vanzetti). Si cette rencontre, permise par Manée Teyssandier et nos camarades de Peuple et Culture Corrèze, fut un moment capital pour la vie du Cercle, elle marquera sans conteste aussi un moment important dans le parcours d'Armand Gatti et de son œuvre.
L'automne 2005 fut marqué par la mort de Georges Guingouin, survenue au moment même où Gatti, invité par le Cercle, venait faire une lecture à Gentioux, organisée sur le plateau de Millevaches notamment grâce à un des "anciens" du Cercle, Francis Laveix de Royère de Vassivière. Nous pouvons parler de ce moment en termes de conjoncture extraordinaire, car il marque à la fois un retour créatif de Gatti sur les lieux de son maquis et sa rencontre avec une vie nouvelle foisonnant alors sur le Plateau, laquelle fera beaucoup parler d'elle médiatiquement à partir de 2008 avec l'affaire de Tarnac.
En effet, aux lendemains de Gentioux, Gatti écrivit un grand poème en hommage à Guingouin,  "Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin", poème qu'il confia au Cercle. Grâce aux liens antérieurs liés par le poète avec l'éditeur limousin Jean Louis Escarfail (éditions Le bruit des autres), le Cercle put coéditer ce poème. Cette édition fut réalisée en vue d'une lecture mémorable du poème par son auteur devant la ferme de la Berbeyrolle (commune de Tarnac), ferme de la famille Hélie qui, en 1943, avait recueilli Gatti, devenu maquisard-poète dans la forêt éponyme.
Après cette lecture, Armand Gatti reviendra très régulièrement dans sa "Corrèze". Il sera notamment invité par Pierre Coutaud, maire de Peyrelevade, en vue de fonder un lieu de création international, université véritable ouverte à tous, porteuse d'une culture transformatrice issue des exigences nouvelles de ce siècle. Ce projet ne se réalisera pas en ce lieu et avec Gatti, mais Armand Gatti pourra entreprendre en 2010 avec l'aide d'Henry Roy, maire de Neuvic d'Ussel, sa dernière grande "expérience" qui réunit tout l'été un groupe de 30 stagiaires venant du Limousin, de différents lieux de France et internationaux. Cette pièce, "Science et Résistance battant des ailes pour donner aux femmes en noir de Tarnac un envol d'oiseau des hautes altitudes" fut un événement majeur dans la littérature et le théâtre selon Olivier Neveux, présent à Neuvic. Celui-ci écrivit à chaud : "les mots peinent à dire et décrire ce dont plusieurs centaines de personnes furent, cette fin d'été, les témoins. Comme si les catégories qui permettent l'analyse théâtrale s'avéraient sinon fausses du moins vaines, comme à côté. Quelque chose fut, en effet, à nul autre pareil".
Après 2010 et l'expérience de Neuvic, Armand Gatti reviendra fidèlement en Limousin, n'oubliant pas le Cercle. Le 13 novembre 2010, il fut l'invité d'honneur d'une soirée mémorable, salle Jean-Pierre Timbaud, sur le thème "création littéraire et engagement politique". Lors de cette soirée, son frère en poésie, le toulousain Serge Pey et sa compagne sarde, accomplirent une performance avec des portraits de Gramsci sur le texte de son poème Graffiti, puis Serge remit à Gatti un bâton de poète, recouvert d'un texte qu'il avait spécialement gravé.
En octobre 2012, Armand Gatti vint à Limoges plus particulièrement pour une soirée du Cercle sur "l'actualité de Gramsci" animée par Ramiz Keucheyan. Il participa tout simplement au débat, avec la même attention, le même intérêt et le même bonheur que celles et ceux venus ce soir là débattre et réfléchir ensemble à propos de la pensée d'Antonio Gramsci.







[1] accompagnés de Jean Jacques Hocquard, l'"amiral" de La Parole errante à Montreuil, d'Olivier Neveux universitaire spécialiste du théâtre d'A Gatti et d'Emmanuel Deléage, son assistant franco-américain, habitant Los Angeles.

Photo prise pendant l'expérience de Neuvic d'Ussel, en 2010 et lors d'un séjour avec Armand Gatti et Hélène Chatelain, Francis Juchereau et Christophe Soulié, dans le moulin d'Hélène, Berry - 2013. Merci à  Christophe Soulié

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